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12 leçons de christianisme. Pour une réception renouvelée de la foi (James Alison)

Paris, DDB, 2015, 424 pp.
A.P.

Le P. James Alison est connu pour l’application en théologie des théories de l’anthropologue René Girard. Il s’adresse ici en particulier à des personnes porteuses de présupposés relatifs à la supériorité des sciences exactes ou des principes cartésiens par rapport aux récits religieux ou historiques. Ceux-ci supposent que l’individu soit autonome dans ses jugements, ses goûts et ses désirs, grâce à une vision surplombante sur la réalité que lui confèreraient ses certitudes rationnelles. Le premier chapitre œuvre à un retournement anthropologique, posant au contraire que tout ce qui est empirique, de l’ordre des habitudes, serait plus efficace que la lecture d’un manuel extérieur dans l’ordre des choses ou des techniques humaines pour parvenir à la maîtrise de celles-ci. L’auteur s’attache ainsi à démontrer la radicale dépendance de l’homme à l’égard de « l’autre »" pour la construction de sa conscience, de l’existence même de son moi, grâce au langage et plus encore à la non autonomie de ses désirs, s’appuyant cette fois sur la théorie de René Girard que la découverte scientifique de l’existence de « neurones miroirs » serait venue conforter. La mémoire elle-même devient le support de notre identité, laquelle se constitue dans un « à peu près » qui n’est certes pas la vérité transcendante mais une construction rétrospective qui s’ajuste en fonction des périodes de notre vie. Nous sommes le récit que nous faisons de nous-même, ce qui suppose bien des approximations et même de pieux mensonges. Après ce préambule, l’analyse proprement dite s’ouvre sur l’évangile de saint Luc avec le récit des pèlerins d’Emmaüs. Celui-ci constitue pour une « herméneutique », au sens le plus moderne du terme de la façon dont se trame notre rapport aux écritures. Etre chrétien, explique alors l’auteur, consiste à lire les textes sacrés selon l’interprétation que nous en donne le rabbi Jésus. De la même façon que celui-ci s’est inséré dans la conversation des marcheurs d’Emmaüs pour leur révéler le sens ultime des événements de sa vie, que couronne l’eucharistie, il ne cesse aux cours de nos liturgies de venir interpréter pour nous la Parole afin ne nous en nourrir. Or, son intrusion est celle d’une victime morte qui ne réclame pas vengeance, ce qui la démarque radicalement de toute conception humaine et introduit par là une parole transcendante, dès lors reconnue comme divine.

Fort de cette approche herméneutique, voici que l’on plonge sans transition dans un des plus obscurs épisode de l’Ancien Testament, où il est question, lors de la conquête de la Palestine par Josué, d’un passage fort équivoque qui se conclut par la lapidation d’un certain Akân, coupable selon le récit d’avoir dérobé du butin après la prise de Jéricho, tandis que celui-ci avait été déclaré sacré par Dieu. Ce larcin, provoquant la colère de YHWH, eût pour effet de retourner la fortune des armes contre les Israélites, jusqu’à ce que la justice s’accomplisse par la lapidation de cet infortuné et de sa famille, le cours de la conquête pouvant alors reprendre. On est clairement, indique l’auteur, dans un cas de bouc émissaire désigné par le sort, afin de surmonter un moment délicat de la campagne où le risque de contagion et de démotivation imposait ce « remède » et qui permet de reconstituer l’unité au détriment de cet infortuné. Où est alors le Christ demande l’auteur dans ce passage de l’Écriture selon notre clé d’interprétation ? Dans le personne d’Akân à n’en pas douter, celui que l’on a « tué sans raison ». L’herméneutique du récit d’Emmaüs nous interdit de ranger la divinité du côté des sacrificateurs, contre toute lecture fondamentaliste, mais d’aller à l’encontre du texte, lequel doit être situé comme un moment d’une révélations progressive du processus victimaire, jusqu’à ce que la révélation néotestamentaire achève d’inverser radicalement la perspective, et innocente toutes les victimes passées présente et futures. Tous les passages violents de la Bible hébraïque sont alors à relire selon cette interprétation qu’en donne le Nouveau Testament, dont la lumière sert de clef de lecture à ces textes disparates. La lecture dite marcionnite qui consiste à rejeter d’un bloc cette littérature archaïque est renvoyée dos à dos à celle, dite fondamentaliste, qui cherche à justifier l’ensemble. L’auteur soulève ensuite la question de la pratique du sacrifice à YHWH du premier enfant, tel qu’elle apparaît dans le Deutéronome, et qui semble effectivement avoir été pratiquée par les hébreux, comme l’atteste l’archéologie, se conformant ainsi à leurs voisin cananéens qui sacrifiaient leur premier né au dieu Moloch. Deux voies prophétiques se distinguent pour dénoncer de telles pratiques ; celle de Jérémie pour qui YHWH n’a jamais prescrit une telle chose (attitude marcionite selon l’auteur) et celle d’Ezéquiel cherchant au contraire à justifier le décret, tout en s’opposant néanmoins à la pratique (attitude fondamentaliste selon l’auteur).

L’interprétation des Écritures nécessite cependant de resituer celles-ci dans le contexte où elles ont été écrites et dans quel but à travers l’histoire tumultueuse d’Israël. Ce à quoi s’attache l’auteur, au cours du chapitre 3, résumant les cinquante dernières années d’études scripturaires et archéologiques, afin de faire état des connaissances actuelles sur la question des écrits vétérotestamentaires. Il ressort des décombres de l’histoire, notamment celle de la première chute du temple de Jérusalem après la destruction des deux royaumes d’Israël, qu’a prédominé lors du retour des exilés une vision éthique ou légaliste de la religion juive, structurée autour de la figure de Moïse. Celle-ci aurait présidé, dixit l’auteur, à la réorganisation de la majeure partie des textes de la Thora, récrite ou remaniée, contre la vision sacerdotale et royale héritière de l’ancien temple, plus sacrificielle et en cela plus proche du divin. En parallèle, la grande figure d’Isaïe, prêtre du temple en 730 et bénéficiaire de la Théophanie relatée en Isaïe 1 témoignerait du développement organique d’un authentique monothéisme consumant peu à peu toutes les impuretés polythéistes, dont émerge une vision de YHWH lavée de tous ces anthropomorphismes et capable en cela de différencier le sacrificiel du divin, tel qu’il apparaît dans les chants du serviteur. Jérémie, issu du royaume du Nord, lieu où se rassemblèrent les premiers écrits, serait initiateur de la religion légaliste du retour d’exil tandis qu’Ezéquiel son contemporain témoigne à l’inverse d’une tradition plus conservatrice et sacerdotale qu’il saura néanmoins adapter aux circonstances de l’exile. L’auteur montre qu’à mesure que la conception d’un Dieu Très Haut, unique et seul créateur du monde se dégage, le jour se fait parallèlement au niveau anthropologique par la révélation progressive du processus victimaire.

La foi chrétienne est généralement perçue, explique ensuite l’auteur, comme une série d’exigences destinées à nous transporter au-delà de nous-même dans un effort surhumain vers une direction extra-terrestre : l’image d’une fusée sur orbite est alors utilisée. Or, il n’en est rien, affirme-t-il. Il s’agit au contraire d’une induction intérieure qui a pour but de nous détendre. Si l’« autre social », équivalent moderne des dieux de l’antiquité, conditionne notre existence, nous lui accordons généralement notre religion dans le sens de la piété antique, non sans une certaine ambivalence. Dieu, à l’inverse s’étant révélé comme l’« autre Autre », celui qui n’est en rivalité avec rien, ni la mort ni rien qui existe en ce monde, nous libère en nous communiquant la foi ; c’est-à-dire, pour l’auteur, une existence radicalement nouvelle où la mort n’a plus de part car participant de la vitalité infinie de Dieu. La façon dont Jésus suscite notre confiance, en nous donnant la foi consiste à occuper l’espace de la mort volontairement comme il l’a fait et d’en revenir vers nous sans ressentiment, afin de nous délivrer de cette angoisse et de toutes les autres. Il y a un retournement psychologique qui s’opère, lequel constitue le don de la foi. Dieu nous prouve qu’il veut nous conserver dans l’être même à travers la mort, qui n’est rien pour lui. Plus de crainte désormais, une nouvelle vie s’offre à nous, bien plus épanouissante. Le fait qu’il occupe dans sa mort la place de la victime renvoie en outre le message que Dieu ne nous en veut pas d’être cruels ou bêtes, comme nous le sommes généralement ; nous invitant à poser sur nous-même un regard plus lucide et moins idéalisé. Nous voilà dégagé de l’exigence religieuse d’être bon, convié simplement à accueillir ce message dans sa fraiche nouveauté. Le salut par la foi, ainsi définie par la confiance et la détente, plus que par les œuvres : c’est ce que prône l’auteur rejoignant explicitement sur ce point la position réformée. Par ailleurs, l’idée qu’il puisse exister une justice divine qui exigerait le sacrifice de Jésus sur la croix comme victime de substitution pour les pécheurs est particulièrement combattue.

C’est l’objet de la sixième leçon de mettre à mal cette dernière idée. Trois approches tendent à le démontrer. La première, liturgique, décrit le rituel de l’ancien temple de Salomon, dans lequel le grand prêtre, incarnant YHWH, s’offre lui-même en sacrifice pour le peuple, sous la forme d’un agneau immolé. Un second agneau est précipité dans le vide en signe d’expulsion des péchés. Or ceci précède toute loi écrite, précise l’auteur. Dieu restaure rituellement sa création sans qu’il y ait de culpabilités particulières, en s’offrant lui-même comme le fera Jésus. La deuxième approche est plus politique, empruntant au livre de Samuel l’épisode des Gabaonites. Cette peuplade ayant été injustement molestée par Saül lors d’une conquête, demande justice au nouveau roi David, lequel leur accorde la vie de sept fils de Saül qu’ils démembrent aussitôt sur leur montagne. Le désordre ainsi réparé met alors fin à une famine dont il était la cause. Ainsi, ce sont les hommes qui réclament justice et non pas Dieu, conclut l’auteur, reliant cet épisode avec la mention du lieudit Gabata dans l’Évangile de Jean, sur lequel est juché Jésus lors de l’Ecce homo, pour bien montrer que c’est Dieu qui s’offre à la justice des hommes et non l’inverse. La troisième mise en scène, plus personnelle, relate le cas d’un adolescent exposé tout un temps à la moquerie ludique de ses camarades de classe et qui reviendrait quelque temps après avoir déserté le lycée du fait des persécutions incessantes exercées à son encontre. L’auteur fait de ce retour une figura Christi dans la mesure où cette victime se montrerait miséricordieuse pour ses tortionnaires, leur offrant par-là de sortir de la logique de violence et de dominations qui les gouvernent. La gratuité du don de Dieu est une nouvelle fois mise en exergue, sans aucune contrepartie, simplement par le fait qu’il nous aime.

La septième leçon est une méditation sur la première lettre de Pierre ou le rassemblement, l’invitation à devenir un peuple se fait autour de la victime, « pierre vivante, rejetée par les hommes mais choisie, précieuse, auprès de Dieu ». Cette pierre devient alors lieu de rassemblement des hommes ou au contraire « pierre d’achoppement » pour ceux qui refusent. Une nouvelle identité, nouvelle forme d’humanité devient dès lors possible en tournant le dos aux anciennes pratiques sacrificielles, grâce à la conscience que Celui qui est au centre du groupe, et que l’on souhaite imiter, est le même qui occupe la place de rebut, celle dont personne ne voulait. L’Église n’est donc rien d’autre pour l’auteur qu’un nouveau rassemblement fait autour de la victime sacrificielle. Sur le plan anthropologique l’identité individuelle se construit le plus souvent par rapport au groupe auquel on appartient. S’instaure une logique de frontière, qui nous définit contre l’autre, celui qui n’en est pas. Or, c’est ce type d’identité, structuré autour du pur et de l’impur, du bien et du mal, qui se trouve soudainement et pour la première fois dépassé, énonce l’auteur, à travers les événements que relate le chapitre 10 des Actes des Apôtres. L’ouverture de l’Église aux païens y est décrite en même temps que la révélation faite à Pierre de ne plus considérer impurs les aliments déclarés tels par le Lévitique. Le nouvel être-ensemble qu’est l’Église se réalise précisément dans l’effondrement des identités, qui constitue en propre cette nouvelle identité. Être catholique, autrement dit juif à dimension universel, ne peut en soi constituer une identité particulière que l’on pourrait opposer à d’autres, comme par exemple le fait d’être protestant, puisque ceci procède du dépassement de toutes les identités possibles. Il s’agit là d’un processus qui se construit petit à petit par le refus des logiques de violence et d’exclusion, et qui conduit les témoins à être eux-mêmes exclus ou violentés jusqu’à ressembler à Jésus et prolonger ainsi son œuvre. Enfin, la sainteté proclamée de l’Église n’a de sens pour l’auteur qu’en rapport à la victime sacrificielle qui la fonde. Ainsi, pour échapper définitivement à tout « tribalisme catholique », celui-ci préconise de ne jamais séparer notre appartenance à l’Église de la conscience d’être pardonné, et donc de recevoir sa vie de l’Autre.

La victime pardonnante fait irruption dans nos vies occasionnant un déplacement, ou changement de perspectives salutaire, ainsi qu’à Emmaüs, auquel nous sommes toujours invités lorsque nous lisons la parole de Dieu. Ressaisissant cette même herméneutique, le chapitre 8 passe en revue plusieurs passages de l’Évangile dans lesquels Jésus suscite ce déplacement, en raccordant par une phrase ou un geste précis son action à celle d’une scène de la Torah bien connue de son auditoire. Dans ces cas précis, ceux qui semblent bien assis à leur place, en l’occurrence sur la chaire de Moïse, se voient, soudain ébranlés de celle-ci, ou même transmutés vers celle, moins confortable, de personnages honnis, tels que Pharaon ou Gilgal, Roi des Moabites. Dans le récit de la conversion de Zachée, un autre retournement de perspective est donné à voir, où un homme pécheur et complexé, mais cherchant timidement Jésus, découvre que c’est en fait celui-ci qui dès le début le cherche et le trouve dans une merveilleuse simplicité, qui le libère de ses entraves. La phrase d’Osée : « c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices », peut servir de critère d’interprétation pour la compréhension de tous passages de l’Écriture car, explique l’auteur, tous peuvent être compris selon la logique d’enfermement sacrificiel qui est la nôtre -exemple typique des pharisiens-, et rester lettre morte ; ou au contraire autoriser l’ouverture à la vie qui ne vient pas de nous mais de Celui –parole vivante- qui vient nous déranger de nos vieilles habitudes.

La compréhension du désir mimétique induit, selon l’auteur, celle de la prière telle que présentée par la Nouveau Testament. Notre « moi » n’étant pas une donnée stable et acquise, comme on le croit souvent, mais la projection de l’ « autre social », ne peut se départir des structures violentes de la société qui le constitue. Le fait de se retirer dans une chambre pour prier, comme le conseille Jésus, consiste alors à se mettre en présence de l’« autre Autre », celui qui n’est en rivalité avec personne. Cette fréquentation crée alors en nous un nouveau « moi », qui n’est plus le reflet de l’« autre social » mais de Dieu seul. En présence de Dieu notre désir, aussi insignifiant soit-il, n’est jamais méprisé car celui-ci est ce qui nous constitue en tant que personne. C’est petit à petit que la présence aimante nous apprend à considérer d’autres objets, afin de désirer plus et mieux, sans que ce plus et ce mieux ne soient des projections artificielles de l’« autre social ». La prière est vue comme une école de désir. L’auteur s’appuie sur la parabole de la veuve inopportune dans l’évangile de Matthieu pour montrer que le juge inique qui résiste aux sollicitations de la veuve, pour finalement céder par fatigue, est en fait nous-même qui possédons cette instance de négation et de refus du désir, dont Jésus nous presse de faire tomber les digues. Nous désentraver de l’« autre social » pour rentrer dans les schémas de désir divin, tel est le sens de la prière que nous révèle Jésus.

La vie en Église est en revanche d’emblée posée comme problématique du fait notamment des comportements parfois impropres et de la sacralisation excessive des clercs. Tous les membres de cette institution sont alors décrits comme sortant de prison dans une maison transitoire de réadaptation, y compris le personnel clérical. La vie nouvelle reçue du Christ n’y prend que peu à peu le pas sur les vieilles habitudes mortifères de reclus ; aussi ne faut-il point s’étonner des nombreuses rechutes observées tant chez les pensionnaires que parmi le personnel souvent rattrapés par leur ancien habitus. S’indigner de la médiocrité apparente de l’Église n’est alors pas la solution, mais adopter au contraire une aristocratique réserve, teintée d’humour et d’indulgence, devant la distance à parcourir pour répondre au mieux à l’invitation du Maître.

Celle-ci est en fait une création qui a pour date l’avènement de la Résurrection, ce que démontre une exégèse des textes évangéliques, où les étapes de la passion sont décrites comme un retour de l’Adam nouveau dans le jardin d’Éden puis, au-delà, vers le monde incréé, origine de tout. L’auteur affirme alors que pour le Nouveau Testament il n’est pas de création originale à l’ordre parfait, contrarié par le péché et que Jésus serait venue rétablir, vision trop moraliste à son gré, mais bien au contraire une seule et même création de la famille humaine au contact de l’événement réconciliateur, qui, nous révélant à nous même dans notre finitude, nous permet d’accéder à un nouvel être ensemble autour de la victime pascale, et de recevoir ainsi la vie authentique de Dieu qui ne connaît pas la mort ni la peur, ni toutes sortes de limites humaines.

La dernière leçon administrée reprend la parabole du bon samaritain afin d’illustrer à quel point la miséricorde peut nous recréer totalement au contact du prochain, dépassant toute notion de prudence ou de temporalité. L’auteur conclut ainsi en disposant deux sortes de victimes : les victimes rituelles, celles qui nous fascinent et autour desquelles se structurent nos définitions du pur et de l’impur, nos limites en somme que même Dieu ne saurait franchir… Les victimes réelles enfin, impromptues et malpropres, dont nous sommes appelés à devenir le prochain pour un avenir créateur et porteur d’une nouveauté radicale, laquelle incarne ce Royaume prêché par le Fils de l’homme et accompli dans sa mort et sa Résurrection.

L’herméneutique proposée des textes de la Thora à partir du Nouveau Testament, en particulier du récit d’Emmaüs, se révèle fort stimulante et participe d’une démarche assez classique, notoirement pratiquée par les Pères, que viennent ici alimenter l’apport de l’anthropologie girardienne, ainsi que des finesses exégétiques qui font paraître nombre de textes évoqués sous un jour nouveau. L’occasion est donnée de mieux se familiariser avec certaines complexités de la Bible hébraïque, mais aussi des Évangiles, grâce notamment à l’aisance des allers-retours proposés, tel qu’au chapitre 8. Stimulante également nous semble la vision d’un christianisme christo-centrée sur l’événement pascal, mettant l’accent sur la dimension anthropologique de la victime innocente rejaillie de la mort pour pardonner à ses bourreaux, dont nous sommes tous, à notre niveau. Ceci relie alors la vision du désir mimétique propre à René Girard à une authentique spiritualité, où l’humilité, l’accueil de l’autre et plus encore l’évocation d’une vie nouvelle et créative au contact du « tout Autre » se portent mutuellement dans une belle dynamique. L’ouverture ainsi créée tend vers une conception de la foi qui s’oppose à la religion, en tant que celle-ci se définit par les rites et la loi et renvoie à l’univers sacrificiel. L’ambition de l’auteur semble alors, à travers ses douze leçons, de détacher le christianisme d’une vision par trop moralisante ou conservatrice que celui-ci traînerait derrière lui comme un boulet. Il n’est donc plus tellement question de péché, cette notion renvoyant inévitablement à la loi, mais d’enfermement ou non dans la logique sacrificielle culturellement héritée, qui détermine le jugement. C’est pourquoi toute action morale doit se situer en lien avec notre consentement ou non aux suggestions de la société de réaliser notre identité, et donc notre être, au détriment de victimes identifiées ou d’une frontière, qui cache en fait d’autres victimes rituelles.

Une telle ambition de l’auteur nous semble cependant constituer une réduction du message chrétien à ce positionnement anthropologique qui certes essentiel -et même central- ne peut à lui-seul résumer toute la loi nouvelle. Notamment, le fait de considérer les distinctions du pur et de l’impur, du bien et du mal comme simplement héritées du meurtre primordial et de sa résolution sacrificielle, fondement de la théorie girardienne, remet radicalement en cause l’existence de la loi naturelle, ainsi que la validité de la loi mosaïque. Egalement mise en cause est l’idée d’une création première bonne, la Genèse étant réinterprétée comme actualisation de l’avènement pascal. Il n’y donc plus de faute préalable ni de justice divine, laquelle n’est qu’une projection sur le Très-Haut de notre propre soif de vengeance. La croix dans cette optique est avant toute une démonstration de l’amour de Dieu, à portée herméneutique, mais plus du tout un prix à payer pour notre rachat. Pourquoi alors toutes ces souffrances endurées par notre Seigneur ; pourquoi celles de saint Paul complètent-elles dans sa chair ce qui manque à la passion du Christ ? L’élimination de la notion de sacrifice chrétien et d’efficacité rédemptrice de la souffrance rendent effectivement caduques nombre de gestes de dévotions et d’efforts sur soi-même offerts ; mais n’est-ce pas alors au prix d’un affaiblissement du mystère, avec le risque encouru d’une démobilisation des fidèles ?

Le livre à le mérite de mettre en lumière tout un pan du christianisme, trop souvent oublié, sa dimension anthropologique liée à la charité, que résume si bien le chapitre 25 de saint Matthieu, mais pour jeter un voile sur cette autre dimension plus religieuse, que résume saint Jacques : « Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde » (Jc 1,27).

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