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A la recherche de la joie qui survient.

Evangélisation et littérature : Marcel Proust et C. S. Lewis
Mgr Robert Le Gall
Mgr R. Le Gall livre dans ce texte le fruit de notes de lectures bénédictines sur deux écrivains du siècle qui vient de s’achever, en quête de la plus profonde expérience humaine, la joie. Qu’il trouve ici l’expression de notre reconnaissance pour nous avoir permis de publier cette réflexion, à la jointure de la littérature et de la recherche spirituelle.


Comment peut on être proustien ? La fréquentation de Marcel Proust est-elle recommandable ? Proust peut il être un maître pour un disciple du Christ ? Pour un « chercheur de Dieu » qu’est un moine bénédictin, n’est ce pas du « temps perdu » de se mettre à lire la Recherche, ne serait-ce qu’à doses filées ? On dit que pour ses lecteurs, l’immense roman devient une sorte de Bible ; comme cette dernière, mais à bien moindre échelle, il est plus une bibliothèque qu’un livre. Faut-il choisir entre l’une et l’autre « bible » ? Peut-on servir deux maîtres ? L’auteur de ces lignes a mis neuf ans pour lire à la recherche du temps perdu, à raison de cinq à dix minutes par jour, pendant qu’il se rasait ; c’est bien peu dans son emploi du temps, mais il lui semble qu’il ne cessera de revenir, à certains intervalles, à cette lecture. Que peut apporter à un chrétien, à un moine, le chef-d’œuvre incontournable du roman au XXème siècle ? Au début du troisième millénaire, la littérature est-elle l’alliée de l’évangile ou son ennemi ? A ces vastes questions, la courte contribution que voici essaie d’apporter un éclairage proposé par des textes. Le lecteur jugera si les « nouvelles » s’opposent à la Bonne Nouvelle.

Lettres et saintes Lettres

La « Bonne Nouvelle » – cette expression traduit exactement le mot évangile – se résume en substance au fait que nous soyons invités à entrer dans la vie même de Dieu par l’amour, selon ces mots qui ouvrent la lettre de saint Paul aux Éphésiens : « Béni soit le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ, qui nous a bénis par toutes sortes de bénédictions spirituelles, aux cieux, dans le Christ. C’est ainsi qu’il nous a élus en lui, dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés, en sa présence, dans l’amour. » (1, 3-4)

S’il en est ainsi, l’évangélisation consiste donc à transmettre la bonne nouvelle de notre appel à vivre de la vie du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Pour que nous atteigne une telle aubaine, il faut qu’elle nous parvienne en des paroles ou en des mots qui nous soient intelligibles. Les hommes ne parlent pas spontanément la langue des dieux, eux qui ont du mal à se comprendre en la multiplicité de leurs langages, y compris lorsqu’ils parlent la même langue. Si « le langage est source de malentendus », comme le Renard le fait remarquer finement au Petit Prince [1], si la langue est indomptable, ce « membre minuscule », qui est le gouvernail de la personne [2], il reste que la parole est nécessaire pour que puissent communiquer des êtres qui ne sont pas de purs esprits ; c’est pourquoi le Verbe la Parole divine s’est incarné et nous a donné l’Esprit du Père, pour que chacun comprenne en sa langue les merveilles de Dieu [3].

La Bonne Nouvelle annonce la joie de notre réconciliation avec un Dieu qui nous aime et qui attend notre réponse d’amour ; elle est proclamée tout au long des Écritures, mais elle trouve toute sa dimension dans les Évangiles, où Jésus, Dieu fait homme, nous parle en notre langage. Il le fait soit en donnant un enseignement moral organisé, comme le Sermon sur la montagne [4], soit en utilisant un langage imagé dans les paraboles, soit encore par le signe du lavement des pieds ; son sacrifice sur la Croix surtout est éloquent pour nous dire jusqu’où il aime son Père et nous. De même, la Bible, qui est une bibliothèque, comporte tous les genres littéraires : l’histoire, la poésie, des proverbes, des lettres et des récits merveilleux. Tout cet ensemble vise à communiquer un sens à notre vie humaine, personnelle et sociale, à la lumière du Dieu qui se révèle aux hommes pour les inviter à les rejoindre dans sa vie. Les drames et les aspirations de nos vies ne sont pas occultés, mais éclairés.

Les lettres ont toujours été proches des saintes lettres – les Pères de l’Église à la haute culture grecque ou latine en témoignent , les nouvelles de la Bonne Nouvelle, les écrivains des Écritures. En effet, ceux dont les écrits sont demeurés au fil des siècles, qu’il s’agisse d’Homère, de Cicéron, d’Augustin, de Dante, de Shakespeare, de Racine ou de Pascal, de Goethe ou de Balzac, de Bernanos ou de Céline, par exemple, ont su exprimer, chacun à sa façon, la grandeur et les misères de la condition humaine : comme dans les Psaumes, des cris ou des chants sont venus du fond de leur âme, pour nous aider à nous comprendre, pour vivre, aimer, espérer [5]. C’est pourquoi la fréquentation, en parallèle et en complémentarité, des Saintes Écritures et des grands auteurs est source et signe d’une ouverture de l’esprit comme du cœur. A ce titre, l’évangélisation ne peut ignorer la littérature, sous peine de parler dans le désert ou de rester à la surface de ce que vivent nos semblables. A lire aujourd’hui Malcolm Lowry, Alexandre Soljénitsyne ou Marguerite Yourcenar, on se met en position de mieux comprendre l’énigme de notre destinée, le scandale du mal et l’ampleur de nos aspirations.

Est ce à dire que l’évangélisation doit être attentive à la littérature chrétienne ? Certes, il existe une littérature marquée par le christianisme, à la façon dont tous les arts depuis vingt siècles en Occident sont habités par les symboles chrétiens et les personnages de la Bible. Cependant, la littérature en tant que telle, dans la mesure où elle nous provient de la plume et de l’existence, souvent tourmentée, de ses génies, est forcément proche des questions fondamentales que se posent les êtres humains de tous les temps ; elle est donc souvent sur un terrain voisin de la religion. Les œuvres de Psichari, de Claudel ou de Péguy sont assurément plus « chrétiennes » que celles de Camus ou de Sartre, parce qu’elles font des références explicites à la foi en Jésus-Christ ; cependant, on trouvera dans leurs livres autant de questions, voire de scandales, que dans ceux des autres ; il en va ainsi de Mauriac et de Green, pour nommer d’autres auteurs chrétiens qui ne sont pas voués à produire de la littérature « chrétienne ». Pour notre foi, toute littérature vraie, c’est-à-dire toute expression belle, forte et profonde du mystère de l’homme, se relie d’une façon ou d’une autre à Jésus Christ, vrai Dieu et vrai Homme.

Le pape Paul VI s’est présenté devant l’Organisation des Nations Unies à New York, le 4 octobre 1965, au nom de l’Église, comme « expert en humanité » [6]. La Constitution pastorale Gaudium et spes de Vatican II sur l’Église dans le monde de ce temps, promulguée peu après par le même Paul VI [7], montre combien les disciples du Dieu fait homme sont solidaires de tout ce que vivent les hommes et les communautés humaines partout dans le monde. Le pape Jean-Paul II fut un participant efficace du Concile – spécialement pour ce qui concerne Gaudium et spes – dont il reste le commentateur privilégié. « En réalité, enseigne la Constitution pastorale, le mystère de l’homme ne s’éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe incarné : l’Incarnation est le mystère clé de notre condition ». Dès sa première Lettre encyclique, datée du 4 mars 1979 et intitulée Redemptor hominis, le Saint-Père écrit : « Jésus-Christ est la route principale de l’Eglise. Lui-même est notre route vers la maison du Père, et il est aussi la route pour tout homme. » [8] Dans l’évangile, il affirme : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14, 6), car c’est par lui seul que l’on va au Père. De façon complémentaire, le pape ajoute :

L’homme, dans la pleine vérité de son existence, de son être personnel et en même temps de son être communautaire et social, cet homme est la première route que l’Église doit parcourir en accomplissant sa mission : il est la première route et la route fondamentale de l’Église, route tracée par le Christ lui même, route qui, de façon immuable, passe par le mystère de l’Incarnation et de la Rédemption. [9]

Pour conduire l’homme vers le Père, Jésus est la seule route de l’Église ; mais celle-ci, comme le Verbe qui s’est incarné, doit emprunter, pour apporter la lumière du salut au monde, la route fondamentale qu’est l’homme, en toute la vérité de son humanité, belle et fracturée, celle que la grande littérature sait montrer. C’est pourquoi toute évangélisation prend la route de la culture, et singulièrement des lettres, qui expriment sous les espèces de la beauté le mystère de l’homme : « experte en humanité », l’Église ne saurait se désintéresser des « humanités ».

Comment les lettres touchent aux saintes lettres, quelles pierres d’attente des écritures pouvons-nous trouver dans la littérature ? Telles sont les questions auxquelles nous voudrions, dans cette contribution limitée, proposer des esquisses de réponse en partant des textes d’un auteur. Marcel Proust est une des plus grandes figures des lettres françaises au début du XXème siècle : son rayonnement s’est fait universel, à considérer les études qui continuent de paraître sur lui tant aux États-Unis qu’au Japon, par exemple. A la recherche du temps perdu n’est pas une œuvre d’un Père de l’Église et ne constitue pas un ouvrage pieux. Proust, comme La Rochefoucauld, Balzac ou Léon Bloy, dépeint la société française avec ses travers et ses vices, où se mêlent vanité, prostitution, homosexualité, hypocrisie, bêtise et férocité. La Bible elle-même n’est pas un recueil de récits édifiants ; c’est à ce point que saint Benoît dans sa Règle juge qu’il vaut mieux éviter de lire le soir avant les complies « l’Heptateuque ou les Livres des Rois, parce qu’il ne serait pas bon pour les esprits faibles d’entendre, à cette heure-là, cette partie de l’Écriture. On pourra la lire à d’autres moments. » [10]

Le péché fait partie de la route humaine empruntée par le Christ et par l’Église, et c’est pourquoi les Écritures ne sauraient l’occulter. D’une façon différente de la Bible, la Recherche voit fleurir sur un certain fond de turpitudes ou de petitesses des beautés qui ne sont pas seulement de style : un parfum d’aubépines ou la saveur d’une madeleine sans doute, avec d’exquises descriptions et de fins portraits, mais bien mieux encore : un sens de l’amour, une tentative de pénétrer les arcanes du cœur humain et surtout la perception d’une joie mystérieuse qu’il s’agit d’élucider pour l’exprimer. C’est ce que nous voudrions montrer ici : comment le « moine » Marcel, cloîtré dans sa chambre et conscient des vanités humaines, ne se fait pas illusion sur la permanence de l’amour ; en même temps, comment affleurent en sa « cathédrale » des lueurs d’espérance, comment passent des météorites d’une joie pure, qu’il a vocation de décrire pour en communiquer l’ardeur. Nous terminerons en montrant qu’un auteur anglais a fait une expérience semblable d’une joie « donnée », aboutissant à la foi.

Du côté « moine » chez Proust

Pendant plus de dix années, à la fin de sa vie, Proust demeurait confiné chez lui, ce à quoi l’obligeait sa santé qui se délabrait. Il est comme un ermite dans sa grotte. Tout à fait à la fin de la Recherche, il emprunte à l’évangile l’expression de son renoncement :

La maladie qui, en me faisant, comme un rude directeur de conscience, mourir au monde, m’avait rendu service “car si le grain de froment ne meurt après qu’on l’a semé, il restera seul, mais s’il meurt, il portera beaucoup de fruit” [11], la maladie qui, après que la paresse m’avait protégé contre la facilité, allait peut être me garder contre la paresse, la maladie avait usé mes forces, et comme je l’avais remarqué depuis longtemps notamment au moment où j’avais cessé d’aimer Albertine, les forces de la mémoire. Or la recréation par la mémoire d’impressions qu’il fallait ensuite approfondir, éclairer, transformer en équivalents d’intelligence, n’était elle pas une des conditions, presque l’essence même de l’œuvre d’art ? [12]

Cette dernière phrase définit clairement l’objectif de toute la Recherche.

Déjà l’image du grain qui meurt s’était imposé à lui pour entreprendre son œuvre :

Je compris que tous ces matériaux de l’œuvre littéraire, c’était ma vie passée ; je compris qu’ils étaient venus à moi, dans les plaisirs frivoles, dans la paresse, dans la tendresse, dans la douleur, emmagasinés sans que je devinasse plus leur destination, leur survivance même, que la graine mettant en réserve tous les aliments qui nourriront la plante. Comme la graine, je pourrai mourir quand la plante se serait développée, et je me trouvais avoir vécu pour elle sans le savoir, sans que ma vie me parût devoir entrer jamais en contact avec ces livres que j’aurais voulu écrire et pour lesquels, quand je me mettais autrefois à ma table, je ne trouvais pas de sujet. Ainsi toute ma vie jusqu’à ce jour aurait pu et n’aurait pas pu être résumée sous ce titre : Une vocation. [13]

Le Narrateur avait déjà rapproché les soirs de Rivebelle de ceux de Combray, tout en apercevant leurs différences :

J’éprouvais à les percevoir [ces différences] un enthousiasme qui aurait pu être fécond si j’étais resté seul, et m’aurait évité ainsi le détour de bien des années inutiles par lesquelles j’allais encore passer avant que se déclarât la vocation invisible dont cet ouvrage est l’histoire. [14]

Cette solitude est une exigence qu’il a tendance à remettre de jour en jour :

J’avais l’intention de recommencer dès demain, bien qu’avec un but cette fois, à vivre dans la solitude. Même chez moi, je ne laisserais pas de gens venir me voir dans mes instants de travail, car le devoir de faire mon œuvre primait celui d’être poli ou même bon.

Vient alors cette phrase superbe :

J’aurais le courage de répondre à ceux qui viendraient me voir ou me feraient chercher, que j’avais pour des choses essentielles au courant desquelles il fallait que je fusse mis sans retard, un rendez vous urgent, capital, avec moi-même. [15]

Chacun de nous pourrait tirer parti de l’urgence de ce rendez vous avec soi même, qu’avait compris le jeune Benoît, quand il se retira dans sa grotte de Subiaco, après l’échec de son abbatiat à Vicovaro : « Il retourna sur-le-champ dans sa chère solitude, et il y vécut seul avec lui-même (habitavit secum), sous le regard de Celui qui voit tout du haut du ciel. » [16]

Sans cesse, la tentation de la paresse fait ajourner au Narrateur sa mise au travail :

On ne travaille pas au moment où on débarque dans un pays nouveau, aux conditions desquelles il faut s’adapter. Or chaque jour était pour moi un pays différent. Ma paresse elle-même, sous les formes nouvelles qu’elle revêtait, comment l’eussé je reconnue ? […] Remontant paresseusement de jour en jour comme sur une barque, et voyant apparaître devant moi toujours de nouveaux souvenirs enchantés, que je ne choisissais pas, qui l’instant d’avant m’étaient invisibles et que ma mémoire me présentait l’un après l’autre sans que je pusse les choisir, je poursuivais paresseusement sur ces espaces unis ma promenade au soleil. [17]

Pourtant, il lui fallait se mettre à écrire ; entreprendre ce « travail de bénédictin » [18] était une nécessité qui s’imposait à lui : des images, des figures, des impressions « se pressaient dans son esprit ». « Je n’étais pas libre de les choisir, écrit-il ; elles m’étaient données telles quelles. » [19] Pour bien les prendre en considération, il faut du recueillement, ce recul qu’avait le Narrateur un moment où il était seul :

Mais Robert [de Saint Loup], ayant fini de donner ses explications au cocher, me rejoignit dans la voiture. Les idées qui m’étaient apparues s’enfuirent. Ce sont des déesses qui daignent quelquefois se rendre visibles à un mortel solitaire, au détour d’un chemin, même dans sa chambre pendant qu’il dort, alors que debout dans le cadre de la porte elles lui apportent leur annonciation. Mais dès qu’on est deux, elles disparaissent, les hommes en société ne les aperçoivent jamais. Et je me trouvai rejeté dans l’amitié. [20]

Régulièrement, la nécessité d’écrire vient harceler le Narrateur : « La persistance en moi d’une velléité ancienne de travailler, de réparer le temps perdu, de changer de vie, ou plutôt de commencer à vivre, me donnait l’illusion que j’étais toujours aussi jeune. » [21] C’est à une conversion qu’il est appelé, même si la tentation de renoncer à son idéal lui revient constamment, lui apportant découragement et désillusion. [22] Il marche un jour sur les chemins de Balbec et y considère les fantômes de ses liaisons : « En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d’eux le conseil de mettre enfin au travail pendant que n’avait pas encore sonné l’heure du repos éternel. » [23]

C’est ainsi qu’il finit par se retirer dans sa « tour d’ivoire » [24] et trouver en sa chambre le laboratoire où ses impressions pourront trouver enfin leur expression. [25] Dans la préface des Plaisirs et les Jours, il écrit ceci :

Quand j’étais tout enfant, le sort d’aucun personnage de l’histoire sainte ne me semblait aussi misérable que celui de Noé, à cause du déluge qui le tint enfermé dans l’arche pendant quarante jours. Plus tard, je fus souvent malade, et pendant de longs jours je dus rester aussi dans l’ « arche ». Je compris alors que jamais Noé ne put si bien voir le monde que de l’arche, malgré qu’elle fût close et qu’il fît nuit sur terre. [26]

« Je m’étais rendu compte, précise Proust en effet, que seule la perception grossière et erronée place tout dans l’objet, quand tout est dans l’esprit. » [27] Il ajoute peu après :

Le rêve était encore un de ces faits de ma vie, qui m’avait toujours le plus frappé, qui avait dû le plus servir à me convaincre du caractère purement mental de la réalité, et dont je ne dédaignerais pas l’aide dans la composition de mon œuvre. [28]

Il ne semble pas que Proust soit une sorte d’idéaliste prêt à récuser toute réalité en dehors de soi-même ; il veut surtout dire que, sans l’esprit, le monde extérieur et les autres eux-mêmes ne nous sont pas intelligibles. « L’observation compte peu, écrit-il encore. Ce n’est que du plaisir ressenti par soi-même qu’on peut tirer savoir et douleur. » [29] Odette, devenue sur le tard la duchesse de Guermantes, fournissait par exemple au Narrateur des moissons de menus faits psychologiques ; elle-même allait jusqu’à une certaine forme de collaboration avec Marcel, pour lui donner « ce qu’elle croyait des sujets de nouvelles. Elle se trompait, non qu’elle n’eût de tout temps abondamment fourni les réserves de mon imagination, mais d’une façon bien plus involontaire et par un acte émané de moi-même qui dégageait d’elle à son insu les lois de sa vie. » [30]

Et il explique : « J’avais trop expérimenté l’impossibilité d’atteindre dans la réalité ce qui était au fond de moi-même. » [31] Les choses et les êtres ne s’éclairent qu’à partir de l’âme :

Si on a la sensation d’être toujours entouré de son âme, ce n’est pas comme d’une prison immobile ; plutôt on est comme emporté avec elle dans un perpétuel élan pour la dépasser, pour atteindre à l’extérieur, avec une sorte de découragement, entendant toujours autour de soi cette sonorité identique qui n’est pas écho du dehors mais retentissement d’une vibration interne. On cherche à retrouver dans les choses, devenues par là précieuses, le reflet que notre âme a projeté sur elles, on est déçu en constatant qu’elles semblent dépourvues dans la nature, du charme qu’elles devaient, dans notre pensée, au voisinage de certaines idées ; parfois on convertit toutes les forces de cette âme en habileté, en splendeur pour agir sur des êtres dont nous sentons bien qu’ils sont situés en dehors de nous et que nous ne les atteindrons jamais. [32]

La vérité et la joie viennent de l’intérieur. Deux âmes, l’une profonde, l’autre mondaine, se présentent à nous :

Nous pouvons à notre choix nous livrer à l’une ou l’autre de deux forces, l’une s’élève de nous même, émane de nos impressions profondes, l’autre nous vient du dehors. La première porte naturellement avec elle une joie, celle que dégage la vie des créatures. L’autre courant, celui qui essaye d’introduire en nous le mouvement dont sont agitées des personnes extérieures, n’est pas accompagné de plaisir ; mais nous pouvons lui en ajouter un, par choc en retour, en une ivresse si factice qu’elle tourne vite à l’ennui, à la tristesse. [33]

Marcel Proust trouve souvent des termes qui s’apparentent à ceux des grands moralistes ou que l’on trouve dans des traités de vie spirituelle. Nous ne pouvons montrer ici comment il sait illustrer le caractère éphémère et décevant de l’amour ou de l’amitié. Quand son âme s’est fortifiée, son âme intérieure, elle n’a plus à craindre la société mondaine, car même en ce milieu superficiel, elle peut désormais nourrir sa vie spirituelle. Dans le moment, sur lequel nous reviendrons, où il voit revenir en force des impressions profondes qu’il voulait élucider depuis longtemps, il doit quitter la bibliothèque de l’hôtel de Guermantes où il avait dû attendre la fin d’un morceau du concert, pour rejoindre les invités.

Cela me fit ressouvenir où j’étais. Mais je ne fus nullement troublé dans le raisonnement que je venais de commencer, par le fait qu’une réunion mondaine, le retour dans la société, m’eussent fourni ce point de départ vers une vie nouvelle que je n’avais pas su trouver dans la solitude. Ce fait n’avait rien d’extraordinaire, une impression qui pouvait ressusciter en moi l’homme éternel n’étant pas liée plus forcément à la solitude qu’à la société. […] Car je sentais que le déclenchement de la vie spirituelle était assez fort en moi maintenant pour pouvoir continuer aussi bien dans le salon, au milieu des invités, que seul dans la bibliothèque ; il me semblait qu’à ce point de vue, même au milieu de cette assistance si nombreuse, je saurais réserver ma solitude. [34]

On aura noté au passage les termes « ressusciter », « homme éternel », « vie spirituelle ». Même si Proust ne les entend pas comme les chrétiens, ils affleurent dans son âme quand il s’agit d’exprimer ce qui est pour lui essentiel, au moment où il se décide enfin à se mettre à l’œuvre. Désormais, il s’adonnera dans la ferveur et l’ascèse, comme il l’écrira dans les dernières pages de la Recherche :

Cette idée du Temps avait un dernier prix pour moi, elle était un aiguillon, elle me disait qu’il était temps de commencer, si je voulais atteindre ce que j’avais quelquefois senti au cours de ma vie, dans de brefs éclairs, du côté de Guermantes, dans mes promenades en voiture avec Mme de Villeparisis, et qui m’avait fait considérer la vie comme digne d’être vécue. Combien me le semblait t elle davantage, maintenant qu’elle me semblait pouvoir être éclaircie, elle qu’on vit dans les ténèbres, ramenée au vrai de ce qu’elle était, elle qu’on fausse sans cesse, en somme réalisée dans un livre ! Que celui qui pourrait écrire un tel livre serait heureux, pensais je, quel labeur devant lui ! Pour en donner une idée, c’est aux arts les plus élevés et les plus différents qu’il faudrait emprunter des comparaisons ; car cet écrivain, qui d’ailleurs pour chaque caractère en ferait apparaître les faces opposées, pour montrer son volume, devrait préparer son livre, minutieusement, avec de perpétuels regroupements de forces, comme une offensive, le supporter comme une fatigue, l’accepter comme une règle, le construire comme une église, le suivre comme un régime, le vaincre comme un obstacle, le conquérir comme une amitié, le suralimenter comme un enfant, le créer comme un monde sans laisser de côté ces mystères qui n’ont probablement leur explication que dans d’autres mondes et dont le pressentiment nous émeut le plus dans la vie et dans l’art. Et dans ces grands livres là, il y a des parties qui n’ont eu le temps que d’être esquissées, et qui ne seront sans doute jamais finies, à cause de l’ampleur même du plan de l’architecte. Combien de grandes cathédrales restent inachevées ! [35]

Les rais de lumière dans la cathédrale

On l’a remarqué : le texte qui vient d’être cité aligne plusieurs réalités du monde chrétien, comme une règle, une église, une cathédrale, des mystères de l’au-delà. De fait, le chef-d’œuvre de Proust s’attache principalement à rendre raison des pressentiments qui affleurent de Combray au Temps retrouvé, ou plutôt à rendre exprimables les impressions fugitives mais fulgurantes qui contiennent pour lui la clé de l’existence en l’illuminant d’une joie très pure.

Le premier texte est très connu, que l’on trouve dès le début de Du côté de chez Swann, au moment où sa mère, un après-midi d’hiver lui propose de prendre un peu de thé :

Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse : ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m’apporte un peu moins que la seconde. Il est temps que je m’arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n’est pas en lui, mais en moi. Il l’y a éveillée, mais ne la connaît pas, et ne peut que répéter indéfiniment, avec de moins en moins de force, ce même témoignage que je ne sais pas interpréter et que je veux au moins pouvoir lui redemander et retrouver intact, à ma disposition, tout à l’heure, pour un éclaircissement décisif. Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n’apportait aucune preuve logique, mais l’évidence de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s’évanouissaient. [36]

Après avoir décrit avec finesse la recherche du souvenir, le Narrateur se le rappelle tout d’un coup : c’était le petit morceau de madeleine trempé dans son infusion de thé ou de tilleul que la tante Léonie lui offrait ; avec lui, toute son enfance remonte, source d’une joie intense :

Quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. [37]

Le contexte de ce passage montre Proust évoquer la « croyance celtique » de la métempsycose ou attribuer au hasard les résurgences du passé [38], mais c’est d’âme qu’il parle aussi, d’espérance et d’esprit.

La saveur est allée puiser la joie dans le souvenir spontané. Il en est de même de l’odeur des aubépines :

Leur parfum s’étendait aussi onctueux, aussi délimité dans sa forme que si j’eusse été devant l’autel de la Vierge. (...) Mais j’avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu’elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m’unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m’offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu’on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret. [39]

La même allégresse vient en son âme, lors d’une promenade en voiture, par le canal de la vue :

Au tournant d’un chemin j’éprouvai tout à coup ce plaisir spécial qui ne ressemblait à aucun autre, à apercevoir les deux clochers de Martinville, sur lesquels donnait le soleil couchant et que les mouvements de notre voiture et les lacets du chemin avaient l’air de faire changer de place. […] Je ne savais pas la raison du plaisir que j’avais eu à les apercevoir à l’horizon et l’obligation de chercher à découvrir cette raison me semblait bien pénible ; j’avais envie de garder en réserve dans ma tête ces lignes remuantes au soleil et de n’y plus penser maintenant. Et il est probable que si je l’avais fait, les deux clochers seraient allés à jamais rejoindre tant d’arbres, de toits, de parfums, de sons, que j’avais distingués des autres à cause de ce plaisir obscur qu’ils m’avait procuré et que je n’ai jamais approfondi. [40]

Après un arrêt, le Narrateur remonte en voiture et il raconte :

Le cocher, qui ne semblait pas disposé à causer, ayant à peine répondu à mes propos, force me fut, faute d’autre compagnie, de me rabattre sur celle de moi même et d’essayer de me rappeler mes clochers. Bientôt leurs lignes et leurs surfaces ensoleillées, comme si elles avaient été une sorte d’écorce, se déchirèrent, un peu de ce qui m’était caché en elles m’apparut, j’eus une pensée qui n’existait pas pour moi l’instant avant, qui se formula en mots dans ma tête, et le plaisir que m’avait fait tout à l’heure éprouver leur vue s’en trouva tellement accru que, pris d’une sorte d’ivresse, je ne pus plus penser à autre chose. [41]

Il en est comme acculé à écrire une page, « pour soulager sa conscience et obéir à son enthousiasme », ce qui lui procure une liesse de libération intérieure.

Plus tard, lors d’une autre promenade auprès de Madame de Villeparisis, il connaît une expérience semblable, où trois arbres remplacent les clochers de Martinville :

Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu’ils recouvraient quelque chose sur quoi il n’avait pas de prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts, allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l’enveloppe sans arriver à rien saisir. Alors on se repose un moment pour jeter le bras en avant d’un élan plus fort et tâcher d’atteindre plus loin. Mais pour que mon esprit pût ainsi se rassembler, prendre on élan, il m’eût fallu être seul. Que j’aurais voulu pouvoir m’écarter comme je faisais dans les promenades du côté de Guermantes quand je m’isolais de mes parents ! Il me semblait même que j’aurais dû le faire. Je reconnaissais ce genre de plaisir qui requiert, il est vrai, un certain travail de la pensée sur elle même, mais à côté duquel les agréments de la nonchalance qui vous fait renoncer à lui, semblent bien médiocres. Ce plaisir, dont l’objet n’était que pressenti, que j’avais à créer moi même, je ne l’éprouvais que de rares fois, mais à chacune d’elles il me semblait que les choses qui s’étaient passées dans l’intervalle n’avaient guère d’importance et qu’en m’attachant à sa seule réalité je pourrais commencer enfin une vraie vie. [42]

Qu’il s’agisse d’une expérience vitale, la réflexion qui suit le montre bien, où le Narrateur évoquer à nouveau les trois arbres et leur message :

Je crus que c’étaient des fantômes du passé, de chers compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient nos communs souvenirs. Comme des ombres, ils semblaient me demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. Dans leur gesticulation naïve et passionnée, je reconnaissais le regret impuissant d’un être aimé qui a perdu l’usage de la parole, sent qu’il ne pourra nous dire ce qu’il veut et que nous ne savons pas deviner. Bientôt, à un croisement de routes, la voiture les abandonna. Elle m’entraînait loin de ce que je croyais seul vrai, de ce qui m’eût rendu vraiment heureux, elle ressemblait à ma vie. [43]

En effet, la vie que nous menons nous éloigne souvent des sources vitales, qui ont toujours à faire avec l’enfance. [44]

Au plan de l’ouïe, la petite phrase de la sonate de Vinteuil apporte à Swann, dans le salon des Verdurin, cette joie inexpliquée :

A un moment donné, sans pouvoir distinguer nettement un contour, donner un nom à ce qui lui plaisait, charmé tout d’un coup, il avait cherché à recueillir la phrase ou l’harmonie – il ne savait lui même – qui passait et qui lui avait ouvert plus largement l’âme, comme certaines odeurs de roses circulant dans l’air humide du soir ont la propriété de dilater nos narines. […] à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressenti était elle expirée, que sa mémoire lui en avait fourni séance tenante une transcription sommaire et que le morceau continuait, si bien que, quand la même impression était tout d’un coup revenue, elle n’était déjà plus insaisissable. Il s’en représentait l’étendue, les groupements symétriques, la graphie, la valeur expressive ; il avait devant lui cette chose qui n’est plus de la musique pure, qui est du dessin, de l’architecture, de la pensée, et qui permet de se rappeler la musique. Cette fois il avait distingué nettement une phrase s’élevant pendant quelques instants au dessus des ondes sonores. Elle lui avait proposé aussitôt des voluptés particulières, dont il n’avait jamais eu l’idée avant de l’entendre, dont il sentait que rien autre qu’elle ne pourrait les lui faire connaître, et il avait éprouvé pour elle comme un amour inconnu. [45]

Un amour si puissant et délicat qu’il en est un gage d’éternité :

La phrase de Vinteuil avait, comme tel thème de Tristan par exemple, qui nous représente aussi une certaine acquisition sentimentale, épousé notre condition mortelle, pris quelque chose d’humain qui était assez touchant. Son sort était lié à l’avenir, à la réalité de notre âme dont elle était un des ornements les plus particuliers, les mieux différenciés. Peut-être est ce le néant qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu’il faudra que ces phrases musicales, ces notions qui existent par rapport à lui, ne soient rien non plus. Nous périrons, mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moins probable. [46]

N’est ce pas un embryon d’espérance ?

Plus tard, une autre œuvre de Vinteuil, un septuor, vint charmer son âme et nourrir cette espérance :

Ce qui était devant moi me faisait éprouver autant de joie qu’aurait fait la sonate si je ne l’avais pas connue, par conséquent, en étant aussi beau, était autre. Tandis que la sonate s’ouvrait sur une aube liliale et champêtre, divisant sa candeur légère, mais pour se suspendre à l’emmêlement léger et pourtant consistant d’un berceau rustique de chèvrefeuilles sur des géraniums blancs, c’était sur des surfaces unies et planes comme celles de la mer que, par un matin d’orage, commençait au milieu d’un aigre silence, dans un vide infini, l’œuvre nouvelle, et c’est dans un rose d’aurore que, pour se construire progressivement devant moi, cet univers inconnu était tiré du silence et de la nuit. Ce rouge si nouveau, si absent de la tendre, champêtre et candide sonate, teignant tout le ciel, comme l’aurore, d’un espoir mystérieux. [47]

Et le Narrateur de réfléchir sur la joie d’aurore, c’est-à-dire sur l’espérance, offerte par le compositeur :

Ce Vinteuil que j’avais connu si timide et si triste, avait, quand il fallait choisir un timbre, lui en unir un autre, des audaces, et dans tout le sens du mot un bonheur sur lequel l’audition d’une œuvre de lui ne laissait aucun doute. La joie que lui avaient causée telles sonorités, les forces accrues qu’elle lui avait données pour en découvrir d’autres, menaient encore l’auditeur de trouvaille en trouvaille, ou plutôt c’était le créateur qui le conduisait lui même, puisant dans les couleurs qu’il venait de trouver une joie éperdue qui lui donnait la puissance de découvrir, de se jeter sur celles qu’elles semblaient appeler, ravi, tressaillant comme au choc d’une étincelle quand le sublime naissait de lui-même de la rencontre des cuivres, haletant, grisé, affolé, vertigineux, tandis qu’il peignait sa grande fresque musicale, comme Michel-Ange attaché à son échelle et lançant, la tête en bas, de tumultueux coups de brosse au plafond de la chapelle Sixtine. [48]

Proust développe la comparaison entre la sonate et le septuor avec leurs différences : « c’était pourtant une même prière, ajoute-t-il, jaillie devant différents levers de soleil intérieurs, et seulement réfractée à travers les milieux différents de pensées autres, de recherches d’art en progrès au cours des années où il avait voulu créer quelque chose de nouveau. Prière, espérance qui était au fond la même, reconnaissable sous ses déguisements dans les diverses œuvres de Vinteuil, et d’autre part qu’on ne trouvait que dans les œuvres de Vinteuil. » [49] Elles évoquaient une patrie intérieure à laquelle elles voulaient conduire, en vraies servantes de l’espérance :

On devinait qu’il s’agissait d’une transposition, dans l’ordre sonore, de la profondeur. Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d’eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle ; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n’est qu’en la dédaignant qu’il la trouve, et quand le musicien, quel que soit le sujet qu’il traite entonne ce chant singulier dont la monotonie – car quel que soit le sujet traité il reste identique à soi même – prouve chez le musicien la fixité des éléments composants de son âme. [50]

Ce que dit Proust d’un compositeur, il peut l’appliquer à un peintre et un auteur comme lui même, chacun d’entre eux contribuant à enrichir la vue que nous avons de ce monde et de l’autre :

Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est ; et cela nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil, avec leurs pareils, nous volons vraiment d’étoiles en étoiles. [51]

Après les sens du goût, de l’odorat, de la vue et de l’ouïe, reste le toucher. Il constitue l’amorce du passage-clé qui, dans Le Temps retrouvé, donne au Narrateur le déclic pour trouver le sens des rais de lumière et de joie qui ont traversé régulièrement le ciel de son âme. Le Narrateur arrive pour une réception à l’hôtel de Guermantes, où il va de nouveau être en présence d’un bon nombre des protagonistes du long roman, mais vieillis, marqués par le temps. Pour éviter une voiture, il doit fait un écart, ce qui le fait buter sur un pavé :

Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu mon élevé que le précédent, tout mon découragement [face au devoir d’écrire] s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser. Comme au moment où je goûtais la madeleine, toute inquiétude sur l’avenir, tout doute intellectuel étaient dissipés. Ceux qui m’assaillaient tout à l’heure au sujet de la réalité de mes dons littéraires et même de la réalité de la littérature se trouvaient levés comme par enchantement.
Sans que j’eusse fait aucun raisonnement nouveau, trouvé aucun argument décisif, les difficultés, insolubles tout à l’heure, avait perdu toute importance. Mais cette fois, j’étais bien décidé à ne pas me résigner à ignorer pourquoi, comme je l’avais fait le jour où j’avais goûté d’une madeleine trempée dans une infusion. La félicité que je venais d’éprouver était bien en effet la même que celle que j’avais éprouvée en mangeant la madeleine et dont j’avais alors ajourné de rechercher les causes profondes. La différence, purement matérielle, était dans les images évoquées ; un azur profond enivrait mes yeux, des impressions de fraîcheur, d’éblouissante lumière tournoyaient près de moi et, dans mon désir de les saisir, sans oser plus bouger que quand je goûtais la saveur de la madeleine en tâchant de faire parvenir jusqu’à moi ce qu’elle me rappelait, je restais, quitte à faire rire la foule innombrable des wattmen, à tituber comme j’avais fait tout à l’heure, un pied sur le pavé le plus élevé, l’autre pied sur le pavé plus bas. Chaque fois que je refaisais rien que matériellement ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : « Saisis moi au passage si tu en as la force, et tâche à résoudre l’énigme de bonheur que je te propose. » Et presque tout de suite je la reconnus, c’était Venise, dont mes efforts pour la décrire et les prétendus instantanés pris par ma mémoire ne m’avaient jamais rien dit et que la sensation que j’avais ressentie jadis sur deux dalles inégales du baptistère de Saint-Marc m’avait rendue avec toutes les autres sensations jointes ce jour-là à cette sensation-là, et qui étaient restées dans l’attente, à leur rang, d’où un brusque hasard les avait impérieusement fait sortir dans la série des jours oubliés. De même le goût de la petite madeleine m’avait rappelé Combray. Mais pourquoi les images de Combray et de Venise m’avaient-elles à l’un et à l’autre moment donné une joie pareille à une certitude et suffisante sans autres preuves à me rendre la mort indifférente ? [52]

Il semblait que l’hôtel de Guermantes ait donné rendez-vous aux plus signalées des impressions du Narrateur, car il continue :

Un second avertissement vint renforcer celui que m’avaient donné les deux pavés inégaux et m’exhorter à persévérer dans ma tâche. Un domestique en effet venait, dans ses efforts infructueux pour ne pas faire de bruit, de cogner une cuiller contre une assiette. Le même genre de félicité que m’avaient donné les dalles inégales m’envahit ; les sensations étaient de grande chaleur encore mais toutes différentes : mêlée d’une odeur de fumée, apaisée par la fraîche odeur d’un cadre forestier ; et je reconnus que ce qui me paraissait si agréable était la même rangée d’arbres que j’avais trouvée ennuyeuse à observer et à décrire, et devant laquelle, débouchant la canette de bière que j’avais dans le wagon, je venais de croire un instant, dans une sorte d’étourdissement, que je me trouvais, tant le bruit identique de la cuiller contre l’assiette m’avait donné, avant que j’eusse le temps de me ressaisir, l’illusion du bruit du marteau d’un employé qui avait arrangé quelque chose à une roue du train pendant que nous étions arrêtés devant ce petit bois. [53]

Comme les bonnes nouvelles n’arrivent jamais seules, arrive en courant une autre réminiscence, celle de la serviette qu’on lui donne avec les petits fours à celle de l’hôtel à Balbec :

Je croyais que le domestique venait d’ouvrir la fenêtre sur la plage et que tout m’invitait à descendre me promener le long de la digue à marée haute ; la serviette que j’avais prise pour m’essuyer la bouche avait précisément le genre de raideur et d’empesé de celle avec laquelle j’avais eu tant de peine à me sécher devant la fenêtre, le premier jour de mon arrivée à Balbec, et maintenant devant cette bibliothèque de l’hôtel de Guermantes, elle déployait, réparti dans ses pans et dans ses cassures, le plumage d’un océan vert et bleu comme la queue d’un paon. Et je ne jouissais pas que de ces couleurs, mais de tout un instant de ma vie qui les soulevait, qui avait été sans doute aspiration vers elles, dont quelque sentiment de fatigue ou de tristesse m’avait peut-être empêché de jouir à Balbec, et qui maintenant, débarrassé de ce qu’il y a d’imparfait dans la perception extérieure, pur et désincarné, me gonflait d’allégresse. [54]

Plaisir d’essence précieuse, puissante joie, évidence de félicité, allégresse juvénile, ivresse et liesse, sensation délicieuse, volupté particulière, amour inconnu, espoir mystérieux, joie éperdue, vision éblouissante et indistincte, qui vient de l’âme et ouvre le cœur à l’espérance, tel est ce sentiment qui, avec les mots de Proust, « survient » dans la Recherche comme sa trame essentielle : traînée de lumière, essaim de météorites, étincelles courant dans le chaume (Sg 3, 7), fugace bonheur qui parcourt les temps en les réunissant et en les dépassant. Le Narrateur s’attache à le saisir comme la clé de l’existence, celle qui ouvre à la pleine vie et offre une certitude qui rend indifférent à la mort.

Une félicité extra-temporelle et supra-terrestre

Le Temps retrouvé, c’est le lien fait entre les expériences échelonnées de la joie donnée gratuitement à la faveur de réminiscences fortuites ; c’est l’énigme cernée de ce qui seul peut illuminer la vie, « la vraie vie ». L’auteur qui mesure les difficultés de sa grande entreprise, pour l’édification de sa « cathédrale » fait pourtant la réflexion suivante :

Je glissais rapidement sur tout cela, plus impérieusement sollicité que j’étais de chercher la cause de cette félicité, du caractère de certitude avec lequel elle s’imposait, recherche (nous soulignons ici) ajournée autrefois. Or cette cause, je la devinais en comparant entre elles ces diverses impressions bienheureuses et qui avaient entre elles ceci de commun que j’éprouvais à la fois dans le moment actuel et dans un moment éloigné le bruit de la cuiller sur l’assiette, l’inégalité des dalles, le goût de la madeleine, jusqu’à faire empiéter le passé sur le présent, à me faire hésiter à savoir dans lequel des deux je me trouvais ; au vrai, l’être qui alors goûtait en moi cette impression la goûtait en ce qu’elle avait de commun dans un jour ancien et maintenant, dans ce qu’elle avait d’extra-temporel, un être qui n’apparaissait que quand, par une de ces identités entre le présent et le passé, il pouvait se trouver dans le seul milieu où il pût vivre, jouir de l’essence des choses, c’est-à-dire hors du temps. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j’avais reconnu inconsciemment le goût de la petite madeleine puisqu’à ce moment-là l’être que j’avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l’avenir. Il ne vivait que de l’essence des choses, et ne pouvait la saisir dans le présent où l’imagination n’entrant pas en jeu, les sens étaient incapables de la lui fournir ; l’avenir même vers lequel se tend l’action nous l’abandonne. Cet être-là n’était jamais venu à moi, ne s’était jamais manifesté, qu’en dehors de l’action, de la jouissance immédiate, chaque fois que le miracle d’une analogie m’avait fait échapper au présent. Seul, il avait le pouvoir de me faire retrouver les jours anciens, le temps perdu, devant quoi les efforts de ma mémoire et de mon intelligence échouaient toujours. [55]

Nous atteignons ici le sommet de l’édifice construit par Marcel Proust, qui n’est pas tant A la recherche du temps perdu, qu’à celle d’un au-delà du temps qui transcende les dimensions du passé, du présent et de l’avenir. Il est parvenu au niveau d’une « vie spirituelle », comme il l’écrit lui-même, non pas faite de raisonnements logiques, mais de l’expérience d’une authentique renaissance. [56] Dans l’espace de sa cathédrale, le Narrateur a perçu la dimension d’une transcendance qui se nomme le sacré ; il est devenu capable de comprendre les « mystères » qui se célèbrent dans le sanctuaire, ces « sacrements » dont le propre est précisément de télescoper la succession du passé, du présent et de l’avenir dans un acte qui, tout en incluant le temps, le dépasse. [57] Le génie de Proust l’amène à toucher avec une grande justesse à ce domaine qu’il n’est pas facile d’expliquer. L’homme qui vit dans le temps dépasse la temporalité par le fond ou la cime de son être : le mystère de l’Incarnation, par lequel Dieu s’est fait homme, pour que l’homme puisse entrer dans la vie divine, éclaire notre condition.

Etait-ce un simple moment du passé qui venait de renaître pour le Narrateur ?

Beaucoup plus, peut-être, explique-t-il ; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu’eux deux. Tant de fois, au cours de ma vie, la réalité m’avait déçu parce qu’au moment où je la percevais mon imagination, qui était mon seul organe pour jouir de la beauté, ne pouvait s’appliquer à elle, en vertu de la loi inévitable qui veut qu’on ne puisse imaginer ce qui est absent. Et voici que soudain l’effet de cette dure loi s’était trouvé neutralisé, suspendu, par un expédient merveilleux de la nature, qui avait fait miroiter une sensation – bruit de la fourchette et du marteau, même titre de livre, etc. – à la fois dans le passé, ce qui permettait à mon imagination de la goûter, et dans le présent où l’ébranlement effectif de mes sens par le bruit, le contact du linge, etc. avait ajouté aux rêves de l’imagination ce dont ils sont habituellement dépourvus, l’idée d’existence – et grâce à ce subterfuge avait permis à mon être d’obtenir, d’isoler, d’immobiliser la durée d’un éclair – ce qu’il n’appréhende jamais : un peu de temps à l’état pur. L’être qui était rené en moi quand, avec un tel frémissement de bonheur, j’avais entendu le bruit commun à la fois à la cuiller qui touche l’assiette et au marteau qui frappe sur la roue, à l’inégalité pour les pas des pavés de la cour Guermantes et du baptistère Saint-Marc, etc., cet être-là ne se nourrit que de l’essence des choses, en elle seulement il trouve sa subsistance, ses délices. Il languit dans l’observation du présent où les sens ne peuvent la lui apporter, dans la considération d’un passé que l’intelligence lui dessèche, dans l’attente d’un avenir que la volonté construit avec des fragments du présent et du passé auxquels elle retire encore de leur réalité en ne conservant d’eux que ce qui convient à leur fin utilitaire, étroitement humaine, qu’elle leur assigne. Mais qu’un bruit, qu’une odeur, déjà entendu ou respirée jadis, le soient de nouveau, à la fois dans le présent et dans le passé, réels sans être actuels, idéaux sans être abstraits, aussitôt l’essence permanente et habituellement cachée des choses se trouve libérée, et notre vrai moi qui, parfois depuis longtemps, semblait mort, mais ne l’était pas entièrement, s’éveille, s’anime en recevant la céleste nourriture qui lui est apportée. Une minute affranchie de l’ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l’homme affranchi de l’ordre du temps. Et celui là, on comprend qu’il soit confiant dans sa joie, même si le simple goût d’une madeleine ne semble pas contenir logiquement les raisons de cette joie, on comprend que le mot de “mort” n’ait pas de sens pour lui ; situé hors du temps, que pourrait il craindre de l’avenir ? [58]

Texte extraordinaire, on en conviendra qui dans ses dernières lignes pourrait être lu dans la perspective de l’Eucharistie chrétienne. Ces « réalisations » ou « résurrections » sont si puissantes que le Narrateur pense en perdre connaissance, connaissance des réalités présentes, pour accéder à la pleine mesure de la vérité :

Ces résurrections du passé, dans la seconde qu’elles durent, sont si totales qu’elles n’obligent pas seulement nos yeux à cesser de voir la chambre qui est près d’eux pour regarder la voie bordée d’arbres ou la marée montante. Elles forcent nos narines à respirer l’air de lieux pourtant lointains, notre volonté à choisir entre les divers projets qu’ils nous proposent, notre personne tout entière à se croire entourée par eux, ou du moins à trébucher entre eux et les lieux présents, dans l’étourdissement d’une incertitude pareille à celle qu’on éprouve parfois devant une vision ineffable, au moment de s’endormir. [59]

Certes la souffrance et les chagrins nous aident à trouver, douloureusement la réalité : « Les chagrins sont des serviteurs obscurs, détestés, contre lesquels on lutte, sous l’empire de qui on tombe de plus en plus, des serviteurs atroces, impossibles à remplacer et qui par des voies souterraines nous mènent à la vérité et à la mort. Heureux ceux qui ont rencontré la première avant la seconde, et pour qui, si proches qu’elles doivent être l’une de l’autre, l’heure de la vérité a sonné avant l’heure de la mort ! » [60] Comme dans un « concerto » de Vinteuil, douleurs et joies se combattent et s’opposent, mais arrive parfois ce que nota un jour le Narrateur :

Enfin le motif joyeux resta triomphant, ce n’était plus un appel presque inquiet lancé derrière un ciel vide, c’était une joie ineffable qui semblait venir du Paradis ; une joie aussi différente de celle de la sonate que, d’un ange doux et grave de Bellini, jouant du théorbe, pour être, vêtu d’une robe d’écarlate, quelque archange de Mantegna sonnant dans un buccin. Je savais que cette nuance nouvelle de la joie, cet appel vers une joie supraterrestre, je ne l’oublierais jamais. Mais serait elle jamais réalisable pour moi ? Cette question me paraissait d’autant plus importante que cette phrase était ce qui aurait pu le mieux la caractériser – comme tranchant avec tout le reste de ma vie, avec le monde visible – ces impressions qu’à des intervalles éloignés je retrouvais dans ma vie comme les points de repère, les amorces, pour la construction d’une vie véritable : l’impression éprouvée devant les clochers de Martinville, devant une rangée d’arbres près de Balbec. [61]

Il s’agit de « vision ineffable », de « joie ineffable », de « joie supraterrestre » pour vaincre la mort et accéder à la « vie véritable ». Même s’il en doute ailleurs [62], le Narrateur voudrait croire à la résurrection ; la disparition d’Albertine l’y aide [63], mais de façon superficielle. Les éclairs de joie dont il fait l’expérience sont d’un autre ordre ; liés à des souvenirs, à des détails en eux-mêmes insignifiants, ils ne sont que les éclats d’une lumière plus haute, ou bien les résurgences d’une source profonde.

Une confirmation m’en a été donnée par la lecture d’un autre livre que j’ai lu aussi en me rasant, après avoir fini la Recherche.

Surpris par la joie

Irlandais, essayiste, auteur de livres pour enfants, tels les célèbres Chronicles of Narnia, Clives Staples Lewis fut longtemps athée, en dépit d’une éducation chrétienne très superficielle à la vérité ; auteur de lettres savoureuses d’un vieux démon à un petit diable – Tactique du diable –, il a écrit son autobiographie sous le titre de Surprised by Joy – Surpris par la joie – qui donne exactement le ton de son livre et le met d’emblée en résonance avec les textes de Proust que nous avons relevés comme trame profonde de sa Recherche.

A la façon de Proust, Lewis accorde de l’importance à ses impressions et voici comment il « exprime » l’une des premières qu’il eût ressenties, celle qui resta gravée dans sa mémoire :

Un jour de notre toute petite enfance, mon frère apporta dans la nursery le couvercle métallique d’une boîte à biscuits qu’il avait rempli de mousse et garni de brindilles et de fleurs pour en faire un jardin ou une forêt en miniature : ce fut ma première rencontre avec la beauté. Ce que le véritable jardin n’avait pu faire, le jardin miniature le fit : il me fit prendre conscience de la nature – non comme d’une réserve de formes et de couleurs, mais comme d’une chose légère, humectée de rosée, fraîche, exubérante. Je ne pense pas que cette impression fut sur le moment très importante – mais elle le devint bientôt dans ma mémoire. Tant que je vivrai, l’image que je me fais du Paradis gardera quelque chose du « jardin pour rire » de mon frère. [64]

Comme pour le Narrateur, c’est la mémoire et le souvenir qui seront déterminants, mais pour introduire autre chose :

Ma première expérience du monde imaginaire n’est elle-même, que le souvenir d’un souvenir, écrit Lewis. Je me tenais, un jour d’été, devant un groseillier en fleur [pour Proust, c’était des aubépines] lorsque j’eus tout à coup, sans crier gare, comme s’il venait non de mon passé mais du fond des siècles, le souvenir de ce matin d’autrefois, où mon frère, dans la Vieille Maison, avait apporté son jardin miniature dans la nursery. Il m’est difficile de trouver des mots assez forts pour exprimer la sensation qui m’envahit ; « l’énorme félicité » dont parle Milton en faisant allusion au Paradis (si l’on prête au terme « énorme » son plein sens originel), donne une idée de ce que je ressentis. C’était, naturellement, une sensation de désir ; mais désir de quoi ? Certainement pas d’un couvercle de boîte à biscuits rempli de mousse, ni même (bien qu’il n’y fût pas étranger) de mon propre passé. « Oh ! je désire trop ! »… Mais avant de connaître l’objet de mon désir, il avait lui même disparu, la vision fugitive s’était effacée, et le monde était redevenu banal, ou agité seulement du vif désir de retrouver ce désir perdu. Dans le temps, ce n’avait duré qu’un instant ; pourtant, en un certain sens, tout ce qui m’était arrivé semblait insignifiant en comparaison. [65]

Souvenir, sensation, félicité, vision, ce sont des termes proustiens qu’utilise Lewis. « L’histoire essentielle de ma vie est là », continue-t-il après avoir essayé de parler de trois moments pour lui fondamentaux :

Je me contenterai de souligner le caractère commun à ces trois expériences : un désir insatisfait qui est, lui même, plus désirable qu’aucune satisfaction. Je le nomme Joie, et c’est ici un terme technique car il faut le distinguer nettement du Bonheur et du Plaisir. La Joie (dans le sens que je lui donne) n’a qu’un seul et unique caractère commun avec eux : c’est que quiconque en a fait l’expérience la désire de nouveau. A part cela, et si l’on considère seulement ce qu’elle est, on pourrait tout aussi bien l’appeler une souffrance ou une peine d’un genre particulier, mais que nous désirons cependant. Je ne crois pas que ceux qui l’ont goûtée l’échangeraient, si c’était possible, contre tous les plaisirs du monde. Mais évidemment la Joie n’est jamais en notre pouvoir, tandis que le plaisir l’est souvent. [66]

On est d’une certaine façon pauvre quand surviennent ces « lueurs de Joie » [67], mais elles enrichissent grandement et marquent à jamais celui qui les goûte.

Ce non-pouvoir sur une telle félicité se vérifie cruellement pour Lewis : « La vraie Joie avait disparu de ma vie, si complètement que je n’en avais même plus le souvenir ou le désir. La Joie se distingue non seulement du plaisir en général, mais même du plaisir esthétique. Elle doit percer le cœur, le serrer, le remplir d’une aspiration inconsolable. » [68] à l’occasion de la lecture de Siegfried et le Crépuscule des Dieux de Wagner, il la retrouve :

A l’instant où j’effectuais cette plongée dans mon passé [d’anciennes lectures revenues à son esprit à l’occasion de la découverte de Wagner], le souvenir de la Joie, comme un déchirement du cœur, s’éveilla aussitôt en moi ; l’impression que j’avais eue autrefois, et qui m’avait quitté depuis des années, que je revenais enfin des terres désertiques de l’exil dans ma propre patrie, et la distance du Crépuscule des Dieux et celle de ma Joie passée, toutes deux inaccessibles, se fondirent en un sentiment unique, intolérable, de désir et de perte, qui tout à coup ne fit qu’un avec la perte de tout l’ensemble de cette expérience, qui s’était déjà évanouie tandis que je parcourais du regard la classe poussiéreuse comme un homme qui reprend conscience, et qui m’avait échappé à l’instant même où je me rendais compte de son existence. Et je compris aussitôt (inévitablement) que l’objet suprême, le seul important, de mon désir était de refaire cette expérience. [69]

Il la retrouve, ce qui lui permet d’expliquer ce qui suit :

Bientôt la nature cessa de me rappeler simplement les livres, pour devenir elle-même le moyen d’éprouver de vraies Joies. Je ne dis pas qu’elle cessa d’éveiller. La Joie le fait toujours. Ce n’est jamais une possession, et toujours le désir de quelque chose de passé, de plus lointain, ou de futur. Mais la nature et les livres éveillèrent alors également, ensemble, mes souvenirs de – eh bien, de Joie, quelle qu’elle soit. [70]

Mais la résurrection de la Joie n’est pas volontaire ; il éprouvait « le désir fatal de retrouver l’émotion ancienne » : vint « l’instant où je fus obligé, écrit il, d’admettre que tous ces efforts étaient vains. Je n’avais pas de piège pour attirer l’oiseau. » Le souvenir lui remonte de livres wagnériens offerts par son père et d’une promenade où il avait goûté « avec une plénitude exceptionnelle la Joie perdue » :

La pensée de toutes ces lectures qui m’attendaient, mêlée au froid et à la solitude de la colline, aux gouttes humides sur les branches, au murmure lointain de la ville invisible, avait fait naître en moi un désir ardent (en même temps réalisation) qui, jaillissant de mon esprit, semblait envahir mon corps. Je me souviens de cette promenade. Il me sembla que j’avais alors connu le Ciel. Si seulement cet instant pouvait revenir ! Or, ce que je ne compris pas, c’est qu’il était revenu ; que le souvenir de cette promenade était, en lui-même, une expérience nouvelle du même genre. Certes, il s’agissait de désir, non de possession. Mais ce que j’avais senti lors de cette promenade avait été aussi un désir, et possession seulement dans la mesure où ce genre de désir est lui même désirable, et la possession la plus complète que nous puissions connaître sur terre ; ou plutôt ç’avait été un désir parce que la nature même de la Joie rend absurde la distinction que nous faisons habituellement entre avoir et désirer. Dans ce domaine, avoir c’est désirer, et désirer c’est avoir. Ainsi l’instant même où je désirais ardemment être ainsi frappé de nouveau d’un éclair de Joie était lui même cet éclair de Joie. [71]

Lewis pense trouver le secret de cette Joie insaisissable dans les captations de l’occulte,

Mais, poursuit-il, ma meilleure protection était l’expérience que j’avais de la nature de la Joie. Ce désir vorace de briser les liens, de déchirer les voiles, d’être dans le secret, se montra, de plus en plus clairement à mesure que je m’y abandonnai, très différent de ce désir ardent qu’est la Joie. Sa force grossière le trahissait. Lentement, après bien des rechutes, j’arrivai à comprendre que la Magie avait aussi peu de rapports avec la Joie que l’érotisme. Une fois encore j’avais changé de piste. [72]

Vient le moment sublime d’un soir d’octobre :

Je ne connaissais pas encore et je fus longtemps avant d’apprendre le nom de la qualité nouvelle, de l’ombre éclatante qui planait sur les voyages d’Anodos [nom qui signifie “sans route”]. Je le connais maintenant. C’est la sainteté. [73]
Telle était la merveille. Jusqu’alors, chaque visite de la Joie avait laissé l’univers ordinaire momentanément désertique comme si – « le premier contact de la terre eût presque été meurtrier ». Même lorsque des nuages ou des arbres véritables avaient été à l’origine de la vision, ils avaient servi seulement à me rappeler un autre monde, et je n’avais pas aimé me retrouver dans le nôtre. Mais maintenant je voyais cette ombre éclatante sortir du livre et planer sur le monde réel, transformant toutes les choses ordinaires tout en demeurant inchangée. Ou, plus exactement, je voyais les choses ordinaires attirées par l’ombre éclatante. Unde hoc mihi ? Au milieu de mes infamies, dans l’ignorance alors invincible de mon intelligence, tout ceci m’était donné sans l’avoir demandé, sans même y avoir consenti. Cette nuit-là mon imagination reçut, en un certain sens, le baptême ; il fallut, naturellement, plus de temps pour qu’il s’étendît au reste de moi même. [74]

Ne s’agit il pas, jusqu’aux arbres, d’une expérience très voisine de celle de Proust ? Mais Lewis va plus loin dans son analyse :

Je m’étais demandé si c’était la Joie elle même que je voulais ; et, l’appelant « expérience esthétique », j’avais prétendu pouvoir répondre oui. Mais cette réponse aussi s’était effondrée. Inexorablement, la Joie avait proclamé : « Tu veux – je suis moi même ton désir de – quelque chose d’autre, d’extérieur, qui n’est ni toi, ni rien de toi. » Je ne me demandais pas encore : « Quel est Celui que je désire ? » mais seulement : « Quel est l’objet de mon désir ? » Ce qui me conduisit cependant dans la région de la crainte respectueuse, car je compris ainsi qu’il y a dans la solitude la plus profonde une voie qui conduit tout à fait hors de soi, un commerce avec quelque chose qui, en refusant de s’identifier avec un objet des sens, une chose dont nous avons besoin biologiquement ou socialement, une chose imaginée, ou un état d’esprit, proclame son objectivité pure. Beaucoup plus objectif que nos corps, car il n’est pas, comme eux, revêtu de sens ; un Autre nu, sans images (bien que notre imagination le salut d’une centaine d’images), inconnu, indéfini, désiré. [75]

Vint le moment du consentement, lui même donné, de la nécessité qui rend libre. C’est ainsi qu’il s’agenouilla et admit que Dieu était Dieu. « La dureté de Dieu, commente-t-il, est meilleure que la douceur des hommes, et la contrainte qu’il impose est notre Libération. » [76]

Mais, finalement, qu’est-il advenu de la Joie ? […] Je sais maintenant que cette expérience, considérée comme un état de mon esprit, n’a jamais eu l’importance que je lui ai accordée autrefois. Elle ne m’était précieuse que pour indiquer quelque chose d’autre, d’extérieur à moi. Lorsque je doutais de cette chose, ce qui l’indiquait prenait naturellement plus de place dans mes pensées. Lorsque nous sommes perdus dans les bois, la vue d’un poteau indicateur a une importance considérable. Celui qui l’aperçoit le premier crie : « Regardez ! » Tous l’entourent et le regardent fixement. Mais lorsque nous avons trouvé la route et que nous dépassons de temps en temps les poteaux, nous ne nous arrêtons plus pour les regarder fixement. Ils nous encouragent, et nous sommes reconnaissants envers ceux qui les ont placés là. Mais nous ne nous arrêtons plus pour les regarder, ou à peine, même si leurs montants sont en argent et leurs inscriptions en or. « C’est à Jérusalem que nous voulons aller. » Ce qui ne signifie naturellement pas que je ne me surprenne souvent, arrêté au bord de la route, à regarder des objets de moindre importance encore. [77]

Conclusion

Lewis nous a conduit là où Proust n’a pas été, au moins explicitement. En est-il resté aux poteaux indicateurs ? Est il parvenu au delà des signes de la mémoire et de l’écriture pour rejoindre la Joie à sa source ? Ceci restera un mystère pour nous. Restent cependant aussi ces précieuses semina Verbi qui jalonnent son immense Recherche, des « semences du Verbe », qui sont d’humbles mais puissantes graines plantées par Dieu dans les terrains les plus variés ou les plus ingrats en vue d’une floraison aux allures miraculeuse.

Le passage est célèbre : Marcel et Robert ne regardent pas la prostituée entretenue par Saint-Loup, « du même côté du mystère ».

Ce n’était pas « Rachel quand du Seigneur » qui me semblait peu de chose, c’était la puissance de l’imagination humaine, l’illusion sur laquelle reposaient les douleurs de l’amour que je trouvais grandes. Robert vit que j’avais l’air ému. Je détournai les yeux vers les poiriers et les cerisiers du jardin d’en face pour qu’il crût que c’était leur beauté qui me touchait. Et elle me touchait un peu de la même façon, elle mettait aussi près de moi de ces choses qu’on ne voit pas qu’avec ses yeux, mais qu’on sent dans son cœur. Ces arbustes que j’avais vus dans le jardin, en les prenant pour des dieux étrangers, ne m’étais-je pas trompé comme Madeleine quand, dans un autre jardin, un jour dont l’anniversaire allait bientôt venir, elle vit une forme humaine et « crut que c’était le jardinier » ? Gardiens des souvenirs de l’âge d’or, garants de la promesse que la réalité n’est pas ce que l’on croit, que la splendeur de la poésie, que l’éclat merveilleux de l’innocence peuvent y resplendir et pourront être la récompense que nous nous efforcerons de mériter, les grandes créatures blanches merveilleusement penchées au dessus de l’ombre propice à la sieste, à la pêche, à la lecture, n’était-ce pas plutôt des anges ? J’échangeai quelques mots avec la maîtresse de Saint-Loup. Nous coupâmes par le village. Les maisons en étaient sordides. Mais à côté des plus misérables, de celles qui avaient l’air d’avoir été brûlées par une pluie de salpêtre, un mystérieux voyageur, arrêté pour un jour dans la cité maudite, un ange resplendissant se tenait debout étendant largement sur elle l’éblouissante protection de ses ailes d’innocence en fleurs : c’était un poirier. [78]

On aura reconnu l’évocation du Seigneur ressuscité apparaissant à Marie Madeleine, qui recouvre les délabrements moraux et urbains de Sodome et de Gomorrhe : lignes de pure beauté qui montrent où pointe la Recherche au delà des turpitudes ou des vanités. « Cette œuvre éminemment spirituelle est sans transcendance » a-t-on écrit. [79] C’est sans doute exact pour bien des pages, mais nous avons essayé de montrer que se font jour en elles des sources vives, qui indiquent l’Eau vive dont parle le Seigneur en saint Jean, pour désigner l’Esprit Saint. « Le génie ne peut s’empêcher d’aller à la vérité tout entière », écrit avec justesse Pierre Gardeil. [80] L’évangélisation doit ainsi glaner dans les œuvres les plus grandes de la littérature toutes ces graines semées par l’Esprit, parfois ou souvent à l’insu des auteurs, car la véritable inspiration ne peut que dépendre du Souffle divin de l’amour qui va jusqu’au bout.

Mgr Robert Le Gall, Mgr Robert Le Gall, né en 1946, élu abbé de l’abbaye de Kergonan en 1983, a été nommé évêque de Mende en octobre 2001. Il a publié récemment La saveur des Psaumes, C.L.D., 2000, et Le moine et le lama, entretiens avec Frédéric Lenoir et Jingmé Rinpoché , Fayard, 2001.

[1] Antoine de Saint Exupéry, Le Petit Prince, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, p. 471.

[2] Cf. Jc 3, 5 (voir 3, 1-12).

[3] Cf. Ac 2, 11.

[4] Mt chap. 5-7.

[5] C’est une des convictions exprimées et illustrées dans notre livre sur La saveur des Psaumes, Chambray-lès-Tours, C.L.D., 2000. Voir p. 14, 45-49, 241-245.

[6] Cf. La Documentation Catholique, 1965, col. 1732.

[7] Le 7 décembre 1965, à la veille de la clôture du deuxième concile du Vatican.

[8] N° 13.

[9] N° 14.

[10] Chap. 42, 4. L’Heptateuque est le Pentateuque additionné des livres des Juges et de Josué ; les livres des Rois correspondent à ce que les Bibles d’aujourd’hui appellent les deux livres de Samuel et les deux livres des Rois. Ces récits historiques comportent en effet un certain nombre d’histoires qui n’honorent pas la chasteté.

[11] Jn 12, 24.

[12] À la recherche du temps perdu. Le Temps retrouvé, Gallimard, NRF, Bibliothèque de la Pléiade, 1989, t. IV, p. 621. Les références à la Recherche indiqueront seulement par la suite le tome de cette édition en chiffres romains et la page en chiffres arabes, étant donné que les tomes s’échelonnent comme suit dans le temps : tome I, 1987 ; tome II, 1988 ; tome III, 1988 ; tome 4, 1989.

[13] Le Temps retrouvé, IV, 478.

[14] Le Côté de Guermantes II,II, II, 691.

[15] Le Temps retrouvé, IV, 563-564. Le Narrateur se reconnaît lui-même “ cloîtré ” (La Prisonnière, III, 537).

[16] Saint Grégoire le Grand, Dialogues II, chap. 3, trad. E. Cartier, Paris, Poussielgue, 1875, p. 77.

[17] La Prisonnière, III, 589, 591 592.

[18] Formule que l’on trouve dans Sodome et Gomorrhe,II,II, III, 204.

[19] Le Temps retrouvé, IV, 457.

[20] Le Côté de Guermantes,II,II, II, 692.

[21] Albertine disparue, II, IV, 173.

[22] Cf. Le Temps retrouvé, IV, 433 434.

[23] Sodome et Gomorrhe, II,II, III, 401.

[24] Le Temps retrouvé, IV, 563.

[25] Cf. La saveur des Psaumes, op.cit., p. 241-245.

[26] Cf. Notes sur Le Côté de Guermantes,II, II, 1736-1737.

[27] Le Temps retrouvé, IV, 491. Cf. Albertine disparue, IV, 122 : « La mémoire suffisant à entretenir la vie réelle, qui est mentale. »

[28] Ibid., 493.

[29] La Prisonnière, III, 887.

[30] Le Temps retrouvé, IV, 600.

[31] Ibid., 455.

[32] Du côté de chez Swann, I,II, I, p. 85-86.

[33] Le Côté de Guermantes, II,II, II, p. 836.

[34] Le Temps retrouvé, IV, 497.

[35] Le Temps retrouvé, IV, 609-610.

[36] Du côté de chez Swann, I, I, I, 44-45.

[37] Ibid., 46.

[38] Ibid., 43-44.

[39] Ibid., 136.

[40] Du côté de chez Swann, I, II, I, 177-178.

[41] Ibid., 178.

[42] À l’ombre des jeunes filles en fleurs, II, II, 77. Voir aussi la page 95 où il parle « du plaisir d’avoir extrait de soi-même et amené à la lumière quelque chose qui était caché dans la pénombre. »

[43] Ibid., 78-79.

[44] La saveur des Psaumes, op. cit., p. 223-227.

[45] Du côté de chez Swann, II, I, 206 ; voir p. 339 et s. toute la douleur et la douceur que la réapparition de la petite phrase produit chez Swann.

[46] Ibid., p. 344-345.

[47] La Prisonnière, III, 754.

[48] Ibid., p. 758-759.

[49] Ibid., p. 759-760.

[50] Ibid., p. 761-762.

[51] Ibid., p. 762.

[52] Le Temps retrouvé, IV, 445-446.

[53] Ibid., 446-447.

[54] Ibid., 447.

[55] Ibid., 449-450.

[56] Ibid., 450.

[57] Cf. notre livre Les Symboles catholiques, Paris, Assouline, 1996, p. 46, ou 1999, p. 46. Voir aussi notre article « Pour une conception intégrale de la liturgie », dans Questions Liturgiques, Revue trimestrielle. Abbaye du Mont César. Louvain, 1984, 3/4, p. 192 : « Dans la mesure où la liturgie associe la communauté israélite au dessein éternel de Yahvé, la célébration de l’Alliance rend contemporain, non seulement de son instauration au Sinaï, mais encore de sa consommation dans les temps messianiques. Quand le souvenir de l’homme se laisse joindre au souvenir de Dieu, le passé, le présent et l’avenir sont comme télescopés : la célébration du mémorial liturgique fait participer l’Assemblée de Yahvé à son éternité, c’est-à-dire essentiellement à la réalité eschatologique du salut. Le passé n’est évoqué dans le présent que pour instaurer l’avenir. Si l’acte liturgique est riche de toutes ces dimensions, c’est parce qu’il est d’abord un acte de Dieu qui les transcende. » Voir encore notre livre La Liturgie dans l’Ancienne Alliance, Chambray-lès-Tours, C.L.D., 1981, p.59-69.

[58] Le Temps retrouvé, IV, 450-451.

[59] Ibid., 453-454.

[60] Ibid., 488-489.

[61] La Prisonnière, III, 764-765.

[62] Cf. Le Côté de Guermantes, II,I, II, 639.

[63] Cf. Albertine disparue, I, IV, 93.

[64] Surpris par la joie, traduit par Marie Tadié, Paris, Seuil, 1964, p. 16-17.

[65] Ibid., p. 25.

[66] Ibid., p. 26-27.

[67] Ibid., p. 29.

[68] Ibid., p. 74.

[69] Ibid., p. 75.

[70] Ibid., p. 79.

[71] Ibid., p. 158.

[72] Ibid., p. 167.

[73] Ibid., p. 169.

[74] Ibid., p. 170-171.

[75] Ibid., p. 206.

[76] Ibid., p. 213.

[77] Ibid., p. 220 : c’est le dernier mot du livre.

[78] Le Côté de Guermantes, I, II, 458-459.

[79] Blancquart et Cahné, Littérature française du XXe siècle, Paris, P.U.F., 1992, p. 165, § 2, cité par Stéphane Heuet dans « Les bulles de Marcel et les phrases de Proust ». Un entretien avec Stéphane Heuet ”, Pierre d’angle, n° 6, 2000, Aix-en-Provence, p. 156.

[80] Quinze regards sur le Corps livré, Genève, Ad Solem, 1997, p. 244.

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