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A propos d’un outil révolutionnaire pour l’exégèse

P. Edouard-Marie Gallez

Dans Jésus de Nazareth, Benoît XVI n’avait pas hésité à dénoncer – avec charité mais précision – les dérives de l’exégèse actuelle, qui rejaillissent sur la théologie et la catéchèse (si l’Institut Catholique et Pierre Grelot étaient cités parmi d’autres, ce n’était pas pour les encenser). Il indiquait des pistes nouvelles à suivre, que le récent synode pastoral sur « la Parole de Dieu » à Rome (3-20 octobre) a relevées également. Les évêques ont cité l’expression de Benoît XVI disant que la Parole ne doit pas être seulement « informative » mais « performative », c’est-à-dire qu’elle doit accomplir ce qu’elle énonce en celui qui l’écoute : ceci était précisément la force et la caractéristique majeure de la prédication des Apôtres, leur « évangile », qui était une parole transmise et apprise par cœur par ceux qui la recevaient, et non un texte lu.

Durant ce même synode, l’évêque de Jelgava en Lettonie, Mgr Antons Justs, a rappelé que « au cours de l’époque soviétique, il n’était pas permis d’imprimer de livres religieux, ni les Écritures Saintes ni les catéchismes. Le raisonnement était le suivant : en l’absence de Parole de Dieu imprimée, il n’y aurait plus eu aucune religion. Notre peuple a fait ce qu’avaient déjà fait les chrétiens des premiers siècles : il a appris par cœur des passages des Écritures Saintes. Aujourd’hui, en Lettonie, la tradition orale est encore vive » (zenit.org). Nos livres saints ne sont plus interdits aujourd’hui (sauf dans certains pays musulmans), mais étouffés par la masse de messages écrits qui nous parviennent chaque jour. S’ils ne sont pas intériorisés par le jeu de la mémoire, quelle richesse chrétienne peut-elle subsister ?

À ces deux points de vue de l’exégèse et de la pastorale à venir, l’ouvrage de Frédéric Guigain, Evangéliaire selon la récitation orale des Apôtres. Texte des quatre Evangiles selon la Peshitto [1] constitue un apport décisif. Cet outil doit prendre place dans toutes les bibliothèques et lieux où est étudiée la Parole de Dieu, ainsi que chez tous les chrétiens qui veulent s’initier au syro-araméen des évangiles, pour avoir accès à la prédication même des apôtres.

Révolutionnaire, cet outil l’est également parce qu’il rend – même visiblement, dans la disposition du texte syriaque – les structures réelles des évangiles, que seule la pratique de l’oralité permet de comprendre. Ces structures (de type « récitatif en collier ») avaient déjà été mises en lumière par Pierre Perrier ; elles sont confirmées et affinées ici grâce aux indications de récitation incluses dans le texte de la Peshitto au VIème siècle. Et cela change considérablement la manière de voir et de comprendre les évangiles ! Ce manuel d’étude offre en français un regard synoptique et diverses clefs de lecture comparatives (midrash), sur le texte évangélique qui est donné, lui, uniquement en syriaque.

Cet ouvrage pourra servir également de lectionnaire pour la proclamation à vive voix du texte évangélique. Nos Frères d’Orient le feront généralement mieux que nous ; beaucoup sont chez nous comme réfugiés, souvent pauvres et éprouvés : à nous de les accueillir et à savoir recevoir d’eux – et pas seulement donner. Mais nous pourrons leur donner cet outil et leur demander de nous aider à l’employer (beaucoup en ont déjà une certaine connaissance par cœur !).

P. Edouard-Marie Gallez, Né en 1957, membre de la Congrégation Saint-Jean, a soutenu en 2005 à l’Université de Strasbourg sa thèse de doctorat, intitulée « Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam ».

[1] Titre complet : Evangéliaire selon la récitation orale des Apôtres. Texte des quatre Evangiles selon la Peshitto. Présentation rythmique et analyse midrashique, Paris-Beyrouth, Cariscript, décembre 2008 (21 x 29,7 cm).

Réalisation : spyrit.net