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À propos de Dieu au cinéma

Llydwine Soucouville , P. Paul-Meriadoc Touque

L. Soucouville. C’était il y a une éternité, en 2003. Qui plus est une comédie : Bruce tout-puissant, de Tom Shadyac, avec Jim Carey dans le rôle principal, celui d’un journaliste qui, se plaignant de sa vie à Dieu, joué par Morgan Freeman, reçoit de celui-ci une semaine de toute-puissance pour s’occuper du monde, à condition de respecter le libre-arbitre des hommes. Et bien sûr, Bruce use et abuse de ses pouvoirs – et Jim Carey met ici au service du comique toute son expressivité corporelle et faciale. Mais il ne peut aller contre le libre-arbitre, choisit d’exaucer l’ensemble des prières des hommes pour s’en débarrasser, et perd malgré tout la femme de sa vie. Devant le désastre surgi de ses décisions, il finit par s’abandonner dans les mains de Dieu qui remet sa vie à l’endroit, en le rendant à la femme qu’il aime. Donc, à suivre cette version américaine, Dieu est le gestionnaire tout puissant et auto-contrôlé de la vie humaine ?

P. M.Touque. Tout-puissant, le mot est important. En anglais, c’est « Almighty », le mot utilisé dans l’expression « God Almighty », donc le poids dans la culture anglo-saxonne demeure bien plus lourd que notre « Dieu tout-puissant », assez passé de mode. Cependant, cette toute puissance est ici réduite, et vous le pointez justement, à faire fonctionner le monde de manière la plus efficace ou la moins mauvaise possible à partir de la contrainte fondamentale de la liberté humaine. Dieu est au final un super-PDG. Il n’est d’ailleurs pas insignifiant que les codes de l’entreprise soient repris lorsque Bruce tente de répondre aux prières – la gestion par des fichiers papiers ou informatiques. Mais peut-on vraiment considérer Dieu comme un Moteur immobile, ou un Grand Architecte, puisque ce sont les modèles implicites du film ? Même, est-ce bien de Dieu que l’on parle ici ? D’une idée de Dieu sans doute, imprégnée de christianisme – puisqu’il s’agit aussi de voir la personne que l’on aime à travers le regard aimant de Dieu –, mais qu’en est-il de Dieu Créateur et Rédempteur ?

Qu’en disent les images ? Pas grand-chose. Les paroles, sans doute davantage, encore qu’il n’y ait pas de salut, si ce n’est un retour à la vie, sans résurrection, et que l’amour a le dernier mot. L’histoire parle finalement plus du rapport de l’homme à Dieu ou du rapport entre les hommes que de Dieu lui-même. D’ailleurs, puisqu’il s’agit de cinéma, peut-on vraiment considérer que cela a un sens que de représenter Dieu, plus précisément encore de l’incarner dans un personnage ?

L.S. Vous voulez dire que le cinéma, en tant que pratique artistique, ne pourrait pas faire de Dieu un personnage porté ou joué par un acteur ? Mais n’est-ce pas une prise de position théorique fondée sur des a priori théologiques, une relecture favorable à l’aniconisme, alors que l’Occident s’est plus que complu à représenter Dieu d’une manière ou d’une autre, non seulement le Fils, mais aussi le Père et l’Esprit ? Et si votre position est juste, comment donc alors le cinéma pourrait-il représenter ou traiter Dieu ? Vous semblez aboutir à l’impossibilité pour le cinéma de se saisir d’une question que tous les autres arts ont pourtant abondamment traitée, à leur manière.

M.T. Vous sur-interprétez un peu mes propos. Je me suis plus précisément interrogé sur la possibilité d’incarner Dieu dans un personnage, de faire jouer Dieu par un acteur. Mais je n’ai pas dit que le cinéma ne pouvait pas parler de Dieu en tant que tel. Seulement, il ne peut en parler que selon son mode propre, cinématographique : en mettant en scène des images animées. L’important alors n’est pas tant l’histoire que ce que l’on voit. Ou plutôt, l’histoire n’a de sens que par les images qui la déroulent, la font avancer. Dans ce cadre-là, comment voulez-vous pouvoir représenter Dieu par un acteur ? Dieu ne peut être l’acteur d’une histoire, puisqu’il est l’auteur de la seule histoire qui compte. Dieu ne peut être visible dans une histoire, puisqu’il s’est incarné – et représenter Dieu n’est pas la même chose que représenter le Christ. Il n’est donc qu’une seule possibilité : que l’histoire racontée par les images raconte ce que Dieu est pour les hommes, ou plutôt comment Dieu se révèle aux hommes de toujours à toujours.

Cela suppose que ce que l’on voit renvoie très précisément à des idées transcendantes, que ces idées soient manifestées dans la forme des images. Certes, c’est quelque peu platonicien, mais après tout, pourquoi pas ? L’allégorie de la caverne, au livre VII de la République, n’est-elle pas un support très utile pour comprendre le cinéma ? Ces ombres informes projetées sur le mur de la caverne, et dont on ne peut connaître l’identité réelle qu’en sortant de la caverne, ne peut-on les comparer aux images du film ? Mais, à la différence de ce que développe Platon, et c’est sans doute là toute la puissance du cinéma, il n’est pas besoin de sortir de la salle de cinéma pour avoir accès à la réalité en son essence. Celle-ci se donne à voir par et dans les images projetées, à celui qui sait voir, à celui qui laisse la réalité accéder à lui, qui s’ouvre entièrement à ce que ses sens lui apprennent, qui sait consoner avec ce qu’il ressent parce qu’ainsi il connaît en vérité le monde.

L.S. C’est donc une double affirmation que vous posez. D’abord sur le statut du cinéma. Loin d’être un medium indifférent, un moyen de distraction, il est modalité d’accès à l’essence des choses. Mais c’est un peu brutal comme affirmation, à voir la multiplication des films et leur fonction essentiellement divertissante. Et c’est aussi considérer que tout cinéaste est en fait un philosophe.

M.T. Certes, je tranche franchement entre deux versants possibles du cinéma : son intégration totale au système du divertissement, depuis ses origines ; et sa capacité totale à dire le monde depuis ses origines aussi. C’est un choix, effectivement, mais je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas le faire. Je pourrais d’ailleurs aller jusqu’à considérer que les très grands cinéastes sont ceux qui ont su, au sein du système économique qu’est devenu le cinéma, être en même temps des artistes, c’est-à-dire les auteurs d’un art total qui ne peut que dire la réalité des choses, s’il est vraiment un art.

L.S. Soit. Cela mériterait sans doute débat, mais cela nous éloigne un peu de la question de la représentation de Dieu. Pour y revenir, si j’ai bien compris votre position, vous posez donc en fait qu’on ne peut représenter que des attributs, ou plutôt des qualificatifs divins, mais en rien Dieu lui-même, et ce dans une histoire ? Donc la paternité, la toute-puissance, la création ex nihilo, pour reprendre le Credo, mais déployées, médiatisées par une histoire ? Donc, si je vous suis, les films sur Dieu sont donc des films sur la paternité, puisqu’il n’est d’autre Père que le Père ? Ou mieux dit : les films sur la paternité sont des films sur Dieu ? Mais à ce compte, Steven Spielberg a passé son temps à parler de Dieu, puisque la paternité est un thème récurrent de son cinéma – le père refusant d’accepter que son fils ait grandi jusqu’à ce que sa vie soit en jeu dans Indiana Jones et la dernière croisade (1989), le père refoulant son enfance et perdant ses enfants en ne s’accomplissant que comme homme d’affaires dans Hook ou la Revanche du capitaine Crochet (1991), le père ayant perdu son fils sans faute de sa part, incapable de redevenir père, car, ayant perdu sa femme en se jetant dans le travail pour oublier ce qu’il avait perdu et se laissant manipuler par un chef d’entreprise tenant la place de père dans Minority Report (2002).

M.T. Je crains cependant que cette voie ne soit malgré tout fausse. Car, vous l’avez dit, toute paternité est dérivée du Père, et parler du Père n’est pas tout à fait la même chose que parler de Dieu... Malgré tout, vous indiquez avec Minority Report une piste qui n’est pas inintéressante. En effet, le père que vous évoquez, John Anderton (joué par Tom Cruise), membre de l’entreprise Precrim, doit arrêter les criminels avant qu’ils ne commettent leur crime, à l’aide d’informations transmises par des humains ayant des capacités de précognition. Alors qu’il est l’objet d’une précognition le présentant comme assassin, il se retrouve face à face avec celui dont il a toutes raisons de penser qu’il est le « rapteur » (vous excuserez le néologisme) et le meurtrier de son fils. Sur le point de le tuer, il s’en retient de justesse, à l’instigation d’une « précognitive », et se contente de l’arrêter. Après moult péripéties, réussissant finalement à déjouer les fils de l’intrigue, il accuse le fondateur de Precrim d’avoir commis un assassinat. S’il se trouve alors livré à la merci de ce dernier, il lui laisse pourtant la possibilité de choisir entre l’éliminer, lui, Anderton, ou se livrer à la justice – et le fondateur se suicide. Au final, Anderton est donc innocenté et retrouve sa femme. Le dernier plan le montre enlaçant sa femme enceinte.

Vous aurez donc facilement repéré dans ce résumé fort rapide comment la paternité se trouve à l’aboutissement de la pratique juste, donc miséricordieuse de la justice... C’est-à-dire très précisément ce qui est bien les deux aspects sous lesquels Dieu se manifeste aux hommes de la Création à la Fin, en passant par la Rédemption : la justice et la miséricorde. La seule manière qu’a donc le cinéma de représenter Dieu, c’est de raconter une histoire de justice ou de miséricorde.

L.S. C’est donc qu’aucun film parlant directement de Dieu n’en parle en fait ? Seuls les films mettant en scène des personnages devant rendre la justice ou faire miséricorde sont donc des films représentant Dieu ? C’est bien la position à laquelle vous aboutissez ?

M.T. Oui, c’est bien cela. Nous laissons aussi de côté des films qui pourraient, à première vue, traiter de Dieu. Exit donc Pasolini et sa Dolce vita où la figure paternelle se suicide, où le Christ ne survole Rome qu’en étant hélitreuillé et où un poisson agonise sur un rivage. Nous nous dirigeons au contraire tout droit vers les westerns ou les films policiers ou judiciaires, notamment. Notamment, parce que la miséricorde et la justice ne sont pas seulement des histoires policières ou de restauration ou d’instauration de l’ordre dans des espaces sans loi ou où la loi pourtant connue est mal ou pas appliquée. Notamment aussi, parce que tous les films policiers ou les westerns ne sont pas tous centrés sur le rendu de la justice ou l’exercice de la miséricorde. Beaucoup peuvent être seulement des enquêtes, sans jugement, sans pardon, juste la recherche du coupable, de l’assassin, du criminel, qui doit être découvert, dévoilé, mis au jour, qui doit avouer d’une manière ou d’une autre. Notamment enfin, car beaucoup peuvent être consacrés à la vengeance, au rétablissement de la loi, et seulement de la loi et de l’ordre.

Laissons donc de côté Charles Bronson et les déclinaisons du Justicier dans la ville, ou les policiers avec Jean-Paul Belmondo ou Alain Delon. Nous n’y trouverons pas grand-chose pour notre sujet. En revanche, nous pouvons accueillir Unforgiven de Clint Eastwood (1992) où se confrontent une justice de shérif abusant de son pouvoir et une justice à la limite de la vengeance, livrée aux appétits financiers de justiciers fatigués ou novices, une justice radicale dans son tranchant, incarnée par un ancien criminel ayant renoncé à sa profession depuis son mariage. C’est finalement un ange ou un cavalier de l’Apocalypse qui apparaît, sans miséricorde, comme déjà antérieurement dans cet autre film de Eastwood, Pale Rider (1985) où un ancien prêcheur, revenu de la mort tout en en gardant les stigmates (les cicatrices des balles qui l’ont transpercé), vient détruire la puissance abusive d’un potentat local. Dans ces cas-là, la justice paraît aveugle, alors que, pourtant, elle vient faire droit impitoyablement ceux qui ne peuvent obtenir que leur droit soit respecté.

L.S. C’est malgré tout un peu brutal comme justice, bien violent, profondément noir ! Vos justiciers sont un homme sans passé, sans parole, sans état d’âme, un fantôme qui se venge (Pale Rider), et un homme qui, sous l’emprise de l’alcool, devient la brutalité incarnée, sans piété, se vengeant non seulement sur ceux qui s’opposent à lui, mais aussi sur leurs proches et tous leurs biens (Unforgiven). À cette aune-là, autant considérer que Django unchained de Quentin Tarantino (2012) met en scène la justice ! D’ailleurs, pourquoi pas : un esclave libéré par un chasseur de primes qui veut capturer des esclavagistes meurtriers, un chasseur de primes qui abat ceux qui veulent imposer la loi abusivement, un esclave qui libère sa femme en éliminant tous ceux qui ont profité du système lucratif de la plantation où l’homme est réduit à rien, un planteur qui manifeste combien il est injuste et pourrit tout son milieu.

M.T. Oh, croyez-vous vraiment ? Dans le thème, on pourrait le croire. Mais, avez-vous vu le traitement de Tarantino ? Qu’est-ce donc que ce film si ce n’est une esthétisation de la violence, une lecture baroque, pastiche, du western spaghetti, des films d’art martial et des pulps ? Rien n’est brut, tout est prétexte à l’humour, à l’excès et à la beauté, jusque dans la mort – les entrailles qui volent, le sang qui gicle, les ralentis, la musique. Il n’y a en fait pas de justice ici, et nulle miséricorde. Le chasseur de primes tue gratuitement, pour son profit, en retournant la loi à son profit, l’esclave libéré cherche sa femme et non la libération des esclaves ou le rétablissement de l’ordre. Les esclaves ne sont que des personnages, un arrière-plan, mais non ceux qui pourraient faire l’objet d’une intervention libératrice. Point de justice donc, juste une justice parodiée.

Quant à la question de la violence d’Eastwood, jamais esthétisée, toujours brutale même lorsqu’elle est euphémisée, faut-il oublier les images de la justice divine dont l’Écriture est emplie ? Relisez donc les prophètes et l’Apocalypse, et vous verrez la colère de Dieu, c’est-à-dire sa justice. En même temps, le prêcheur et l’ancien assassin laissent d’une certaine manière les hommes se juger eux-mêmes – ce qui n’est pas le cas chez Tarentino. Le « nettoyage final » auquel ils procèdent ne se produit que parce que la violence les a précédés. Les hommes récoltent ce qu’ils sont semé, et lorsque dans Unforgiven le justicier vengeur élimine le shérif et ses deputies, c’est en réponse à l’exécution sans jugement de son ami et à la tentative de le tuer lui, alors qu’il s’est contenté d’apparaître.

On retrouverait cette forme de justice dans Gran Torino de Clint Eastwood, encore lui, en 2008, lorsque Kowalski, le personnage principal joué par Eastwood, se rend chez la bande de petites frappes qui a voulu embrigader son jeune ami et a violé la sœur de celui-ci. Il s’avance le blouson fermé, leur intime l’ordre de laisser le quartier tranquille, malgré la menace des pistolets braqués sur lui. Il fait semblant de leur tirer dessus avec son doigt, puis sort une cigarette et demande « du feu » - « light », lumière, en anglais. Mais, comme on ne lui répond pas, il affirme avoir déjà « du feu » sur lui, et glisse la main dans sa veste. Les voyous, persuadés qu’il va sortir un pistolet, le criblent littéralement de balles immédiatement. Or, il attrapait effectivement son briquet.... Devenus assassins, les frappes sont arrêtées. Ici, la justice est passée, car le cœur des hommes a été révélé. Et, en même temps, c’est la miséricorde, car Kowalski donne sa vie pour libérer son jeune ami. Lorsqu’il tombe, abattu, un plan en plongée le révèle allongé sur le dos, les bras en croix, deux filets de sang coulant de ses poignets vers ses mains. Son jeune ami peut désormais vivre libre sa vie, un chemin lui est ouvert – qu’il parcourt effectivement, à la fin du film, dans la voiture qui lui a été léguée. Mais l’affiche ne disait-elle pas déjà tout cela : Kowalski, de profil, le visage tourné vers le spectateur, à moitié dans l’ombre, de noir vêtu, un tache blanche au niveau de son cou, comme un col romain, et, dans sa main gauche, un fusil : la justice de l’arme, la miséricorde du prêtre.

Cette dimension judiciaire de la miséricorde, elle se trouve aussi chez John Ford, dans Onto his destiny (Young Mister Lincoln) (1939). Henry Fonda y incarne le jeune avocat Lincoln qui sauve la vie de deux jeunes hommes accusés d’un assassinat qu’ils n’ont en fait pas commis. Ford met visuellement en scène la distinction entre la loi et la miséricorde. C’est bien sûr un film de procès. Lorsque la mère des deux accusés est appelée à témoigner par le procureur, c’est pour lui proposer un marché inique : accuser l’un de ses fils pour sauver l’autre, en la sommant de parler puisqu’elle a prêté serment et qu’elle est sous la coupe de la loi. Lincoln intervient alors pour opposer la justice naturelle à la loi de l’État. L’image est encore plus parlante. Lorsque Lincoln se dresse pour s’opposer au procureur, Ford compose soigneusement son plan. Au centre, au dernier plan, le président. Au premier plan, les deux accusés. Au second plan, à gauche, le procureur, à droite la mère et Lincoln. L’entrée dans le champ de Lincoln fait s’écarter de plus en plus vers la gauche le procureur, qui finit par sortir du champ. Seul Lincoln demeure un personnage actif, sa haute taille focalisant en fait l’espace. Puis, Ford change de plan et de point de vue, et montre Lincoln, s’avançant de gauche à droite vers la mère, le président trônant au second plan au centre droit. Lincoln justifie le refus de la mère de répondre et d’accuser un de ses enfants, s’avançant vers elle, masquant bientôt le président. La miséricorde s’impose ici totalement, et elle rétablit un ordre juste, celui des origines, celui qui fait qu’aucune mère ne peut être sommée de manière juste de choisir entre la chair de sa chair et la chair de sa chair.

Quant à la capacité de cette miséricorde d’être justice, elle se manifeste lorsque Lincoln découvre le véritable coupable, le témoin accusateur. Lincoln, à gauche, debout devant le bureau du président, conduit le témoin, assis à droite, à réitérer ses accusations : il a vu au clair de lune l’un des accusés porter le coup mortel. Lincoln dit alors qu’il n’a plus aucune question à lui poser, et celui-ci se dirige alors vers la barrière de sortie, au centre au premier plan. Mais Lincoln l’interrompt alors et, à l’aide d’un almanach, prouve qu’il a menti : le soir de l’assassinat, il ne pouvait y avoir de clair de lune, car celle-ci était dans son premier quartier. Puis il s’avance vers lui, le somme de dire la vérité et l’empêche de s’échapper, quand bien même il franchit la barrière pour se dérober aux questions précises et pressantes. En revanche, Lincoln demeure toujours derrière cette barrière, dans l’espace judiciaire, à la différence du shérif qui finit par franchir cette limite pour empêcher la fuite du faux témoin qui est aussi l’assassin. Il est des actes que la miséricordieuse justice ne commet pas – l’arrestation et la livraison à la foule, suggérée par l’attroupement progressif des assistants autour du faux témoin et leurs vociférations hors champ une fois que Lincoln s’est retourné vers le président et a laissé le témoin au procureur.

Dans ces deux scènes, la miséricorde se manifeste parfaitement. Elle empêche l’injustice légale, elle laisse la possibilité de se sauver en avouant. Elle est aussi inextricablement la justice, puisqu’elle fait que celui qui refuse le salut se juge lui-même en étant confronté à ce qu’il est vraiment – un menteur jusque dans l’aveu, puisque le coupable avoue en tentant de se dédouaner. Bref, Dieu juge les boucs et fait miséricorde aux brebis. Et, cela, le cinéma peut le donner à voir – lorsqu’il le veut bien.

Llydwine Soucouville, Née en 1971, diplômée de l’IEP de Paris, contrôleuse de gestion dans une grande banque.

P. Paul-Meriadoc Touque, Né en 1961, chargé de la pastorale des nouveaux moyens de communication du diocèse de Chicoutimi (Canada).

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