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A propos du livre de Davide Zordan "Connaissance et mystère. L’itinéraire théologique de Louis Bouyer"

Jean Lédion

Il faut saluer la parution, aux éditions du Cerf, en 2008, de l’ouvrage de Davide Zordan [1], comme un évènement. En effet, dans cet univers complexe et parfois touffu de la production théologique, où abondent de nombreux ouvrages ennuyeux dont la clarté n’est pas la qualité première, voilà enfin un livre d’un grand intérêt. Cet ouvrage est la suite logique de la thèse de théologie soutenue par l’auteur, à Bruxelles en 2004. Le titre « Connaissance et mystère » est parfaitement explicité par le sous-titre : « L’itinéraire théologique de Louis Bouyer ». L’ambition de Davide Zordan est bien de nous faire suivre la voie qu’a empruntée le P. Louis Bouyer (1913-2004) où son itinéraire personnel est inséparable de son chemin théologique, chemin qui aboutit à une synthèse théologique ouverte et dynamique.

Louis Bouyer

La production théologique de L. Bouyer est particulièrement abondante et s’étend de 1938 à 1994 (pour les ouvrages), mais l’itinéraire théologique du grand penseur oratorien concerne toute sa vie, comme cela peut apparaître à la lecture de ses mémoires (malheureusement encore inédits). Comme bien souvent, ce sont les aléas de la vie qui sont à la base de telle ou telle recherche, mais chez Bouyer, ils sont toujours l’occasion d’avancer dans la direction qu’il s’est fixée dès le début de sa carrière d’étudiant, puis de professeur. Pour ce qui est du contenu de cette œuvre, le lecteur trouvera, en fin d’ouvrage, une bibliographie presque complète des écrits de Bouyer. Quant à l’impact de ces écrits sur nos contemporains, un petit détour par internet est intéressant. Louis Bouyer est considéré comme un grand théologien sur les sites anglo-saxons, mais sa figure est beaucoup plus discrète sur les sites français et on a l’impression, que c’est dans les milieux « ecclésiastiques » qu’on a le plus tendance à l’ignorer. Un exemple significatif se trouve dans un article récent de Mgr Claude Dagens [2] qui, citant les grands théologiens du XXème siècle, parle de Congar, de Lubac, de Balthasar, de Daniélou, Chenu et K. Rahner…mais ne dit pas un mot de Bouyer ! Cette injustice est sans doute liée au fait que Bouyer, dont le caractère était déjà très « entier » lorsqu’il était jeune, et qui s’était radicalisé dans sa vieillesse, s’était coupé du petit monde de l’Église de France dont la rigueur théologique n’était pas la préoccupation première au cours du siècle écoulé. Bouyer a été ainsi mis à l’écart (il n’enseigne plus guère qu’à l’étranger), et, avec l’oubli de l’homme, on a bien sûr oublié son œuvre théologique magistrale. C’est pourquoi le livre de D. Zordan apporte au public francophone la possibilité de réparer cet oubli tout en apportant une clé de lecture. Par ailleurs, il faut signaler que les éditions du Cerf ont très opportunément commencé à republier des ouvrages anciens de Bouyer qui étaient devenus introuvables ; ce dont nous avons fait état dans Résurrection (rubrique « Recensions ») .

La démarche de Davide Zordan

Pour traiter son sujet, D. Zordan a fait le choix de l’aborder en trois grandes sections qu’il a habilement agencées pour que la démarche intellectuelle paraisse logique ; même si ce choix est arbitraire, il faut reconnaître que le résultat est assez convaincant. La première partie qui occupe trois gros chapitres est consacrée aux « Fondements ». On y trouvera donc tous les thèmes qui ont nourri la théologie de Bouyer. La seconde partie, intitulée « Dialogue », est plus inattendue. Cependant sa lecture montre bien, malgré parfois quelques longueurs, que notre théologien a progressé dans l’approfondissement de sa vie et de son œuvre grâce à un certain nombre de rencontres avec des personnages de son époque ou aussi avec des hommes déjà morts comme J.H.Newman. Enfin, la troisième partie est consacrée à la « Synthèse ». Comparativement aux deux précédentes, elle paraît un peu courte, mais elle est d’une grande densité.

Mais avant d’entre dans le vif du sujet, il convient de revenir à la bibliographie dont nous avons évoqué quelques aspects en introduction. Comme tout bon chercheur, D. Zordan a fait une étude bibliographique très exhaustive sur les œuvres de Bouyer et sur les travaux suscités par ces œuvres. Il n’est pas sans intérêt pour le lecteur de prendre un peu de temps pour parcourir ces références bibliographiques avant d’entamer la lecture de l’ouvrage. Après 13 pages consacrées aux ouvrages proprement dits et aux articles de revues se trouve la liste, étonnamment mince, des « travaux sur la pensée de L. Bouyer ». Une trentaine de références en tout et pour tout. Et encore, il faut signaler la quasi absence de travaux récents, hormis quelques articles publiés à la suite du décès de notre théologien. Si l’on compare le nombre de ces travaux à ceux qui ont déjà été suscités par les œuvres d’auteurs comme les Lubac ou Balthasar, c’est effectivement très mince. Le défi de Davide Zordan a été de remédier à cet état de fait, ce dont il faut le remercier bien sincèrement. Son objectif, à travers les deux mots « connaissance » (en grec il s’agit bien sûr de gnôsis) et « mystère » (musterion) est de montrer toute la cohérence de la construction théologique de Louis Bouyer, construction dont l’aboutissement, dira Zordan, est une synthèse et non un système.

Quels sont les fondements ?

Avant d’exposer cette synthèse proprement dite qui, chez Bouyer, se cristallise en 6 ouvrages, trois sur l’« économie » et trois sur la « théologie », D. Zordan va expliciter dans la partie « fondements », en trois volumineux chapitres, les thèmes qui vont structurer le travail théologique de Bouyer dès l’époque où il n’est encore qu’étudiant de la faculté de théologie protestante de Paris (puis de Strasbourg) ; il s’agit de :

1 – Parole de Dieu, Bible et Évangile

2 – La Parole célébrée : théologie et liturgie

3 – Les chemins de l’Esprit et l’humanisme de la Croix

Dans ces trois chapitres, qui occupent presque la moitié du livre, l’auteur détaille quels sont les éléments qui ont contribué à forger la personnalité intellectuelle de Bouyer, d’abord dans le protestantisme, puis au sein de l’Église catholique. Il peut ainsi montrer que l’originalité de Bouyer est en fait très liée à sa curiosité « tous azimuts », curiosité doublée d’une allergie congénitale à tout esprit de système, et aussi à toute « spécialisation » en matière de théologie. C’est pourtant ainsi que notre futur oratorien va cependant dégager, dès ses années de jeunesse, mais aussi grâce à sa formation dans le protestantisme, le rôle unificateur de la « Parole de Dieu ». C’est pourquoi on peut dire qu’au départ, la théologie de Bouyer est d’abord une théologie johannique : « Au commencement était le Logos ». Ce n’est donc pas par hasard que son premier ouvrage, publié alors qu’il était encore protestant, en 1938, est : « Le Quatrième Évangile ; Introduction à l’Évangile de Jean, traduction et commentaire ». Ce thème de la « Parole » Bouyer va l’orchestrer dans son exposition de l’histoire du salut et dans ses travaux sur la liturgie. Il va ainsi montrer de manière lumineuse, et aussi compréhensible pour un chrétien du XXème siècle, que « le lieu du culte est le même que le lieu de la doctrine » comme déjà le rappelait saint Thomas d’Aquin. Malheureusement beaucoup l’avaient oublié, y compris les disciples de saint Thomas ! Ce que Bouyer va donc remettre en évidence, c’est que cette Parole n’est pas uniquement proférée pour nous instruire, mais d’abord pour nous sauver. D’où un troisième domaine où va s’exercer l’activité de Bouyer, celui de la spiritualité. Tout cela est remarquablement développé par D. Zordan qui, ensuite, rappelle que parler de « Parole » implique aussi la prise en compte de tous les problèmes exégétiques. La encore, il va montrer comment la curiosité naturelle de Bouyer le conduit à extraire du maquis des innombrables productions exégétiques, avec une grande sûreté de jugement, les études qui lui paraissent essentielles pour sa démarche, tout en omettant de parler des travaux secondaires.

En s’affrontant à l’exégèse, l’auteur montre que notre oratorien choisit d’emblée la méthode exégétique « globale » qui était celle des Pères de l’Église, d’abord et surtout celle des Pères grecs. Son admiration pour les Pères grecs, sans doute acquise lors de ses fréquentations de jeunesse auprès des milieux orthodoxes français, lui fait souvent négliger l’apport pourtant indiscutable des Pères latins. L’équilibre de sa synthèse s’en ressentira. Mais dans le contexte du XXème siècle, évoquer le thème de la Parole, c’était aussi rencontrer une grande figure du protestantisme, en l’occurrence Karl Barth. Grâce à lui, s’était dessinée une réaction salutaire contre le protestantisme libéral. Mais Barth, en voulant exalter la transcendance absolue de la Parole de Dieu en arrivait à lui dénier toute action transformante chez le croyant. D. Zordan a ainsi l’occasion d’analyser finement la réaction et la critique de Bouyer vis-à-vis des thèses de Barth en montrant qu’elles sont toujours présentes dans ses œuvres, même si celui-ci est rarement nommé.

De la Parole à la Connaissance et au Mystère

Cette orchestration de la Parole dans l’œuvre de Bouyer va jouer un rôle unificateur de sa pensée. D. Zordan l’établit en analysant les œuvres de la maturité qui s’étalent sur un quart de siècle, de 1950 à 1975 (environ). L’insistance de Bouyer se focalise sur le fait que cette Parole de Dieu est antérieure à toute démarche de l’homme, mais que c’est aussi une parole qui attend une réponse, réponse elle-même suscitée par Dieu lui-même. Cette réponse va s’esquisser dans l’histoire d’Israël avec le développement progressif de la « berakah », cette formule de bénédiction, de louange et de reconnaissance de l’homme qui bénéficie de la grâce divine. La berakah s’exprime surtout, et avant tout, dans l’assemblée liturgique rassemblée pour écouter la Parole, pour être la réponse par excellence à cette Parole. Le couronnement suprême, dans l’Ancien Testament, de toutes ces berakoth sera l’ultime berakah du Christ, au soir du jeudi saint, qui fera naître la liturgie chrétienne en épanouissant de manière définitive, et non en pas en l’abolissant, la liturgie de la synagogue. Partant de là, Bouyer peut montrer le rôle central de la Parole, Parole alors totalement incarnée qui est le Christ, dans l’assemblée liturgique. La liturgie n’est que le lieu de la proclamation de cette Parole et de la réponse à cette Parole qui est, au sens propre, l’« eucharistie ». C’est pourquoi cette parole est transformante et conduit à la « connaissance », connaissance qui n’est pas d’abord intellectuelle, liée à l’acquisition d’un savoir, mais connaissance vitale dont le but est l’activité transformante de la grâce. C’est alors que la « connaissance », conduit à l’intelligence du « mystère », c’est-à-dire du dessein inouï de Dieu d’élever la créature à cette béatitude que les grecs ont appelée « divinisation ». Pour Bouyer, suivant ici saint Paul plutôt que saint Jean, la clé du mystère, c’est la Croix. Et la révélation de la Croix, c’est, toujours suivant saint Paul, la victoire du Christ sur les « puissances », c’est-à-dire sur toutes les puissances démoniaques que L. Bouyer, contrairement à beaucoup de théologiens de son époque, incite à considérer avec le plus grand réalisme. Ce réalisme vis-à-vis de Satan et de ses anges, va guider toutes ses études sur l’ascétisme et la spiritualité en général. On voit ainsi, se dessiner toute la cohérence de sa pensée dans laquelle théologie, économie, liturgie, spiritualité, sacrements s’ordonnent de façon cohérente.

Newman, dom L. Bauduin et l’œcuménisme

Dans la seconde partie du livre intitulée « Dialogue » l’auteur s’attache à mettre en valeur les milieux très variés que Louis Bouyer a rencontrés. Ces divers milieux ont eu en effet un rôle essentiel dans son itinéraire théologique, soit qu’il les ait fréquentés par curiosité intellectuelle, soit qu’il ait trouvés au hasard de ses pérégrinations. Le premier milieu, c’est bien sûr sa famille et la piété protestante qui y règne, dont ses mémoires nous livrent quelques aspects. C’est ensuite celui des facultés de théologie protestante où l’on rencontre la figure d’Oscar Cullman, dont Bouyer parle peu, mais dont l’influence est certaine. Mais la curiosité de l’étudiant pasteur l’amène aussi, dès cette époque, à fréquenter les milieux de l’orthodoxie. Cependant, c’est son travail de thèse de théologie protestante sur « L’incarnation et l’Église corps du Christ dans la théologie de saint Athanase  » qui va jouer un rôle essentiel dans son ouverture œcuménique et sa démarche personnelle. Davide Zordan nous incite à penser que c’est alors que Bouyer découvre que l’Église, chez saint Athanase, est une réalité bien différente de l’idée qu’en véhiculent les différentes communautés protestantes. C’est sans doute à ce moment de grand bouillonnement intellectuel qu’il prend conscience que les diverses communautés protestantes, si pieuses et si attachantes soient-elles, ne sont pas des Églises au sens strict, comme les Églises orthodoxes ou catholique.

Ce travail de thèse aura sans doute un point de départ dans son évolution vers le catholicisme, mais aussi dans son intérêt pour le mouvement œcuménique, mouvement encore embryonnaire, mais particulièrement vivant à la veille de la seconde guerre mondiale. Cet intérêt pour l’œcuménisme l’amènera se pencher sur la grande figure de Newman. Selon Zordan, Bouyer va suivre un cheminement analogue à celui de Newman, cheminement qui semble avoir duré toute sa vie et dont on peut se demander si l’analogie de la démarche n’a pas conduit Bouyer à s’identifier, dans les diverses étapes de sa vie, plus ou moins consciemment avec son illustre modèle.

Mais une autre rencontre, cette fois ci avec un personnage vivant, va jouer un rôle amplificateur. Il s’agît de la rencontre presque fortuite avec dom Lambert Bauduin, prêtre belge, devenu moine bénédictin pour mieux réaliser son désir de restauration liturgique, mais aussi son désir d’œcuménisme. Cette rencontre fut sans doute providentielle en permettant alors à Bouyer d’avoir à la fois un guide théologique chez Newman et un guide liturgique et œcuménique chez dom L. Bauduin. Tous ces aspects sont longuement analysés par l’auteur qui, bien sûr, ne se limite pas à ces deux figures et examine tous les autres personnages que Bouyer appréciera, même s’il reste très critique sur tel ou tel aspect de leur pensée. Il est à noter que, pour Zordan, J.H.Newman est le personnage essentiel, car il n’hésite pas à consacrer un chapitre entier à son sujet. Mais pour conclure sur cette partie du livre, laissons-lui la parole en citant deux passages éclairants sur ces questions :

L’œcuménisme n’est pas tellement une préoccupation parmi d’autres à l’intérieur de l’œuvre de Bouyer qu’un mouvement naturel de son parcours théologique » (p 468) et « Telle est la place occupée, dans la théologie de Bouyer par ces auteurs protestants [3] qui valorisent au mieux les intuitions originelles de la Réforme. Mais un espace non moins significatif y est consacré à cette pensée orthodoxe qui, dans les traces des Pères d’Orient, est porteuse d’autres éléments indispensables, en vue de la construction d’une théologie ouverte à toutes les dimensions de l’Évangile. […] Cette vaste information à laquelle le théologien ne cesse de recourir, passant avec une parfaite aisance à travers les diverses époques et confessions chrétiennes, donne à son œuvre un caractère très défini et tout particulier. La préoccupation œcuménique n’en est qu’un aspect, mais elle transparaît constamment. Le mouvement vers l’unité est la motion naturelle et implicite d’une théologie à l’écoute de la Parole de Dieu, une théologie soucieuse des multiples richesses semées dans le champ du christianisme, en tout temps et à toutes les latitudes » (p. 469).

La synthèse théologique

Après avoir écrit plus de 500 pages denses et jamais ennuyeuses sur tout ce qui a contribué à forger et à épanouir la pensée de Louis Bouyer, Davide Zordan s’attaque au difficile exercice qui consiste à exprimer quelle est cette synthèse théologique de notre oratorien. Il traite le sujet en deux chapitres dont les titres sont significatifs :

  • Au cœur du mystère : le Fils éternel
  • L’irradiation du mystère : Sagesse et « agapè »

Or, une lecture attentive des œuvres de Bouyer montre qu’il a formulé très tôt les principaux éléments de sa synthèse théologique que l’on va retrouver dans telle ou telle publication de la jeunesse ou de la maturité. Mais les ouvrages de synthèse, parus sous la forme de deux trilogies : « Création et salut » et « Connaissance de Dieu » sortent entre 1970 et 1982, hormis « Le trône de la Sagesse » sorti en 1957. Ainsi, tous les thèmes chers à Bouyer ont été repris et approfondis longuement. On peut même ajouter qu’après cette parution, une dernière trilogie, en trois volumes ramassés, Mysterion (1986), Gnôsis (1988) et Sophia (1994) sera comme l’ultime approfondissement, voire testament, sur ces thèmes. Le lecteur comprendra aisément que nous ne nous risquerons pas, dans le cadre de ces quelques lignes, à faire une synthèse de cette synthèse ! Néanmoins, on peut relever quelques pistes à explorer. Tout d’abord, Zordan considère que c’est l’ouvrage sur le Christ, Le Fils éternel, qui est la clef pour la compréhension de la trilogie sur la connaissance de Dieu (la « théologie ») et que l’« économie » ne peut être abordée que par le Christ. Notons, d’ailleurs, que l’ouvrage sur Le Fils précède la parution des ouvrages sur Le Père et sur L’Esprit-Saint. Il l’exprime ainsi à la fin du chapitre 6.

Ainsi nous touchons à un point capital de l’économie de la Révélation. Le Christ n’est pas le Premier-né de la création (voir Col 1, 15 ; He 1, 6) pour devenir, après coup, le Premier-né d’entre les morts (Col 1. 18 ; Ap 1, 5). C’est au contraire parce qu’il s’est manifesté à nous comme Premier-né d’entre les morts qu’il a pu être reconnu, dans la foi nourrie de l’Esprit de sa résurrection, comme le Premier-né de toute la création. Ainsi la fin éclaire le principe, et le dessein éternel de la Sagesse incréée se dévoile à nous lorsque tout est accompli (voir Jn 19, 30), lorsque l’Esprit répandu sur l’humanité avec le dernier souffle du Crucifié, ouvre à la connaissance du mystère.
Gnôsis et mysterion : nous retrouvons ce couple de concepts, véritable fil rouge traversant la théologie de Louis Bouyer, au terme de notre analyse christologique. La protologie tout comme l’eschatologie ne se dévoilent pas à l’intelligence du croyant par quelque gnosticisme élitaire dont les savants garderaient le secret. Mais le Père en donne pleine connaissance aux simples, dans son Fils éternel, auquel tout a été remis pour qu’il le rende au Père lui-même dans l’eucharistie de son amour accompli : « Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l’avoir révélé aux tout-petits. Oui Père, car tel a été ton bon plaisir » (Mt 11.25 et Lc 10.21) (p 637).

Que conclure ?

L’auteur nous a facilité la tâche en plaçant dans son épilogue, qui sert de conclusion à son travail, sept allégations (p 767-769) qui lui semblent bien résumer la théologie de Louis Bouyer :

  • La Parole du Dieu vivant nous fait vivre,
  • Le dessein du salut est une histoire de Dieu parmi nous,
  • C’est dans la liturgie que la Parole déploie sa virtualité de parole-action, d’acte de salut,
  • Le rituel est vecteur de notre perception du sacré et de notre salut,
  • La Parole engage une pratique de « démythologisation »,
  • Le seul humanisme chrétien est l’humanisme de la Croix,
  • La pratique théologique est essentiellement un œcuménisme « des racines »

Toutes ces affirmations sont à entendre dans le style à la fois vigoureux et polémique de Bouyer. Le lecteur de Résurrection ne sera pas dépaysé, car L. Bouyer y a joué un rôle important sur la ligne éditoriale, comme le rappelait, à juste titre, L. Perrin [4] à l’occasion du numéro 120/121 consacré au cinquantenaire de la revue, paru en 2007. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’inciter nos lecteurs à lire le grand ouvrage de Davide Zordan, mais aussi à prendre le temps de lire les œuvres de Louis Bouyer, dont certaines sont en cours de réédition. Il faut aussi souhaiter que le travail accompli par D. Zordan soit suivi par d’autres études consacrées à la théologie du maître oratorien.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

[1] Davide Zordan, Connaissance et mystère, l’itinéraire théologique de Louis Bouyer, Cerf, Paris, 2008, 803 p.

[2] C.Dagens, Théologie et raison contemporaines, Communio (ed.fr.), XXXIII, 4, n° 198, 2008.

[3] Il s’agit des théologiens de Lund (de la première moitié du XXème siècle.

[4] Luc Perrin, « Cinquante ans de la revue Résurrection », Résurrection, 120-121, juil.-oct. 2007, 21-38.

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