Adoro Te devote
Les hymnes eucharistiques de saint Thomas d’Aquin ont été écrits entre 1261 et 1265, d’après la demande du pape Urbain IV pour la fête du Saint Sacrement. En effet, une fête liturgique avait été instituée sous l’impulsion de Sainte Julienne de Mont Cornillon vers 1240, afin de célébrer de façon plus spéciale l’institution de l’Eucharistie. Saint Thomas d’Aquin composa donc des hymnes pour les offices ainsi que pour la messe.
Il s’agit dans ses hymnes d’affirmer et de célébrer la présence réelle de Jésus dans son sacrement. Cependant, il ne s’agit pas ici d’une somme théologique, mais d’une formulation de la foi, destinée à l’Église universelle. Nous traiterons ici de quelques-uns de ces hymnes.
L’Adoro te devote, l’un des cinq hymnes composés par saint Thomas, est celui qui se réfère le plus directement à l’adoration eucharistique en tant que telle :
« Je t’adore dévotement, Dieu caché ». Deux éléments ici sont mis en avant : la dévotion avec laquelle nous contemplons Jésus vraiment présent dans le sacrement, en se laissant saisir par Lui ; mais également le fait que ce Dieu que nous regardons, que nous avons devant nos yeux, est caché.
Comment contempler (contemplans) alors ce Dieu qui reste caché dans sa présence même ? Si les sens ici font défaut, c’est parce que le seul sens qui nous permet de le percevoir, c’est l’écoute :
Croire en ce qu’a dit Jésus, le fils de Dieu, est ce qui permet, ce qui fonde la foi. Nous pouvons l’adorer, le contempler, parce que Lui-même nous dit qu’il est présent.
Pour contempler, il s’agit alors d’écouter sa Parole ; pour l’adorer, il s’agit de croire en cette parole avec dévotion et amour. Les verbes-clés alors dans l’adoration eucharistique sont : contempler, écouter, confesser, aimer et regarder. Il s’agit de confesser la vérité de la croix, la vérité de la Parole divine, de se confesser pécheur également, et d’attendre, d’avoir soif de cette rencontre, afin de pouvoir un jour le contempler la face dévoilée :
Car il est si grand, ce sacrement ! Le Tantum ergo, que nous chantons toujours au moment de salut du Saint Sacrement, fait en réalité partie d’un hymne plus long, le Pange lingua, composé également pour la fête du Saint Sacrement. Il répète ce que dit déjà le Adoro te devote : venant à la fin de la séquence, il insiste sur la nouveauté du sacrement, mais aussi sur la nécessité de la foi. L’adoration, selon saint Thomas d’Aquin, doit dépasser ce qui est visible par les sens. Ce que le chrétien adore n’est pas d’abord accessible par le toucher, le goût, mais par la foi.
Le fait que cette nécessité de la foi, par-delà la défaillance des sens, soit répétée inlassablement dans les hymnes de saint Thomas, montre son souci d’affirmer que le Christ est réellement présent dans les « espèces » eucharistiques. Ces textes sont antérieurs à la rédaction de la Somme Théologique, et saint Thomas n’y emploie pas le mot de « transsubstantiation » mais plutôt le terme de « conversion substantielle », cependant il n’y a pas d’hésitation quant à la réalité du sacrement. Dieu agit par des signes, mais il ne faut pas en conclure que ce ne sont que des signes. Le Christ est réellement présent dans ce signe, et il agit. La dernière partie de l’hymne des laudes Verbum supernum prodiens nous le montre :
Dieu nous donne la vie à travers ses sacrements et à travers l’adoration eucharistique, il nous nourrit. Saint Thomas d’Aquin ne sépare donc pas l’adoration eucharistique de la communion. Nous le voyons dans l’hymne Pange Lingua :
La reconnaissance de la réalité de l’eucharistie, et du don qui nous est fait et qui nous nourrit, entraîne l’adoration. Et saint Thomas insiste dans l’hymne Panis Angelicus :
Par l’adoration et par la communion, le Christ nous conduit à la vie éternelle, en nous la donnant déjà sur cette terre. Nous pouvons alors le contempler, l’adorer et vivre de sa vie si, comme saint Thomas d’Aquin, nous le lui demandons :
Jaqueline Silverio, née en 1990, Master 1 d’Études Anglophones à la Sorbonne (Paris IV).