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Billet sémantique : la foi

Benedictus

Si nous ouvrons le Petit Robert, nous voyons que l’article « foi » se répartit sur deux alinéas, qui distinguent un sens objectif et un sens subjectif. Le premier s’énonce ainsi : « assurance donnée d’être fidèle à sa parole », et le second : « fait de croire quelqu’un, d’avoir confiance en quelque chose ». Comme exemples du premier sens, le dictionnaire cite surtout des locutions : « sur la foi de, faire foi, bonne (ou mauvaise) foi… » ; pour le second sens, il fait une grande part aux emplois religieux. Cette double définition permet de mettre en évidence quelques notions qui apparaissent dans le contexte d’emploi du mot. En première approche, on peut en retenir deux : la parole et la confiance.

« Assurance donnée d’être fidèle à sa parole » : qui dit « foi » dit « parole », prononcée d’abord, respectée ensuite. Certes, le mot de « parole » a ici la connotation singulière d’engagement, de promesse : il s’agit de tenir un engagement pris dans un dialogue ou en public. Mais plus fondamentalement, la parole est présente aussi à l’arrière plan du second sens du mot : « croire quelqu’un » signifie « croire en sa parole », en ce qu’il exprime de lui-même – ou du monde qui l’entoure – par le langage. Cette simple remarque est en harmonie avec l’élément raisonnable, pour ne pas dire rationnel, de la foi chrétienne, car parole se dit logos en grec, verbum en latin : toute parole humaine contient une part de rationalité, et la foi en Jésus-Christ n’exclut pas l’intelligence, mais elle s’adresse à elle comme à une très noble partie de l’être humain.

« Avoir confiance en quelque chose (ou en quelqu’un) » : la « foi » apparaît ensuite comme une attitude humaine équivalente de la « confiance », les deux mots français ayant d’ailleurs la même origine et se rattachant à la racine du verbe « (se) fier à ». Cette attitude a son antagoniste, la « défiance », qui refuse la relation profonde entre les personnes et qui en reste à la superficie de fréquentations, dues au hasard ou aux nécessités de la vie sociale, mais qu’on ne souhaite pas prolonger ou renouveler. La confiance implique au contraire un don de soi, plus ou moins profond selon les circonstances, qu’on fait à autrui, dans une relation féconde entre deux personnes, qui s’appuie précisément sur une parole autour de laquelle s’est noué un échange de deux volontés, temporaire ou durable, furtif ou solennel.

Poursuivons l’enquête dans les dictionnaires. « Foi » traduit le latin fides, qui possède aussi l’acception de confiance, et qui est parent, comme nous l’apprennent les linguistes [1], d’un autre mot latin, foedus, « traité, pacte », qui a donné en français la famille des mots « fédéral, fédérer, fédération ». Ici se marque plus précisément le lien entre « foi » et « alliance ». Le lecteur de la Bible ne peut alors manquer de songer à Abraham, le « père des croyants », avec lequel Dieu conclut une alliance qui doit se perpétuer au fil des siècles : « J’établirai mon alliance entre moi, toi et après toi les générations qui descendront de toi. » (Gn 17, 7, TOB) Cette alliance semble reposer sur un engagement unilatéral de la part de Dieu : assurer une descendance perpétuelle à Abraham, alors très âgé. Elle repose en fait sur un échange, dont le texte du livre de la Genèse souligne un peu plus haut la dimension humaine, juste après la promesse de descendance : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et pour cela le Seigneur le considéra comme juste. » (Gn 15, 6) En échange de la promesse de Dieu, Abraham donne sa confiance, sa foi.

Deux remarques viennent ici à l’esprit. D’une part, le verbe grec employé dans la version des Septante pour ce passage est pisteuô, formé sur le substantif pistis, l’équivalent grec de fides  ; et la racine de pistis est le verbe peithomai, « obéir ». La foi qu’Abraham donne au Seigneur est de l’ordre de l’obéissance : c’est une adhésion à la promesse reçue qui emporte l’assentiment plein et entier de l’intelligence et de la volonté. D’autre part, nous ne pouvons oublier que ce verset du livre de la Genèse est habilement utilisé par saint Paul pour mettre en lumière le fondement véritable de toute alliance scellée par Dieu : avant même le don de la Loi au peuple hébreu, ce fondement est la promesse de bénédiction reçue par Abraham comme une parole sûre, avec foi. « Cela lui fut compté, mais pour nous aussi, la foi sera comptée, puisque nous croyons en Celui qui a ressuscité d’entre les morts Jésus notre Seigneur, livré pour nos fautes et ressuscité pour notre justification. » (Rm 4, 24)

Nous sommes ici au cœur de la foi chrétienne : Dieu nous a donné son Fils, il nous demande en échange de le recevoir parmi nous et d’adhérer à ce projet inouï qui consiste à sauver l’humanité entière en ce même Fils Jésus. Dès lors, par un renversement extraordinaire, le modèle de la relation entre le croyant et la divinité, relation présente en toute religion, est non seulement un modèle de confiance, que la religion juive a reçu et conservé, mais c’est le modèle de Dieu lui-même venu en Jésus nous tracer le chemin de l’obéissance et de la foi : « De même en effet que, par la désobéissance d’un seul homme, la multitude a été rendue pécheresse, de même aussi, par l’obéissance d’un seul, la multitude sera-t-elle rendue juste. » (Rm 5, 19)

Un tel discours peut paraître sévère en ces temps de crise économique et sociale, ou entièrement décalé par rapport au discours dominant de l’individualisme, de la relativité des idées et du laisser-aller des mœurs. C’est pourtant la voie du bonheur, celle de la marche à la suite du Christ humble et doux : la foi est un chemin de montagne où nous sommes en sécurité, car le Seigneur Jésus nous précède, lui qui n’a pas recherché sa volonté, mais celle de son Père. Ce chemin nous conduit déjà, à travers les joies et les épreuves d’ici-bas, à anticiper le bonheur de la Jérusalem céleste, comme l’exprime avec précision l’admirable Lettre aux Hébreux, témoignage inégalé de la foi des premières communautés chrétiennes : « La foi est une manière de posséder déjà ce qu’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas. » (He 11, 1)

[1] Voir Le Grand Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Paris, 2000, s. v. fido, p. 672 : « cf. fidus, fides, foedus ».

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