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Blaise Pascal, penseur de la Grâce (Hervé Pasqua)

Préface de Philippe Sellier, Ed. Pierre Téqui, 2000.
Charles-Olivier Stiker-Métral

L’idée d’H. Pasqua est de proposer une lecture parallèle des Pensées et des Écrits sur la Grâce, du plus connu et sans doute du plus négligé des textes de Pascal. Le projet apologétique des Pensées, qui montre la recherche de Dieu par l’homme, trouve son fondement dans l’œuvre théologique, qui montre la recherche de l’homme par Dieu. Une telle symétrie paraît déjà bien pascalienne. Elle permet tout d’abord un itinéraire à travers les Pensées. L’auteur rappelle tout d’abord la dimension apologétique des textes laissés par Pascal, projet paradoxal qui devra montrer la nécessité de la grâce. Le public visé par Pascal est celui des honnêtes gens, qui proposent un idéal social profane, fondé sur un art de plaire et une stratégie de déguisement de l’amour de soi. Pascal remet en question ce projet, montrant sa contradiction, puisqu’il fait de la vie sociale le lieu de l’inauthentique comme réponse à un désir d’authenticité. Cette contradiction conduit à la description de la misère de l’homme sans Dieu. On relit avec H. Pasqua quelques grands textes pascaliens, la théorie du divertissement, la théorie des trois concupiscences. Vient ensuite la prise en compte de la stratégie apologétique, avec le grand texte sur les trois ordres, le fragment sur le cœur et la raison. La religion chrétienne impose un bon usage de la raison, éclairée par la connaissance de Dieu, “ sensible au cœur ”, par cette faculté de saisir la Vérité de façon intuitive. Ce à quoi tend tout le projet apologétique de Pascal est au bout du compte de une connaissance de soi et de sa misère qui fait haïr l’amour de soi. H. Pasqua propose donc une lecture des Pensées dans la lignée de celles d’Henri Gouhier, de Jean Mesnard et de Philippe Sellier, trois grands spécialistes de Pascal et de sa pensée religieuse. La deuxième partie du livre étudie les Écrits sur la Grâce, un texte difficile, inachevé, resté manuscrit, constitué de fragments dont l’ordre est un casse-tête éditorial. Une annexe précise d’ailleurs fort utilement les choix éditoriaux et leurs enjeux sur l’un et l’autre texte. Il faut tout d’abord replacer ces écrits dans le contexte de violentes polémiques autour de l’interprétation des textes augustiniens, aussi bien entre catholiques et protestants qu’entre les catholiques eux-mêmes. La théologie augustinienne de la grâce, que pascal affirme suivre fidèlement, sert de fondement à l’anthropologie des Pensées : c’est parce qu’il a perdu la grâce que l’homme est soumis à la concupiscence. L’analyse des Écrits amène H. Pasqua à dévoiler un Pascal plus thomiste que jansénien, refusant l’idée que la nature d’Adam a été entièrement détruite par le péché, refusant aussi l’idée d’un état originel où la grâce aurait été le complément nécessaire et donc non gratuit de la nature humaine, deux des positions de Jansénius dans son Augustinus, qui se veut une présentation de la doctrine d’Augustin. Toutefois, Pascal partage avec ce théologien l’idée de délectation victorieuse, qui considère la grâce comme nécessairement plus attirante que la concupiscence, et qui pose au moins autant de problèmes que la pure nature, ne serait-ce que parce qu’elle risque de faire concevoir les rapports de la nature et de la grâce comme une pure mécanique. C’est la question de l’interprétation historique globale des controverses sur la grâce qui est soulevée, car, comme le rappelle, P. Sellier dans sa préface, il s’agit de savoir si le jansénisme est un authentique augustinisme – et en le condamnant, l’Église aurait condamné la doctrine de saint Augustin – ou si l’Église catholique a été conduite dans cette querelle à clarifier ses positions contre un augustinisme gauchi et radicalisé. L’ouvrage d’H. Pasqua est une pièce dans ce débat d’autant plus crucial que la récente signature d’un accord luthéro-catholique sur la justification remet le problème de la grâce et des œuvres au premier rang des préoccupations de la théologie d’aujourd’hui.

Cet ouvrage est donc une présentation à la fois claire et originale des deux textes de Pascal, un Pascal que l’auteur veut gage d’un regard critique sur une modernité qui prétend sauver l’homme à l’aide de ses propres forces. Ce penseur de la grâce permet de comprendre la liberté comme un don gratuit de ce dont l’homme “ a nécessairement besoin pour atteindre sa fin surnaturelle ”.

Charles-Olivier Stiker-Métral, né en 1976, marié, pensionnaire de la Fondation Thiers.

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