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Brève exhortation à la pénitence

Pasteur Michel Viot
Le pasteur Michel Viot, qui donnera à Saint Germain L’Auxerrois une série de Conférences de Carême, nous a confié ce texte où il essaie de rendre compte de la doctrine catholique auprès des fidèles de son Église luthérienne. Nous sommes heureux d’ouvrir nos colonnes à cet article qui nous présente une analyse de la communion des saints très proche de la nôtre.

Si vous êtes bien conscients de l’amour que Dieu nous a manifesté en laissant mourir Son Fils Jésus-Christ à notre place, vous savez dans le fond de votre cœur qu’aucune action de grâce ne sera jamais assez grande pour Le remercier d’une telle miséricorde. Vous sentez aussi que nulle pénitence n’atteindra jamais la perfection qui convient et cependant vous en reconnaissez la nécessité…

Oui, la pénitence est nécessaire parce qu’après le Baptême le chrétien demeure enclin au mal ! Il s’agit de la lutte entre le vieil Adam et le nouvel Adam.

Cependant, pour quelles raisons, aujourd’hui, dans toutes les Églises, la pénitence est-elle négligée ?

Ne pourrions-nous pas, en guise de réponse, discerner ici la Loi mise sous le boisseau, le péché camouflé voire masqué y compris dans les Églises, les péricopes dominicales tronquées avec l’élimination de toute idée de justice punitive de Dieu, de péché, de condamnation éternelle, etc. ?

Voici pourquoi, en tant que pasteur de l’Église, vivant la pénitence et comme pécheur et comme ministre des clefs [1], il m’a paru nécessaire d’écrire ce texte pour nous, fidèles qui désirons véritablement nous engager à suivre notre Maître, car il nous faut dès lors nous charger de notre croix dans la lutte contre le mal !

De plus, il me semble nécessaire, et particulièrement aujourd’hui, d’inscrire la pénitence dans une prospective œcuménique, d’une part parce que toutes les églises sont concernées et d’autre part parce que la pénitence, comme tout acte de foi chrétienne, doit nous faire avancer sur le chemin de l’unité visible et non nous diviser par des incompréhensions.Or, nous ne pouvons pas ignorer que le schisme entre catholiques et luthériens partit d’une querelle concernant la pénitence.

Ainsi, après avoir rappelé l’historique du débat sur la pénitence dans notre Église luthérienne, après avoir réfléchi sur les fondements et implications doctrinaux d’une telle théologie de la pénitence et après avoir tenté d’éclaircir, de mon propre point de vue, les dangereuses incompréhensions qui demeurent encore aujourd’hui quant à la Pénitence dans l’Église catholique, je vous proposerai alors une série de dispositions pratiques. Celles-ci devraient être reçues par les fidèles, avec la liberté des enfants de Dieu qui ne se prennent pas pour des canards sauvages ! C’est au moins le souhait que j’exprime.

Que tous les chrétiens qui veulent vivre cette réflexion se placent sous le regard du Christ, en sachant combien il reflète aussi les yeux de ceux, qui chantant Ses louanges pour l’éternité, prient aussi pour nous !

Qu’est-ce que la pénitence ?

Au cours des siècles, elle a pris différentes formes et a engendré plusieurs pratiques, génératrices les unes comme les autres de polémiques. Il nous suffit pour l’instant de savoir que son but est unique : atteindre une pleine communion avec le Dieu saint. Communion qu’il s’agit de trouver, si nous ne sommes pas baptisés, ou de retrouver si, baptisés, nous l’avions perdue à la suite de fautes graves [2] ; nous devons alors faire confiance à l’Église et à ses Sacrements en vertu du pouvoir des clefs que Christ lui confie.

Le témoignage de l’écriture, Luther, la justification par la foi

La première prédication de Jésus étant un appel à la conversion, elle implique déjà la repentance : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’évangile » (Mc. 1, 15). Il en est ainsi de même jusqu’à son dernier envoi avec sa référence au Baptême et à la foi : « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Mc. 16, 15a).

Nous pouvons vraisemblablement dire que tout l’évangile, voire tous les évangiles, constituent des appels à la repentance, tant à l’encontre de l’orgueil spirituel des pharisiens que des différents maux que Jésus eut à guérir.Toute la vie humaine est concernée !

“Notre” réformateur Martin Luther semble vraiment avoir été inspiré lorsqu’il écrivit en 1517 ses quatre-vingt-quinze thèses destinées à prouver la vertu des indulgences [3], surtout en ce qui concerne la première :

1 — En disant « Faites pénitence… » [4], notre Seigneur et Maître Jésus-Christ a voulu que toute la vie des fidèles soit une pénitence.
2 — Cette parole ne peut être comprise comme s’appliquant à la pénitence sacramentelle (c’est-à-dire à la confession et à la satisfaction) célébrée par le ministère des prêtres.
3 — Cependant elle ne vise pas seulement une pénitence intérieure : bien au contraire une pénitence intérieure est nulle et non avenue, si elle n’opère pas extérieurement diverses mortifications de la chair.

Luther rejoint ici Jean le Baptiste, qui admonestait les pharisiens et les sadducéens venant à son baptême de repentance, parce qu’il doutait de leur sincérité : « Produisez donc du fruit qui témoigne de votre conversion » (Mt. 3, 8).

Cependant, avant d’aborder la question des signes de repentance, revenons un moment sur les thèses deux et trois.

Il est dès lors nécessaire de se rappeler le contexte polémique de l’époque, des confessions des péchés plus ou moins bâclées à cause du manque de formation des prêtres, des peines de satisfaction dont certaines étaient rachetables par des indulgences, elles-mêmes vendues : voici des abus qui expliquent toute la prudente réserve de la thèse deux.

Certes non ! La vie chrétienne ne saurait être ramenée à une suite de courts moments plus ou moins clairsemée de pénitence.Il ne faudrait pas pour autant rejeter définitivement la valeur sacramentelle de la pénitence : à ce moment-là, Luther ne la contestait pas et il laissa sur ce sujet la question ouverte pendant quelque temps.De même, ne mettons pas non plus en cause la joie éprouvée par le pardon !

En effet, en cette même année 1517, dans son Commentaire des psaumes de pénitence [5], Luther commenta le verset 9b [6] du psaume 51, « et ainsi se réjouiront mes os qui étaient brisés », en disant :

Cela signifie : Toutes les forces de l’âme qui, à cause de la conscience du péché, sont comme lasses et brisées, se réjouissent et sont ranimées quand la conscience entend la joie de la rémission, car le péché est un fardeau pesant, affligeant, angoissant pour toutes les forces de l’âme, et pourtant il ne saurait être ôté par les œuvres extérieures de l’homme, mais au contraire et uniquement par l’œuvre intérieure de Dieu.

La seconde partie de ce commentaire définit la réalité du pardon, réalité précisée plus loin [7] à propos du verset 13b [8], « Et rends-moi ferme par l’esprit spontané » :

Cela signifie : Par le Saint-Esprit qui fait des hommes spontanés [9] qui servent Dieu non par crainte des peines ou par amour non ordonné.

C’est-à-dire : non par crainte de l’enfer ou du purgatoire. Il importait à Luther que le pardon fût reçu par la foi, gratuitement, indépendamment de toute œuvre méritoire.

La polémique sur les œuvres de pénitence (en doctrine catholique : la satisfaction)

Ce souci, activé par la polémique du temps, guida Luther dans son attitude à l’égard de la satisfaction, alors qu’elle ne semblait pas avoir été définie, à l’époque, aussi clairement qu’elle le fut au concile de Trente [10] et ultérieurement. à ce moment là, la satisfaction en ce qui concerne un péché apparaissait comme devant être une suite d’actions aidant à faire mériter l’absolution.

Luther écrit, en 1517, dans son Sermon sur l’indulgence et la grâce [11], au début du « Neuvièmement. » :

Je l’affirme : même si l’Église Chrétienne décidait ou déclarait encore aujourd’hui que l’indulgence ôte plus que les œuvres de la satisfaction, il vaudrait cependant mille fois mieux qu’aucun Chrétien n’achète ou ne désire cette indulgence, mais plutôt qu’ils accomplissent ces œuvres et qu’ils endurent cette peine, car l’indulgence n’est et ne peut devenir autre chose que négligence des bonnes œuvres et d’une peine salutaire […]

Luther semble donc avoir admis la légitimité de la satisfaction, bien qu’il ne lui ait pas trouvé de fondement scripturaire. Il la préférait à l’indulgence, alors achetée, parce qu’elle risquait moins d’encourager la “paresse spirituelle”. Cependant, dans son « Treizièmement. » [12], Luther devint plus critique. Il fit alors allusion à ceux qui prenaient à tort la satisfaction pour un acte méritoire opposé à la miséricorde gratuite de Dieu. Cette crainte de nuire ainsi au pardon gratuit poussa la Confession d’Augsbourg en 1530 à conclure ainsi l’article XII sur la pénitence [13] :« Nous rejetons également ceux qui enseignent qu’on obtient la rémission des péchés non par la foi, mais par nos satisfactions ».

Dans le chapitre XII de l’Apologie de la Confession d’Augsbourg, Melanchthon développa en l’argumentant son opposition à la satisfaction. Il visait alors la Confutation, document polémique présenté à l’empereur pour réfuter la Confession d’Augsbourg, ainsi que les excès des prédicateurs d’indulgences. Nous pouvons en juger :

Si pour notre part, nous avons débattu des satisfactions, c’est à cette fin principale qu’on ne les adopte pas pour masquer la justification par la foi, ou que l’on ne pense pas qu’on obtienne, à cause de ces œuvres, la rémission des péchés. Cette erreur est favorisée par de nombreuses sentences qui circulent dans les écoles ; par exemple quand dans la définition de la satisfaction on pose en principe que celle-ci a lieu pour apaiser l’offense faite à Dieu [14].

Cependant, Melanchthon avait trop d’esprit pastoral pour négliger le suivi de l’absolution au nom de quelques présupposés que ce soit. Il écrit d’ailleurs un peu plus loin :

Nous estimons que la pénitence doit produire de bons fruits pour (propter) la gloire de Dieu et parce que Dieu le commande. Et ces bons fruits commandés par Dieu, ce sont de vrais jeûnes, de vraies prières, de vraies aumônes, etc. » [15]

Malheureusement, la pratique luthérienne en matière de pénitence a plus retenu la condamnation des “satisfactions” telles qu’elles pouvaient être enseignées à l’époque que ces conseils pastoraux-ci, faisant appel à des œuvres de pénitence.

La tradition luthérienne avait sagement laissé coexister la confession privée et la confession communautaire, mais les craintes à l’égard de la satisfaction puis son rejet, les influences du piétisme de la fin du XIXe siècle qui voyaient en celle-ci des actes quasi mécaniques, le rappel enfin de l’affirmation de Luther « Toute la vie des fidèles est une pénitence ! » justifièrent pour beaucoup l’élimination de moments particuliers pour une Pénitence de type sacramentel, et les confessions privées finirent par se rendre rares. Cependant, la satisfaction, ou plus exactement les œuvres de pénitence, était alors recommandée par les ministres dans leur enseignement, le catéchisme, les visites pastorales et la prédication. Dans les cas de faux repentirs, qui impliquaient de facto un jugement du magistère ou de ce qui en tenait lieu, aussi bien les orthodoxies luthériennes que réformées eurent recours à l’excommunication.

Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus aucune discipline sacramentelle et pratiquement plus de confessions privées. La confession communautaire a elle-même perdu de sa force…Pour exemple, il y a une quarantaine d’années, dans certaines de nos paroisses, si des fidèles arrivaient en retard à l’office et de ce fait manquaient l’absolution, il leur était fortement conseillé de ne pas participer à la Sainte Communion. Aussi, pour retrouver le sens de la pénitence et, ainsi, une certaine discipline sacramentelle [16] plus que nécessaire pour la bonne santé de l’Église, il nous faut cesser d’amputer la pénitence d’une partie de son développement, tout au long de notre vie, que nous lui donnions le nom de satisfaction ou d’œuvre de pénitence.

Il est donc pour cela nécessaire de retrouver le sens de la gravité du péché avec ce que ce dernier a de séparateur tant vis-à-vis de Dieu que de nous-mêmes ou de notre prochain. Nous pouvons retrouver ce sens dans la lecture assidue des écritures Saintes et dans la prière ; je précise dans la prière particulièrement adressée au Saint-Esprit pour qu’Il allume en nous un amour violent pour Dieu notre Père, un amour qui nous fasse prendre conscience de la réalité du péché, un amour qui éclaire les divisions que provoque en nous ce péché, un amour qui nous permette d’avoir honte des offenses faites à nos prochains ; il nous faut alors détester ce péché dont nous avons pris conscience. Ainsi aurons-nous soif de pénitence autant que d’air ou d’eau et bien vite nous ferons l’expérience du pardon qui oblige à la réparation ! “Qui oblige”, non pas dans le sens où il manquerait quelque chose à l’absolution reçue, mais “qui oblige” au sens d’une conséquence naturelle : là, le pénitent ne peut demeurer seul ; il lui faut le secours d’un frère et de frères.

Le secours d’un frère vient logiquement du ministre de la Parole et des Sacrements en fonction du pouvoir des clefs. La Confession d’Augsbourg est explicite à ce sujet ; lisons l’article XXV [17] :

La confession n’a pas été abolie par nos prédicateurs. Car chez nous on observe la coutume de ne donner le Sacrement qu’à ceux qui ont été préalablement examinés et absous [18]. On enseigne avec soin au peuple combien la parole de l’absolution est consolante, à quel point il faut estimer l’absolution : celle-ci n’est pas la voix ou la parole du ministre officiant, mais la Parole de Dieu qui pardonne les péchés. Car l’absolution est prononcée à la place de Dieu et sur son ordre. C’est avec beaucoup de zèle que nous donnons instruction au sujet de cet ordre et de ce pouvoir des clefs, et que nous montrons combien ce pouvoir est consolant et nécessaire aux consciences effrayées.
Nous leur disons que Dieu nous ordonne de croire à cette absolution, tout comme si c’était la voix de Dieu lui-même, venue du ciel ; et que nous devons en tirer joie et consolation, en sachant que par cette foi nous obtenons la rémission des péchés. [19]

Il faut cependant aussi s’appuyer sur les autres frères, les baptisés qui composent l’Église du Christ, les “sancti” (les saints, c’est-à-dire les baptisés) qui, sur la terre comme au ciel, prient pour nous aider dans nos misères terrestres.

La doctrine de la communion des saints et la pénitence

Au IVe siècle de notre ère, l’expression “communion des saints” fit son apparition dans le Symbole des apôtres : elle fut insérée entre « l’Église universelle » et « la Rémission des péchés » — ce qui a une haute signification. La réalité spirituelle recouvrée par cette expression a essentiellement ses fondements bibliques dans des textes de saint Paul tel Éphésiens 1 [20] ; elle caractérise la solidarité des chrétiens de tous les temps entre eux. La tradition patristique reçut cette vérité et la développa sans en trahir l’intuition première.

Ainsi Hippolythe de Rome (170 † 235) nous confie-t-il dans son commentaire du chapitre XIII du livre de Daniel (Comm. in Daniel I, 17) :

Qu’est-ce donc que l’Église ? La sainte réunion de ceux qui vivent dans la justice. La concorde, qui est le chemin des saints vers la communauté, voilà ce qu’est l’Église, jardin spirituel de Dieu, planté sur le Christ, comme à l’Orient, où l’on voit toutes sortes d’arbres : la lignée des patriarches qui sont morts dans le commencement, les œuvres des prophètes accomplies après la Loi, le chœur des Apôtres, qui tenaient leur sagesse du Verbe, le chœur des Martyrs, sauvés par le sang du Christ, la théorie des Vierges sanctifiées par l’eau, le chœur des Docteurs, l’ordre des évêques, des Prêtres et des Lévites. Dans un ordre parfait, tous ces saints fleurissent au milieu de l’Église, et ne peuvent se faner. Si nous cueillons leurs fruits, nous obtenons une juste vue des choses, en mangeant les mets spirituels et célestes qui viennent d’eux. [21]

Origène (185 † v. 254) complète dans sa polémique contre Celse (Contra Celsum, VIII, 64) :

La faveur du Dieu suprême entraîne la bienveillance de tous ceux qui l’aiment : anges, âmes, esprits. Ils connaissent ceux qui méritent la faveur de Dieu, et non contents d’accorder leur bienveillance à ceux qui ont ce mérite, ils collaborent avec ceux qui veulent rendre un culte au Dieu suprême ; remplis de bienveillance, avec eux ils prient et ils intercèdent. En conséquence nous osons dire quand des hommes aspirent de tout leur cœur aux meilleurs biens et offrent à Dieu leur prière, une foule de saintes puissances, même sans être invoquées, prient avec eux et assistent notre race périssable. Et, si j’ose dire, elles combattent à nos côtés, à cause des démons qu’elles voient combattre et lutter contre le salut de ceux-là surtout qui se vouent à Dieu et qui dédaignent la haine des démons, quelle que soit leur fureur contre l’homme qui évite de leur rendre un culte au moyen du fumet de graisse et de sang, mais s’applique de toute manière, par ses paroles et ses actions, à vivre dans la familiarité et l’union avec le Dieu suprême, grâce à Jésus : car Jésus a causé la défaite d’un nombre infini de démons quand il allait partout « guérissant et convertissant ceux qui étaient tombés au pouvoir du diable ». [22]

En 1520, alors même qu’il se trouvait en pleine querelle des indulgences et en contestation avec bien des aspects de la dévotion envers les saints, alors abusivement devenu “culte des saints”, Luther ira dans le même sens. Nous pouvons lire en particulier dans ses Quatorze moyens de consoler ceux qui sont fatigués et chargés (Tesaradas) [23] :

Telle est la communion des saints dans laquelle nous nous glorifions. Qui ne s’en glorifierait, même dans les plus grands maux, puisqu’il croit que vraiment les biens de tous les saints sont ses biens, comme aussi son mal est le leur ? […] C’est pourquoi quand je souffre, je ne souffre plus seul, le Christ et tous les chrétiens souffrent avec moi. […] C’est ainsi que les autres portent mon fardeau, leur force est mienne. La foi de l’Eglise vient au secours de ma crainte, la chasteté des autres subvient à ma tentation charnelle, les jeûnes des autres me sont un gain, l’oraison de mon prochain intercède pour moi, qui pourrait désespérer dans ses péchés ? Qui ne se réjouirait dans ses peines, puisqu’il ne porte plus lui même ses péchés et ses peines ou, s’il les porte, il ne les porte plus seul ? Tant de saint fils de Dieu lui viennent en aide ; et finalement le Christ lui-même. Telle est dans sa grandeur la communion des saints et l’Église du Christ. (W.A. 6, 131, 7-29)

Ainsi la prière d’intercession est-elle une réalité admise depuis longtemps par l’Église universelle. Un de ses plus beaux fondements bibliques se trouve dans la prière adressée par Moïse, aidé d’Aaron et de Ur, pour Israël qui se battait contre les Amalécites [24] : tant que le prophète avait les bras levés, Israël dominait, lorsqu’il les baissait, Israël fléchissait. Il semble ici possible de voir Dieu cherchant à montrer toute l’importance de la prière de son prophète au peuple qu’il venait de délivrer d’Égypte.

Délivrés, nous le sommes aussi parce que baptisés et pécheurs repentants absous ; nous avons cependant toujours des Amalécites à combattre : cicatrices de péchés “familiers” dont le remords tendrait à pallier le repentir, maux que nous avons causés et qui nous obsèdent, etc..

Il nous faut alors humblement nous placer au bénéfice de la communion des saints en demandant à Celui qui en est le Chef, le Christ, de nous écouter. Notre demande sera d’autant plus efficace que nous serons éclairés par le ministère du pouvoir des clefs quant aux plaies consécutives au péché.

Un regard vers le catholicisme d’aujourd’hui

Si dans les rapports humains il n’est jamais bon d’enfermer l’autre dans son passé, il en est ainsi d’autant plus dans les relations œcuméniques. Sur la question des indulgences, l’Église catholique a considérablement évolué ou bien, si l’on préfère, a précisé sa pensée et, de la sorte, a proscrit tout fondement théologique vicié ayant pu justifier les abus réprimés au début du XVIe siècle.

Près d’un demi-siècle après la Réformation, dans son décret sur les indulgences du 4 décembre 1563, le concile de Trente décrétait qu’il fallait faire « preuve de mesure en les accordant [les indulgences] » et mettre fin à tous les déplorables trafics d’argent en vue de les obtenir.

Cependant, le Pape Pie IV avait décrété dès 1562 par la bulle Decet romanum pontificem…que les indulgences étaient gratuites.

En 1567, le Pape Pie V supprima toutes les indulgences d’aumônes et, le 2 janvier 1569, excommunia tous ceux qui faisaient commerce d’indulgences.

Si l’Église catholique réprima ainsi les excès dénoncés entre autres par Luther, la théologie fondant une saine pratique des indulgences méritait encore d’être explicitée. Voici pourquoi je pense qu’il est utile à maints égards de se reporter maintenant à la constitution apostolique du Pape Paul VI, Indulgentiarum doctrina…, promulguée le 1er janvier 1967. Retenons que ce texte donne une image plus spirituelle et plus profonde du “trésor des mérites des saints” que celle dénoncée par les premiers réformateurs :

Par là est manifesté le “trésor de l’Église” qui n’est pas une somme de biens, ainsi qu’il en est des richesses matérielles accumulées au cours des siècles, mais qui est le prix infini et inépuisable qu’ont auprès de Dieu les expiations et les mérites du Christ Notre-Seigneur, offerts pour que toute l’humanité soit libérée du péché et parvienne à la communion avec le Père. C’est dans le Christ, notre Rédempteur, que se trouvent en abondance les satisfactions et les mérites de sa Rédemption [25]. […]. […] Donc, l’union de ceux qui sont encore en chemin avec leurs frères qui se sont endormis dans la paix du Christ ne connaît pas la moindre intermittence ; au contraire, selon la foi constante de l’Église, cette union est renforcée par l’échange des biens spirituels. Étant en effet liés plus intimement avec le Christ, les habitants du ciel contribuent à affermir plus solidement l’Église en sainteté… et de multiples façons l’aident à se construire plus largement (cf. 1 Co 12, 12-27). Admis dans la patrie et présents au Seigneur (cf. 2 Co 5, 8), par lui, avec lui et en lui, ils ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père, offrant les mérites qu’ils ont acquis sur terre par l’unique médiateur de Dieu et des hommes, le Christ Jésus (cf. Tm. 2, 5), servant le Seigneur en toutes choses, et complétant en leur chair ce qui manque aux souffrances du Christ, en faveur de son corps qui est l’Église (cf. Col. 1, 24). Ainsi, leur sollicitude fraternelle est pour notre infirmité du plus grand secours. [26]

Il existe donc entre les fidèles — ceux qui sont en possession de la patrie céleste, ceux qui ont été admis à expier au purgatoire ou ceux qui sont encore en pèlerinage sur la terre — un constant lien d’amour et un abondant échange de tous biens, grâce auxquels est apaisée la justice divine, tous les péchés du corps mystique tout entier étant expiés tandis que la miséricorde de Dieu est inclinée au pardon en vertu duquel les pécheurs contrits entrent plus tôt dans la jouissance complète des biens de la famille de Dieu » [27].

Le “trésor des mérites des saints” peut donc dans ses effets s’identifier à la communion des saints, dans laquelle se trouve tout baptisé, vivant dans l’Église dont le Christ est le Chef et la Tête. Tous ceux qui appartiennent à cette communion des saints, morts ou vivants dans ce monde, ne sont sanctifiés que parce qu’ils appartiennent à Christ et ont bénéficié ou bénéficient de Ses grâces.

Ainsi, le désir d’indulgence peut être tout simplement envisagé comme un appel à la prière d’intercession de l’Église, visible et invisible, intercession que Luther était bien loin de rejeter — nous l’avons vu.

Le réformateur, dans le texte de 1520 cité ci-dessus, ne prononce certes pas une fois le mot « indulgence », mais nous sommes à trois ans seulement du début de la controverse sur cette question ! La réalité spirituelle qu’il évoque est cependant de même nature que celle sur laquelle s’appuient les indulgences : la solidarité dans la prière d’intercession de tous les chrétiens de tous les temps [28]. Solidarité de prière qui ne peut que soulager des peines et des maux temporels, seule la grâce de Dieu pouvant sauver.

Le Pape maintint donc les deux dispositions doctrinales du concile de Trente sur les indulgences : le pouvoir pour l’Église d’en accorder et leur utilité pour les fidèles ; ce qui, dans une théologie qui refuserait la notion d’indulgence, serait remplacé par la double affirmation très forte qui consiste à dire que, dans l’Église visible, nous bénéficions de la communion des saints (aux deux sens de ce terme : sancti et sancta [29]) et qu’un tel bénéfice est utile pour la vie spirituelle.

En outre, le terme “mérite” peut choquer certaines oreilles protestantes, et non sans raison, compte tenu de l’usage qui en fut fait : une certaine pratique catholique consistait en effet à dénombrer ce qui pouvait être soi-disant mérité devant Dieu. Là encore, les choses ont évolué et nombre de théologiens catholiques et luthériens sont aujourd’hui d’accord pour dire qu’il y a eu malentendu :

Si étrange que cela paraisse, la querelle concernant le « mérite » […], repose en fin de compte et très largement sur un malentendu […]. Là où les Réformateurs craignent que l’homme ne se glorifie lui-même dans ses œuvres, le concile [de Trente] exclut tout mérite de la grâce — donc de la justification […] —, et fonde le mérite de la vie éternelle dans le don de la grâce elle-même qui est obtenue du fait d’être membre du Christ. C’est en tant que dons que les œuvres bonnes sont des « mérites ». Là où les Réformateurs mettent au pilori la « confiance impie » dans les œuvres propres, le concile exclut explicitement toute idée d’un droit qu’il serait possible de faire valoir et toute fausse sécurité. [30]

Le Catéchisme de l’Eglise catholique est très précis à ce sujet et confirme bien la thèse soutenue par le texte que nous venons de citer :

A l’égard de Dieu, il n’y a pas, au sens d’un droit strict, de mérite de la part de l’homme. Entre Lui et nous, l’inégalité est sans mesure, car nous avons tout reçu de Lui, notre Créateur.
Le mérite de l’homme auprès de Dieu dans la vie chrétienne provient de ce que Dieu a librement disposé d’associer l’homme à l’œuvre de sa grâce. L’action paternelle de Dieu est première par son impulsion, et le libre agir de l’homme est second en sa collaboration, de sorte que les mérites des œuvres bonnes doivent être attribués à la grâce de Dieu d’abord, au fidèle ensuite. Le mérite de l’homme revient, d’ailleurs, lui-même à Dieu, car ses bonnes actions procèdent dans le Christ, des prévenances et des secours de l’Esprit Saint. [31]

Ainsi, pour revenir au développement même de la pénitence, je pense que ces textes nous aident à appréhender plus profondément et avec plus d’intelligence le problème des œuvres de pénitence (ou de la satisfaction) à propos duquel était née la polémique dont nous avons parlé plus avant. Nous pouvons d’ailleurs comprendre qu’il y ait eu une telle polémique : tous les fondements théologiques de la Pénitence n’avaient point été affirmés à l’époque !

De nos jours, selon la doctrine catholique, la satisfaction a deux objets : tout d’abord de réparer le tort causé par le péché à la communion des saints — une autre forme de réparation, comme celle qui consiste à restituer ce qui a été volé dans le cas d’un vol, est de l’ordre de la contrition [32] ; elle est une conséquence logique du repentir sincère qui pousse à la confession, qui s’accompagne de l’intention de ne plus pécher, qui commence donc par vouloir réparer et qui enfin amène à réparer effectivement —, puis de renforcer la vie spirituelle de celui qui a été souillé par le péché et qui ne peut être soulagé d’un seul coup, à envisager sa vie terrestre, par la seule parole d’absolution. L’absolution qui fait suite à la confession guérit mais laisse le plus souvent convalescent. Le péché, surtout lorsqu’il est grave, dégrade durablement l’être humain et perturbe son existence, même s’il y a eu absolution ; d’où il s’ensuit la satisfaction, ou œuvres de pénitence, pour combattre cette dégradation, et la référence à des peines et à un mal temporels. Prenons un exemple : celui qui aura vécu plusieurs années dans l’adultère et le mensonge, même s’il vient s’en confesser avec un désir sincère de mettre fin à cette manière de vivre, ne sera pas automatiquement délivré dans sa vie de chaque jour par la parole d’absolution. Les souvenirs en tous genres, regrets, remords, amertumes, demeureront encore en lui. Il est pour ces raisons nécessaire d’avoir des exercices spirituels pour se purifier. C’est ainsi me semble-t-il que nous pouvons expliquer le principe des œuvres de pénitence.

Le risque de déviation m’apparaît nul, compte tenu de ce que déclare le concile de Trente [33] :

Mais notre satisfaction, celle que nous acquittons pour nos péchés, n’est que par Jésus-Christ : nous qui, de nous-mêmes comme tels, ne pouvons rien nous-mêmes, avec l’aide « de Celui qui nous fortifie, nous pouvons tout [34] ». Ainsi l’homme n’a rien dont il puisse se glorifier, mais toute notre « gloire » est dans le Christ […] en qui nous satisfaisons, « en faisant de dignes fruits de pénitence [35] », qui en Lui puisent leur force, par Lui sont offerts au Père et grâce à Lui sont acceptés par le Père. [36]

Il faut cependant admettre qu’avec notre Église sœur, demeure encore, aujourd’hui, sur cette question, un malentendu, qu’il fût entretenu consciemment ou non depuis les premiers réformateurs jusqu’à nos jours.

Ainsi, lors d’une réédition de la Confession d’Augsbourg en 1979, l’introducteur écrit à propos de l’article XXV sur la confession des péchés [37] : « De même, l’absolution ne doit pas être liée à l’accomplissement de diverses satisfactions ». Je ne peux guère que conseiller à notre commentateur de se reporter à la citation du concile de Trente faite ci-dessus, ainsi qu’à mes différents développements sur la distinction à établir entre confession, absolution et satisfaction. Cependant, pire est à propos de l’article IV, « De la justification », stipulant que « nous ne pouvons obtenir la rémission des péchés et la justice devant Dieu par nos mérites, par nos œuvres et par notre satisfaction », la précision faite en note [38] : « C’est-à-dire : par ce qu’on est obligé de faire (jeûnes, récitations de prières, aumônes, etc.), pour réparer les péchés qu’on a commis ».

En 1979, ce texte de la Confession d’Augsbourg aurait mérité une autre présentation et un autre commentaire. Je crois ce commentaire malheureusement révélateur de notre défaut de culture catholique qui devrait nous inciter à être plus circonspects, moins fallacieux : le premier canon du concile de Trente sur la justification par la foi [39] montre bien que c’est par la seule grâce de Dieu que l’homme est justifié. La justification de l’homme devant Dieu est donc liée directement au Sacrement du Baptême. Son lien avec la pénitence n’est qu’indirect. Le Magistère catholique partage donc avec nous ces conceptions-ci.

Il faut aussi s’entendre sur le sens du mot réparer [40] : selon la doctrine catholique, il ne s’agit que de réparer le mal temporel causé par le péché et la peine qui y est liée, par opposition à la peine éternelle (que seule l’absolution peut enlever). La réparation de l’offense faite au Créateur n’appartenant qu’à Lui et à Sa seule miséricorde.

Au point où j’en suis de cet exposé, je crois utile de donner quelques précisions concernant la bulle Incarnationis mysterium… [41]. Celle-ci fait plusieurs fois référence au terme « indulgence », terme “lourdement” chargé en signification dans la tradition protestante. Au-delà du mot je voudrais nous inviter à voir, avec clarté et vérité, la réalité qu’il recouvre, afin de poursuivre notre réflexion.

Tant dans le récent Catéchisme de l’Église catholique que dans la bulle papale de novembre 1998, il est clair que « L’indulgence est la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les péchés dont la faute est déjà effacée, rémission que le fidèle bien disposé obtient à certaines conditions déterminées […] » [42], cela est aussi valable pour les défunts.

La peine temporelle et la peine éternelle commencent avec le péché. Le pénitent, qui, dans un esprit de totale contrition, se confesse et reçoit l’absolution, se voit ôter la peine éternelle. Cependant, les traces du péché subsistent [43], provoquant un mal temporel qui cause aussi des peines temporelles. Ces peines, je le répète, peuvent être provoquées par le péché lui-même, mais peuvent aussi être prescrites par le confesseur désirant qu’un pénitent prenne conscience de la gravité de son péché — pour l’éduquer en quelque sorte — afin qu’il n’y succombe plus : il peut s’agir par exemple d’exercices spirituels, de pèlerinages, etc.. Enfin, ces peines peuvent venir de Dieu au travers de toutes sortes de circonstances de la vie. Si nous croyons qu’après la mort tous les chrétiens ne vont pas de la même manière vers la maison du Père, un retard pourra être imputé à un manque de sainteté, lui-même peine temporelle, et ce, que nous croyons au purgatoire ou non !

En libérant de la peine temporelle due au péché, l’indulgence ne confère donc pas le pardon salvateur. Ce dernier est reçu préalablement lors de la confession dans ce que nos frères catholiques appellent le Sacrement de la Réconciliation. « Le fidèle bien disposé » devra donc s’être confessé devant un prêtre et avoir reçu de lui l’absolution pour pouvoir bénéficier d’une indulgence [44]. Comme il est bien évident que cette réconciliation ou cette absolution n’est possible que par les seuls mérites que Jésus-Christ a acquis sur la croix, et que l’indulgence ne concerne pas ce premier aspect de la pénitence, la doctrine des indulgences n’a aucune incidence sur la justification par la foi seule. L’indulgence, contrairement à ce que certains croyaient à l’époque de Luther, ne remplace pas la confession et n’incite pas au péché par des garanties qu’elle est supposée donner. Bien au contraire, elle pousse à la vraie pénitence et à la conversion du cœur, préalable incontournable pour l’obtenir.

Il me semble qu’à l’aube du troisième millénaire, le Pape veut, par cette bulle d’indiction, inciter d’abord et avant tout à la pénitence. Dans cette entreprise difficile, il veut que l’Église visible se sente pleinement aidée par l’Église invisible et il se sert à cette fin d’usages populaires de la piété catholique, l’indulgence et le pèlerinage, afin de toucher un plus grand nombre de fidèles. En effet, nous pouvons logiquement penser que celui qui entreprend le voyage vers Saint-Jacques de Compostelle dans un but de pèlerinage, le fait dans un état d’esprit fort différent de celui qu’inspire un départ pour un club de vacances. La manière dont tout cela est fait peut surprendre, voire heurter telle ou telle sensibilité protestante et certes, la compréhension de ces usages populaires n’est pas évidente et ceux-ci ont bien souvent été mal interprétés, même dans l’Église catholique, surtout au XVIe siècle. Cependant “l’arbre Indulgence” ne doit pas cacher “la forêt Pénitence” à laquelle le Saint Père veut appeler ses fidèles et nous, Protestants, pourrions en profiter pour nous interroger sur les pratiques pénitentielles de nos Églises… lorsqu’elles en ont.

Quelles sont en effet nos pratiques pénitentielles en dehors de la confession communautaire des péchés ?

J’ose espérer que, dans la prière personnelle en dehors de toute célébration, nous pratiquons l’examen de conscience dans un esprit de contrition face à la Loi de Dieu. Dans la grande majorité des cas, les fidèles des Églises de la Réforme qui se livrent à cet exercice spirituel sont seuls. Sur quoi fondent-ils ou justifient-ils donc cette solitude ? Est-ce leur force d’âme, la théologie — pourtant, ne venons-nous pas de voir qu’il fallait revoir ces affirmations polémiques de la Réformation ? — ou plus simplement la “paresse spirituelle”, aiguillonnée par “je ne sais quoi” d’orgueil risquant toujours d’empêcher l’aveu complet du péché ?

Il ne faut pas en outre oublier cette obligation qui est la nôtre en pareil cas, même si elle demande des efforts, de manifester les fruits de notre repentance — non pas pour obtenir un pardon déjà acquis, mais tout simplement pour obéir au commandement « tu aimeras ton prochain comme toi-même » ; ceci signifie alors qu’il faut réparer le mal, et pour son bien, et pour celui d’autrui, et pour l’évolution spirituelle de l’un comme de l’autre. Ces fruits de la repentance étant bien entendu des fruits de la grâce.

Chaque famille chrétienne a ses mots et sa méthode pour exprimer toutes ces choses…Nous devons cependant tous nous référer à l’amour gratuit de Dieu vécu dans l’église du Christ notre Rédempteur et dans la communion des saints.

Pour avancer dans la pratique de la pénitence, regardons à la croix, signe par excellence de l’amour gratuit de Dieu ainsi que de sa colère éternelle contre le péché. Avançons-nous sans crainte : par le Baptême, nous portons Christ en nous, Lui qui est la Tête de l’Église qui est à la fois visible et invisible et qui prie pour nous.

Sachons nous rappeler que nous ne pouvons être chrétien tout seul !

Si nous voulons pleinement combattre le mal, il nous faut essayer de réparer nos fautes.

Porter le fruit de la repentance d’une manière visible est aussi important pour nous que pour le Monde.

Le Père nous pardonne gratuitement et veut nous aider par les prières du Christ dans lesquelles se récapitulent toutes celles des élus de toute éternité qui, sur la terre comme au ciel, intercèdent pour nous.

A nous de savoir entrer dans cette communion d’amour invisible pour mieux progresser dans la sainteté.

Cette évocation de la prière me ramène à l’un de mes propos de l’introduction : je pense en effet à la très belle prière de Jésus vers le Père rapportée par le chapitre 17 de l’évangile selon saint Jean, et qui, entre autres, enjoint les disciples de demeurer unis « afin que le monde puisse connaître que c’est toi qui m’as envoyé ». Voici donc d’où s’ensuit mon désir de prospective œcuménique à propos de notre réflexion sur la pénitence ; car s’il est un péché que tous les chrétiens partagent, c’est bien celui de la division. Beaucoup d’entre eux se disent en être conscients, voire scandalisés, mais je me demande quelquefois si cela est bien vrai lorsque, par exemple, je me trouve devant des réflexes catégoriels, des raidissements sur les mots, les formules ou encore les coutumes des autres confessions chrétiennes et l’obstination à s’accrocher au passé, le sien, pour en tirer de l’orgueil, celui des autres, pour les abaisser et les y enfermer…

Quelles que soient les bonnes raisons qu’il puisse y avoir à camper sur une position théologique, il ne faut jamais oublier que l’existence de multiples confessions chrétiennes ne partageant pas la même Eucharistie constitue une déchirure du Corps du Christ, un désordre grave dans la communion des saints sur la terre comme au ciel, faisant souffrir et tellement pleurer les anges et les archanges des cieux que leurs larmes tombent sur la terre, nous brûlent et nous empêchent pleinement d’obéir aux ordres de Jésus. Tous, quelle que soit notre appartenance confessionnelle, nous ne demanderons jamais assez pardon.

DISPOSITIONS PRATIQUES

1 — La prière régulière adressée à la Sainte Trinité, particulièrement à Jésus-Christ, Chef et Tête du corps mystique qu’est l’Église. Cette prière doit être nourrie de connaissances bibliques et religieuses, touchant la vie des saints, afin de rendre le monde invisible vivant : “vivant”, afin de ressentir l’efficace de la prière en Christ ; “vivant”, par le souvenir des œuvres justes des saints [45] qui peuvent nous aider dans notre combat contre le mal pour accéder à plus de sainteté.

2 — La pratique régulière de l’examen de conscience, si possible quotidien ou au moins avant chaque participation à l’Eucharistie, surtout s’il n’y a pas eu de confession privée, et ce, afin de participer authentiquement à la confession communautaire des péchés.

3 — Il convient de rétablir la confession privée, non pas comme une obligation mais comme une recommandation destinée à faciliter la pénitence. Pour ceux qui éprouveraient encore quelques craintes, je rappelle l’article XI de la Confession d’Augsbourg : « Au sujet de la confession, on enseigne ceci : il faut maintenir dans les Églises l’absolution ».

L’article XXV reprend et développe la question de la confession privée : j’en recommande la lecture. En revanche, il serait à mes yeux préférable d’avouer tous les péchés dont on a conscience en témoignage d’humilité et de confiance dans le ministère ecclésiastique, représentant du Christ.

4 — Cette confession privée devrait se faire au moins quatre fois par an (et bien sûr en cas de besoin) : au début du temps de l’Avent, avant les solennités de Noël, avant le début du temps de Carême — de manière à pouvoir pleinement participer à l’office des Cendres — et juste avant les solennités de Pâques.

5 — Sans vouloir remettre en cause le principe de la célébration hebdomadaire de la Sainte Communion — c’était la position de Luther comme celle de Calvin —, peut-être y aurait-il lieu de préciser, tant dans les catéchismes que dans les entretiens pastoraux, que l’on ne peut s’approcher du Sacrement que convenablement préparé. Au-delà d’une saine pratique de la pénitence, cela implique un enseignement aussi complet que possible sur le péché originel et la Rédemption, dont bien des aspects sont négligés aujourd’hui.

Pasteur Michel Viot, Pasteur Michel Viot, Président du Consistoire luthérien de Paris. Auteur de Chrétiens sans religion (1975) et de Ces Francs-Maçons qui croient en Dieu (1992).

[1] C’est-à-dire exerçant le pouvoir des clefs — pardonner ou retenir les péchés —, dans la suite du ministère apostolique (cf. Mt. 16, 9 ; 18, 18 et II Cor. 5, 18-21). L’article XXV de la Confession d’Augsbourg et ce qu’il en est dit dans le corps de cette exhortation pourront être consultés à cet égard.

[2] Il est nécessaire de se rappeler que le Baptême est resté, pendant près des deux premiers siècles de l’Église, le seul Sacrement à caractère pénitentiel.

[3] M. Luther, Controverse destinée à montrer la vertu des indulgences, Œuvres, Labor et fides, Genève, 1957, tome I, p. 106. Ce titre n’a aucune intention polémique, il propose simplement une controverse recherchant l’objectivité, selon la méthode universitaire.

[4] Mt. 4, 17b, texte parallèle à Mc. 1, 5.

[5] M. Luther, Les Sept psaumes de la pénitence, Œuvres, Labor et fides, Genève, 1957, tome I, p. 54.

[6] Dans la Traduction œcuménique de la Bible (T.O.B.), il s’agit du verset 10b : « et qu’ils dansent, les os que tu as broyés ».

[7] Ibid., p. 55.

[8] Dans la T.O.B., il s’agit du verset 14b : « et que l’esprit généreux me soutienne ! ».

[9] Le traducteur de l’édition Labor et fides précise : « C’est-à-dire : qui servent avec une entière spontanéité (frei-willig) ».

[10] Cf. infra.

[11] M. Luther, Un Sermon sur l’indulgence et la grâce, Œuvres, Labor et fides, Genève, 1957, tome I, p. 117.

[12] «  Treizièmement. C’est une grande erreur que quelqu’un pense qu’il veuille satisfaire pour ses péchés, alors que Dieu les pardonne sans cesse gratuitement par sa grâce inestimable, ne demandant rien en échange si ce n’est de mener désormais une vie bonne. La Chrétienté exige, certes, quelque chose ; aussi peut elle et doit elle aussi remettre cela même et n’imposer rien de difficile ou d’insupportable. Quatorzièmement. L’indulgence est autorisée à cause des Chrétiens imparfaits et paresseux qui ne veulent pas s’exercer hardiment dans les bonnes œuvres ou qui sont rebelles. Car l’indulgence n’incite personne à s’amender, mais tolère et autorise leur imperfection. C’est pourquoi on ne doit pas parler contre l’indulgence ; mais on ne doit pas non plus y pousser personne » (Un Sermon sur l’indulgence et la grâce, op. cit., p. 118).

[13] P. Melanchthon, La Confession d’Augsbourg, in anth. d’A. Birmelé et M. Lienhard, La Foi des Églises luthériennes, confessions et catéchisme, Cerf, Paris, et Labor et fides, Genève, 1991, p. 49.

[14] P. Melanchthon, Apologie de la confession d’Augsbourg, in anth. d’A. Birmelé et M. Lienhard, La Foi des églises luthériennes, confessions et catéchisme, Cerf, Paris, et Labor et fides, Genève, 1991, § 221, p. 179.

[15] Ibid., § 228, p. 182.

[16] Cf. infra : les Dispositions pratiques.

[17] La Confession d’Augsbourg, op. cit., article XXV, p. 69.

[18] M. Luther, Formula missae, Melanchthon, Unterricht der Visitatoren (Enseignement à l’intention des visiteurs : Instr. des Inspecteurs).

[19] Cf. Luther, le Grand et le Petit Catéchisme.

[20] Voir aussi I Co 12, 12-31 ; 13 ; Col. 1, 12-22 et les discours d’adieux de l’évangile selon saint Jean, les chapitres 14 à 17, le Christ y communique aux siens ce qu’Il tient du Père. Ce choix n’est pas limitatif.

[21] Citation de F. Bolgiani, traduction de J. et F. Flamant, in Collectif, La Communion des Saints, Cahiers de recherche et de réflexion religieuses, n°25 et 26, Beauchesne, Paris, 1988, p. 37.

[22] Ibid., p. 42.

[23] Citation de M. Lienhard in La Communion des Saints, op. cit., pp. 120-121.

[24] Cf. Ex 17, 8-16.

[25] Cf. He 7, 23-25 ; 9, 11-28.

[26] Deuxième concile œcuménique du Vatican, const. dogm. sur l’Église Lumen gentium…, A.A.S., LVII, 1965, n° 49, p. 54-55.

[27] Paul VI, const. ap. Indulgentiarum doctrina…, Documentation catholique, 5 février 1967, n° 1487, colonnes 204-206.

[28] «  Faut-il limiter les saints ainsi évoqués aux contemporains du croyant, à des hommes encore en vie ? Le texte de Luther n’impose pas, à mon avis, une telle restriction, encore que l’accent soit certainement mis, chez Luther, sur la communion entre les hommes sur terre. Il faut rappeler ici tout ce qui, pour Luther, jetait le discrédit sur la recherche de la communion avec les défunts, en particulier sur le plan du culte des saints. Il faut avoir à l’esprit les abus de l’époque. […] » (M. Lienhard in La Communion des Saints, op. cit., p. 121).

[29] Sancti : la prière d’intercession des saints ; sancta : l’accès aux choses saintes, les Sacrements.

[30] Collectif, Les Anathèmes du XVIè siècle sont-ils encore actuels ?, Cerf, Paris, 1989, p. 112.

[31] Catéchisme de l’Église catholique, §§ 2007 et 2008.

[32] Ibid., § 1451.

[33] Texte cité par le Catéchisme de l’Église catholique, § 1460.

[34] Cf. Ph 4, 13.

[35] Cf. Lc 3, 8.

[36] Dentzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, definitiorum et declarationum de rebus fidei et morum, concile œcuménique de Trente, 1691.

[37] La Confession d’Augsbourg, le Centurion, Paris, et Labor et fides, Genève, 1979, p. 32.

[38] Note 1 p. 57, sur le mot « satisfaction ».

[39] « Si quelqu’un dit que l’homme peut être justifié devant Dieu par ses œuvres — que celles-ci soient accomplies par les forces de la nature humaine ou par l’enseignement de la Loi — sans la grâce divine venant par Jésus-Christ, qu’il soit anathème ! » (Concile de Trente, sixième session, 13 janvier 1547, premier des trente-trois canons faisant suite au décret sur la justification par la foi, in Les Conciles œcuméniques, les décrets, volume II, le Cerf, Paris, 1994, p. 1383).

[40] Cf. supra ce qui est écrit sur les œuvres de pénitence (ou satisfaction).

[41] Jean Paul II, A tous les fidèles en marche vers le IIIe millénaire, Incarnationis mysterium…, Bulle d’indiction du grand Jubilé de l’an 2000, le Centurion, Cerf et Fleurus-Mame, Paris, 1998.

[42] Paul VI, const. ap. Indulgentiarum doctrina…, Norme 1, Documentation catholique, 5 février 1967, n° 1487, cité dans le Catéchisme de l’Église catholique, §1471.

[43] Cf. supra.

[44] L’indulgence peut être acquise à titre personnel ou pour des défunts, mais pas pour d’autres vivants ; cf. le code de droit canonique de 1983 : Codes iuris canonici, can. 994.

[45] Nous pourrons méditer avec profit cette question posée par le professeur Marc Lienhard, actuellement président du directoire de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine : « Une question se pose évidemment aux protestants : comment traduire au plan liturgique l’honneur qu’il importe de manifester aux saints ? L’Église traditionnelle consacrait aux saints des journées particulières. La Réforme a diminué le nombre de ces fêtes. Ce fut particulièrement radical dans la Réforme zwinglienne qui supprima même l’année ecclésiastique et les distinctions entre les divers dimanches. Les luthériens et les anglicans restèrent beaucoup plus conservateurs. Ils ont maintenu non seulement l’année ecclésiastique, mais aussi les fêtes relatives aux saints bibliques. Dans son instruction aux visiteurs (Unterricht des Visitatoren, 1528), Melanchthon écrivit qu’« il serait bon qu’avec unanimité les pasteurs célèbrent les dimanches de l’Annonciation, de la Purification, de la Visitation, de Jean-Baptiste, Michel, comme aussi les jours des apôtres et de Marie-Madeleine » (Melanchthons Werke, tome I, éd. par R. Stupperich, 1951, p. 248). En 1531, Luther s’explique sur les raisons d’une telle célébration : « Nous fêtons le jour de saint Michel pour honorer et louer notre cher Seigneur Dieu de ce qu’il ait ordonné les saints anges à notre service… Nous célébrons la fête de saint Jean-Baptiste, non à cause de Jean, mais à cause de notre Dieu bien-aimé qui a donné au monde un prédicateur si excellent » (W.A. 34, II, 228). Les fêtes mentionnées sont toujours célébrées en 1659 dans l’Église luthérienne du Hanau-Lichtenberg, en Alsace. En certains endroits, le luthéranisme conserve même quelques fêtes de saints non bibliques : Laurent, Nicolas, Catherine, etc.. Il nous semble judicieux de retrouver aujourd’hui dans le protestantisme un cadre liturgique pour exprimer la vénération que nous pouvons porter aux saints. Il importe que l’honneur que nous leur attribuons s’adresse bien à Dieu. Coupée de la prière et de la liturgie, notre vénération risque d’aller à l’encontre du principe de la justification par la foi. On serait en effet tenté de valoriser pour eux-mêmes les saints du passé (en particulier des « saints » protestants), et d’en faire des héros. Cette tendance existe dans le protestantisme actuel, dans la mesure évidemment où il s’intéresse au passé. Les protestants « vénèrent » aussi bien Marie Durand qu’Albert Schweitzer, et bien d’autres ! » (Citation de M. Lienhard in La Communion des saints, op. cit., p. 125).

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