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Chronique sémantique

Le salut
Benedictus

Le mot « salut » a bien de la chance ! Il a échappé de notre temps au recyclage idéologique ou pratique qui guette tous les mots à forte connotation religieuse, spécialement chrétienne. Il n’est pas employé couramment dans la langue des entreprises, comme l’alliance, le mariage, le divorce, dans celle des chroniqueurs sportifs ou sociaux, comme la grand-messe, celle des adeptes de l’informatique la plus élémentaire, comme l’icône, ou celle de M. Tout-le-monde, qui adore tout, sauf Dieu, et consacre sa vie à toutes sortes de choses plutôt qu’à Lui.

Non, le salut est resté, mis à part son emploi usuel et familier dans les rencontres quotidiennes, pour remplacer « bonjour » ou « au revoir », un terme assez vieillot, bon pour les manuels d’histoire — témoignage d’une époque qui s’y connaissait aussi très bien en recyclage idéologique, la Révolution française, dans l’expression « salut public » —, ou pour des manifestations aujourd’hui encore tolérées dans les grandes rencontres médiatiques, mais sinon quelque peu suspectes pour l’opinion majoritaire, dans l’expression « salut militaire » ou des formules analogues, qui marquent, ô scandale, une certaine forme de respect pour une institution publique.

Donc, une chance pour les chrétiens : ils ne sont pas obligés de renvoyer ce mot peu connu au placard des expressions dangereuses, comme la charité, puisque celle-ci est, selon la phrase d’un intellectuel entendu sur les ondes, « la marque de mon pouvoir sur autrui », mais ils peuvent encore l’employer. Le mot n’est pas délavé, il est seulement déshydraté. Redonnons-lui donc un semblant de vie en l’humectant de la sève de l’étymologie et de la tradition chrétienne.

Le salut, c’est d’abord, comme l’indique le mot latin salus, d’où il est dérivé, la santé. C’est très exactement ce que ressent l’homme qui arrive d’une longue traversée marine, « sain et sauf » : « sauf » vient en effet de l’adjectif latin salvus, correspondant au substantif salus, c’est l’état de celui qui a échappé à un grand danger, qui demeure en vie, avec tous ses membres.

Parler de salut en termes religieux, c’est donc supposer que nous sommes tous en grand danger, et cela perpétuellement. Non pas seulement que nous puissions toujours glisser dans l’escalier et nous casser une jambe, mais plus fondamentalement parce que nous sommes complètement égarés et perdus dans le monde qui nous entoure. C’est bien le mot de Blaise Pascal : « L’homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré et tombé de son vrai lieu, sans le pouvoir retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables. » (Pensées, fr. 427, éd. Brunschvig).

Le salut pour un chrétien, et pour toute personne qui cherche Dieu, c’est donc ce qui est offert à l’homme d’aujourd’hui, déboussolé, et plus d’une fois désespéré, ballotté entre la mondialisation, le choc des terrorismes et des répressions, l’oppression des forces économiques, la ruine de sa santé, la perte des êtres chers : de quoi redresser la tête, redécouvrir qu’il a une histoire, une dignité et une vie non dépourvue de sens.

Réalisation : spyrit.net