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Chronique sémantique

La messe
Benedictus

Voici un mot que les médias ont coutume d’utiliser aujourd’hui dans quelques expressions toutes faites, ce qui est souvent, en linguistique historique, un signe avant-coureur de désaffection. J’ai en tête deux de ces expressions : « la messe est dite ! » sanctionne généralement, dans la bouche d’un chroniqueur sportif, une victoire remportée haut la main par une équipe de football, de hockey, de tennis,… sur un adversaire qui faisait piètre figure dès les pronostics. « La grand-messe du 20 heures » désigne en revanche le journal de telle ou telle chaîne de télévision regardée par des millions de personnes à travers la France, voire le monde francophone.

Qu’y a-t-il de commun entre ces expressions et quel sens laissent-elles entrevoir du mot « messe » ? Deux connotations différentes, dans une certaine mesure contradictoires, me semblent se dégager de ces emplois. D’abord celle d’une obligation (un peu pénible), enfin accomplie : « la messe est dite », cela peut se dire aussi : « le contrat est rempli, la formalité est accomplie » ; enfin Sochaux a éliminé Marseille ! Ensuite, la connotation d’un spectacle qui réunit, sinon matériellement, du moins virtuellement, par les ondes ou les câbles, un ensemble de personnes autour d’un événement. Cet événement peut aussi bien être un journal télévisé qu’une rencontre de responsables syndicaux, ou un meeting aérien.

Faisons un petit effort, en laissant de côté tout l’antichristianisme latent sous ces expressions — le match de foot remplace avantageusement la messe du dimanche et le journal télévisé le repas et la prière en famille —, et voyons si nous ne pouvons pas assumer les connotations ainsi découvertes. « L’Église fait obligation aux fidèles de participer à la messe tous les dimanches et aux fêtes de préceptes (…) » (Abrégé du Catéchisme de l’Église catholique, § 289, cf. CEC, § 1389). Oui, nous voulons assumer, nous autres catholiques, l’obligation de la messe du dimanche ; cette obligation ne nous est pas pénible, elle n’est pas la répétition d’un scénario joué d’avance, elle est vraiment la mise en œuvre de notre condition de baptisés, en un mot de la confiance que nous avons mise en Jésus-Christ et en sa Parole : « (…) si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6, 53, traduction BJ, 1998). La participation à la messe est la nécessité de boire qui s’impose à l’homme déshydraté quand il aperçoit enfin une vraie source (pas un mirage !) après de longs jours de marche au désert.

Mais nous assumons aussi la dimension de réunion autour d’un spectacle, d’un événement aussi exceptionnel que répété, de façon quotidienne ou hebdomadaire ; car de même que le journal télévisé de 20 heures sera le même le lundi 8 novembre 2009 et le mardi 9, et pourtant différent, avec des nouvelles qui ne seront pas identiques — on peut l’espérer en tout cas ! —, de même la messe du dimanche 7 novembre 2009 sera la même que celle du dimanche 14, et pourtant elle sera différente, car l’Église aura progressé vers la fin de l’année liturgique. Sans vouloir pousser trop loin la comparaison entre des ordres de réalité très différents, on voit ainsi que le christianisme assume la dimension publique de la rencontre dominicale autour du Christ qu’est la messe. Les chrétiens ne revendiquent pas, comme d’autres associations humaines (les francs-maçons par exemple) le secret ou l’élitisme, même si le cœur de cette rencontre, autour du sacrement de l’Eucharistie, est un temps de recueillement profond. La réussite d’événements comme les Journées mondiales de la Jeunesse ou les voyages pontificaux depuis Paul VI (ainsi la visite de Benoît XVI en France en septembre 2008) montrent que les catholiques ne sont pas partisans d’un malthusianisme spirituel, mais que nous voulons entendre et vivre selon la parole de saint Paul : le Christ « est mort pour tous, afin que les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15).

Montons d’un degré. Nous avons vu que l’obligation de la messe est une nécessité vitale, que sa célébration est un culte public destiné à tous les hommes et les femmes de tous les temps. Il reste à comprendre ce qu’est de façon précise ce culte, et pourquoi il nous est si nécessaire. Le dictionnaire du Petit Robert, dans son édition de 1979, donne une définition aussi intéressante et riche que partielle de la messe : « dans la religion catholique, Sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin, par le ministère du prêtre et selon le rite prescrit ». Une telle définition ne convient en rigueur de termes qu’à la seconde partie de la messe, celle qui comporte la célébration du sacrement de l’eucharistie ; car la célébration eucharistique est, déjà en elle-même, le centre et le sommet de la vie chrétienne, mais elle est toujours, sauf dans des cas exceptionnels (communion d’une personne malade) précédée d’une autre partie, qui comporte la célébration de la parole de Dieu. C’est ce que rappelle la Constitution sur la Liturgie du dernier concile : « Les deux parties qui constituent en quelque sorte la messe, c’est-à-dire la liturgie de la parole et la liturgie eucharistique, sont si étroitement unies entre elles qu’elles expriment un seul acte de culte » (§ 56).

La messe catholique est donc un acte de culte rendu à Jésus-Christ en deux temps successifs : une proclamation et une écoute de la parole divine ; une célébration de la mort et de la résurrection de Jésus, dans le renouvellement efficace des gestes qu’il a accomplis au cours de son dernier repas, la sainte Cène, et selon le commandement qu’il a donné à ses apôtres. La messe est une liturgie à deux facettes, qui s’adresse à tout notre être : l’intelligence et la volonté, pour que nous comprenions sa Parole et y donnions notre adhésion ; la sensibilité et le cœur, pour que nous trouvions la nourriture qui satisfait les besoins les plus profonds de notre être quand nous partageons le corps de Jésus ressuscité, offert au Père pour nous. On comprend qu’une telle liturgie soit pourvue de connotations si variées que les expressions ont abondé pour la décrire. Le Catéchisme de l’Église catholique ne compte pas moins de huit synonymes du mot Eucharistie : « Repas du Seigneur, Fraction du Pain, Assemblée eucharistique, Mémorial de la passion et de la résurrection du Seigneur, Saint Sacrifice, Sainte et divine Liturgie, Communion, Sainte Messe » (§ 1328 à 1332).

La plupart de ces expressions ne conviennent, en toute rigueur encore, qu’à la seconde partie de la liturgie. On pourrait le dire notamment de la dernière d’entre elles : « Sainte Messe, parce que la liturgie dans laquelle s’est accompli le mystère du salut se termine par l’envoi des fidèles (missio), afin qu’ils accomplissent la volonté de Dieu dans leur vie quotidienne » (ibid., § 1332). Cette explication étymologique, qui correspond exactement aux dernières paroles du prêtre dans le texte latin du missel romain « ite, missa est  : allez, la messe est dite », n’est plus guère perçue par les fidèles et elle n’épuise pas, à notre sens, toute la richesse des significations qu’a revêtues le mot « messe ». C’est pourquoi il me semblerait utile d’admettre à nouveau ce terme, à côté de celui d’eucharistie, qui est pourvu de riches connotations mystiques, propres au sacrement lui-même et donc davantage à la seconde partie de la liturgie dominicale. Cela permettrait également, sans nous opposer à nos frères protestants ou orthodoxes, qui célèbrent aussi le culte dominical sous des expressions différentes (la Cène, les saints mystères), d’avoir, pour désigner cette célébration, le même mot que les frères et sœurs catholiques qui célèbrent le rite romain selon la forme en usage depuis le Concile de Trente. Nous ferions ainsi un pas, sans vouloir anticiper les résultats du dialogue théologique en cours, vers l’accomplissement du désir de Notre Seigneur : « …comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient un, comme nous sommes un… » (Jn 17, 21).

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