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Chronique sémantique : Ascension ou assomption ?

Benedictus

Voici deux mots d’un usage bien dissemblable : le premier est assez usuel, soit dans son acception sportive –ascension du Mont-Blanc ¬–, soit dans son sens figuré –ascension sociale fulgurante – ; le second en revanche sonne de manière sévère et comme abstraite, et il semble réservé aux domaines de la théologie et de la philosophie. Sous l’angle théologique, qui nous intéresse ici, on parle de l’Ascension de Jésus-Christ, mais de l’Assomption de la Vierge Marie. Pourquoi une telle différence de termes pour désigner des réalités somme toute bien proches, puisqu’il s’agit toujours du transfert d’un corps de ce monde-ci vers le monde divin, localisé dans les hauteurs du ciel ?

Il faut ici recourir à l’étymologie. « Ascension » vient du latin ascendere, « monter » ; l’emploi du mot à propos de Jésus est transparent : Il est descendu sur la terre – par son Incarnation) et est monté – par son Ascension (cf. Ep 4, 8-10). « Assomption » vient d’un autre verbe latin, assumere, « prendre pour soi, accueillir, enlever, élever », et il faut le conjuguer au passif pour l’employer en ce sens théologique précis : « Marie, toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste » (Pie XII, Constitution Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950)

D’un côté, le terme d’ascension indique que le transfert du corps de Jésus se fait par Sa seule volonté : Jésus accomplit la plénitude de sa victoire sur la mort et manifeste une toute-puissance qui vient de Sa nature divine, par cette montée au ciel qui achève sa Résurrection. De l’autre, le terme d’assomption, appliqué à Marie, signifie que c’est Dieu qui l’attire au ciel, le Christ qui l’emporte pour qu’elle soit auprès de Lui : dans la tradition des textes bibliques, reprise par le document pontifical, le passif a été élevée est un « passif divin » et l’agent de ce transport miraculeux est Dieu lui-même.

Tout cela est intellectuellement très cohérent et satisfaisant : le Christ, étant Dieu, monte au ciel « de ses propres forces » ; la Vierge Marie, sa Mère, n’étant qu’une créature, bien que modèle suprême de sainteté pour nous, est enlevée au ciel par les anges, comme le représente l’iconographie habituelle de l’Assomption, et donc par la volonté de Dieu. Et le vocabulaire courant de la langue française fait bien la distinction, en rendant à chacun ce qui lui convient.

Toutefois, la lecture attentive des textes bibliques révèle une surprise de taille… En effet, aucun des textes qui décrit l’Ascension de Jésus n’emploie le verbe grec que la Vulgate aurait pu traduire par ascendere « monter », mais la plupart emploient le verbe qu’on traduit par assumi « être enlevé », et l’un emploie un terme moins riche, mais quasiment synonyme, qu’on traduit par ferri « être emporté ». Voici deux des récits évangéliques les plus significatifs : « Donc, le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc 16, 19) ; « Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux et fut emporté au ciel » (Lc 24, 51).

L’explication que donne F. de Chaignon (Le Mystère de l’Ascension, 2008, p. 24) de cet état de choses est très plausible : l’emploi des passifs « être emporté, être enlevé » signifie l’action du Père. Les premiers récits de l’Ascension mettent donc en avant la collaboration des Personnes divines dans cet événement : de même que dans son Baptême, la voix du Père venait du ciel et attestait la filiation divine de Jésus (Mc 1, 11), de même, après la Résurrection, le Père manifeste sa sollicitude aimante pour son Fils en l’attirant à Lui et manifestant ainsi que sa mission parmi les hommes est accomplie.

Ainsi, Ascension et Assomption sont moins opposés qu’on pourrait le croire : si le second seulement peut s’appliquer à la Vierge Marie, les deux peuvent s’appliquer au Seigneur Jésus, ce qui remet discrètement en lumière la persistance de la nature humaine de Jésus en son corps glorifié. C’est par cette humanité de Jésus, preuve absolue de la charité divine pour ses créatures humaines, que nous sommes sauvés en espérance et pouvons, à la suite de Marie, espérer habiter un jour les demeures célestes et contempler sans fin la gloire du Ressuscité.

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