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Chronique sémantique : Virginité

Benedictus

Osons braver le ridicule et le « culturellement correct ». Osons parler de la virginité, ce qui n’est peut-être pas si déplacé pour des hommes et des femmes qui croient en Jésus-Christ et prient, régulièrement ou occasionnellement, la Vierge Marie. Le mot a pourtant mauvaise presse : il faut reconnaître que pour un grand nombre de jeunes de notre pays, et un certain nombre d’éducateurs, dire d’un adolescent qu’il (ou elle) est « vierge » signifie qu’il (ou elle) est demeuré(e), arriéré(e).

Sans nous pencher sur les causes, et en restant dans l’investigation sémantique, ouvrons le dictionnaire. Le Petit Robert (éd. de 1979) renvoie, pour la définition de « virginité » à celle de « vierge », en énonçant sobrement : « état d’une personne vierge ». A ce mot, nous trouvons d’abord une distinction entre un nom féminin et un adjectif. Pour le nom, le sens premier, que le dictionnaire connote vieux ou didactique, que nous dirions volontiers médical ou biologique, s’énonce ainsi : « Fille qui n’a jamais eu de relations sexuelles, et possède encore l’hymen ». Pour comprendre l’évolution, il faut passer à l’adjectif, dont le Robert nous donne comme sens premier : « qui n’a jamais eu de relations sexuelles », et pour sens second « qui n’a jamais été touché, sali, souillé, terni ou simplement utilisé ». Il est clair que le sens premier concerne des personnes humaines (hommes ou femmes) et le second des choses (pellicule vierge, huile vierge, etc.).

Ouvrons maintenant le Catéchisme de l’Église catholique. Le texte fondamental nous semble être celui du paragraphe 1619 : « Les deux, le sacrement du mariage et la virginité pour le Royaume de Dieu viennent du Seigneur lui-même. C’est Lui qui leur donne sens et [leur] accorde la grâce indispensable pour les vivre conformément à sa volonté. L’estime de la virginité pour le Royaume et le sens chrétien du mariage sont inséparables et se favorisent mutuellement. » Ce texte pose la virginité, au sens premier de l’état d’une personne vierge, comme un état de vie possible à choisir, à côté de l’état du mariage. Il s’appuie directement sur la parole de Jésus : « Il y a des eunuques qui le sont de naissance, dès le sein de leur mère ; il y a aussi des eunuques qui le sont devenus par la main des hommes ; et il y en a qui se sont faits eunuques eux-mêmes à cause du Royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre comprenne. » (Mt 19, 12)

Réfléchissons un instant à ce que signifie cette valorisation de l’état de virginité, comme un état de vie durable possible, en face du mariage. Cela signifie que l’abstinence de relations sexuelles est pour Jésus une bonne chose, s’il est fait « à cause du Royaume des cieux ». Nous avons ici le commentaire que Jean-Paul II fit de ce passage dans son exhortation apostolique Vita consecrata (1996) : « La chasteté des célibataires et des vierges, dans la mesure où elle manifeste le don à Dieu d’un cœur sans partage, constitue un reflet de l’amour infini qui relie les trois Personnes divines dans la profondeur mystérieuse de la vie trinitaire » (§ 21). Des notions importantes sont ici mises en avant. Nous retiendrons l’une d’elles : le « don d’un cœur sans partage ». La virginité pour le royaume est donc l’abstinence d’une chose bonne en soi, le don d’un homme à femme (et réciproquement) dans les relations conjugales, pour réserver ce don totalement à Dieu lui-même.

Si donc la virginité est une valeur positive, c’est par l’offrande de cette abstinence à Dieu, comme un témoignage d’amour. Par là, l’Église se distingue des morales de la pudibonderie ou de l’exaltation de l’intégrité corporelle, ces dernières pouvant être en vogue à notre époque de l’autre côté de l’Atlantique. Elle affirme surtout d’une part que la relation sexuelle est une relation entre personnes, et non un acte de consommation, ce qui a pour conséquence le respect de la personne humaine et spécialement de la plus faible, ce qui est souvent la femme : la liberté du choix du mariage ou du célibat est une conquête de la civilisation chrétienne sur le paganisme ; sur ce point, comme sur d’autres, il n’est pas certain que la montée grandissante de l’islam en notre pays soit une bonne chose.

Il y a à cela un second corollaire, souvent méconnu : l’état de virginité n’est pas réservé à ceux qui ont fait vœu de célibat, que ce soit dans une vie sacerdotale, religieuse, ou une autre forme de consécration à Dieu. S’il est vrai que les relations sexuelles impliquent une donation entière de la personne à son partenaire, elles sont un acte sacré, dans lequel Dieu ne peut être absent. Elles sont donc réservées à ceux qui se sont unis devant Dieu et se sont consacrés l’un à l’autre devant lui : tel est le sens du sacrement de mariage. Dès lors, la virginité est aussi l’état naturel de préparation au mariage, car par le baptême, l’homme et la femme sont consacrés à Dieu dès le début de leur vie chrétienne : « Toute la vie chrétienne porte la marque de l’amour sponsal du Christ et de l’Église. Déjà le baptême, entrée dans le peuple de Dieu, est un mystère nuptial : il est, pour ainsi dire, le bain de noces qui précède le repas de noces, l’Eucharistie » (CEC, 1617).

Dès lors, il est urgent que nous redécouvrions la valeur de la virginité, quel que soit notre état de vie, que nous puissions concrètement la vivre ou seulement l’estimer et la recommander. Car elle n’est pas l’opposé du plaisir et de la joie, elle est bien plus, si elle est vécue consciemment comme une offrande de soi-même à Dieu, une forme de la charité. Sa redécouverte sera un affinement de notre conscience morale, et une marque de confiance envers l’Église, qui a toujours reconnu sa valeur. Prenons ce chemin en suivant la Vierge Marie, à qui le Seigneur a accordé ce privilège d’être à la fois vierge et mère, et demandons au Seigneur de pouvoir allier, à son exemple, la chasteté et la fécondité, l’ascèse et la charité.

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