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Chronique sémantique : la fidélité

Benedictus

Il y a quelques mois, nous distinguions dans ces colonnes ce que nous avions appelé le double versant de la « foi » : adhésion à une personne, adhésion à un contenu de pensée. Nous pourrions en dire autant pour la « fidélité », mot qui est assurément de la même racine, celle du latin fides — même si la réfection savante du terme médiéval « féauté » en « fidélité » fait mieux apparaître la racine latine que la formation populaire de « foi ». Nous pourrions distinguer ainsi la fidélité conjugale, hautement personnelle, et la fidélité « à ses idées », qui n’est pas méprisable non plus, quoique plus abstraite. Toutefois, une troisième espèce de fidélité existe aussi pour l’être humain, qui semble intermédiaire entre ces deux premières sortes : c’est la fidélité à un engagement, à une promesse. En observant cette fidélité, l’homme ou la femme, et même l’enfant, inscrivent dans la durée la décision d’un instant.

C’est une éminente dignité de l’homme que cette capacité d’inscrire une décision dans la durée, un accomplissement sans pareil de lui-même. Car les rêveries, les idées ou les sentiments ne nous font pas échapper au drame de notre existence qu’est la finitude, avec l’horizon de la mort. La fidélité en revanche nous emmène au-delà de cette finitude, elle nous conduit sur les chemins de Dieu : « Si nous sommes morts avec lui, avec lui nous vivrons. Si nous tenons ferme, avec lui nous régnerons. Si nous le renierons, lui aussi nous reniera. Si nous sommes infidèles, lui reste fidèle, car il ne peut se renier lui-même. » (2 Tm 1, 11-13).

On le voit, la fidélité, parce qu’elle conduit l’homme vers de hauts sommets, n’est pas facile à vivre. Nous pouvons montrer d’abord ce qui fait obstacle à sa pratique, puis ce qui la favorise au contraire. Certainement, l’antithèse évidente de la fidélité, c’est le papillonnage, qu’on nommerait plus justement la versatilité : aucune attitude humaine ne mériterait d’être vécue dans la continuité, tout doit changer, s’adapter aux goûts de la mode, à l’humeur du moment ; la créativité permanente serait le chemin de l’épanouissement de soi, du progrès de l’humanité, du bonheur des hommes. Il s’agit là d’une idéologie qui pourrait revendiquer, de façon détournée, le mot du philosophe grec Héraclite, panta rhei, « tout s’écoule », mais surtout c’est un modèle de comportement qui imprègne fortement la culture occidentale contemporaine et fait vivre « à 300 à l’heure », par l’utilisation intensive des médias modernes, sans laisser de place à la pause, au silence ou à la réflexion.

Au contraire, une juste prise de distance par rapport à cette course éperdue, des moments choisis de repos favorisent la réflexion et rendent possibles des décisions mûries. Cette prise en compte du temps dans nos vies est une des conditions de la fidélité. Mais il y en a une autre : tenir un engagement suppose de prendre en considération également le bien de la personne envers qui l’on s’engage, de façon différente bien sûr selon l’importance de l’engagement, mais toujours dans un souci de réciprocité : « tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux » (Mt 7, 12).

Ainsi, inscrire sa décision dans la durée, quand elle nous engage profondément, suppose une haute idée, non seulement de soi-même, mais aussi d’autrui, de celui envers qui on s’engage, qui doit être capable de répondre à notre fidélité par sa propre fidélité. A ce compte-là, on voit bien que la situation humaine où se montre le mieux la fidélité est celle du don réciproque de l’amour, qu’il prenne la forme sociale de l’amitié, la forme sexuée de l’amour conjugal ou la forme religieuse de l’amour divin.

En ce domaine, chacun de nous est à la fois maître et apprenti : maître, grâce à sa propre expérience de rapports humains harmonieux vécus dans la durée, apprenti car qui pourrait se vanter de vivre pleinement dans la fidélité les différents engagements qu’il a pris ou ratifiés, comme ceux de la cérémonie du baptême qu’il a pu recevoir en son enfance ? Pour nous chrétiens, notre maître sera Jésus, dont la vie terrestre en notre humanité a manifesté pleinement jusqu’où pouvait aller la fidélité de l’amour divin : « Nul n’a de plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis. » (Jn 15, 13).

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