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Commentaire sur le Cantique des cantiques (Grégoire de Narek)

Pontificio Istituto Orientale, coll. Orientalia Christiana Analecta n° 285, Rome, 2010.
P. Michel Gitton

Comme on sait, la curiosité des catholiques pour les Pères de l’Église ne dépasse pas les Pères grecs. Pourtant on découvre chaque jour davantage qu’il a existé un christianisme plus à l’Est que Constantinople et même Antioche. Les Pères syriaques sont aujourd’hui l’objet d’un réexamen salutaire qui révèle des richesses insoupçonnées. Isaac de Ninive (630 ?-715 ?) vient de faire l’objet d’un très intéressant numéro de la Revue Connaissance des Pères de l’Église [1], nous laissant entrevoir tout un pan de l’expérience monastique au-delà du Jourdain. À présent, ce sont les Pères arméniens qui sollicitent notre intérêt avec la publication du Commentaire sur le Cantique des cantiques écrit par l’un des plus célèbres d’entre eux, Grégoire de Narek (940 ?-1003 ?). La publication de Levon Petrossian comporte heureusement une introduction copieuse qui permet de resituer cet auteur dans le renouveau monastique qui marqua la période de paix qui s’étend entre deux invasions musulmanes (celle des Arabes, puis celle des Turcs seldjoukides), elle permet aussi de découvrir les courants de pensée qui agitent l’Arménie de ce Xe siècle : notamment l’hérésie des « Tondrakiens », anti-ecclésiale et anti-sacramentelle, qui fut durement réprimée. Nous apprenons que le rejet des décisions de Chalcédoine n’était pas aussi universel dans l’Église arménienne de ce temps-là qu’on pourrait le croire et qu’une large tolérance permettait aux tenants du diphysisme (deux natures dans le Christ) comme à ceux du monophysisme de s’exprimer, Grégoire lui-même développant une christologie plutôt irénique.

Le grand avantage du présent commentaire, qui n’ignore rien de ses prédécesseurs (Hippolyte, Origène et surtout Grégoire de Nysse), c’est qu’il développe la mystique nuptiale du Cantique des Cantiques dans un sens plus nettement sacramentel. Ce qui nous vaut de très belles pages, comme celle-ci : L’Époux dit : « voici que tu es ma prochaine, ma belle, tes yeux sont des colombes ». C’est-à-dire : cette beauté que tu as maintenant, c’est advenu grâce à mon étrange couronnement, même tête couronnée d’épines, grâce à quoi tu es devenue vraiment belle, puisque, par cette couronne d’épines, j’ai pris sur moi la laideur de tes péchés. Voici que cette beauté manifeste la purification baptismale, advenue par la nouvelle naissance dans l’Esprit Saint. Par une expression redoublée, il a manifesté que ceux qui sont modelés de ce nouveau modelage et qui le conservent sans tache ont un aspect beaucoup plus beau et supérieur au premier, celui que Adam avait dans sa gloire. (pp. 312-313)

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] Numéro 119 de septembre 2010. Mentionnons également le numéro 128 de Résurrection (novembre 2008-février 2009), intitulé : « Le Christianisme au-delà du Jourdain ».

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