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Concours Général de Théologie : Les preuves de la Résurrection

Adrien Candiart
Depuis deux ans, a l’initiative des P. de Menthière et Seguin, un Concours Général de Théologie est proposé aux élèves de classe préparatoire. Le thème en 2001 était la Résurrection ; l’épreuve écrite a réuni 80 candidats. Nous avons souhaité publier la copie d’un lauréat pour montrer que de jeunes étudiants partagent déjà notre enthousiasme pour la théologie. La question de l’historicité de la Résurrection demande sans doute qu’on pousse plus loin l’analyse, mais un premier jalon est posé.

Considérez-vous qu’on peut avoir des preuves de la Résurrection du Christ ou que, parce qu’elle est objet de foi, elle est sans preuve ?

Aujourd’hui, comme au temps des Apôtres, la Résurrection de Jésus étonne, laisse perplexe, et c’est légitimement qu’on demande aux chrétiens : “ Mais quelles preuves avez-vous pour avancer que Jésus est ressuscité ? ” Deux attitudes sont alors possibles : l’une consiste à vouloir prouver à tout prix, presque rationnellement, preuve à l’appui, la résurrection –ce qu’on a pu faire, notamment les Pères de l’Église ; l’autre refuserait jusqu’à toute possibilité de preuve, sous prétexte qu’elle n’est qu’objet de foi, et par conséquent ne s’explique pas, ne se prouve pas, quitte à oublier un peu la réalité historique de l’événement –attitude courante à l’époque contemporaine, où devant une volonté quelque peu hégémonique de la science, les chrétiens font souvent profil bas, disant aux scientifiques : “ Vous, vous prouvez ; nous, nous croyons ”.

Mais le point d’équilibre devant ce problème ne réside-t-il pas d’une une juste définition de ce qu’on entend par preuve ? C’est-à-dire, s’agit-il nécessairement d’une preuve rationnelle, ou désigne-t-on par là un élément permettant d’aboutir à une certitude ? Et cette notion de certitude n’est-elle pas elle-même dépassée par le phénomène de la foi.

On commencera donc par s’attacher à l’examen des preuves traditionnelles de la Résurrection, et de leurs limites, avant de s’interroger sur le caractère cependant nécessaire de preuves pour croire. Du reste, vouloir se passer de preuve est-il exempt de risque ?

On présente traditionnellement comme “ preuves ” de la résurrection le tombeau vide (et avec lui les linges trouvés bien pliés), les apparitions du Ressuscité, et, secondairement, les prophéties traitant de résurrection, ou preuve par les Écritures. On a pu les discuter passionnément, ce qu’on fait certains Pères de l’Église. On se souvient que saint Augustin s’était par exemple en prêchant adressé, en leur absence bien sûr, aux soldats qui gardaient le tombeau de Jésus et avaient on le sait raconté que les disciples étaient venus dans la nuit profiter de leur sommeil pour dérober le corps : “ Si vous ne dormiez pas, comment l’auraient-ils pris ? Et si vous dormiez, que savez-vous de ce qui s’est passé ? ”

Cette insistance à vouloir prouver est tout à fait respectable, mais cependant que prouvent les preuves ? Le tombeau vide n’est pas très convaincant. Du reste, l’Évangile ne dit pas autre chose, quand saint Jean rapporte l’épisode de la venue au tombeau de Pierre et du disciple bien aimé après l’annonce de Marie de Magdala ; le disciple bien aimé, nous dit-il, “ vit et il crut ”, et non pas “ il sut ”. Il s’agit toujours de croire, c’est encore une question de foi.

De la même façon, les apparitions, outre que les différents récits que nous en avons ne concordent pas toujours, peuvent fort bien être –on nous le dit- une hallucination collective, ce qui ne remet pas en cause la bonne foi des témoins, bonne foi qu’ils ont prouvée en donnant le plus souvent leur vie. De plus, de tout cela, nous, nous n’avons rien vu. Nous croyons sans avoir vu. Nous n’avons pas vu le tombeau vide, nous n’avons pas vu, je crois, le ressuscité, ces preuves ne nous prouvent donc pas grand chose.

Certes, il nous reste la preuve par les Écritures. Certes, l’Ancien Testament nous parle à plusieurs reprises de résurrection, et on a pu appliquer ces récits à la résurrection de Jésus. Mais cela, une foi encore, ne nous prouve pas que Jésus est ressuscité. D’ailleurs, nous disons qu’il est ressuscité “ conformément aux Écritures ”, et non “ ce que montrent les Écritures ”. Il faut d’abord faire confiance aux Écritures, et la validité de cette preuve comme des autres dépend de la confiance qu’on leur accorde. Tout est affaire de foi.

La résurrection est une question de foi, évidemment. Mais la foi elle-même ne peut se passer de preuves, en ce sens qu’elle se prouve parce qu’elle s’éprouve. On peut toujours rêver d’une foi chimiquement pure, qui ne s’appuie sur rien d’autre qu’une confiance aveugle. Mais nous sommes humains, et nous devons légitimement nous appuyer sur des “ preuves ”, qu’il s’agisse du spectacle de la nature –comme le rappelle le magistère à la suite du livre de la Sagesse–, du témoignage des autres –témoignage oral ou témoignage de vie–, de notre expérience de l’amour de Dieu dans nos vies. Ces “ preuves ”, plutôt des indices, ont leur importance.

Il est du reste heureux que nous n’ayons pas de preuve absolue. Sans cela, où serait la foi ? Et surtout, où serait notre liberté ? Si cela était évident, Dieu ne serait plus Dieu, mais le roi du monde, et nous n’aurions plus à faire le choix de l’aimer. On se souvient du mot célèbre d’un rabbi juif : “ Les chrétiens disent que le messie est venu ; moi, tous les matins, j’ouvre ma fenêtre, et je ne vois rien de changé. ” Heureusement que ce changement n’est pas si visible.

Mais les preuves de la résurrection ont, outre leur nécessité due à une certaine faiblesse humaine de notre part –légitime, puisque humaine–, l’avantage d’en faire un événement objectif, ancré dans le réel. La résurrection n’est pas un événement qui n’existe que parce que j’y crois, totalement personnel et subjectif. C’est au contraire un événement historique, qui a par conséquent ses preuves, c’est-à-dire les signes de son existence objective et réelle.

Le risque serait grand, en effet, de vouloir déconnecter tout à fait la résurrection de son historicité pour en faire une réalité presque symbolique. C’est du reste ici que la tentative de “ démythologisation ” de Bultmann, respectable à bien des égards, trouve ici son point critique, au moins pour nous, catholiques. On se souvient de sa formule : “ Jésus est ressuscité dans le kérygme. ” Certes, il n’est alors plus question de preuve, puisqu’un événement symbolique ne laisse pas de trace. C’est à cet excès que risque d’entraîner une attitude trop radicale, déclarant que la résurrection n’est qu’objet de foi. S’agit-il d’ailleurs de foi pure ? Plutôt de symbole ; Dieu, alors, ne s’incarne plus réellement, il n’est qu’une idée, et certainement pas le Dieu de Jésus-Christ.

Sans doute, l’excès inverse n’est pas meilleur. On a bien vu que les “ preuves ” de la résurrection avaient leurs limites bien réelles ; à s’engager sur ce terrain, on est sûr de perdre, et on oublie le caractère parfaitement irréductible de la foi, qui s’appuie, comme de juste, sur des indices.

Car la foi représente un plus par rapport à la certitude. On le voit bien quand Jésus dit à Thomas : “ Parce que tu m’as vu, tu as cru ”. Là encore, il s’agit de croire, de foi. Elle ne résulte pas automatiquement de la vision. C’est ce que disait Jésus, dans la parabole du riche et de Lazare : “ Quelqu’un pourrait bien ressusciter des morts, ils ne croiraient pas, tant leur cœur est endurci. ”

N’ayons donc pas peur d’être humains, de nous appuyer sur ce qui nous est donné. Mais prétendre prouver la résurrection, c’est être tôt ou tard amené à nier la foi.

Adrien Candiart, Adrien Candiart, 1er prix ex-aequo, élève en Hypokhagne au lycée Henri IV.

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