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De la vérité et quelques autres sujets

Résurrection

La nécessité de sortir un numéro double nous amenés à réunir dans une même livraison des articles prévus de longue date sur le thème de la vérité et des contributions suscitées par l’année de la vie consacrée dont le pape François a eu l’initiative et qui a commencé en novembre dernier. Autant dire qu’il n’y a pas de lien a priori entre ces deux sujets. Et pourtant…

Pourtant il n’est pas difficile de voir que la vérité qui nous rendra libres (Jn 8,36) est tout sauf le privilège de quelques théoriciens de la logique formelle. La vérité dont parle la Bible a quelque chose à voir avec la fidélité. C’est même souvent ainsi qu’est traduit dans nos bibles le mot hébreu émeth, que les auteurs de la Septante ont mieux aimé, quant à eux, rendre par alètheïa. La vérité aurait-elle quelque chose à voir avec l’engagement d’une liberté pour Dieu, telle que la vie consacrée en propose le modèle ? Sans aucun doute, car elle dérive d’abord de la fidélité de Dieu lui-même, dont la parole est vraie en ce sens qu’elle est solide, constante, exempte de duplicité. Ce qui ne veut pas dire que la vérité divine soit un mot d’ordre monolithique, une affirmation pétrifiée. Dans la Bible, Dieu dit vrai, mais sa parole épouse toute la richesse bigarrée de sa Sagesse (Ep 3,10), elle se livre à travers la polysémie de certains termes et de certaines images. Il est des contradictions qu’il semble difficile de surmonter, mais ce n’est pas parce que Dieu jouerait d’une dialectique perverse pour nous égarer, c’est parce qu’il y a toujours plus à trouver et que le choc des énoncés réveille notre attention et nous oblige à sortir du plan où s’oppose chez nous telle notion à telle autre. Mais toujours pour nous conduire à ce que Jésus appelle la vérité tout entière (Jn 16,13).

La vie consacrée repose sur un échange de paroles qui est souvent formalisé par le rite de la profession et de l’engagement. C’est Dieu qui, en appelant cet homme et cette femme à un don particulier, ratifie l’œuvre qu’il a accomplie en les créant, car l’appel prend tout son sens quand il se révèle comme l’écho du projet par lequel il a conçu cette liberté à laquelle il s’adresse maintenant. C’est pourquoi tous ceux qui sont conscients d’une vocation savent bien que celle-ci ne datait pas d’hier, ni d’avant-hier, même s’ils en ont pris conscience récemment. Ils ont entendu : « avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré » (Je 1,5). La coïncidence entre la personne et sa mission surnaturelle atteste la fidélité de Dieu, fidélité qui ne s’arrêtera pas là, mais qui continuera d’envelopper celui ou celle qui s’est donné ainsi à lui. Et c’est ce qui peut permettre à la créature humaine d’engager à son tour sa liberté avec quelque chance d’être fidèle à l’appel entendu, bref c’est ce qui lui permettra d’être vraie à son tour.

Revenons à la vérité elle-même et voyons si nous ne pouvons pas tirer quelque profit de ce rapprochement. Au-delà de la simple adéquation de l’esprit et de la réalité, demandons-nous si elle n’est pas d’abord engagement implicite : si je prétends connaître quelque chose (un fait de la nature ou de l’histoire), c’est parce que je fais confiance à la réalité de ces choses. Si je supposais une seconde qu’elles ne soient qu’illusions changeantes, je ne m’attacherai pas autant leur arracher leurs secrets. C’est parce que cette res sur laquelle se penche l’intellect a quelque chance de tenir ses promesses, d’être intelligible, de rester constante en dépit de la variété des approches, que je peux prétendre en avoir une notion vraie. Et en retour le chercheur est porté lui aussi à s’engager dans un rapport de vérité : provoqué par ce réel digne de confiance qui l’interpelle, il se voit obligé de ne pas ruser avec la vérité, de ne pas truquer ses résultats pour avoir raison à tout prix, il a à répondre, par le sérieux de sa démarche, à la solidité d’un réel qu’il n’a pas inventé, mais qui s’offre à lui.

C’est dans une perspective un peu analogue que le P. Jean-Yves Lacoste nous fait voir tout ce qui est impliqué par le fait de « dire le vrai », le contraire de la vérité n’étant pas ici l’erreur, comme on le croit d’habitude, mais le mensonge.

Un de nos nouveaux amis, Florian Laguens, nous invite à ne pas désespérer d’une réflexion juste qui peut mener à une certitude fondée sur les questions essentielles de l’homme. Le modèle des sciences expérimentales n’est pas le seul qui puisse prétendre à la certitude, la philosophie et la pensée de la foi ont aussi leur accès, différent mais complémentaire, à la vérité.

Avec Jean-Gabriel Piguet nous rejoignons les pensées contemporaines qui ont voulu prendre acte de la fin des grandes certitudes sur l’homme, Dieu et le monde, et organiser une vie sociale, sans plus s’embarrasser d’un impossible consensus sur les raisons de vivre. La « cité sceptique » peut-elle vivre ? Peut-elle organiser le bonheur des hommes ? L’auteur nous met en garde contre des réponses trop rapides, mais nous permet aussi de porter la contestation au cœur du système.

Dans le deuxième versant de notre numéro (« la Vie consacrée »), nous trouverons d’abord les conclusions d’une série de conférences données par le P. Gitton sur le sujet et qui s’organisent en quatre volets : l’histoire de la vie consacrée, le sens de la vocation, les éléments constitutifs de la vie consacrée et la place de celle-ci dans l’Église. Puis viennent trois témoignages très différents qui se sont fait entendre pendant les Conférences de Carême à Notre Dame de Paris en mars 2015 : ils émanent d’une vierge consacrée du diocèse de Paris, d’une religieuse de Saint François Xavier et d’un frère de Taizé, montrant quelques-unes des facettes de l’unique appel à la sainteté. Le récit d’un chemin très personnel à la recherche du Christ, qui appelle souverainement qui il veut, clôture le tout (Christelle).

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