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Défense et illustration de la messe d’adoration

Maxime Charles
Nous publions ici un texte que Mgr Charles avait confié à la revue Résurrection en 1986 peu après avoir quitté son poste de recteur de la basilique de Montmartre. Nous en étions alors au n° 2 de la nouvelle série. Ces lignes n’ont pas perdu leur pertinence, même si l’usage de la messe d’adoration ne s’est pas répandu très largement encore.

Il est un rite qui, lancé par la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, commence à se répandre : il consiste à introduire dans la messe, entre la fin de la prière eucharistique et le Notre Père, un temps plus ou moins long d’adoration du Christ présent sous l’apparence du pain et du vin eucharistiés.

Dans le fidélité au Concile

Comme toute nouveauté, celle-ci a soulevé des objections. Bien que le Concile ait souhaité qu’on assouplisse les rubriques, on craint qu’à la faveur d’un changement, on ne coure à la catastrophe. En sont témoins les fantaisies liturgiques qui ont éloigné tant de chrétiens de l’Église. Mais les fantaisies en question n’avaient pas seulement l’inconvénient d’être nouvelles, mais aussi celui d’exprimer une foi insuffisante en la présence réelle, ou mal équilibrée dans le sens d’une charité fraternelle dépourvue de toute dimension religieuse. Mais, pour une fois, il semble que cette innovation de l’adoration introduite dans la messe aille bien dans le sens d’une reconnaissance affirmée du Corps et du Sang du Christ en face de la contestation. D’ailleurs, les textes romains d’application du Concile ont souhaité qu’on profite des libertés qu’ils donnaient, et seulement de celles-là. Parmi elles, il a été mentionné la possibilité d’introduire dans la messe des moments de silence, et même de silence orienté par de courtes paroles. Les textes les plus officiels admettent aussi que, pour quelques raisons sérieuses, on puisse utiliser d’autre matériau, et donc un calice qui ne soit pas d’or ou d’argent. D’autre part, depuis le Concile, l’accent est mis sur le lien qui existe entre la messe et l’adoration eucharistique. On déplore d’une manière peut-être excessive le fait qu’aux yeux de certains, cette dernière avait tendance à remplacer la première. On l’entourait de plus de lumière, de plus de fleurs que la célébration. Il paraît même que, dans la pensée catholique, la messe avait surtout pour but de consacrer une hostie que l’on pourrait adorer. Il est facile de critiquer la pensée de ses frères, d’autant plus qu’ils l’expriment rarement. Mais il est encore plus facile de montrer l’interpénétration de la messe et de l’adoration. La messe est un sacrifice qui ne fait pas nombre avec celui de la Croix, parce que Jésus-Christ a gardé dans son Cœur l’offrande généreuse de son Corps et de sa vie, qu’il actualise lors de la messe en faveur des hommes d’un temps et d’un lieu, et cela tout au cours de l’histoire et dans tous les continents.

Or, si cette actualisation est manifestée par la messe, elle n’en demeure pas moins aussi après la messe dans l’eucharistie. L’adorateur, en regardant l’hostie, a le droit de dire : « Seigneur Jésus, je sais que tu n’es pas inactif ici, que tu me regardes et, à partir de cet autel, intercèdes pour moi auprès de ton Père. De même que tu n’as pas révoqué le sacrifice de la Croix, tu ne révoques pas non plus le sacrifice eucharistique tant que ton Corps offert est présent à nos regards. »

On passe à la réalisation

Je savais ces choses, que j’enseignais, mais je me demandais comment je pourrais les exprimer liturgiquement. Or, je vis dans une chapelle de religieuses l’hostie consacrée non pas placée dans un ostensoir, mais dressée, au moyen d’un croissant doré, sur une patène posée elle-même sur le calice. D’autre part, comme à l’occasion d’une ordination épiscopale, j’exposais à nouveau mon problème, le Père Abbé d’un monastère bénédictin célèbre me répondit que, certains jours, dans sa communauté, la messe durait toute la journée, en ce sens qu’après la liturgie de la parole et la prière eucharistique, le Corps et le Sang du Christ étaient laissés sur l’autel, tandis que les moines se retiraient pour aller à leurs occupations, mais en assurant un roulement d’adoration devant l’autel. Le soir venu, tous se rassemblaient pour les dernières parties de la messe que le missel appelle communion. J’ai rapproché ces deux manières de faire, en réduisant l’intervalle entre la consécration et la communion au temps nécessaire à l’adoration, ce qui assure davantage la cohésion du rite et permet aux fidèles de rester en place. Je n’ai ajouté à cette manière de faire que le calice transparent. C’est un calice que j’ai fait faire en cristal, armé par du métal doré, qui permet d’apercevoir le précieux Sang. Pour ce faire, j’ai fait consacrer à la messe du vin rosé, car le blanc aurait été invisible et le rouge aurait toutes sortes d’inconvénients. Certes, le cristal est un matériau fragile, mais personne ne risque de bousculer le calice sur l’autel. De toute façon, si cela arrivait, le précieux Sang se répandrait aussi bien à partir d’un calice de cristal qu’à partir d’un calice de métal doré. D’autre part, le cristal est rigoureusement imperméable, ce dont ne donne pas l’impression certaine poterie en usage ailleurs.

Un autre regard sur la présence eucharistique

Il y a longtemps que je regrettais cette adoration de l’eucharistie réduite à une des deux espèces, celle du pain. Cela me paraissait peu conforme à l’initiative du Christ qui a voulu employer le pain et le vin pour rester au milieu des hommes, bien que le Christ tout entier soit présent sous l’une comme sous l’autre des deux espèces. C’était aussi ne retenir que le symbolisme du pain, qui manifeste bien que le Corps immolé du Christ est devenu notre nourriture, mais se priver du symbolisme du vin, qui manifeste à la fois la fête et le sang répandu sur la croix.

Cette ostension solennelle du Corps et du Sang du Christ suivant la doxologie de la prière eucharistique est bien à sa place : « Par lui, avec lui et en lui, tout honneur et toute gloire... ». Elle permet de se préparer longuement et en silence, par des sentiments de foi et de désir, à la communion eucharistique.

Cette initiative a connu tout de suite un succès extraordinaire. La messe du premier vendredi du mois a vu ses effectifs doubler. Les jeunes par milliers l’ont adoptée et ont même réclamé qu’elle soit mise en œuvre dans leurs messes de groupe. Les hautes personnalités ecclésiastiques : cardinaux, nonce apostolique, évêques y ont participé sans réticence. On comprend que cela étonne certains ; mais qu’ils viennent à Montmartre et se laissent prendre par le climat d’extraordinaire recueillement et la ferveur sensible de la communion qui le suit ! Au courrier de ce jour m’arrive la lettre d’un pasteur protestant (luthérien) qui, après avoir assisté à une messe avec adoration, me dit avoir particulièrement aimé « cette demi-heure de prière à la fois dirigée et silencieuse, placée entre la fin de la prière eucharistique et le chant du Notre Père ». Il ne faut pas réprouver tout mouvement, mais veiller soigneusement à ce que celui-ci s’oriente toujours du bon côté.

Réalisation : spyrit.net