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Des praticiens de la forme ordinaire du rite romain au service du « nouveau mouvement liturgique »

P. Thomas Diradourian
À l’occasion de la parution du Cérémonial de la sainte messe, j’ai été, avec d’autres prêtres de la Communauté Saint-Martin, sollicité par M. l’abbé Gitton pour donner un témoignage, sur la manière de célébrer enseignée et pratiquée dans notre communauté, une manière de célébrer qui, pour plusieurs raisons que l’on va voir, s’accorde harmonieusement avec l’esprit de ce cérémonial.

Pour débuter mon intervention, et à la suite de l’évocation historique qui a été faite par ailleurs, j’aimerais d’abord rappeler brièvement les principes et les instruments qui caractérisent la manière de célébrer dans la Communauté Saint-Martin (I) ; puis, ayant pris acte de la nouvelle époque du Mouvement liturgique ouverte par le motu proprio Summorum Pontificum, dégager trois questions qui se posent aux « praticiens » de l’Ordo Missæ de Paul VI (II) ; enfin, établir et illustrer d’exemples une typologie progressive de l’enrichissement des cérémonies selon la forme ordinaire du rite romain (III).

I. UNE EXPÉRIENCE LITURGIQUE AU SERVICE DU NOUVEL ORDO

La Communauté Saint-Martin, dont la vie commune et spirituelle s’organise autour de la sainte liturgie, tant au séminaire que dans les divers ministères qui lui sont confiés, s’est mise résolument, dès l’origine, au service du nouvel Ordo Missæ , tant pour la célébration de la Messe que pour celle des sacrements et de l’office divin.

Or, suivant trois principes que je vais énumérer, elle a pratiqué spontanément cet « enrichissement » de la forme ordinaire du rite romain dont il est question dans la lettre accompagnant le motu proprio, de sorte qu’elle ne pouvait pas être mieux disposée à accueillir la parution du Cérémonial de la sainte messe.

1. Trois principes pour bien servir la liturgie en sa forme ordinaire

Le « savoir-vivre » liturgique hérité de Mgr Guérin, duquel découle un « savoir-faire » concret, repose sur trois principes.

Tout d’abord, un principe de fidélité, c’est-à-dire d’obéissance stricte aux lois liturgiques de l’Église reçues dans un esprit de tradition ou, comme on dit maintenant, suivant une « herméneutique de la continuité ».

Ensuite, un principe de subsidiarité, découlant pratiquement de ce premier principe, et suivant lequel, en l’absence de normes claires ou précises, on recourt à l’autorité de l’usage légué par la tradition connue.

Enfin, un principe de prudence, veillant à ne pas imposer brutalement aux fidèles, déboussolés déjà par les bouleversements liturgiques, ou pas assez préparés à de nouveaux changements, des manières de faire héritées d’un passé malgré tout controversé.

2. Des instruments concrets au service de la forme ordinaire du rite

Si le savoir-vivre comme le savoir-faire sont avant tout l’objet d’une tradition orale, la Communauté Saint-Martin, pour son usage propre, s’est aussi donné quelques instruments écrits pour fixer sa manière de célébrer la nouvelle liturgie.

Il s’agit en premier lieu du livre des Heures Grégoriennes, publié en 2008 afin de rendre possible la célébration du nouvel office divin en chant grégorien. Méthodologiquement, cet ouvrage a été composé dans un esprit à la fois de stricte observance de la Liturgia Horarum, mais aussi de fidélité pratique à la tradition grégorienne, à l’occasion, par exemple, de tel choix d’antienne ou lorsqu’il s’est agi de réintroduire le chant orné du Benedicamus Domino, que ne mentionnait plus le nouvel office. Plus audacieusement, un office des Ténèbres des Jours Saints, directement inspiré de l’ancien office, a été élaboré pour notre usage propre avec l’aide de l’abbaye de Solesmes, bénéficiant certes de la souplesse de la nouvelle liturgie des Heures, mais s’éloignant considérablement de l’office prévu par elle pour ces jours.

Un autre instrument de travail, qui rejoint étonnamment, par sa manière de faire, le présent Cérémonial de la sainte messe, consiste dans le Cérémonial de l’Office divin que s’est donné, l’an dernier, la Communauté Saint-Martin. Premier acte dans l’élaboration d’un coutumier liturgique, ce cérémonial décrit, à la double lumière des textes en vigueur et de la « pratique léguée du rit romain », la manière concrète et détaillée de célébrer la liturgie des Heures, les fonctions de chacun, les degrés de solennité, etc.

Enfin, à l’usage interne du séminaire de Candé, un guide décrivant par le détail les fonctions liturgiques du diacre sert d’instrument de travail aux futurs ordonnés. Là encore, dans la fidélité aux trois principes précités, ce guide transmet un savoir-faire largement enrichi par des références légitimes à l’usus antiquior.

Voilà, en quelques mots, la manière concrète dont la Communauté Saint-Martin s’est mise au service de la liturgie post-conciliaire.

Cette pratique liturgique prend aujourd’hui un sens nouveau, et reçoit aussi, semble-t-il, une certaine légitimation dans la nouvelle ère liturgique qu’a ouverte, symboliquement, le motu proprio Summorum Pontificum de 2007.

II. DEPUIS 2007, UN NOUVEAU STATUS QUÆSTIONIS

En effet, il paraît évident que ce motu proprio ne se restreint pas aux seules questions de la libéralisation générale du missel de 1962 et de la réconciliation ecclésiale que le Saint-Père en attend. Ce motu proprio concerne toute la vie liturgique de l’Église, ainsi que le Cardinal Canizares l’a récemment expliqué :

Le Motu Proprio Summorum Pontificum doit se comprendre dans cette vision d’ensemble de l’enseignement et des actes du Saint-Père, et jamais comme quelque chose d’isolé ou de simplement anecdotique destiné à quelques-uns pour des situations particulières. Favoriser l’accès à la forme liturgique officielle du rit romain jusqu’à la réforme souhaitée par le Concile Vatican II, n’est pas une concession à la nostalgie ou à l’intégrisme, c’est plutôt un pas pour favoriser la communion ecclésiale et une aide pour orienter et mieux comprendre l’actuelle « forme ordinaire » de la liturgie romaine selon une « herméneutique de la continuité ». [1]

Pour cette raison, Summorum Pontificum intéresse directement les praticiens de la forme ordinaire. Voyons ce qu’il leur dit, et à quelles difficultés il les confronte.

1. Summorum Pontificum, boussole pour une juste pratique du rite romain

1) Cahier des charges – Au moment de parler de l’enrichissement réciproque des deux formes du rite romain, le Saint-Père demande que, « dans la célébration selon le missel de Paul VI, [puisse] être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a souvent été fait […], cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers la forme ancienne du rite romain. La meilleure garantie pour que le missel de Paul VI puisse unir les communautés paroissiales et être aimé de leur part est de célébrer avec beaucoup de révérence et en conformité avec les prescriptions. » [2]

Voilà défini le « cahier des charges » des praticiens du missel de Paul VI : accepter d’enrichir la forme ordinaire par « une manifestation plus forte de cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers la forme ancienne ».

Ce regain de sacralité, si l’on veut citer L’Esprit de la liturgie du Cardinal Ratzinger, mais repérer aussi ce qui, habituellement, « attire de nombreuses personnes vers la forme ancienne », sera rendu possible, par exemple, par l’orientation de la prière et la position absidiale de l’autel et du tabernacle, par l’abandon de musiques de type « dionysiaque » en faveur de musiques intrinsèquement religieuses à l’instar du grégorien, par le silence sacré et la discipline du corps en ses attitudes et en ses gestes, par l’attention théologique portée aux vêtements liturgiques ; à quoi l’on pourrait ajouter l’usage d’une langue rituelle, le sens renouvelé du sanctuaire et la renonciation aux formes abusives de convivialité et de mondanité dans le culte, qui se trouvent si souvent dans la manière d’échanger le baiser de paix ou de formuler la prière universelle.

2) Tension – Il semble pourtant que ce cahier des charges contienne une tension constitutive, qui apparaît dans le texte même du motu proprio, lorsque le pape explique que le moyen à employer pour sacraliser la forme ordinaire est à la fois « de célébrer avec beaucoup de révérence » mais aussi « en conformité avec les prescriptions ». Cette tension est sensible en particulier à ceux qui, connaissant l’usus antiquior et son savoir-faire, observent que les prescriptions dont il est question seraient insuffisantes en elles-mêmes à procurer cette révérence, par leur caractère souvent évasif ou optatif. À ce sujet, Mgr Aillet emploie, dans sa préface au Cérémonial de la Sainte Messe, l’expression de « flou descriptif ». [3]

Cette tension entre les rubriques actuelles et le savoir-faire hérité de la forme extraordinaire nous pose trois questions importantes.

2. Trois questions latentes

1) La première de ces questions, d’ordre canonique, est celle de la légitimité des emprunts à la forme extraordinaire. Est-il légitime – est-il seulement licite – d’enrichir la liturgie moderne d’emprunts faits à la forme extraordinaire ?

Une objection longtemps invoquée contre ces transferts d’un missel à l’autre repose sur l’idée sous-jacente que chacun d’eux, de facto, constituait un quasi rite propre. Or l’Église interdit le mélange des rites, au sens où ceux-ci constituent des Églises de droit propre. On se rappelle que l’indult Quatuor abhinc annos (3 octobre 1984), autorisant à certaines conditions la célébration selon le missel de 1962, disposait qu’« on ne devra faire aucun mélange entre les textes et les rites des deux missels ». Ce parallélisme strict des deux rites interdisait tout emprunt de l’un à l’autre.

Depuis la promulgation de Summorum Pontificum, cette question, tant en droit qu’en fait, semble résolue. Désormais, il est clairement établi que l’unique rite romain se décline selon deux formes, l’une dite « extraordinaire », l’autre « ordinaire », de sorte que les lignes démarquant les deux missels ne sont pas hermétiques puisqu’il s’agit du même rite romain. C’est ainsi que des adaptations, des réajustements intra-rituels, sont envisageables. [4]

Sans doute une précision officielle comme aussi des propositions pratiques et autorisées d’enrichissement mutuel seraient-elles, désormais, nécessaires.

2) La deuxième question, d’ordre liturgique, qui découle de la première et que pose aussi avec acuité le présent Cérémonial, est celle du rôle des rubriques dans une restauration liturgique : peut-on fixer comme moyen de sacralisation d’une liturgie le seul respect des prescriptions et des rubriques ?

Nous pouvons nous rappeler la mise en garde de Pie XII dans Mediator Dei  :

C’est avoir une notion tout à fait inexacte de la sainte liturgie que de la regarder comme une partie purement extérieure et sensible du culte divin, ou comme une cérémonie décorative ; ce n’est pas une moindre erreur de la considérer simplement comme l’ensemble des lois et des préceptes par lesquels la hiérarchie ecclésiastique ordonne l’exécution régulière des rites sacrés. [5]

La situation de crise appelle, certes, une observation exemplaire des normes en vigueur mais, à s’y limiter, ne risque-t-on pas de retomber dans une vision juridique, technique et préceptive du culte divin ? Sur ce point, l’introduction du P. Gitton au Cérémonial de la sainte messe me semble très importante, lorsqu’il rappelle que « l’idée que la liturgie […] prendrait sa valeur de l’obéissance à des règles fixées arbitrairement par l’autorité supérieure n’est pas réellement traditionnelle », que « tout dans la liturgie n’est pas affaire de permis et de défendu » et que, finalement, « s’il faut la connaissance du droit, il faut aussi un discernement, un “goût” qui ne se forme que par l’expérience, mais qui la dépasse ». [6] À cet égard, je livre à notre réflexion cette parole de Mgr Gromier citée au début du Cérémonial  : « Les cérémonies sont affaire d’intelligence et d’éducation, bien plus que de conscience. » [7]

Dès lors, est-il permis, au nom de cette éducation à l’intelligence et au bon goût – de ce « savoir-vivre » guidé en conscience par la connaissance et l’esprit de la liturgie – de ne pas s’en tenir à une lecture littérale des rubriques, mais de les interpréter, ou de les « polir », au moyen des formes objectives reçues de la tradition ?

3) Surgit enfin une troisième question, d’ordre pastoral et prudentiel, que pose la situation contrastée de la liturgie romaine dans la catholicité.

Il semble que la situation française ne soit pas exactement comparable avec celle d’autres pays du monde où la liturgie est en proie à des déformations extrêmement graves, où l’on remet en cause explicitement la liturgie romaine et la théologie de la messe et de l’Église qu’elle exprime (on peut penser à la tentation néo-païenne qui inquiète les Églises d’Amérique latine ou de certains pays d’Afrique, ou aux contestations ouvertes, en Allemagne, en Suisse, en Belgique ou aux Pays-Bas, du ministère sacerdotal et de la conception catholique de la messe). Dans ce contexte, la situation française, avec ses regains de piétisme et de bon esprit, est un peu différente : la culture liturgique a certes largement disparu, et les célébrations sont généralement d’une grande indigence, mais le terrain semble mieux stabilisé et préparé à un nouvel approfondissement du mystère liturgique par une nouvelle génération de prêtres et de fidèles.

Faut-il alors s’en tenir au minimum que serait déjà le strict respect des rubriques, ou bien passer à une vitesse supérieure et à la mise en œuvre, ad melius esse, d’un vrai mouvement de réforme et d’enrichissement ? Autrement dit, la situation présente, du moins en France, commande-t-elle encore la prudence ou déjà l’audace, la simple observance exemplaire des rubriques ou sa subordination à un mouvement plus vaste de recherche de l’excellence ? Faut-il se contenter de reconstruire l’édifice abîmé de la forme ordinaire en suivant les plans tout faits livrés par le code des rubriques, ou bien peut-on s’autoriser l’audace de bâtir du neuf à partir de l’ancien, ce qui semble bien l’objectif d’une « réforme de la réforme » ?

Dans ce cas, une certaine marge de manœuvre pourrait être accordée à ceux qui veulent s’engager dans la mise en valeur du missel de Paul VI, quitte à ce qu’ils puissent présenter à l’Autorité le fruit de leurs bonnes expériences. C’est d’ailleurs la conduite que se fixait le P. Bouyer, dans sa fameuse lettre au P. Duploye, afin de faire accepter une vraie réforme liturgique :

Il me semble qu’il importe beaucoup d’éclairer et de canaliser en toute connaissance de cause un mouvement en ce sens [celui du renouveau liturgique] en décourageant dans la masse les initiatives catastrophiques d’une part, en présentant aux autorités, de l’autre, les besoins réels sous un jour propre à les faire agréer. [8]

Là encore, des préconisations seraient à souhaiter de la part de l’autorité romaine.

III. RÉSOLUTIONS PRATIQUES POUR UNE « RÉFORME DE LA RÉFORME »

Pour finir de manière plus pragmatique, et montrer l’opportunité et l’apport considérable du nouveau Cérémonial de la sainte messe, je voudrais dresser une typologie progressive des manières de célébrer qui s’offrent aux praticiens « éclairés » de la forme ordinaire.

1. Mise au point sur la notion de « réforme de la réforme »

Cette typologie implique, dès le départ, une certaine manière de comprendre la notion de « réforme de la réforme ». Sur ce point, nous ne pouvons pas nous contenter d’hypothèses et d’illusions, comme de présumer que le Saint-Père aspirerait à la rédaction d’un nouveau missel de synthèse, ou qu’il voudrait équiparer à moyen terme, dans les paroisses, la célébration suivant les deux formes (les termes d’« ordinaire » et d’« extraordinaire » n’auraient alors plus de sens), et moins encore qu’il rêverait au fond de lui-même à un exode massif des catholiques vers la forme extraordinaire !

La tâche qui se présente à nous, praticiens avertis de la forme ordinaire, consiste à promouvoir l’excellence dans la célébration du nouveau missel  : une excellence qui passe de manière quasi nécessaire par son enrichissement. Comment, donc, pouvons-nous pratiquer cet enrichissement ? D’une manière graduelle, que je voudrais traduire par la typologie suivante.

2. Typologie graduelle de l’enrichissement de la forme ordinaire

1) Purification – Avant de penser à l’enrichir, il convient déjà de purifier la forme ordinaire de tout ce qui contribue à l’appauvrir, à la déprécier, à commencer par les paroles improvisées des célébrants et des animateurs, par tout ce qui dénature la sacralité du sanctuaire et de l’autel, par tout ce qui traduit, dans les vêtements, les gestes ou la musique, la mondanisation du culte, et par tout ce qui est ajouté ou soustrait à la liturgie par créativité ou manque de savoir-faire. On tendra ici à rejoindre les normes, à observer les rubriques.

2) Valorisation – Ce minimum étant acquis, il conviendra ensuite de valoriser les richesses traditionnelles qui n’ont jamais été exclues de la forme ordinaire quand bien même elles représentent, dans l’inconscient liturgique de beaucoup de catholiques, des usages du passé.

Il s’agit essentiellement de quatre des cinq points fixés par M. l’abbé Barthe dans son dernier ouvrage, La Messe à l’endroit [9] : la réintroduction notable du latin et du grégorien ; la distribution de la communion selon le mode traditionnel : l’usage préférentiel de la première prière eucharistique, si possible en latin ; l’orientation de la célébration au moins à partir de l’offertoire. À quoi l’on pourrait ajouter une manière de concélébrer qui soit plus exigeante et toujours en lien immédiat avec l’autel, ou encore l’emploi de vêtements liturgiques de toutes époques, pourvu qu’ils soient de qualité et en harmonie avec le style de l’église. En tout cela, le Saint-Père a manifestement prêché par l’exemple depuis son avènement.

Il faut noter, avec M. l’abbé Barthe, que la restauration de ces usages demande aux célébrants de la forme ordinaire un certain courage pastoral, encore qu’on surestime bien souvent l’opposition des fidèles, ou qu’on mésestime leurs attentes.

3) Explicitation – On pratique une première forme d’enrichissement lorsqu’on explicite le « flou rubrical » par la manière de faire héritée de l’usage antérieur : ainsi de la position des mains à certains moments, de la manière de revêtir les ornements, du choix du kyriale convenant à tel ordre de fêtes, de la manière de préparer le calice, de faire les purifications, ou encore de manier l’encensoir. Une telle explicitation implique la connaissance, sinon la pratique, de la forme extraordinaire.

4) Addition – Un pas de plus est franchi lorsqu’on s’avise d’ajouter un geste ou un usage qui a manifestement été supprimé par souci de simplification, quoiqu’il n’ait pas été positivement défendu. On pourra penser à la manière de construire un nouvel autel et de l’orner ; on citera, plus méticuleusement, l’usage de garder les doigts joints après la consécration, de faire la génuflexion chaque fois que l’on saisit ou dépose un vase contenant le Saint-Sacrement, d’élever et de joindre les mains à l’intonation du Gloria, du Credo et de la Préface, de transporter le corporal dans une bourse, de réciter les prières de vestition, etc.

5) Suppléance – On passerait enfin la limite séparant objectivement les deux formes si l’on suppléait un rite ou une parole de la forme ordinaire par son parallèle dans l’extraordinaire. Ainsi de la substitution des anciennes prières d’offertoire aux nouvelles, que suggère aussi l’abbé Barthe, et de l’ancien mode d’encenser les oblats au nouveau ; ainsi de la récitation du Canon en silence, du chant des Ténèbres en lieu et place de l’office des lectures et des laudes prévus pour les jours en question par Liturgia Horarum.

Si, peut-être, certains s’en accordent la licence (comme la Communauté Saint-Martin pour les ténèbres et quelques autres de ces points), il est audacieux d’agir ainsi. En tout cas, dans le sens inverse d’emprunts de la forme extraordinaire à la forme ordinaire, la lettre accompagnant le motu proprio réserve à la commission Ecclesia Dei la tâche de réglementer ces pratiques. Il semble donc que rien ne doive être entrepris dans ce sens, comme dans l’autre, sans une permission venue d’en haut, même si, rappelons-le, l’affirmation de l’unicité du rite romain rendrait plus facile, pour l’avenir, cet enrichissement par mode de suppléance.

Le Cérémonial de la sainte messe met à notre disposition, en tout cas, le riche savoir-faire requis pour franchir déjà les quatre premières étapes de cette typologie.

Pour conclure, et revenir à l’expérience particulière de notre communauté, disons que le cérémonial de MM. Mutel et Freeman va permettre à la Communauté Saint-Martin d’enraciner sa fidélité aux trois principes cités en introduction : fidélité à servir la forme ordinaire du rite, subsidiarité, et prudence pour l’enrichir.

Il le fait moyennant un support de très grande qualité et d’extrême précision, le tout vivifié par un profond esprit liturgique et pédagogique, support nouveau qui remplacera avantageusement les fiches manuscrites – ordines martiniani – transmises chez nous de cérémoniaire en cérémoniaire.

Il nous dote ainsi du moyen inespéré de continuer à enrichir, à la source de la « pratique léguée du rite romain », avec fidélité et prudence, la liturgie romaine en sa forme ordinaire.

P. Thomas Diradourian, prêtre de la Communauté Saint-Martin depuis 2003. Études de théologie dogmatique, spécialisation « sciences liturgiques », à l’université de Fribourg (Suisse) sous la direction du Pr. Martin Klöckener. Responsable, en collaboration avec l’abbaye de Solesmes, de la publication des Heures Grégoriennes, une édition latin-français de la Liturgie des Heures, notée en chant grégorien. Enseigne la liturgie à la Maison de Formation de la Communauté Saint-Martin (Candé, France) et exerce le ministère pastoral à Saint-Raphaël (diocèse de Fréjus-Toulon).

[1] Cardinal Antonio Canizares, Salutation aux organisateurs et membres du colloque sur le motu proprio Summorum Pontificum, Rome, le 20 avril 2010. Sur la portée du motu proprio, on lira avantageusement l’article de l’abbé A. Jacquemin, « Summorum Pontificum, bilan et perspectives », Képhas, avril-juin 2010.

[2] Benoît XVI, Lettre aux évêques du monde entier pour présenter le Motu Proprio à l’usage de la liturgie romaine antérieure à la réforme de 1970, §8, 2007.

[3] A. P. M. Mutel, P. Freeman, Cérémonial de la sainte messe à l’usage ordinaire des paroisses, Artège, 2010, p. 10.

[4] On a cité ici, presque mot pour mot, l’article de l’abbé A. Jacquemin cité plus haut.

[5] Pie XII, Encyclique Mediator Dei (20 nov. 1947), Documentation Catholique, t. XLV, col. 193.

[6] M. Gitton, Introduction, dans : A. P. M. Mutel, P. Freeman, op. cit., pp. 16-17.

[7] Mgr Léon Gromier, Commentaire du Cæremoniale Episcoporum, Paris, 1959, cité dans : A. P. M. Mutel, P. Freeman, op. cit., p. 31.

[8] L. Bouyer : « Montrer à Rome ce qui peut sortir d’une bonne Pastorale liturgique » ; lettre au R. P. P. Duploye, citée dans : P. Duploye, Les Origines du centre de pastorale liturgique : 1943-1949, Salvator, 1968.

[9] C. Barthe, La Messe à l’endroit, Un nouveau mouvement liturgique, Hora Decima, éd. de l’Homme Nouveau, Paris, 2010.

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