Rechercher

Dictionnaire des évêques de France au XXe siècle

ss. dir. Dominique-Marie Dauzet et Frédéric Le Moigne, Paris, Cerf, 2010. 843 pp., bibliogr., cahier photog., annexes, index.
Paul Airiau

Deux maîtres d’œuvres (Dominique-Marie Dauzet, prémontré, archiviste diocésain et historien de la spiritualité ; Frédéric Le Moigne, historien des évêques français du milieu du siècle) ; une indispensable secrétaire (Françoise Khédine) ; cent six contributeurs ; 843 pages ; douze annexes totalisant plus de 120 pages ; un copieux glossaire ; un cahier photographique qui dépasse la simple dimension illustratrice. Cet énumération quasiment digne d’un péplum hollywoodien et d’Astérix et Cléopâtre dit bien qu’il n’en fallait pas moins pour proposer les notices biographiques des 695 évêques qui régnèrent (ou règnent encore – dans ce cas, la notice est strictement descriptive de la carrière), absolument ou relativement (les auxiliaires sont pris en compte) sur les diocèses du territoire français depuis 1905 (étant donc compris les évêques des territoires ultramarins et ceux nommés avant 1905 mais jouant un rôle jusqu’à la fin des années 1900).

Que dire d’un tel outil de travail, surtout lorsqu’on y a (modestement) participé ? Que dire que l’introduction problématisée, à la fois bilan historiographique, bilan de l’entreprise et bilan de ce qu’il reste à faire, ne dit pas ? Inutile de revenir sur la finalité pratique, diachronique et synchronique : disposer d’informations fiables sur tel évêque de tel diocèse à tel moment, connaître le titulaire d’un poste à une date donnée, visualiser l’évolution de la carte des diocèses, posséder le nom des nonces successifs, exploiter un glossaire abondant, et moult autres choses encore. Inutile aussi de revenir sur la base de données à exploiter : un colloque à Lyon, en novembre 2010, accompagnant la parution du Dictionnaire, en est la première manifestation. L’usage révèlera donc tant (surtout) les bienfaits de l’œuvre, que les (ponctuelles) insuffisances (deci delà, malgré les multiples relectures et relances, des dates d’ordination, des parcours scolaires, des origines sociales, des traits de caractère, des prises de positions, et tout le reste encore).

On pourrait relever des points anecdotiques : 695 évêques pour une centaine de diocèses et un siècle, c’est une moyenne de sept évêques par diocèse et une quinzaine d’années d’épiscopat – mais il est tant d’exceptions, entre les règnes trentenaires et ceux jamais commencés… On pourrait évoquer les deux évêques destitués (seulement : André du Bois de la Villerabel et Jacques Gaillot), les deux frères se succédant sur le même siège (Michel et Hubert Coppenrath à Papeete), le maire-évêque (Charles du Pont de Ligonnès), l’évêque pris dans un scandale de mœurs (Joseph Marcadé), les peu nombreux évêques nés à l’étranger (dont un en Chine, Thierry Jordan, et un autre au Chili, Daniel Pézeril), le quasi monopole des sièges ultramarins par des membres de congrégations religieuses (maristes ou spiritains), le seul jésuite devenu évêque (Roger Heckel), et tellement plus (l’évêque fils d’un veuf devenu prêtre, l’évêque aux frères prêtres ou religieux et aux sœurs religieuses – cas classique – , les trois évêques titulaires d’un C.A.P., les rares évêques ayant étudié ailleurs qu’en France ou à Rome ¬– en Suisse, aux États-Unis, en Allemagne…).

On préfèrera mettre en avant un point : le type de lecture qu’entraîne l’objet « Dictionnaire biographique ». Il incite au parcours buissonnier, au rebond, en utilisant les renvois, à la lecture aléatoire, au saut spatial et temporel. Il répond à une écriture souvent concise (même s’il est des exceptions, pour quelques grandes figures, passages obligés), mais où la dimension humaine surgit souvent, qu’il s’agisse du caractère ou du physique de l’évêque étudié, ou des jugements implicites ou indirects des auteurs des notices. Bref, l’épaisseur historique du catholicisme français, ses déchirements et ses divergences, ses diffractions et ses points d’achoppement, ses points d’accord et ses univers communs, se manifestent à tous les niveaux dans cet indispensable dictionnaire. On pourrait en tirer des conclusions sociologiques, théologiques ou spirituelles. On s’en gardera bien, car, après tout, la contemplation d’une telle œuvre incite, comme le parcours des notices nécrologiques, à s’interroger sur ce qu’il restera de soi-même, lorsque l’on voit ce qu’il reste finalement à vue humaine de ceux qui furent les membres d’une élite : quelques colonnes typographiques dans un ouvrage destiné aux rayons des bibliothèques.

Vanité des vanités, pourrait-on donc conclure avec l’Écriture, constat de sagesse désabusé, auquel la fructification du grain de blé tombé en terre pourrait faire pendant, l’historien ayant sans doute davantage tendance à souligner le premier point, doutant de pouvoir percevoir et démontrer le second, spirituel – car il lui faudrait partir du principe que les choses proprement divines sont analysables par le regard critique, point sur lequel l’accord est loin d’être fait.

Paul Airiau, marié, huit enfants, né en 1971. Diplômé de l’IEP de Paris, agrégé et docteur en histoire, enseignant dans un établissement public (ZEP) de l’Académie de Paris.

Réalisation : spyrit.net