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Dossier de textes

Origène :
« Le Père lui-même n’est pas impassible »

Origène commente un passage du livre d’Ezéchiel (16, 5) : « Ton œil ne retint pas la pitié sur toi pour que je te donne un seul de tous ces soins. Aussi ne t’en ai-je donné aucun, “par compassion pour toi” dit le Seigneur » [1].

Ce texte constitue un point de départ pour de nombreux théologiens du vingtième siècle, parce qu’il exprime en un langage extrêmement audacieux la philanthropie divine, sa sollicitude à l’égard de la créature, autour de l’expression « passion de charité », qui vient toucher le Père lui-même, Celui même qui porte normalement l’attribut de l’impassibilité. La souffrance est d’une part sensibilité, ce qui suggère que l’impassibilité divine ne saurait être l’apathie ; elle est d’autre part liée à une « passion », c’est à dire littéralement au fait de subir : comment concilier l’être divin impassible avec cette passion ? Le texte pose également un second problème, dans la mesure où il fonde son raisonnement sur une analogie humaine, à partir de laquelle il remonte à l’être divin : en raison de l’Incarnation, l’agir humain en vient à dire quelque chose de Dieu.

J’emprunterai un exemple aux hommes, puis si l’Esprit Saint me l’accorde, je passerai à Jésus-Christ et à Dieu le Père. Quand je m’adresse à un homme et, pour quelque chose, l’implore d’avoir pitié de moi, s’il est sans miséricorde, il ne souffre rien du fait de ce que je dis ; mais s’il est d’une âme sensible, s’il n’a rien d’un cœur sévère et endurci, il m’écoute, il a pitié de moi, ses entrailles s’émeuvent à mes prières. Comprends quelque chose de pareil au sujet du Sauveur. Il descendit sur terre par pitié du genre humain, il a patiemment éprouvé nos passions avant de souffrir la croix et de daigner prendre notre chair ; car s’il n’avait pas souffert, il ne serait pas venu partager la vie humaine. D’abord il a souffert, puis il est descendu et s’est manifesté. Quelle est donc cette passion qu’il a soufferte pour nous ? La passion de la charité. Et le Père lui-même, Dieu de l’univers, « plein d’indulgence, de miséricorde » (Ps 102, 8) et de pitié, n’est-il pas vrai qu’il souffre en quelque manière ? Ou bien ignores-tu que, lorsqu’il s’occupe des affaires humaines, il éprouve une passion humaine ? Car « il a pris sur lui tes manières d’être, le Seigneur ton Dieu, comme un homme prend sur lui son fils ». (Dt 1, 31) [2]. Dieu prend donc sur lui nos manières d’être, comme le Fils de Dieu prend nos passions. Le Père lui-même n’est pas impassible. Si on le prie, il a pitié, il compatit, il éprouve une passion de charité, et il se met dans une condition incompatible avec la grandeur de sa nature et pour nous prend sur lui les passions humaines.

Jacques Maritain :
« La souffrance virtuelle existe en Dieu »

Les considérations suivantes sont extraites d’un séminaire avec les Petits Frères de Jésus, tenu à Toulouse le 28 février 1972 et témoignent donc d’une période tardive de la pensée de Maritain [3]. Son développement part d’une problématique entièrement thomiste pour renouveler l’approche dans deux directions. D’une part, l’auteur propose, avec beaucoup de prudence, une formulation métaphorique de la « souffrance » de Dieu, capable d’exprimer la solidarité entre Dieu et ce qu’il y a de noble dans la souffrance humaine. D’autre part, il essaye de penser, à l’aide des catégories de l’analogie thomiste, comment « l’exemplaire innominé de la souffrance en nous, fait partie intégrante de la béatitude divine » [4].

A. La formulation métaphorique

C’est cette idée absurde et intolérable du Potentat-Dramaturge insensible dans son ciel au mal des personnages auxquels il fait jouer sa pièce de théâtre, qui est cachée au fond de la révolte contre Dieu d’une grande masse de non-chrétiens. Je pense qu’une psychanalyse métaphysique du monde moderne décèlerait là le mal qui ronge l’inconscient de celui-ci. Si les gens savaient (je vais parler en termes métaphoriques, mais en me référant, pour m’en permettre l’emploi, aux vues plus élaborées que je vous ai soumises), si les gens savaient que Dieu « souffre » avec nous et beaucoup plus que nous de tout le mal qui ravage la terre, bien des choses changeraient sans doute, et bien des âmes seraient libérées [5].
[…]
Il est clair que souffrir en acte est incompatible avec la parfaite béatitude de Dieu. Mais la divine béatitude est un mystère aussi incompréhensible à notre esprit que l’essence divine elle-même. Et prétendre exclure d’elle l’exemplaire dont nous ne pouvons concevoir aucune idée, mais en lui-même infiniment vrai, de tout ce qu’il y a de beau et de bon, de noble et de généreux, de pur et tendre et exquisement affinant dans nos douleurs à nous et dans nos larmes, et ne se trouve ici-bas que là, - bref ne voir dans la béatitude divine que notre bonheur humain porté à la limite serait traiter de notre Dieu vivant comme d’une idole. En d’autres termes, la béatitude divine et l’amour divin impliquent en eux, comme le Père Dehau le rappelait souvent à Raïssa, ce que les théologiens – ils ont un mot pour tout – appellent la souffrance virtuelle, qui sous un mode infiniment plus vrai que la souffrance chez nous existe en Dieu mais sans nulle imperfection, parce qu’en lui elle ne fait absolument qu’un avec son amour – avec son amour selon que nous faisons fi de lui. La souffrance virtuelle existe en Dieu ; elle existe aussi dans les anges. Mais c’est dans l’homme seul que la souffrance blessant un être intelligent existe formellement et en acte.
Voici donc que l’homme a en acte ce que Dieu a en sa plus profonde vérité mais virtuellement ; en sorte qu’il a fallu l’incarnation du Verbe pour que dans la nature humaine qu’il a assumée la souffrance en acte atteigne une Personne divine. Souffrances bénies du Rédempteur, qui ont été des souffrances de Dieu, comme sa mort a été la mort de Dieu [6].

B. Les analogies de la perfection divine

Je ne veux pas entrer dans des explications trop techniques. Laissez-moi noter seulement qu’outre les concepts manifestement analogiques (d’une analogie de proportionnalité propre), tels que l’être, la vérité, la bonté, et les concepts dont le sens originel est univoque dans l’usage courant, mais qui peuvent être et sont élevés par le théologien à un sens analogique, selon l’analogie de proportionnalité propre, - il y a des concepts dont non seulement l’objet implique limitation et imperfection dans sa notion même, mais qui, dans la réalité expérimentée par nous à laquelle ils se rapportent, ne désignent aucune perfection émergente au-dessus du sensible : ces concepts-là sont univoques de soi et ne peuvent être dits de Dieu que métaphoriquement (« Dieu est mon rocher ») ; et enfin il y a des concepts dont l’objet implique aussi limitation et imperfection dans sa notion même, et qui ne peuvent donc être dits de Dieu que métaphoriquement, mais qui, dans la réalité expérimentée par nous à laquelle ils se rapportent, désignent une perfection émergente au-dessus du sensible, comme c’est le cas pour la douleur dans la personne humaine : elle est un mal et une imperfection, mais du faut que l’esprit l’éprouve et y consent et en fait sa proie, elle est aussi une incomparable noblesse. […]
On comprend dès lors que le concept et le mot de douleur ne peuvent être employés que métaphoriquement, et que nous devons cependant chercher dans une perfection divine innominée l’exemplaire éternel de ce qu’est en nous la douleur avec sa noblesse. Cela suppose de la part de l’esprit, pour la douleur (en raison de sa noblesse), une sorte de double transfert : à une analogie de proportionnalité propre indégageable pour nous parce qu’il n’est aucun concept et aucun nom qui en soient porteurs et la manifestent ; et à l’Être divin lui-même, dans une perfection éternelle que nul concept et nul nom humain ne peuvent signifier en propre [7].

Karl Rahner :
Le sérieux de l’Incarnation

La recherche théologique de Karl Rahner, partie d’une problématique philosophique du rapport entre essence et existence pour déboucher sur une nouvelle christologie, n’aborde pas directement la question de la souffrance ; il est clair pourtant que son attaque de l’impassibilité divine la concerne au premier plan. Sa critique exprime un scepticisme devant certaines spéculations théologiques traditionnelles. Selon lui, ces dernières ne prennent pas assez au sérieux l’Incarnation puisqu’elles laissent Dieu à l’extérieur du devenir.

Parvenues à ce point, la théologie et la philosophie traditionnelles de l’École commencent à cligner des yeux et à bredouiller. Elles expliquent que le devenir et le changement sont du côté de la réalité créée qui a été assumée, et non du côté du Logos. Tout doit ainsi s’éclairer : le Logos assume sans changement ce qui, comme réalité créée, et jusqu’en son assomption même, possède un devenir. Ainsi tout le devenir, toute l’histoire avec ses fatigues, restent de ce côté-ci de l’abîme absolu qui sépare, sans confusion, le Dieu immuable et nécessaire du monde muable et contingent. Et pourtant, il reste vrai que le Logos est devenu homme, que le devenir historique de cette réalité humaine est devenu son histoire propre, notre temps, le temps de l’éternel, notre mort, la mort du Dieu immortel ; si bien que si l’on départage sur deux réalités, à savoir le Logos divin et la nature créée, ces prédicats apparemment contradictoires et dont une partie ne peut pas convenir à Dieu, on ne doit pas oublier pour autant qu’une de ces réalités, à savoir la réalité créée, est celle du Verbe de Dieu lui-même. Ainsi, après avoir opéré ce partage qui devait être une solution, on est à nouveau acculé à la question tout entière. Car l’affirmation de l’immuabilité de Dieu ne doit pas nous faire oublier que ce qui s’est produit parmi nous en Jésus, est précisément l’histoire du Verbe de Dieu lui-même, son devenir propre [8].

Hans Urs von Balthasar :
La souffrance de Dieu comme « épanchement d’amour »

La position de Balthasar s’enracine dans une volonté de fonder l’intelligence de l’histoire du salut sur la théologie trinitaire. Il veut continuer de distinguer, contre beaucoup de ses contemporains, « Trinité immanente » (c’est à dire la vie divine en elle-même, indépendamment de sa relation à la créature) et « Trinité économique » (c’est-à-dire la Trinité révélée dans l’histoire du salut et, en particulier, dans l’Incarnation) ; il cherche en même temps à penser le lien de l’une à l’autre pour voir comment chaque acte humain du Christ est ressaisi dans la vie trinitaire et comment chaque événement de l’histoire (Drama) est ressaisi dans les relations entre les personnes divines (Ur-Drama).

Il élabore ainsi une théologie qui pousse dans ses derniers retranchements la distinction entre les personnes divines. L’idée centrale est alors celle de « distance » (ou « diastase ») : chaque personne se constitue en effet par ce qui la distingue (et donc, en un certain sens, la distancie) de l’autre. Mais la richesse de la vie trinitaire fait que cette distance est précisément la condition de la relation (et donc de l’union des personnes), là où la distance et l’autonomie sont pour l’homme synonymes de séparation. Dès lors, ce qui est dans la vie de Dieu distance positive peut devenir dans la vie de l’homme autonomie négative et séparation. Mais, par là, Dieu a déjà assumé dans sa propre réalité la manière dont peut se retourner cette distance négative de l’homme séparé de Dieu [9]. En conséquence, il assume, d’une certaine manière, quelque chose de la souffrance.

A. Présupposés

Étant posé que toute forme de « théologie d’évolution » qui identifie le processus du monde (y compris l’engagement de Dieu jusqu’à la croix) au « processus » éternel et intemporel des hypostases en Dieu, est strictement interdite, il n’y a, pour s’approcher de la réalité trinitaire, pas d’autre voie que la suivante : il faut prendre comme point de départ ce qui se révèle de la kénose de Dieu dans la théologie de l’alliance – pour en arriver jusqu’à la croix – et tâcher d’atteindre à partir de là le mystère de l’Absolu selon une théologie négative : celle-ci, d’une part, écartera de Dieu toute expérience et toute souffrance qui le compromettrait avec le monde ; mais, d’autre part, elle posera en Dieu les conditions de possibilité de cette expérience et de cette souffrance, de manière à fonder une christologie avec toutes ses implications trinitaires. Avec cette méthode, la pensée s’avance constamment sur la corde raide, parce qu’elle évite tous les discours à la mode sur la « souffrance de Dieu », tout en s’obligeant à poser en Dieu un agir qui non seulement justifie la possibilité et l’éventualité de toutes les souffrances du monde, mais donne aussi raison de la part qu’il prend à ces souffrances, et jusqu’à supporter effectivement l’absence de Dieu. Ce que la théologie négative, au sens philosophique du terme, interdit, l’oikonomia dans le Christ paraît l’exiger ; en partant de l’une et de l’autre, et en progressant comme à tâtons bien au-delà et aussi loin que possible, la foi pressent le Mystère des mystères, qui doit être posé comme fondement insondable, afin que devienne possible une histoire du salut dans le monde [10].

B. Solution proposée

Dans le don absolu du Père au Fils, du Fils au Père, de l’un et de l’autre à l’Esprit, on aurait tort de voir garantie une sorte d’immunité. Ce don implique en réalité pour Dieu la perte totale, « corps et biens » dirait-on en langage humain, de tout ce qu’il a, y compris la divinité. Dans ce don, quelque chose apparaît, du côté du donateur, comme un « risque » absolu si ne lui revenait pas en contrepartie, éternelle elle aussi, la reconnaissance infinie prête à se livrer en retour jusqu’à l’excès. […] Or cet échange n’a rien d’un jeu d’amour pour la forme (comme serait le sens hégélien). En effet, la distance entre les Personnes est infinie au sein de la dynamique du processus divin, et cela à un point tel que tout événement contingent ne saurait avoir lieu qu’au sein de cette dynamique enveloppante. Il faut toujours avoir sous les yeux que l’acte générateur du Père est la sortie du Fils dans l’égalité de l’être absolu et de la liberté absolue ; et l’acquiescement plein de gratitude du Fils ne s’adresse pas à un Père qui aurait gardé pour lui quoi que ce soit, car le Père s’est donné intégralement. […] Dans cet épanchement réciproque de Dieu, qui est comme sa circulation vitale, réside aussi, comme on l’a dit au début, le fondement de la possibilité de la mort en Dieu. Nous dépassons ici la notion de vie et de mort terrestre, et la preuve en est, selon l’Écriture, la résurrection de Jésus d’entre les morts : c’est à dire que Jésus absorbe sa mort dans sa vie éternelle, il est l’Agneau vivant mais « comme égorgé » de l’Apocalypse [11].
C’est seulement parce que la souffrance et la mort sont intérieures à Dieu lui-même, mais comme épanchement d’amour, que le Christ peut vaincre la mort et la souffrance par sa mort et sa résurrection… La souffrance et la mort ne sont pas surmontées par l’effet d’une éternelle impassibilité de son essence : souffrance et mort, vues du côté de Dieu, sont, en vertu de sa liberté absolue, le langage éternel de sa Gloire – même dans le cri d’agonie, le mutisme final et le silence de la mort. De là on ne conclura pas naturellement que le Fils, de par son éternité, se trouverait dans le monde désormais indemne par rapport à la peine et à la souffrance. C’est le contraire : douleur et peine sont la caractéristique la plus profonde de l’amour et la vérification authentique en est donnée dans toute l’attitude de Jésus qui, absolument démuni, laisse disposer de lui, et fait l’apprentissage par l’obéissance de ce qu’il est éternellement comme Fils [12].

Jean-Miguel Garrigues :
« l’impassibilité dans le pur don »

Dieu sans idée du mal se présente comme une méditation sur la confrontation entre l’amour de Dieu et le mal, qu’il soit physique ou moral, qu’il s’exprime par le refus de la créature ou par les conséquences de ce refus. Le père Garrigues estime que l’on doit affirmer, avec saint Thomas d’Aquin, que Dieu « n’a pas idée du mal » [13] ; c’est là le seul moyen de préserver à la fois l’innocence absolue de Dieu et la puissance transcendante du don qu’il nous fait. En méditant longuement la figure de l’Agneau immolé (qui dit l’identité du Fils dans la Trinité) [14], il tente de comprendre comment Dieu, sans connaître la privation, sans rien retirer au jaillissement d’Être qu’il représente, nous révèle un cœur vulnérable [15].

Essayons de toucher cela à travers une image, ou plutôt une histoire réelle qui m’a permis à moi-même d’entrevoir la vérité de cet amour victorieux de Dieu qui ne se laisse pas abattre ni même affecter, justement parce qu’il est un amour totalement généreux et totalement gratuit. Je me suis trouvé en présence d’une maman au chevet de son enfant. Celui-ci, à la suite d’une intoxication très grave, s’est débattu pendant 48 heures entre la vie et la mort. Dans ce combat marqué par des convulsions tétaniques, l’enfant souffrait beaucoup. La maman était à son chevet pour le soutenir autant physiquement que moralement. Or quelqu’un qui passait là lui a dit : « Comme vous devez souffrir de voir ainsi souffrir votre enfant ! ». Alors elle fit cette réponse étonnante : « Souffrir ! je n’en ai pas le temps ». Cette phrase étonnante est très compréhensible : souffrir, pour cette maman, c’eût été rester en elle-même, revenir sur elle-même et donc ne pas être à son enfant ; c’eût été voler à son enfant quelque chose de son amour, d’un amour bienfaisant, en acte et en vérité. Sa souffrance était entièrement passée dans les soins qu’elle donnait à son enfant, dans sa main qui prenait la main de l’enfant, dans son regard qui était posé sur lui, dans son sourire et sa sollicitude à tous ses besoins. Elle n’était pas en elle-même, elle ne souffrait pas en elle-même, elle n’était pas « affectée ». Tout son amour, toute la puissance de son amour était passée en acte.
[…]
Il n’y a pas de cicatrice dans l’amour de Dieu. Il n’y a pas en lui la blessure d’un manque dans l’avoir parce qu’il est l’Être et qu’on ne peut rien enlever à l’Amour qui a déjà tout donné. Où sont alors les blessures de l’Amour divin ? Justement dans les créatures qu’il a adoptées comme ses enfants. Nous blessons la gratuité de l’Amour divin en refusant ses dons et en nous en privant. En ce sens nous sommes les blessures ouvertes du dessein bienveillant de l’Amour divin pour nous.
[…]
C’est ce que Dieu a voulu nous montrer dans l’Incarnation. […] En prenant dans la Personne de son Fils une humanité comme la nôtre et donc capable d’exprimer la blessure de son Amour gratuit en termes de manque et de souffrance, Dieu a voulu que nous voyons traduit dans la chair et le sang ce que le péché représente pour son amour : le coup porté sur l’Agneau qui ne peut pas lui briser les os, parce que ses os sont le mystère divin de l’Être et de l’Amour auquel on ne peut rien enlever ; et cependant cet Agneau peut être blessé au cœur. Il est toute force et toute vulnérabilité, inséparablement. Les souffrances humaines du Christ ne constituent que la traduction créée de l’offense vécue par l’Amour divin bafoué. Nous sommes tentés de penser que Dieu a eu besoin de l’humanité du Christ pour découvrir par la souffrance un amour plus miséricordieux. En fait c’est exactement le contraire [16].

[1] Homélies sur Ezéchiel, VI, 6. Origène interprète un texte que nous lisons différemment. Voici le verset dans la Bible de Jérusalem : « Nul n’a tourné vers toi un regard de pitié, pour te rendre un de ces devoirs par compassion pour toi. Tu fus jetée en pleine campagne, par dégoût de toi, au jour de ta naissance ». Vulgate : « non pepercit super te oculus ut facerem tibi unum de his miseratus tui sed proiecta es super faciem terrae in abiectione animae tuae in die qua nata es ».

[2] Traduction de la Bible de Jérusalem : « Tu l’as vu aussi au désert : Yahvé ton Dieu te soutenait comme un homme soutient son fils, tout au long de la route que vous avez suivie jusqu’ici ».

[3] Publié dans Approches sans entraves, Paris, Fayard, 1973.

[4] Ibid., p.849.

[5] Œuvres Complètes, t. XIII, p.855.

[6] Ibid., p.1096.

[7] Ibid., p.851-853.

[8] « Réflexions théologiques sur l’Incarnation », dans Écrits théologiques, t.III, Paris, Desclée, 1963, p.91-92. Voir aussi Traité fondamental de la foi [1976], Le Centurion, 1983, p.249.

[9] Voir notamment V. Holzer, Le Dieu Trinité dans l’histoire, le différend théologique Balthasar-Rahner, Cerf, Cogitatio Fidei, 1995, p.238 : « c’est précisément parce que ce mouvement est habité par la distance (l’espacement) infini d’un acte de liberté, que l’inversion maléfique de la distance en autopossession peut advenir du côté de la liberté finie ».

[10] Dramatique Divine, Culture et Vérité, t.III, p.300-301.

[11] Ibid., t. IV, p.223.

[12] Ibid., t. IV, p.223-224. Ce passage suit directement le précédent mais se présente comme une citation d’une lettre personnelle de F. Ulrich à l’auteur, que Balthasar reprend en conclusion de son chapitre, presque sans commentaire.

[13] Somme Théologique, Ia, q. 15, a. 3, ad primum. Dieu sans idée du mal, paru pour la première fois en 1982, a été réédité chez Desclée en 1990, augmenté de deux chapitres qui explicitent l’argumentation théologique et conceptuelle, en réponse notamment à certaines critiques formulées à l’époque. Le père Garrigues est actuellement membre de la communauté saint Jean.

[14] L’Agneau est ainsi « égorgé dès la fondation du monde » (Ap 13, 8) mais il ne l’est pas « dès avant » la fondation du monde (Ibid., p.115).

[15] « Ce qui dans le dessein bienveillant était vulnérabilité est devenu blessure », Ibid., p.116.

[16] Dieu sans idée du mal, Desclée, 1990, p.119-121.

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