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Écrivains catholiques de 1870 à 1914. (Bernard Bonnejean)

Paris, Cerf 2007, 354 p.
Pauline Bernon-Bruley

Écrivains catholiques de 1870 à 1914.

Clio et ses poètes, Les poètes catholiques dans leur histoire (1879-1914).

Bernard Bonnejean, Paris, Cerf 2007, 354 p., 36 €.

Le sous-titre éclaire le titre de cette synthèse de Bernard Bonnejean : il s’agit bien moins des poètes de Clio que des poètes « dans leur histoire ». On le sait, c’est une histoire de séparation, de crise de confiance des catholiques, qui ont l’impression que leur pays perd son identité. Y a-t-il donc une ou des façons d’être poète dans ces années d’entre-deux-guerres, de 1870 à 1914, au temps de la montée en puissance du positivisme et du radicalisme, pendant l’instauration de la laïcité ? On connaît bien le courant de conversion d’écrivains, l’évolution des intellectuels entre la cité et le Vatican, objets d’étude récents de Frédéric Gugelot, Philippe Chenaux et Hervé Serry. Récemment aussi, d’autres livres ont permis de revenir sur quelques figures-clés de la période, notamment celui de Claire Daudin (Dieu a-t-il besoin de l’écrivain ?). L’ouvrage de Bernard Bonnejean, tiré de sa thèse, offre un parcours sur cette quarantaine d’années, replaçant les poètes catholiques dans l’histoire, resituant leurs œuvres par rapport aux questions cruciales de l’époque. En quelque sorte, il interroge leurs consciences, voit comment ils évoluent par rapport à ce contexte. Pour ce faire, il a choisi d’alterner entre synthèses historiques et analyse de trajectoires person-nelles. On part de l’origine : le milieu et l’enfance des poètes. Ensuite, on envisage l’entrée de la France dans la phase moderne de la laïcité. Cette enquête permet d’aborder ce qu’on a appelé le « renouveau catholique », en germe dès l’après-1870. L’infor-mation est claire, abondante, enrichie de références à des archives intéressantes, parfois émouvantes ; l’auteur a pris soin de lire articles et livres de l’époque. Le milieu est ainsi souvent rendu de façon efficace. Malgré la variété des itinéraires et des talents, des spiritualités, des choix politiques, l’information est précise, nuancée. On peut donc rencontrer des écrivains oubliés, étudiés à côté de leurs contemporains passés à la postérité. L’histoire littéraire a beaucoup à gagner à cet intérêt pour les auteurs mineurs.

Mais étant donnée l’ampleur de la matière, une synthèse de 350 pages environ (dont un quart au moins est constitué d’une longue chronologie), ne pouvait répondre intégralement à la question posée et faire place à toutes les œuvres déterminantes de cette époque. Le parcours reste parfois trop rapide sur tel ou tel auteur, mais les choix s’expliquent selon les inflexions de leur itinéraire et les besoins du chapitre. L’impression d’éclate-ment peut cependant l’emporter. En effet, les synthèses historiques et les petites monographies semblent parfois juxtaposées. Les éléments biographiques (essentiel pour comprendre un auteur, comme le rappelle Bernard Bonnejean) ne débouchent pas forcément sur une interprétation d’ensemble. Des questions importantes auraient pourtant pu être traitées ou esquissées. Il aurait par exemple été intéressant de relier la sensibilité de sainte Thérèse, dont l’auteur est un grand spécialiste, à la renaissance d’un esprit d’enfance dans les lettres, à une recherche de simplicité en poésie, chez Jammes, Péguy, notamment, et plus tard chez Bernanos. L’auteur distingue bien l’enfance et l’esprit d’enfance évangélique dont se nourrit la poésie et on regrette qu’il ne l’ait pas développée davantage. Que faire de l’impression de libération et d’allègement ressentie par les convertis, mise en poésie par Max Jacob ? Peut-être aussi, pour les catholiques de tradition, dans un moment de crise et de perte d’identité, une telle spiritualité de l’abandon constituait-elle une réponse nouvelle. L’absence de questions de ce type est d’autant plus regrettable que la conclusion de l’ouvrage compare l’époque étudiée à la situation dans laquelle nous vivons actuellement, en utilisant l’image de la croisade (qu’il faudrait acclimater, à l’intention d’un lecteur d’aujourd’hui). Or n’aurait-il pas été intéressant de voir comment des écrivains comme Péguy (usant de cette image dans le Laudet) s’étaient en même temps, et sans contradiction, voulus poètes de l’espérance et du combat ? Et surtout, il faut remarquer que cette modernité, rationaliste, matéria-liste, que les poètes chrétiens sont censés combattre sur leur sol même, ils la portent en eux. Les poètes catholiques dans leur histoire sont eux-mêmes embar-qués, semblables et frères de ceux qu’ils seraient censés combattre : c’est là tout l’intérêt de cette étude d’histoire littéraire.

Pauline Bernon-Bruley, née en 1976, mariée. A soutenu en 2005 une thèse de Lettres sur la rhétorique et le style de la prose chez C. Péguy.

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