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Éditorial

Hommes et femmes : un regard théologique
P. Michel Gitton

La revue Résurrection n’est ni la seule ni la première à s’interroger sur le statut théologique de la distinction des sexes. C’est aujourd’hui un centre d’intérêt quasi universel qui semble répondre à un besoin de l’heure. Car qu’est-ce qui pousse des chrétiens, catholiques, luthériens, anglicans ou orthodoxes, à échafauder des théories plus ou moins convaincantes sur le sujet, sinon le sentiment aigu d’avoir quelque chose à défendre, à l’heure où la distinction entre le masculin et le féminin, jadis évidente, s’avère problématique ?

On peut résumer en deux points ce qui est ressenti comme l’héritage spirituel du christianisme sur le thème de la féminité et de la masculinité : 1) il y a une différence irréductible entre l’homme et la femme, celle-ci n’est pas seulement d’ordre physiologique, ce n’est pas le résultat des habitudes mentales des époques révolues, il y a là une différence plus profonde que toutes les autres, qui traverse tout la condition humaine, y compris la nouvelle Alliance, et qui est voulue du Créateur ; et 2) la distinction homme/femme, pour importante qu’elle soit, ne retire rien à l’unité du projet de Dieu qui voit tout être comme une personne unique destinée à être adoptée en son Fils, en ce sens, « il n’y plus l’homme ni la femme » (Ga 3, 28). Il n’est pas besoin de dire que ces convictions heurtent de plein fouet la plupart des tendances modernes, qui prônent soit la confusion des sexes sous prétexte d’égalité, soit la séparation sous couvert d’affirmation d’identité.

Néanmoins, il faut reconnaître que, dès qu’il s’agit d’approfondir ces convictions et de les fonder en raison théologique le terrain semble souvent très mouvant. D’abord parce que l’anthropologie théologique reste une recherche neuve dans la pensée chrétienne : pendant longtemps les catholiques ont cru pouvoir amarrer leur réflexion morale à une pensée de l’homme fournie par la philosophie dominante (ce fut longtemps celle des Stoïciens, avant de devenir celle d’Aristote). Il n’y a pas si longtemps qu’ils ont découvert que la Révélation chrétienne leur fournissait ample matière à une méditation sur l’homme parfaitement originale. La redécouverte de ce que la Bible nous dit de la féminité dans son rapport avec l’homme masculin participe de cette ouverture. Ensuite, il faut avouer que le sujet est tout en finesse et que l’esprit systématique de beaucoup de théologiens risque de manquer de légèreté lorsqu’il s’agit de dire une relation dans la quelle l’observateur est lui-même nécessairement situé.

Nouvelle, oui, la question n’est pourtant pas sans base dans la tradition théologique. La mariologie, c’est-à-dire la réflexion sur la Vierge Marie, ses privilèges et sa place dans le dessein de Dieu, en dit beaucoup sur le rôle de toute femme par rapport au Christ et à l’Église. Elle nous montre que dores et déjà dans la vie de gloire, où Marie entre par son Assomption, Dieu a voulu un homme (Jésus) et une femme (Marie), et pas l’un sans l’autre. L’ecclésiologie, ou théologie de l’Église, se nourrit de la tension féconde entre l’Église pétrinienne (celle, masculine, gardienne de la structure, issue de Pierre) et l’Église mariale (celle qui dit « oui » et accueille avec une immense disponibilité, comme Marie). La théologie sacramentaire a aussi sans doute beaucoup à nous apprendre, notamment par le sacrement de mariage qui instaure une bien étrange réciprocité entre l’homme et la femme, puisque, à l’heure du consentement, ce n’est pas seulement l’homme qui est le Christ pour sa femme identifiée à l’Église, mais c’est aussi l’inverse : au moment de se donner l’un à l’autre, la femme prononce les mêmes paroles qui font d’elle le ministre du Christ pour son époux. Le refus tenace de l’Église catholique d’envisager l’ordination des femmes au ministère presbytéral ou épiscopal pourrait bien en retour éclairer la complémentarité de l’homme et de la femme sur la quelle il prétend se fonder.

Mais c’est surtout une lecture renouvelée de l’Écriture qui a des chances de faire progresser la question. Même si tout semble avoir été dit sur les deux récits de la Genèse, on verra dans ce numéro qu’on est loin d’en avoir fait le tour. De même, avec Osée et la tradition prophétique, on rencontre une sublimation de la figure du couple (puisque Dieu ne dédaigne pas de s’y inscrire) qui ne peut manquer d’avoir des répercutions sur la vie des couples humains. L’énigme du livre du Cantique des Cantiques (poème amoureux et/ou poème mystique ?) montre à elle seule que nous sommes devant une imbrication précieuse entre l’expérience amoureuse et celle de la vie spirituelle, qui permet de penser une spiritualité du couple, comme le montre Simon Icard. Les livres de sagesse, souvent moins utilisés à cause leurs relents de misogynie, pourraient souvent apporter leur écot à une réflexion équilibrée sur la place de la femme par rapport à l’homme.

Il y a sans doute un défi à relever : oui les chrétiens, « experts en humanité » comme leur Église, ont quelque chose à dire de décisif sur ce qui fait la beauté de l’humanité créée homme et femme, mais trop souvent malade de ne pas savoir utiliser cette richesse qu’elle porte en son sein.

Ce numéro de Résurrection voudrait y aider.

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

Réalisation : spyrit.net