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Editorial

Charles-Olivier Stiker-Métral

Si le pardon suffit encore parfois à résumer la morale chrétienne, il est urgent de le penser avec rigueur, et d’éviter à son sujet tous les contresens dont, comme bien d’autres notions-clés de notre foi, il est l’objet. Dans la prière du Seigneur que nous sommes invités à dire quotidiennement, nous demandons au Père : « Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés ». Ce faisant, nous situons le pardon précisément à l’articulation entre la théologie et l’anthropologie. Il est en effet un acte de Dieu, peut-être l’acte suprêmement divin, relevant de l’attribut de miséricorde. Mais il est aussi une relation entre hommes, un moyen de rétablir le lien détruit par une faute. Ce pardon d’homme à homme est aussi ce qui rétablit l’image de Dieu abîmée par le péché. Dès lors, être miséricordieux, c’est aussi demander miséricorde, reconnaître en celui qui a besoin que nous lui pardonnions notre propre besoin d’être pardonné. Cette réflexion fondamentale sur la notion chrétienne de pardon, à l’heure où l’Église fait le geste peu évident de demander pardon, est nécessaire..

Peut-être en cela le pardon chrétien fait-il face à deux tentations. La première, par souci de garder au pardon sa gratuité, nie sa dimension relationnelle, le réduisant à une sorte de magnanimité se suffisant à elle-même (voir le texte d’André Comte-Sponville, cité par Christophe Bourgeois). L’autre tentation, au contraire, forte de l’expérience douloureuse de l’Histoire, ne veut voir que l’impossibilité du pardon. Dans ce contexte, la tradition chrétienne prend toute son importance et toute sa place. Elle n’ignore pas, en effet, que dans un monde marqué par le péché, aussi bien la demande du pardon que le fait de l’accorder sont au-delà des capacités de l’homme pécheur. Dans le pardon d’homme à homme, c’est le pardon du Christ qui agit, et il n’y a de vrai pardon que dans le renouvellement de l’humanité dans et par le Christ. Lui seul peut aussi permettre de penser la gratuité et le don. Mais précisément, la tradition médiévale, qui ne mérite ni notre dévotion, ni notre réprobation, mais seulement toute notre attention, a toujours pensé conjointement l’attribut de miséricorde avec celui de justice. En Dieu, il n’y a pas de contradiction entre la gratuité qu’est la miséricorde et l’équilibre qu’est la justice : la vraie gratuité du pardon divin est de prendre au sérieux la faute de l’homme, son incapacité à se faire pardonner (une lecture de Genèse 3 montrerait qu’à l’origine est le refus par l’homme de reconnaître sa culpabilité), et de le transformer pour l’en rendre capable. C’est dans le Christ que nous est révélée l’inconditionnelle gratuité du pardon de Dieu à notre égard, et que nous sommes rendus capables de reconnaître notre besoin de pardon et notre vocation à pardonner.

Charles-Olivier Stiker-Métral, né en 1976, marié, pensionnaire de la Fondation Thiers.

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