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Editorial

Parler de la Résurrection aujourd’hui
Charles-Olivier Stiker-Métral

“ Si le Christ n’est pas ressuscité, alors vide est notre message, vide aussi est notre foi ”. Ces mots de saint Paul nous invitent à voir dans la Résurrection le fondement et la raison de notre foi. Il est donc toujours d’actualité de sonder ce mystère et de réfléchir sur ce qui nous fait croire. Peut-être est-ce en ces temps encore plus fondamental, alors que l’on risque toujours de sacrifier la résurrection à la démythification. C’est pourquoi nous nous proposons de re-publier quelques articles sur ce sujet, parus dans un numéro malheureusement épuisé. C’est aussi pour notre revue un moyen d’utiliser son riche patrimoine que de reprendre ainsi à nouveaux frais un ancien dossier. Par ailleurs ces pages constituent un nécessaire appendice à un numéro sur Les Mystères de la vie de Jésus, qui n’abordait qu’indirectement la Résurrection.

Que représente la Résurrection dans la théologie d’aujourd’hui ? Il faut avoir en mémoire les questions que dut affronter la foi en la Résurrection : face à la critique historique et positiviste, qui tendait à réduire la Résurrection à des explications naturelles qui la vidaient de son sens, la théologie catholique néo-scolastique a eu tendance à cantonner la Résurrection au domaine de l’apologétique. Elle risquait d’être réduite à une simple preuve, à une confirmation de la divinité de Jésus. Cette position a été, dans le monde catholique, largement réévaluée, et l’étude théologique de la Résurrection s’est trouvée, dans le dialogue avec une exégèse protestante aux positions parfois extrêmes, au fondement d’une réflexion à la fois sotériologique et christologique. Elle se trouvait dès lors rattachée à l’ensemble du mystère pascal, considéré comme “ mystère de salut ” . Il ne peut y avoir en effet de christologie qu’après Pâques, et ce ne peut être qu’à la lumière de la résurrection que la croix peut être comprise. Dans ce mystère où le Fils remet son Esprit au Père sur le croix, pour être ressuscité le troisième jour par le Père pour à son tour donner l’Esprit à son Église, le mystère du salut se fait révélation du Dieu Trinité. Toutefois, ce déplacement de la problématique n’est pas sans un risque, aujourd’hui toujours présent, de mettre en question le fait de la Résurrection. Non, comme l’on pense trop souvent, que cela mette en cause le fait que la foi en la Résurrection demeure fondamentale. Lorsque Bultmann dit que Jésus est ressuscité dans le kérygme, dans la proclamation de la foi des premier chrétiens, ce n’est pas pour faire de la Résurrection une simple mémoire, comparable à la survie de n’importe quel fondateur dans son œuvre, mais bien pour fonder une réflexion sur la foi. Une telle affirmation ne se comprend que parce que, pour ce théologien, la Résurrection “ exprime la signification de la croix ”, et par conséquent, est l’objet de la foi, dans la mesure où elle fait que la croix est salutaire pour moi. Mais une telle foi se pense sans rapport aucun au fait, rendant toute spéculation sur les récits évangéliques “ sans valeur ” [1]. Une telle approche de la Résurrection refuse tout autre définition du possible que ce qui serait objet d’étude scientifique. Et c’est bien là le risque aussi bien du théologien que de l’homme de la rue : mesurer la Résurrection à l’aune de nos concepts, au lieu de nous laisser mesurer par sa radicale nouveauté [2].

Peut-être peut-on dans cette lignée proposer quelques pistes de réflexions pour guider la lecture des articles que l’on va lire. Trois pistes, sur le plan de l’exégèse, de la philosophie et du rapport entre la Résurrection et le langage contemporain.

Il convient dans un premier temps de s’interroger sur la véritable portée de l’annonce de la Résurrection. Pour cela, l’attention doit se porter sur les sources dont nous disposons, les textes du Nouveau Testament, témoins de la maturation des différents langages et des différentes traditions aptes à parler de cet événement fondamental. Mais cette attention ne doit pas se faire a prix d’une opposition entre le témoignage et le fait, comme si la seule certitude était le témoignage et la conviction des apôtres, tandis que le fait serait uniquement de l’ordre de la foi. Bien sûr, le travail d’exégèse sur les Évangiles et les confessions de foi primitives doit être pris au sérieux [3]. On ne saurait parler de la Résurrection à nos contemporains sans une connaissance précise des textes sur lesquels nous fondons notre foi et de leurs difficultés, du contexte intellectuel et religieux où une telle nouvelle a pu se répandre. Mais ces témoignages, dans leurs nuances, leurs oppositions parfois flagrantes (apparitions à Jérusalem ou en Galilée, chronologie impossible, date de l’Ascension), ne doivent pas occulter leur statut de témoignage, bien différent par exemple de celui des Évangiles de l’enfance. Quelque complexes que soit l’écriture de ces récits et leur concordance, le fait de la résurrection ne peut en aucun cas être considéré comme une relecture tardive, mais constitue au contraire le contenu des premières proclamations. Il est l’affirmation fondamentale de l’Église primitive, celle qui fonde la reconnaissance de Jésus comme Seigneur et comme Dieu. Il faut donc peut-être s’interroger sur le sens de ces discordances plutôt que de chercher à en résoudre artificiellement les difficultés : on peut ainsi penser avec Balthasar que les apories auxquelles est confrontée l’exégèse “ résultent, pour une large part, de la structure de l’événement de Pâques lui-même ” [4].

Ainsi, la question à laquelle la seule exégèse ne peut répondre, mais qu’elle contribue à éclairer, est celle de l’événement. Il est tentant de penser que l’on ne peut pas remonter historiquement plus loin que la conviction des apôtres devant le tombeau vide que Jésus n’est plus ici, et d’opposer le fait à la foi. La foi devient alors non pas certes une simple croyance subjective, mais la mise en langage de “ quelque chose ” qui s’est passé dans l’histoire et sur quoi l’histoire n’a pas de prise [5]. Peut-être cela revient-il, malgré tout, à ignorer ce qu’est la Résurrection : un événement sans analogie (Balthasar), qui nous impose par conséquent de transformer notre approche de ce qui est historique et ce qui ne l’est pas. En somme, elle ne relève pas tant de la catégorie du croyable que de celle du possible. A une question comme “ que signifie le terme Résurrection ”, on peut alors en substituer une autre : “ à quelles conditions peut-on penser la Résurrection comme un fait ” ? Ce n’est pas à nos catégories de pensée de définir les conditions qui peuvent déterminer le sens de la Résurrection, mais à la Résurrection de conduire à un usage critique de ces mêmes catégories. De même que c’est le Ressuscité qui ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures, de même, c’est la Résurrection elle-même qui invite à la comprendre comme mystère qui “ ne peut, d’aucune façon, dans son unicité, être construit ” [6], comme point où s’accomplissent et trouvent leur limite tous les schèmes et tous les langages.

En finale, la Résurrection nous impose de nous interroger sur notre possibilité d’en parler et de la transmettre. La question concerne tous ceux qui sont confrontés dans leur effort apostolique à un monde qui se prétend inapte à recevoir la Bonne Nouvelle de la Résurrection. Il semblerait que la question du langage soit devenu un préalable interrogation, et que la question “ Jésus est-il ressuscité ou non ? ” ait pour préalable : “ dans quel langage aujourd’hui peut-on transmettre le message pascal ? ” [7]. Faut-il en conclure que le langage de l’Écriture est périmé et qu’il convient de le traduire pour nos contemporains, ayant pris conscience de la distance qui nous sépare des modes de représentation du christianisme primitif ? Pourtant saint Paul semble attacher grande importance aux termes mêmes de la proclamation du kérygme : “ vous vous sauvez si vous retenez bien en quels termes je vous ai évangélisés ” (1 Co 15, 2). Dès lors, il s’agit peut-être fondamentalement de s’interroger sur les conditions pour que notre langage puisse retrouver celui des apôtres. Ce qui touche tout homme dans le message de l’Évangile est autant le fait lui même que sa transmission par les apôtres, car c’est eux qui sont envoyés par le Ressuscité comme lui-même était envoyé par le Père. Cela ne cantonne pas le théologien à la simple répétition des énoncés, mais à la prise au sérieux, dans son acte d’intelligence, des formules de foi. La traduction conceptuelle, toujours nécessaire, ne se substitue pas au langage des Écritures, mais le prend comme norme, tout comme lui-même prend pour norme l’événement de la Résurrection et l’identité manifestée du Fils dans leur radicale nouveauté. La fidélité au langage de l’Évangile, dans la conscience de sa fidélité à la transcendance du mystère, voilà la tâche de la théologie, qui lui permet toutes les audaces.

Charles-Olivier Stiker-Métral, né en 1976, marié, pensionnaire de la Fondation Thiers.

[1] Citations tirées respectivement de Neues Testament und Mythologie, 1941, et Verhältnis, 1960.

[2] Voir ci-dessous l’article de J-L Marion, et, sur l’urgence, pour “ prendre au sérieux la rationalité même de la Révélation ”, de “ refuser de la soumettre aux conditions exclusives que dicterait a priori une raison, un modèle unique de rationalité ”, V. Carraud, “ Nouveauté du Christ et renouvellement des humanités ”, in L’apologétique, Résurrection, n° 83, août-septembre 1999.

[3] Voir ci-dessous les articles d’A. Feuillet de M. Gitton.

[4] Pâques, le mystère, Paris, Cerf, 1996, p. 208.

[5] Voir une position de ce type, formulée de façon stimulante par X-L Dufour dans sa contribution à La Résurrection du Christ et l’exégèse moderne, Paris, Cerf, coll. Lectio Divina, 1969.

[6] H. U. von Balthasar, op. cit., p. 224.

[7] C’est le point de départ du livre riche et stimulant, si l’on fait l’effort d’entrer dans sa problématique, mais aux positions contestables, de X-L Dufour, Résurrection de Jésus et message pascal, Paris, Seuil, 1971.

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