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Éditorial

Résurrection

Le Purgatoire n’est pas à la mode. Faut-il s’en étonner ? La mort ne l’est pas non plus, quoiqu’elle se porte très bien. La Faucheuse continue à faucher sa moisson abondante avec une patience et une persévérance dans l’action toujours identique et toujours renouvelée, qui ne pourraient que forcer l’admiration, s’il y avait quelque chose à admirer dans cette fausse œuvre sans fin à laquelle tout un chacun se doit soumettre. Mais la Camarde n’est plus vivante, on n’en parle plus. Lentement mais sûrement, elle a été repoussée dans ces interstices qu’on est bien obligé de lui consentir encore un peu – car il n’est pas d’autres solutions, puisque l’on meurt encore dans notre société libérale avancée. Entre l’univers malodorant des voitures carbonisées et décomposées, le monde douceâtre des hôpitaux blafards et aseptisés, ou la sphère confinée des mouroirs mornes et anonymes, elle agit sur des corps disloqués et souffrants, tantôt désarticulés et encastrés, tantôt crucifiés d’aiguilles et exposés à la vue de tous, tantôt usés et ignorés. La mort nous a quittés, pour mieux ne pas nous oublier. Et Satan triomphe.

La seule qui avait su, un peu, amadouer la mort, parce qu’elle était fondée sur celui qui l’avait terrassé, a suivi le mouvement général. L’Église, ou tout au moins, pour atténuer ce que cette accusation pourrait avoir de trop général, de trop systématique et de par trop gratuit, ses responsables – clercs ou laïcs, il importe peu, tous se sont fourvoyés –, s’est mise au service des hommes, de leurs espoirs et de leurs souffrances, mais pas de leur mort – elle est leur guide, il lui fallait bien les suivre. Elle est désormais experte en une humanité qui ne meurt pas – qui ne veut pas savoir qu’elle souffre et meurt. Il n’y a de toute façon plus assez de clercs pour enterrer ceux qui sont morts seuls, et ils semblent parfois s’offusquer qu’on leur demande de jouer leur rôle. Eux aussi, ils ont peur. C’est nouveau, et c’est triste. Le Purgatoire s’est donc lui aussi effacé – car tout le monde il est beau et tout le monde il est gentil – sauf les racistes et les pédophiles –, et la mort absente et occultée n’est plus qu’un passage vers Dieu, mais direct, sans jugement, sans purgation, sans rien. Dieu est gentil. Il est mort lui aussi, car l’homme l’a tué, en le purgeant de sa divinité.

Protestation littéraire et facile que ces lignes. Expression de déconvenues personnelles, propos aigres d’esprits chagrins prompts au dénigrement, réactions épidermiques et viscérales de réactionnaires antimodernes et intégristes refusant l’adaptation au monde, les évolutions nécessaires et le passage à l’âge adulte. Certes. Il ne leur faut point complètement refuser cet aspect – quoiqu’il ne faille pas non plus sous-estimer le goût polémique et grinçant et la préciosité littéraire. La réflexion sur le Purgatoire n’a en effet pas disparu. Sa place demeure, réduite par rapport à l’inflation dix-neuvièmiste, mais présente. Sa théologie a d’ailleurs été renouvelée. Le Christ est désormais la pierre angulaire de la conception catholique de la purgation post-mortem. Celle-ci, et c’est une bonne chose, car elle nous apprend ce que nous sommes, est désormais comprise comme une identification croissante et irrémédiable de la créature au Fils incarné. Celle-là ne peut plus qu’être relation la faisant être, au lieu que subsistence propre et autonome pouvant entrer en relation. Il n’y a donc qu’à espérer que ces acquis théologiques pénètreront la pastorale et la prédication presbytérale.

L’humilité en serait le meilleur fruit. Comment ne pas en effet revenir à une saine considération de notre état, de notre grandeur, que la méditation sur le Purgatoire ? Comment nous pourrions-nous enfler jusqu’à devenir notre veau d’or, alors que le Purgatoire nous découvre tout à la fois ce à quoi nous sommes appelés, la déification à l’image et à la ressemblance du Fils bien-aimé en lequel repose tout l’Amour du Père, et notre incapacité à réaliser ce pour quoi nous sommes faits, si le Fils lui-même ne s’abaissait jusqu’à nous pour nous enlever sur ses ailes d’aigle ? L’humilité, la véritable considération de notre humanité, nous épargnera peut être alors cette épreuve de purgation, ou raccourcira ce passage terrible entre les mains du Dieu vivant. Comment ne pas ici invoquer la Mère de Miséricorde qui ora pro nobis in hora mortis nostræ, elle dont l’humilité, la juste position face à son Créateur et Rédempteur, lui valut d’être élevée corps et âme à la gloire du Ciel ?

Retrouvons la prière pour les Âmes du Purgatoire.

Réalisation : spyrit.net