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Éditorial

Le prêtre et sa paternité
Résurrection

Quatre fois déjà, la revue Résurrection, dans son histoire déjà longue, a traité du thème du prêtre (contre un seul numéro consacré aux évêques !), signe d’un attachement certain à la tradition de l’École française pour qui le prêtre est le « religieux du Christ », mais signe aussi des turbulences qui ont marqué la seconde moitié du XXe siècle et qui ont affecté la figure du clergé dans l’Église et la société.

Le premier numéro, le 13e de l’ancienne série, date de 1960, il est écrit alors que Mgr Charles a quitté depuis un an le Centre Richelieu et commence à révolutionner la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, il s’intitule « Le Prêtre et nous ». Notons qu’il paraît avant l’ouverture de Vatican II, mais ne manque pas de consacrer un article au « sacerdoce des baptisés », dans des termes que ne démentira pas le futur concile. L’accent, on l’a compris, est mis sur les relations entre prêtres et laïcs (un article amusant met en scène les confidences d’un couple sur sa façon de voir les prêtres qu’il fréquente et ceux dont parlent ses amis). Pourtant, on n’a pas renoncé à une présentation solide de la doctrine du sacerdoce apostolique ; le prêtre est « le médiateur », « l’homme de Dieu », et Maxime Charles met en valeur l’enseignement du cardinal de Bérulle et de Bourgoing, deuxième successeur de celui-ci à la tête de l’Oratoire de France.

Le numéro 61 de la même série s’intitule, lui, « Le sacerdoce apostolique », il est daté de décembre 1979. L’accent est tout autre, on a vécu la crise qui a amené le départ d’un grand nombre de prêtres, on a subi la vague de sécularisation qui a poussé beaucoup à répudier tout signe extérieur et toute séparation avec le monde. La théologie elle-même hésite : le ministère presbytéral (comme on dit à l’époque) est-il une émanation du sacerdoce du Christ, ou est-il une simple disposition de l’Église pour permettre aux baptisés de vivre leur sacerdoce ? Pourrait-on être prêtre à mi-temps, voire de façon temporaire ? La présidence de l’eucharistie pourrait-elle dans certains cas être confiée à des laïcs ? Bien sûr, la suppression du célibat obligatoire semble pour beaucoup envisageable dans un avenir proche. Mgr Charles pensa relever le défi et mit au travail un groupe de séminaristes qui lui faisaient confiance (et dont les noms se cachent prudemment sous des pseudonymes, certains sont aujourd’hui des théologiens connus). L’ensemble garde une valeur certaine. Bien sûr la référence à Bérulle n’est pas oubliée, mais on parle aussi de l’enseignement de Vatican II. Le Nouveau Testament et les Pères sont mobilisés pour établir la continuité entre Jésus et le sacerdoce ministériel. Un dernier article est consacré au célibat pour en montrer l’étonnante convenance : à ceux qui auront à partager aux hommes les fruits du sacrifice du Christ, il convient d’entrer dans la suite de ce même Christ et d’expérimenter près de lui une amitié si forte qu’elle comble le cœur et dynamise les forces.

Plus de trente ans plus tard, Résurrection, dans sa nouvelle série, a voulu revenir sur le sujet dans un numéro (le no 137) intitulé : « Le Prêtre, signe de contradiction ». Là encore, les temps ont changé, l’optimisme postconciliaire a fait long feu, on s’est rendu compte que le vide se creusait dans les communautés chrétiennes et que les laïcs militants et formés qu’on voyait presque comme des substituts du clergé d’hier commençaient eux aussi à faire défaut. Le monde qui s’éloignait toujours plus des cadres de la vie chrétienne n’attendait plus grand-chose du prêtre, quitte à guetter ses faux-pas, vrais ou supposés. Les fidèles, quant à eux, désorientés par tant d’images contradictoires et de mots d’ordre sans lendemain, cherchaient (et parfois trouvaient) dans un lien privilégié avec un prêtre ou une communauté d’élection l’ancrage de leur vie chrétienne, d’où la difficulté de faire vivre en même temps le maillage paroissial, aux mailles de plus en plus larges, que les survivants s’épuisaient à entretenir. Le numéro en question ne s’attarde pas à un constat qui n’aurait pas débouché sur grand’chose, il s’efforce de réarticuler les éléments essentiels du sacerdoce apostolique, avec la conviction que tout repose en définitive sur l’audace du Christ qui, le Jeudi saint, a voulu se lier à des hommes qu’il a mis à part et institués pour maintenir en plein cœur du monde sa provocation à lui. Le prêtre est là pour empêcher ce monde de se rendormir et de croire qu’il peut se suffire à lui-même, c’est pourquoi le ministre du Christ doit porter sur lui le poids de la contradiction. Le prêtre est médiateur, à la mesure où il devient transparent à la figure de son Seigneur, en pouvant dire comme lui : « ma doctrine n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé ». Dépossédé de son agir propre dans les sacrements, il ne donne le Christ qu’en acceptant d’être dépassé par celui qu’il rend présent.

Certains ont trouvé que ce numéro, pour important qu’il soit, ne disait pas assez, en tout cas laissait de côté certains des aspects concrets de la mission sacerdotale. Notamment, on ne voyait pas assez clairement la façon dont le prêtre exerce une paternité, or c’est elle incontestablement qui est en jeu dans son lien avec les fidèles laïcs. Là où cette paternité est rendue impossible par une organisation pastorale qui retire au prêtre la direction concrète des communautés, là où il n’a plus rien à bâtir, plus de cœurs à enthousiasmer, plus d’orientations à donner, il se spécialise vite dans des tâches qui n’ont généralement plus rien de sacerdotal. Tel est donc l’axe du présent numéro, qui s’efforce de refléter l’expérience de plusieurs prêtres de la communauté Aïn Karem engagés dans les mouvements de jeunes (c’est le cas du P. Roder et du P. de Mello), ou encore (comme le P. Gitton) se consacrant à la mise en place d’une ample vie liturgique dans une église ou un sanctuaire fréquenté. Le concours de la sœur Sandra Bureau a permis de mettre en valeur de façon plus théorique le thème très discuté de la paternité. La réflexion d’un jeune prêtre sur ce temps de formation, et surtout de mûrissement, que représente le séminaire, complète heureusement ce regard sur le sacerdoce.

Par ailleurs, sans lien direct avec le sujet du numéro, M. Pierre-Henri Beugras, chargé d’un grand établissement scolaire de la région parisienne, se demande si l’on peut refonder l’école, et sur quels principes. C’est toujours de transmission qu’il s’agit, mais cette fois-ci de façon plus large et mettant en jeu tout un ensemble de personnes, parmi lesquelles le prêtre a évidemment sa place.

Souhaitons que ce numéro, qui fait entendre une voix quelque peu originale dans le concert actuel, contribue au renouveau que nous attendons tous et qui commencera sans doute par être un renouveau sacerdotal

Réalisation : spyrit.net