Rechercher

Éditorial : la miséricorde

Résurrection

La miséricorde, notion « vieillie » selon les dictionnaires, a refait son apparition dans le vocabulaire catholique depuis une trentaine d’années. Le mérite de cette redécouverte revient tout entier au pape Jean-Paul II, qui, après avoir ré-acclimaté de façon spectaculaire les mots rédemption/rédempteur, dans sa première encyclique Redemptor hominis, en 1979, consacrait en 1980 sa deuxième encyclique à la Miséricorde sous le titre Dives in misericordia, pris à saint Paul (Ep 2, 4). Les commentateurs, un peu surpris à l’époque, pointaient tout de suite les sources de cet emploi dans la spiritualité particulière au peuple polonais, marqué depuis l’époque romantique par la méditation de la croix, dans une ambiance héroïque où l’amour de la patrie disparue rejoignait la compassion pour le Christ souffrant. Sœur Faustine Kowalska (1905-1938), qui n’était pas encore canonisée, ni même béatifiée, commençait à être connue en France, mais le P. Michał Sopoćko, son guide et son confident (aujourd’hui béatifié), n’était, lui, pas du tout traduit, ni même cité.

Par la suite, le succès du thème de la Miséricorde ne s’est pas démenti. Et le pape François vient de lui donner un nouvel essor, en proclamant une année sainte de la Miséricorde. Les publications sont maintenant innombrables, la traduction des œuvres de sainte Faustine a atteint tous les continents. Y a-t-il là un effet de mode, qui retombera demain, ou sommes-nous en présence d’une redécouverte féconde qui marquera la théologie et la spiritualité du XXIe siècle ? Il est sans doute trop tôt pour le dire, mais, en attendant, on peut travailler, en prenant au sérieux le thème de la miséricorde et en voyant ce que sa réintroduction implique.

Parmi les sujets les plus brûlants, il y a sans doute ceux qui tournent autour de la question : « qui est Dieu ? » Avec la miséricorde, on sort des attributs métaphysiques (unité, simplicité, éternité, immensité, aséité) qui ont longtemps formé la base du discours sur Dieu. Les stoïciens, aux dires de saint Augustin, avaient du mal à admettre la miséricorde parmi les vertus, pour la raison qu’elle implique une émotion, et constitue finalement une faiblesse. Or il s’agissait là de la miséricorde humaine, que n’auraient-ils pas dit d’une miséricorde attribuée à Dieu ? Peut-on, par exemple, parler encore de la Justice de Dieu quand son visage de Père occupe toute la place ? Et, dans le même sens, ne faut-il pas renoncer à l’impassibilité divine, qui aurait trop longtemps empêché la pensée chrétienne d’accepter le mouvement d’un Dieu qui se penche sur sa créature et qui ressent sa misère ? Bref, la miséricorde semble porter avec elle la contestation de toute une théologie qui a considéré Dieu comme séparé, inaccessible, etc.

Et pourtant saint Augustin, saint Anselme, pour ne citer qu’eux, n’ont pas eu peur de mettre la miséricorde de Dieu au cœur de leur pensée, sans renoncer une seconde à affirmer la transcendance radicale de celui-ci. C’est sans doute une indication qui peut nous aider à sortir des simplismes qu’on nous assène trop souvent. Mais le travail reste à faire en grande partie. Faute de pouvoir tout traiter, ce numéro sur la Miséricorde fait une place particulière à la problématique Justice/Miséricorde, qui est évidemment centrale : nous sommes en face de deux termes qui procèdent de deux univers de pensée différents, et qui sont également présents dans l’Écriture. Il s’agit répondre au défi que pose leur conjonction :

Yahvé passa devant lui [Moïse] et il cria : « Yahvé, Yahvé, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa grâce à des milliers, tolère faute, transgression et péché mais ne laisse rien impuni et châtie les fautes des pères sur les enfants et les petits-enfants, jusqu’à la troisième génération. » (Ex 34, 6-7)

Nous commençons, comme souvent, par un aperçu sémantique, consacré ici au mot « miséricorde », avec ses antécédents hébreu et grec, c’est ce que fait pour nous Jacques-Hubert Sautel. Puis nous donnons la parole à Mgr Albert-Marie de Monléon, ancien évêque de Meaux, bien connu des milieux attachés à la pensée de Sœur Faustine, qui nous dit les enjeux de la miséricorde dans l’Église et dans le monde aujourd’hui.

Nous revenons à l’Écriture, avec une méditation sur l’Exode de Marie Beaudeux, qui met en valeur deux scènes capitales : le Buisson ardent, où Dieu se révèle comme celui qui a vu et entendu les cris de son Peuple qui souffre en Égypte, et ensuite la vision du chapitre 34 (après l’épisode du veau d’or), où il se dit lui-même « Miséricorde infinie ».

La question « Justice et Miséricorde » est ensuite abordée de front par notre collaborateur Alexis Perot, qui n’a pas peur – sans oublier le témoignage des mystiques – de se mesurer avec la pensée acérée de saint Anselme, abbé du Bec-Hellouin puis évêque de Canterbury au XIe siècle, pour donner une vision équilibrée des rapports que l’on peut entrevoir entre ces deux attributs divins.

Une note de Roland Hureaux sur « Technique et miséricorde » nous aide à sortir du cadre conceptuel d’aujourd’hui et à nous rendre compte que notre point de vue sur la miséricorde est faussé par l’idéologie du « risque zéro » où on n’a pas le droit à l’erreur.

Avec Marie-Claude Le Fourn, nous retrouvons les saints, qui sont les meilleurs garants de la manière juste de nous situer face à Dieu : à travers les itinéraires de Thérèse de Lisieux et Sœur Faustine, elle montre comment les exigences de la Justice ne sont pas oubliées, mais au contraire magnifiées par la Miséricorde.

Réalisation : spyrit.net