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Ernest Psichari, L’ordre et l’errance (Frédérique Neau-Dufour)

Éditions du Cerf, Paris, 2001
Simon Icard

Comme ce fut le cas pour Charles Péguy, son illustre contemporain, Ernest Psichari fut statufié dès sa mort au combat en 1914 en porte-drapeau du nationalisme français. Mais, à la différence de l’auteur des Cahiers de la quinzaine, la mémoire de Psichari n’a pas bénéficié d’un travail critique comme celui qu’effectua « L’amitié Charles Péguy » : même la rupture de Maritain, son ami de toujours, avec l’Action Française n’a pas contribué à remettre en cause le mythe, un peu « culotte de peau », d’un Psichari héraut de la sainte alliance du sabre et du goupillon. La thèse de Frédérique Neau-Dufour, publiée dans une version destinée au public, tente de discerner derrière l’image d’Épinal la personnalité et le destin complexes de l’une des grandes figures de la France de la Belle époque. Son travail s’appuie sur les archives, souvent ignorées par les biographies antérieures, notamment sur l’abondante correspondance con-servée au musée de la Vie romantique.

Psichari est le petit-fils d’Ernest Renan, dont il porte le prénom. Il est élevé dans un milieu universitaire républicain et anticlérical. Très jeune, il prend fait et cause pour Dreyfus. Il mène des études de philosophie et devient socialiste. Son amour impossible pour Jeanne Maritain, sœur du philosophe, le plonge dans une profonde crise existentielle qui le marquera pour le reste de ses jours. Le début de son homosexualité, aspect sou-vent ignoré de sa vie, date de cette période. Il s’engage comme simple artilleur, puis devenu officier dans les troupes coloniales, il découvre l’Afrique, où il effectue plusieurs missions. C’est au cours de ces années qu’il entame son œuvre littéraire. Sa conversion au catholicisme, dont Le voyage du centurion, son roman le plus célèbre, est en grande partie inspiré, fait grand bruit dans le milieu intellectuel français. Psichari meurt le 22 août 1914 au champ d’honneur.

Ce qui frappe à la lecture de cette biographie, c’est que Psichari fut au contact de tous les grand noms de son époque : Maritain, bien sûr, mais aussi Péguy, Massis, Barrès, Jaurès, Anatole France, Bergson, Claudel, le colonel Picquart, le père Clerissac… La biographie montre le destin atypique d’un homme qui fut à la fois officier colonial, homme de lettres et intellectuel. L’auteur s’attache à certains aspects peu connus de sa pensée : il est resté toute sa vie le philosophe défenseur de l’intelligence face à toutes les formes d’asservissement, il a porté un regard critique sur l’exploitation coloniale, appelé de ses vœux une révolution sociale. « Psichari, écrit l’auteur, a tenté d’allier le don de soi à Dieu et à la France avec le combat pour la liberté ». L’auteur pointe les contradictions, du moins les lignes de fracture qui parcourent sa pensée et ses engagements. Mais elle voit dans la vie de Psichari moins une série de ruptures qu’une continuité à travers la recherche bouillonnante qui fut la sienne, ce qu’elle appelle « la persistance d’un humanisme ». Cette thèse prend le contre-pied des biographies précédentes, qui opposaient le jeune socialiste héritier de Renan à l’officier catholique. Frédérique Neau-Dufour attache une grande importance à la fragilité psychologique perceptible derrière la perpétuelle exaltation de Psichari : son amour impossible pour Jeanne Maritain est, à ses yeux, capital pour comprendre sa personnalité.

L’ouvrage a le mérite de nous présenter Psichari dans toute sa complexité. Les littéraires resteront un peu sur leur faim, à la lecture des passages consacrés à ses romans, mais on ne saurait en faire le reproche à une biographie. En revanche, l’organisation de l’ouvrage fait que le lecteur a du mal à suivre la progression chronologique.

Simon Icard, Né en 1975. Chercheur au Laboratoire d’études sur les monothéismes. Il a publié Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux. Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, H. Champion, 2010.

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