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Eucharistie et mondialisation. La liturgie comme acte politique. (William Cavanaugh)

Ed. Ad Solem, 2001, 126 p.
Isabelle Rak

Cet ouvrage d’un universitaire catholique américain proche du mouvement Radical Orthodoxy se propose de démonter les trois « mythes » fondateurs de nos sociétés (post-) modernes : l’État prétendument sauveur des guerres de religions qui menaient le monde occidental à sa perte ; la société civile « libre » qui serait le lieu où le christianisme, définitivement exclu de la sphère politique, pourrait s’engager sans entraves sur le terrain social ; la mondialisation, forme sécularisée de la catholicité. À ces trois mythes mensongers, Cavanaugh oppose la liturgie eucharistique comme lieu unique d’une « imagination » dans le temps et dans l’espace, qui dépasse largement le domaine de la piété privée, dans laquelle, depuis la fin du Moyen Âge, le christianisme semble s’être peu à peu retranché.

L’Eucharistie s’oppose d’abord à un État moderne qui, sous couvert de protéger les citoyens des effets dévastateurs du fanatisme religieux – en passant, Cavanaugh souligne l’inanité historique de cette affirmation –, a étendu sa domination bien au-delà de la sphère des institutions politiques, jusqu’au contrôle de la société civile et même de la famille. En détruisant les corps intermédiaires, en privilégiant le contrat social citoyen-État par rapport aux liens horizontaux d’une société organiquement constituée, cet État omniprésent contribue à la dissolution du lien social et à l’individualisme contemporain. La prétendue « société civile » n’est alors aucunement un contre-pouvoir, elle est bien au contraire le prolongement, le double, le miroir de cet État tentaculaire. Et la mondialisation, loin d’être une alternative à l’emprise de l’État-nation, n’en est plus que la généralisation aux dimensions du monde. La négation des liens de proximité, l’uniformisation des mœurs et des modes de vie, le règne du court terme et du jetable, l’effacement de l’histoire et des traditions, le monde sans boussole et « l’homme sans qualités », telles en sont les conséquences que nous vivons tous de nos jours.

Pour résister à cette « violence ontologique » de l’État, Cavanaugh affirme avec force la centralité de l’Eucharistie. Parce qu’elle réunit dans le présent les actes salvateurs du Christ et la restauration future du monde, l’Eucharistie peut être le point de départ de la restauration d’une authentique société humaine, parce qu’elle la fonde sur le Royaume de Dieu et le Corps du Christ, créant ainsi une réalité sociale visible. Ce Corps n’est pas une communauté politique comme les autres : il crée son propre espace public, relevant à la fois du monde présent et de l’eschatologie, du terrestre et du céleste. La communauté eucharistique est un « Corps véritable » (corpus verum), dont les membres sont d’autant plus unis les uns aux autres qu’ils sont attachés à leur Tête, le Christ. La « cité » (polis) eucharistique est ainsi une cité transnationale dont « le centre est partout et la circonférence nulle part ». Elle appelle à repenser la relation au prochain, non pas à travers un système d’assistance sociale anonyme assurée par un État qui délierait ainsi les citoyens de leur obligation de charité et de solidarité, mais comme la pierre angulaire d’une société ecclésiale vécue comme authentique Corps du Christ.

Isabelle Rak, née en 1957, mariée. Professeur des Universités (Sciences Physiques) et chercheur à l’Ecole Normale Supérieure de Cachan. Membre des comités de rédaction des revues Communio et Résurrection.

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