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Évêques, prêtres et diacres (Cardinal André Vingt-Trois)

Paris, Médiaspaul, 2009, 166 pp.
Jacques-Hubert Sautel

À l’occasion de l’Année du sacerdoce, ouverte par Benoît XVI en juin 2009 pour les 150 ans écoulés depuis la mort du saint Curé d’Ars, l’archevêque de Paris a rassemblé une série d’interventions qu’il a données sur le sacerdoce catholique depuis 2007. Un bon nombre d’entre elles ont été prononcées en 2008-2009, puisque le diocèse de Paris célébrait alors déjà une année du prêtre. La continuité entre les deux démarches, signalée dès l’abord par l’Avertissement de ce petit livre (p. 5), semble un signe important de la prise de conscience, par l’Église catholique à laquelle nous appartenons, de l’importance du sacerdoce pour le renouveau de la foi aujourd’hui : « Si tous les baptisés participent à la mission sacerdotale de Jésus, ils ont besoin, pour lui être unis, du service des ministres ordonnés. » (ibid.)

Les interventions du Cardinal Vingt-Trois, regroupées en cinq parties, sont pour la plupart des homélies, donc des discours prononcés dans un cadre liturgique et qui commentent la Parole de Dieu. Elles rappellent, avec une assurance ferme et solide, les bases de la doctrine catholique sur le sacerdoce ministériel, en signalant, dans la première partie, comment ce sacerdoce spécifique trouve ses racines dans celui de tous les baptisés, lui-même découlant du sacerdoce du Christ, qui offre sa vie pour tous les hommes sur la Croix.

Les pages les plus originales de cet ouvrage me semblent à trouver cependant dans des interventions moins soumises aux contraintes nécessitées par la liturgie : canevas biblique, temps limité, solennité du discours. J’en retiendrai trois exemples. Tout d’abord, l’intervention faite par le Cardinal à Rome lors de la session « Nouveaux évêques » en septembre 2007 (p. 31-47). On y lit en effet la transmission d’une expérience humaine et spirituelle personnelle du ministère épiscopal aujourd’hui : à travers les « recettes » toutes simples « du métier d’évêque », on discerne les ressorts profonds de la foi qui anime et fait vivre un successeur des Apôtres. Il en est ainsi, par exemple, de la dimension « eucharistique » de la prière : savoir rendre grâces, pour le don de la foi, pour le choix de Dieu, pour les collaborateurs dans le ministère, pour la foi de tout le peuple confié, pour la communion des différentes communautés ecclésiales (p. 32-37). Cette énumération, qui reprend simplement le plan des pages citées, ne fait que peu ressortir ce qui est le sentiment profond du lecteur : pénétrer, d’une certaine manière, « au-delà du voile » qui entoure nécessairement une fonction d’autorité, et partager de l’intérieur, c’est-à-dire dans la foi, les sentiments et les mobiles d’une personnalité ecclésiastique, habituellement perçue à travers la seule grille de son action officielle.

De la même façon, on lira avec grand intérêt la conférence faite à la basilique du Sacré-Cœur de Paris, en présence des reliques du Curé d’Ars, en mars 2009 (p. 81-93). À l’école de Jean-Marie Vianney, le Cardinal Vingt-Trois discerne les priorités pastorales de notre temps : il le fait avec prudence et réalisme, soulignant la nécessité d’une formation permanente solide des chrétiens. La vie spirituelle est première (annoncer la miséricorde de Dieu et son action en Jésus-Christ) et dernière (l’éducation par la prière), mais entre temps, il y a place pour la vie intellectuelle (enseigner aux chrétiens les vérités de la foi) et la vie morale (ne pas craindre l’enseignement moral). On peut citer, comme exemple de bon sens et de lucidité pastorale ces affirmations, qui vont à contre-courant des habitudes de beaucoup de négligences qui peuvent être ressenties dans nos paroisses catholiques aujourd’hui, il faut l’avouer douloureusement : « Or, cette absence d’éducation (ou tout simplement d’information) chrétienne […] est aussi une entrave à la vie morale. En effet, on ne peut pas demander à des personnes dont la conscience et l’intelligence n’ont pas été éclairées à la lumière de la foi de faire des choix qui reposeraient sur leur connaissance du Christ. » (p. 87)

Mais il convient aussi de rendre compte des interventions du Cardinal touchant aux défis du sacerdoce ministériel dans notre siècle : l’appel des jeunes, ce qu’on nomme couramment « les vocations », et la vie du prêtre diocésain. Sur ces questions, les interventions rassemblées dans la quatrième partie du livre (p. 97-138) me paraissent rassembler quelques idées force. Pour ce qui est de la mission du prêtre diocésain, j’en dégagerai trois, parmi d’autres : cette mission ne peut être séparée de la communauté à laquelle il est envoyé comme pasteur ; dans cette mission, le prêtre ne doit plus être considéré comme un simple « distributeur de sacrements » ; l’obéissance de son cœur à la mission reçue de l’évêque est une forme du don total qu’il fait de lui-même au Christ. Pour ce qui est de l’appel, trois autres affirmations me semblent s’imposer : il convient d’avoir un regard positif et d’action de grâce sur le sacerdoce, pour ne pas hésiter à poser la question aux jeunes : « as-tu pensé à devenir prêtre ? » ; c’est dans le « dialogue de la liberté du cœur avec le Christ que se construit une relation forte « (p. 119) qui est le terreau de l’appel ; il ne peut se développer de vocations s’il n’y a pas d’accompagnateurs spirituels pour aider un jeune homme à répondre à l’appel reçu.

L’ensemble de ces affirmations, présentées ici d’une façon schématique et donc certainement réductrice, me paraît ancré à la fois dans la tradition de l’Église catholique et le bon sens. Je me permettrai d’émettre toutefois une petite réserve : s’il est bien compréhensible que le prêtre ne doit pas être réduit à celui qui « distribue les sacrements », c’est que cela impliquerait une conception magique de ces sacrements, comme des remèdes efficaces à notre souffrance indépendamment de notre foi en Dieu, et donc une perception faussée de Dieu, comme une puissance que nous pourrions capter à notre profit. En revanche, une trop grande insistance sur cette tentation d’accaparer le ministère sacerdotal à notre guise me semble relever d’un autre danger spirituel, celui refuser pour le prêtre d’être l’instrument de la miséricorde de Dieu, laquelle se manifeste à travers son Église dans des actes que lui seul, prêtre de Jésus-Christ, peut poser au nom de Dieu. En un mot, l’Église peut subsister sans prêtre, parce que Dieu seul est maître de la foi (ce qui s’est produit au Japon entre le XVIIe et le XIXe siècle), mais le prêtre ne peut être fidèle à sa vocation que s’il accepte d’être « mangé » par elle, comme le Curé d’Ars, saint Jean-Marie Vianney, en a été le témoin dans sa vie, centrée autour des sacrements, spécialement les plus courants, celui de la Réconciliation et celui de l’Eucharistie. Cela est, pour le prêtre, la forme du martyre à laquelle le configure sa vocation, comme pour le laïc aura sa propre croix à porter jusqu’au martyre dans la vie conjugale, le célibat ou toute autre souffrance spécifique liée à ses conditions de vie comme témoin de Jésus-Christ.

Nous ne voulons pas terminer cette recension sur cette critique ponctuelle, mais sur l’évocation des beautés contenues dans la dernière partie, qui rassemble trois homélies d’ordinations sacerdotales. Le trait le plus marquant de ces homélies, à notre sens, consiste dans la découverte que ce qui fait la joie et la grandeur du ministère sacerdotal, c’est aussi ce qui fait la joie et la grandeur du baptisé : l’espérance est de « trouver son repos dans la quiétude de l’amour partagé » (p. 146) ; « la plénitude de la joie ne vient pas de la satisfaction de nos désirs ou de l’absence de nos misères, mais elle vient du don, du don que Dieu nous fait, du don sans retour que nous lui faisons. » (p. 151) De la sorte, le prêtre apparaît non seulement comme l’instrument de la bonté de Dieu à travers les signes voulus par Jésus-Christ en son Église, les sacrements, ou à travers l’organisation de la communauté ecclésiale, mais aussi comme une figure de sainteté, ce qui ne peut exister que dans le mystère de la croix, dont le martyre est la forme historiquement la plus ancienne, actuellement encore vécue dans plusieurs pays du monde. Le Cardinal Vingt-Trois reprend ici l’invitation lancée par le pape Benoît XVI en la cathédrale Notre-Dame, lors de sa venue à Paris en septembre 2008 : « Oui, la Croix du Christ est le signe de l’amour fidèle de Dieu pour les hommes. Elle est le signe du don que Jésus fait de sa propre vie pour notre vie et notre bonheur, pour notre salut. Elle est un appel adressé à chaque chrétien pour entrer dans ce mystère d’amour. » (p. 163)

Que cette dernière notation soit pour chacun de nous source d’espérance et de fidélité, dans la route qu’il entreprend à la suite de Jésus, dans la communion du cœur avec le Saint-Père, les évêques et les diacres que Dieu nous donne et nous donnera, si nous l’en prions, et que ce beau livre nous soit un guide sur ce chemin de bonheur !

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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