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Faut-il croire au miracle ?

P. Michel Gitton

On pourrait penser que les miracles font partie des accessoires d’un christianisme définitivement dépassé qui s’attachait à un merveilleux infantile, alors que nous serions arrivés à un âge adulte où la science avait définitivement fait justice des croyances pré-critiques. Nous n’avons plus besoin de ces interventions divines dans le fonctionnement du monde, nous sommes des croyants majeurs, nous avons compris que Dieu parlait à notre raison et nous proposait d’incarner dans le monde les exigences du bien, en assumant notre condition d’êtres limités et promis à la mort.

D’un autre côté, on voit fleurir un attrait toujours aussi fort pour le merveilleux et l’irrationnel. Les lieux d’apparitions (même non reconnus), les visions (même les plus bizarres) ont un succès qui ne se dément pas, sans parler de la science-fiction, mais aussi de ce phénomène intéressant que sont les ouvrages et les films mettant en jeu la « féerie », aujourd’hui très en vogue (Narnia, Harry Potter, etc…).

L’enseignement de l’Église sur ce sujet a quelque chose à dire qui repose sur les fondements mêmes de sa foi (les miracles dans la vie du Christ) et sur une pratique séculaire de discernement qui n’a pas refusé les manifestations du surnaturel dans la vie des hommes, sans pour autant les majorer.

Les miracles de la Bible

Les miracles de l’Ancien Testament

1. L’Exode  : la sortie d’Égypte est le moment le plus caractéristique des « signes » et des « prodiges » que Dieu déploie pour les fils d’Israël, qui sont en train de devenir un peuple, le Peuple de de Dieu.

Ils ont deux fonctions :

  • accréditer Moïse comme porte-parole autorisé de Dieu auprès de Pharaon, c’est le sens des plaies d’Égypte ; au début les prodiges réalisés par Moïse peuvent être singés par les magiciens de Pharaon, mais à mesure qu’on avance, ceux-ci se révèlent de plus en plus impuissants devant le Dieu d’Israël qui guide la main de Moïse ;
  • manifester la sollicitude de Dieu pour les Hébreux qu’il sauve de la poursuite des Égyptiens, qu’il abreuve au désert, qu’il nourrit avec la manne et les cailles, etc… Ces miracles sont donnés souvent dans un contexte de contestation, les fils d’Israël étant portés à se décourager devant les difficultés et à mettre en doute les intentions de Dieu et l’efficacité de Moïse. La solution apportée n’est pas magique, la marche à travers le désert reste cahotante, la faim taraude, la manne n’a pas beaucoup de goût.

Le miracle des miracles reste la traversée de la Mer Rouge, là où Dieu a sauvé son peuple « à main forte et à bras étendu ». Deux présentations du miracle coexistent : celle, presque naturelle, du vent d’Est qui fait reculer la mer, puis, le vent cessant, la mer reprend sa place première ; celle, plus haute en couleurs, du flot divisé en deux parts, une muraille d’eau à droite et une autre à gauche.

2. Le cycle d’Élie et Élisée  : le miracle, qui avait un temps accompagné les débuts de l’installation en Terre promise (traversée du Jourdain à pied sec, Josué qui arrête le Soleil, etc…), réapparait au IXe siècle au moment de la contestation dure de la royauté du Nord par le courant prophétique. Comme avec Moïse, le miracle accrédite le prophète en difficulté avec le pouvoir (Élie face aux prophètes de Baal), mais le résultat n’est pas très évident et ce qui est plus mis en valeur, c’est l’attention de Dieu, dans une relation personnelle avec l’homme : l’encouragement donné à Élie lui-même, puis à la veuve de Sarepta (la nourriture miraculeuse pendant la sécheresse, etc..). Avec Élie et surtout Élisée, le miracle devient entre les mains du prophète une manière de réconforter les populations éprouvées, de rendre un fils à sa mère, de retrouver un objet perdu. Le miracle n’est jamais sans raison, il suscite une démarche de foi de la part de celui qui en bénéficie (Naaman le syrien qui doit accepter tout un chemin de confiance pour bénéficier du miracle, puis rendre gloire au vrai Dieu).

Les miracles de Jésus

1. Ils sont incontestables  : attestés jusque chez l’historien juif Flavius Joseph (« ses œuvres étaient admirables »), les grands prêtres eux-mêmes doivent reconnaître le fait (« cet homme fait beaucoup de signes », Jn 11,47).

2. Deux mots pour les désigner : gestes de puissance (dynameïs) et signes (sèmeïa) surtout chez saint Jean, qui parle aussi d’« œuvres ».

3. Ils sont une épiphanie de la gloire divine : ils manifestent sa puissance sur l’homme, sur la nature et même sur les créatures démoniaques ; ils manifestent surtout son amour et sa bonté confondante : ils révèlent un Dieu qui s’intéresse à l’homme tout entier, corps et âme, et jusque dans ses petites misères et qui veut un jour l’arracher à la mort ; en attendant, il ne se résigne pas à le voir souffrir. Ces manifestations sont « divines », ce n’est pas du cinéma, c’est à la fois souvent discret et délicat, adapté à la faiblesse de celui qui reçoit le miracle, se révélant parfois après coup, à l’attention de celui qui sait « lire ».

4. Ils sont une manifestation de la souveraineté du Christ : Il démasque le Diable qui est à l’œuvre dans tout ce qui blesse l’être humain. Il est, lui Jésus, l’homme fort qui vient disputer à celui-ci la maîtrise qu’il s’est acquise sur la vie humaine, c’est pourquoi la frontière entre les exorcismes et les autres guérisons est si légère. D’où une certaine urgence : la venue de Jésus est un temps de grâce, de libération, il lui faut sans attendre rendre à ces êtres brisés leur dignité, même (surtout ?) le jour du sabbat.

5. Ils sont une anticipation du mystère pascal : loin d’être l’œuvre d’un superman qui se jouerait des limites de la condition humaine, les miracles de Jésus émanent d’un homme qui vit dans une relation constante avec son Père, qui sait que celui-ci « l’exauce toujours », mais qui ne force pas le destin pour faire sa volonté (contrairement à ce que Satan lui propose). Les miracles « coûtent » à Jésus, il gémit, il « soupire », il sent une force lui échapper. Chaque miracle est comme une anticipation de sa mort et de sa résurrection : à chaque fois, il se livre plus complètement à la mort et reçoit ainsi les premiers bienfaits de la Résurrection.

6. Ils supposent une relation de foi avec Jésus : le miracle n’est jamais un moyen de forcer l’adhésion des personnes qu’il rencontre. En l’absence de foi, il ne peut faire de miracle. Bien sûr le miracle fait aussi grandir la foi, mais Jésus souligne la valeur de celui qui croit « sans avoir vu ». Le seul signe que Jésus consent à donner aux incrédules, c’est « le signe de Jonas », qu’il interprète lui-même de deux façons : Jonas a été pour les habitants de Ninive un signe, prophète désarmé qui annonce un message impossible à un peuple païen qui ignore tout du Dieu d’Israël et réussit contre toute attente, ou bien Jonas passant trois jours et trois nuits dans le ventre du monstre marin. Ce qui « fait signe » en Jésus, c’est le contraste entre son absolue faiblesse comme homme et la puissance divine qui agit par lui ; c’est aussi sa résurrection, miracle plus fort que tous les autres, mais qui se déroule dans le secret et qui n’a qu’un petit nombre de témoins. La foi ne supplée pas l’absence de preuves, mais permet au cœur droit de lire les indices surabondants qui entourent l’activité de Jésus, sa naissance, sa mort et sa Résurrection.

7. Ils annoncent les sacrements : les miracles n’ont qu’un temps, mais quand Jésus sera près de son Père, il continuera d’une autre façon son œuvre à travers les gestes confiés à son Église : sa compassion s’étendra aux malades, il assistera aux noces, il consacrera des apôtres, surtout, il remettra les péchés et se donnera en nourriture aux hommes. Les mêmes traits se répètent : contact personnel à travers un « ministre » qui actualise sa présence, geste concret, parole décisive qui réalise le don de Dieu.

Les miracles des Apôtres

La première communauté chrétienne découvre dans l’émerveillement que des signes miraculeux se produisent par les mains des Apôtres, sans préjudice des sacrements qu’elle a vécus dès la première heure. Les Apôtres guérissent, ressuscitent des mort et surtout échappent plusieurs fois à la prison où on les avait enfermés. Dieu soutient son Église en marche. La source fraîche qui s’était ouverte avec Jésus continue de jaillir, comme la prophétie qui s’était tue pendant des siècles mais qui avait surgi à nouveau à la naissance du Messie, elle aussi est présente dans l’Église.

Ce pouvoir suscite l’étonnement et certains essaient même de le récupérer moyennant argent (Simon le Mage). Paul, qui a lui-même bénéficié d’une conversion spectaculaire et miraculeuse et n’est pas le dernier à poser des signes forts, s’affronte à un magicien (Élymas) qui essaie de contrecarrer sa prédication ; il lui impose silence au prix d’une cécité provisoire. Comme Moïse devant Pharaon, Paul, revêtu de la puissance du vrai Dieu, démasque les contrefaçons du Diable.

Comme on le voit les miracles qui accompagnent la vie de l’Église naissante rencontrent tout un monde équivoque, où les hommes de tous les temps ont rêvé de mettre le divin à leur portée pour accomplir leur volonté propre. Mais ils s’en distinguent radicalement par leur soumission à la volonté de Dieu et leur référence constante à l’exemple du Christ.

Les miracles dans la vie de l’Église

Du début jusqu’à nos jours

Les miracles ont jalonné toute l’histoire du christianisme depuis ses origines. C’est même un de ses traits les plus constants. Loin d’être confinés dans un âge qu’on pourrait imaginer plus primitif ou plus naïf, toutes les époques du christianisme ont apporté leur lot d’histoires prodigieuses auxquelles sont mêlés les saints et qui mettent en jeu des pauvres, des riches, des intellectuels, des moines, des hommes, des femmes, des enfants. Les temps modernes ne sont pas en reste au regard de l’histoire antérieure : deux figures du XXe siècle à elles seules totalisent un nombre incroyable de miracles : Padre Pio de Pietrelcina (plusieurs centaines de milliers, dit-on) et Sr Yvonne-Aimée de Malestroit.

Un des saints les plus proches de nous (le P. Jerzy Popiełuszko, assassiné en 1984) a à son actif un miracle des plus frappants en faveur d’un leucémique en phase terminale.

Néanmoins, on a l’impression que les miracles sont plus fréquents dans un contexte de foi, où la ferveur générale rend plus évidente la possibilité d’une action surnaturelle. La somme des miracles recensés au Moyen-Âge et attestés par des sources sérieuses est impressionnante.

Des traits spécifiques

1. La forme christique du miracle : celui qui demande publiquement un miracle et l’obtient le fait rarement de gaieté de cœur, il y est conduit, le plus souvent il obéit à un appel intérieur ou à une sollicitation pressante de l’extérieur. Au moment où va se manifester la toute-puissance de Dieu, lui vit généralement dans les ténèbres. Ses gestes évoquent souvent ceux du Christ lui-même, le plus souvent à son insu (imposition des mains, application de salive, etc…). Sa parole manifeste parfois une autorité qui le dépasse largement. Beaucoup fuient ensuite l’enthousiasme qui accompagne le miracle et se sentent ridicules (cf. Padre Pio). Le démon peut jusqu’à un certain point singer le miracle et produire des effets troublants, il ne peut imiter ni l’humilité des saints, ni leur obéissance.

2. La place des intercesseurs : des miracles (sans doute les plus nombreux) sont obtenus directement par la prière des croyants. Mais il est dans la logique du christianisme que le Christ associe aussi ses amis à la grâce qu’il veut répandre sur les hommes (« celui qui croit en moi fera, lui aussi, les œuvres que je fais ; et il en fera même de plus grandes » Jn 14,12). La place des saints (et d’abord de la Vierge Marie) est très importante dans de très nombreux cas de miracle. Les saints ne sont pas des puissances divines, mais leur présence (durant leur vie, et même après leur mort, à travers les reliques), leur parole, leur exemple, la certitude de leur aide fraternelle galvanisent la prière et prédisposent ceux qui ont recours à eux à s’ouvrir à la grâce.

3. Des pratiques qui mettent en jeu le corps : la demande de miracle suscite toute une démarche qui n’est pas seulement dans la tête, ni même dans le cœur, mais qui mobilise tout l’être humain : déplacement (pèlerinage), préparation pénitentielle (jeûne), toucher (linges ayant approché le corps saint, reliquaire, etc…), onction (avec de l’huile ayant brûlé dans les lampes du sanctuaire). Certaines de ces pratiques sont attestées dès le Nouveau Testament (Ac 19,12).

4. Les formes innombrables de la charité divine : il est impossible de faire le tour de tous les domaines où le miracle vient apporter une réponse à un mal de l’âme et du corps, à une détresse, à un manque. À côté des résurrections d’enfants ou d’adultes, il y a les cas innombrables de guérisons physiques ou psychiques, avec, semble-t-il, une prédilection pour les maux que le Christ lui-même a guéris (lèpre, cécité, sourds-muets, paralysie des membres etc…) ; certains cas sont plus rares, comme la reconstitution d’un membre manquant, mais se rencontrent dans l’histoire de la sainteté chrétienne. L’aide apportée aux couples stériles est également un classique de la sainteté chrétienne. Le miracle ne concerne évidemment pas seulement le corps, mais l’homme dans ses relations avec ses semblables (réconciliations) et surtout avec Dieu (conversions plus ou moins soudaines). Les cas de miracles « négatifs » sont très rares, la vengeance n’a pas sa place dans la prière chrétienne, la vraie revanche des martyrs est la conversion de leurs bourreaux. Néanmoins il y a (dès saint Paul) des cas de cécité et du mutisme infligés à des blasphémateurs ou à des sacrilèges, mais ils sont généralement provisoires.

Un contrôle sévère

Les communautés chrétiennes ont très tôt veillé à contrôler la réalité des miracles.

Au Moyen Âge, les guérisons signalées ne sont enregistrées qu’après un minimum d’information auprès de ceux qui connaissaient antécédemment le prétendu miraculé et on punit sévèrement les simulateurs. Certes, les Vitae écrites plus ou moins près du décès d’un saint personnage avec les moyens de l’époque se laissent souvent aller à des exagérations répondant aux clichés sur la sainteté qui sont alors en vogue, mais il y a des contre-exemples qui prouvent que le souci de la vérité n’est pas absent de ce genre de littérature qu’on a beaucoup critiqué.

Avec les temps modernes et la centralisation par la papauté des causes de béatification et de canonisation, une procédure s’est mise en place, de plus en plus précise et exigeante, pour instruire le cas des personnes susceptibles d’être reconnues comme saintes. Le miracle a toujours fait partie, avec « l’héroïcité des vertus », des critères de l’avancée d’une cause (deux pour la béatification et un de plus pour la canonisation ; le pape peut, dans des cas très rares, dispenser de cette condition, c’est ce qu’il a fait récemment pour Pierre Fabre). Parmi les critères du « miracle », celui-ci doit être physique, avoir eu lieu dans un cas de maladie incurable, être rigoureusement inexplicable du point de vue médical, et être irréversible.

Les lieux d’apparitions, comme Lourdes, disposent d’un bureau des constations médicales qui a reconnu jusqu’ici seulement 69 guérisons avérées. Les critères sont très restrictifs pour couper court à toute contestation possible.

Importance

Le miracle fait partie de l’expérience chrétienne, il manifeste que l’Église, après deux mille ans, est toujours le lieu où Dieu continue d’agir comme au premiers temps, que le Christ prolonge par elle son action bienfaisante et consolatrice dans le monde.

Il fait partie de l’aspect charismatique de l’Église, qui n’est pas seulement une institution, un appareil, mais le lieu d’une rencontre vivante avec Dieu.

Que penser des miracles ?

Dieu maître de la création

Le Dieu de la Bible n’est pas le « grand horloger de l’univers », comme le croyait Voltaire. Le Créateur, dont la Parole puissante a appelé toute chose à l’être, continue d’agir dans le cosmos et l’histoire des hommes. C’est lui qui ne cesse de maintenir les éléments, de « retenir l’eau des mers », de « tenir les vents en réserve », etc… La création est une victoire continuelle sur le chaos et les forces hostiles (« les puissances ») qui contrecarrent ses desseins et sèment le désordre ; il est à même de les réduire au silence, même s’il s’interdit pour l’instant de les faire disparaître totalement.

Le maître de la nature est en même temps celui qui conduit l’histoire des hommes. Les deux perspectives sont très liées (cf. Ps 136 [135]) : la même puissance qui secoue la terre et le ciel et qui se déchaîne par exemple au moment de la sortie d’Égypte.

Ce n’est pas un Dieu capricieux qui bousculerait les données de la nature à tout propos. Après le déluge, il s’est engagé à ne pas remettre en cause l’équilibre global de la création, pour permettre à l’aventure humaine de se déployer dans un cadre à peu près stable. Son action sait se faire discrète, et presque imperceptible à certains moments, pour laisser à l’homme le temps et la possibilité d’un choix, il se révèle plus surement par une petite brise qu’à l’occasion d’un tremblement de terre ou d’un ouragan.

Création plus diverse que nous n’en avons le sentiment

La création ne se limite pas au monde matériel, tel que nous le voyons. Non seulement il y a les créatures angéliques (bonnes et mauvaises) qui constituent l’arrière-plan, invisible à nos yeux mais bien réel, de toute l’œuvre créatrice de Dieu, mais le monde visible lui-même nous échappe dans une large part à cause de ses dimensions et de la complexité incroyable de ses mécanismes. Malgré les progrès de la science (ou plutôt à cause d’eux), nous découvrons un monde toujours plus riche et varié qui nous dépasse, même si nous pouvons tracer quelques voies et accéder à la compréhension partielle de l’enchaînement des phénomènes. Pour être sûr qu’une chose est impossible, il faudrait une connaissance exhaustive de tout le réel, être en définitive à la place de Dieu même. La science (comme on l’a montré) est plus humble, elle avance pas à pas, stimulée par des réalités jusque-là inexpliquées qui l’obligent à revoir les explications admises jusque-là, découvrir des lois plus générales, des paliers d’explication non encore explorés…

Surtout, la foi chrétienne nous amène à penser que le fonctionnement actuel du monde n’est qu’un des fonctionnements possibles de celui-ci, qu’il y en a eu d’autres (avant le péché) et qu’il y en aura un autre (après la victoire de Dieu sur le mal) : « la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, ‒ non qu’elle l’eût voulu, mais à cause de celui qui l’y a soumise, ‒ c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. Nous le savons, en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement » (Rm 8, 19-22). Nous pouvons concevoir que le miracle est la possibilité donnée soudain à la création de retrouver sa souplesse, de s’arracher à l’ankylose héritée du péché.

La définition du miracle

Le miracle n’est donc pas d’abord une entorse aux lois de la nature, ce qui le caractérise, aux yeux de saint Augustin, c’est sa finalité : il s’agit d’un moyen proportionné qu’emploie Dieu pour faire avancer un individu ou un groupe vers son salut. Le caractère étonnant de la chose peut résulter soit de l’effet inattendu d’une cause connue (comme une guérison improbable, due à une réaction encore inconnue), soit de coïncidences dont la répétition et la précision amènent à penser qu’il y a une intention derrière, soit enfin d’interférences entre l’état spirituel de la personne et son organisme physique, etc… Dans tous ces cas, ce qui permet de reconnaître un miracle est que l’effet suit de près une prière et un geste religieux significatif, qu’il ne peut en tout cas être provoqué à volonté, et qu’il correspond à une avancée significative de la personne vers Dieu.

Cette définition n’est pas jugée suffisante par ceux qui ont charge de discerner dans les miracles attestés ceux qui ont surement attribuables à l’intercession d’un saint. Ils préfèrent s’en tenir à la définition de saint Thomas d’Aquin : « on parle de miracle, quand la chose outrepasse l’ordre de la nature tout entière ». Le miracle est ici défini par la déficience des causes naturelles, qu’on peut prouver jusqu’à un certain point (pas de traitement antécédent, aucune évolution jugée possible par les spécialistes, effet irréversible). Il est sans doute plus prudent quand un miracle est discuté de s’en tenir là. Mais cela n’empêche de reconnaître beaucoup de miracles qui ne répondent pas directement à ces critères, mais qui manifestent, comme l’a vu saint Augustin, l’intervention salvifique de Dieu dans nos vies.

« Tout est possible à celui qui croit »

Le Seigneur nous encourage à tout demander, mais notre demande doit être passée au feu pour correspondre au bien que Dieu veut pour nous. Spontanément, même si notre requête est bien intentionnée, elle se ressent de notre péché : soit trop timide, dépourvue de vraie confiance en Dieu, soit trop arrogante, voulant faire notre volonté coûte que coûte, en nous servant de Dieu plus qu’en le servant. Si nous nous laissons conduire par l’Esprit, peu à peu nous entrerons dans l’expérience de Christ, témoins du mal du monde et prêt à s’offrir lui-même pour le salut des hommes, notre prière devient alors une intercession qui nous engage au plus profond de nous-mêmes, Dieu peut ainsi faire des miracles à travers nous. Ayant peu à peu rapproché notre volonté de la sienne, nous devenons irrésistibles, comme l’étaient les saints.

Il y a des demandes que Dieu n’exauce pas, même très belles et très sincères. Il fait partie de notre prière de dire : « si tu veux ».

Reconnaître le miracle

La plupart des miracles, et même les plus extraordinaires, ne sont pas de nature à forcer la conviction de l’incrédule. Celui qui a posé a priori l’impossibilité du miracle sera rarement détrompé, il pourra toujours arriver à s’échapper. Pour que l’extraordinaire soit accueilli, il faut avoir au moins laissé la place pour une interrogation. Comme avec les miracles du Christ, il y a assez de lumière pour ceux qui cherchent, assez d’obscurité pour laisser ceux qui refusent dans leur assurance.

Dieu donne sans doute beaucoup plus de signes que nous ne sommes prêts à voir. La foi n’est pas ce qui pallie le manque de visibilité des signes, elle est ce qui oriente le regard du bon côté et permet d’apercevoir les indices surabondants que Dieu nous donne. La méditation de la Parole de Dieu et la prière nous fournissent le cadre où le miracle pourra être compris et reçu.

Le grand miracle : l’Eucharistie

L’eucharistie est un miracle : le Christ en personne vint se glisser dans l’apparence du pain. Mais c’est un mystère caché, le plus caché de tous, car, pour l’admettre, il faut accepter sans réserve ce qu’il nous a dit : « ceci est mon corps, ceci est mon sang » et croire que non seulement il nous parle d’amour, mais qu’il le réalise. Il est vrai que, dans quelques cas très rares, Jésus a montré des signes non équivoques de sa présence (hosties sanglantes, visage en surimpression etc…). Mais Voltaire lui-même qui a eu vent d’un miracle de ce type ne s’est pas converti…

L’eucharistie représente le plus grand défi à l’homme en quête de Dieu : là où il n’y a rien à voir, l’Amour se peint de la manière la plus forte, le Corps livré nous place au cœur du mystère du Christ et nous invite à le reconnaître.

Conclusion :

« N’éteignez pas l’Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie ; mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le ! » (1 Th 5,19)

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

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