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Henri de Lubac. La rencontre au cœur de l’Église. (Jean-Dominique Durand)

Cerf, Paris, 2006, 320p.
Jean Lédion

Cet ouvrage rassemble seize contributions issues de deux colloques qui se sont tenus l’un à Lyon, à la faculté de théologie de l’université catholique, l’autre à Paris, à l’institut catholique, en 2003, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la parution de la Méditation sur l’Église d’Henri de Lubac. Cet ouvrage, qui vient d’être réédité dans les œuvres complètes (voir la recension dans Résurrection, n°114-115), a connu un très grand succès en son temps et a influencé la rédaction de la constitution sur l’Église du concile Vatican II. Ce sont des spécialistes de nombreuses disciplines qui se sont exprimés au cours de ce colloque : spécialistes d’histoire, de théologie, d’exégèse et venant d’horizons variés (Afrique, Europe, Asie). La conclusion du colloque fut tirée par le Cardinal Philippe Barbarin.

Le livre contient quatre sections, la première est consacrée à l’histoire, la seconde à l’ecclésiologie, la troisième à l’universalité et la dernière à la théologie. Comme l’indique l’introduction (due à Jean-Dominique Durand), c’est la troisième partie qui est la « plus neuve et la plus originale  ». En effet, nous y trouvons des articles d’auteurs africains et coréen qui montrent en quoi la manière de faire de la théologie, propre au P. de Lubac, est beaucoup plus féconde dans leur milieu que la méthode néo-scolastique, ou que la méthode « locale ». Toute théologie, pour être féconde, se doit d’être catholique dans la plénitude du terme. C’est ce qui est fort bien exprimé dans l’article intitulé : « Henri de Lubac et le devenir de la théologie africaine ». Cette contribution, de Juvénal Ilunga Muya, professeur à l’université pontificale urbanienne de Rome, est tout à fait éclairante sur ce sujet. On peut en citer quelques lignes, tirées du paragraphe intitulé « La contextualité de toute vraie théologie  » où cet aspect de la pensée lubacienne est bien mis en valeur.

Si la théologie fondamentale a été pour de Lubac le point de départ d’une nouvelle pensée sur la méthode de toute la théologie, le noyau central qui a conditionné la nouvelle manière de comprendre la méthode théolo-gique est à rechercher dans la question de la relation entre philosophie et théologie. On le sait, et il n’est pas besoin de le répéter, de Lubac n’évoluait pas seul en ce champs. […] Il fallait dépasser une certaine manière abstraite de concevoir la théologie, proposer une vision plus dynamique du dogme vu non plus “comme une sorte de ‘chose en soi’, comme un bloc révélé sans rapport d’aucune sorte avec l’homme naturel”. Une telle entreprise exigeait d’être plus attentif à l’historicité du dogme et donc au caractère contextuel de toute formulation théologique.

Déjà dans son premier livre publié, Catholicisme, il souligne cet aspect en affirmant que la dimension historique appartient à l’essence même du christianisme, à sa structure ontologique et à sa façon de se réaliser dans le temps. Le christianisme considère l’histoire comme évènement qui advient et non comme une accumulation de vérités abstraites à déchiffrer. C’est une conviction fondamentale pour de Lubac, enracinée dans sa compréhension de l’homme et du salut : “Le salut que Dieu nous offre est le salut du genre humain, puisque ce genre humain vit et se développe dans le temps, l’exposé de ce salut prendra naturellement la forme d’une histoire : ce sera l’histoire de la pénétration de l’humanité par le Christ.” Nous pouvons dire que le sens de l’histoire a accompagné toute l’existence théologique de de Lubac, jusqu’à risquer des affirmations du genre : “Le christianisme n’est pas une grandeur historique : c’est l’histoire qui est une grandeur chrétienne”. Ce fut là une manière historique de comprendre le christianisme et une manière chrétienne de comprendre l’histoire qui furent motivées par une nouvelle façon de concevoir la Révélation et la Tradition. Cela montre combien l’idée que l’on se fait de la théologie dépend de la manière dont on conçoit la Révélation, la foi et le dogme. […] Pour la théologie africaine, l’intuition de de Lubac selon laquelle l’on ne peut parler de la foi qu’à partir de la foi vécue, et donc de manière incarnée, contextualisée, a été vraiment bénéfique. Elle préparait le terrain pour une rencontre sans préjugé du christianisme avec les richesses des traditions religieuses non chrétiennes. (p 229-230)

Le lecteur pourra bien sûr trouver d’autres éléments enrichissants dans les diverses contributions de cet ouvrage. Dans sa conclusion au colloque, le cardinal Barbarin a intitulé la dernière partie de son exposé « Un riche fondement pour une théologie de la nouvelle évangélisation ». Si l’Église est bien par essence missionnaire, alors elle se doit d’avoir une pensée juste sur sa mission. C’est pourquoi la manière de faire de la théologie, donc de penser le dogme chrétien, doit tenir compte de ce déploiement historique de la pensée chrétienne qui restera toujours différent de celui des autres religions où le contenu est la plupart du temps ‘intemporel’.

Que cet ouvrage serve donc à tous ceux qui œuvrent pour le dialogue avec les non-chrétiens, et à l’évangélisation.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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