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Histoire d’un dynamisme apostolique. La Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice (Philippe Molac)

Préface d’Etienne Fouilloux, Paris, Cerf, coll. L’histoire à vif, 2008, 336 pp., notes bibliogr., index, ill. h.-t.
Paul Airiau

Depuis le milieu des années 1940, il n’existait aucun travail synthétique permettant d’approcher l’histoire de la compagnie de Saint-Sulpice. Avec ce livre de P. Molac, aidé d’autres sulpiciens, notamment des Amériques, c’est chose faite. On n’y trouvera pas une histoire répondant à tous les critères de la scientificité universitaire. C’est davantage à une chronique que l’on a affaire, qui a comme objectif de permettre à ces Messieurs de Saint-Sulpice de mieux connaître leur passé afin de décider de leur futur. L’ouvrage s’inscrit ainsi à sa manière dans la dynamique ouverte par Vatican II, celle d’une réappropriation par les ordres et congrégations religieuses de leur charisme originel. L’histoire devient alors un vecteur privilégié pour accéder à ces temps révolus. Le risque est bien sûr de produire une banale et classique histoire du surgissement, de l’établissement, de la décadence puis du renouveau, dont on peut se demander si elle ne s’enracine pas dans l’obsession proprement chrétienne de l’Église semper reformanda qui tend à faire fi du caractère fécond des développements historiques, en ce qu’ils participent d’un désenveloppement de l’implicite et du déploiement des potentialités contenues dans le kaïros originel.

Mais foin de ces considérations. Notons seulement qu’elles permettent de comprendre certaines des caractéristiques des trois premiers chapitres du livre, consacrés à Jean-Jacques Olier, le curé de Saint-Sulpice fondateur de la Compagnie du même nom, rassemblant des prêtres diocésains consacrées à la formation sacerdotale, puis à l’histoire de la Compagnie aux XVIIe et XVIIIe siècles. La liberté spirituelle du fondateur dans sa compréhension du sacerdoce ministériel y est partiellement opposée à la cléricalisation à laquelle procède un de successeurs, M. Tronson, et qui, renouvelée après la Révolution française, s’imposera comme un modèle particulier dans ce long XIXe siècle catholique étalé de 1815-1820 à 1950 – et qui fera la gloire, la réputation et la splendeur de la Compagnie. Ces éléments se retrouvent aussi, de manière implicite, dans les deux textes reproduits en annexe et qui étudient plus précisément, sous la plume de M. Gilles Chaillot, la mémoire du fondateur dans la Compagnie et certains points de sa spiritualité.

Si l’on laisse de côté ces dimensions, on soulignera surtout que le lecteur français, par delà l’histoire événementielle mâtinée d’analyses socio-historiques, prendra conscience de l’ampleur internationale de la Compagnie. Les implantations canadiennes et états-uniennes sont anciennes, remontant au XVIIe siècle pour les premières et à la fin du XVIIIe siècle pour les secondes. Il y aurait même lieu d’explorer davantage la différenciation spirituelle et sacerdotale qu’ont pu produire ces expériences diffractées. On n’est très vraisemblablement pas sulpicien de la même manière selon que l’on est formé dans une nation originellement démocratique ‘pour le dire rapidement) et pratiquant le pluralisme et la concurrence religieuses (États-Unis) ; que l’on structure un clergé chargé d’entretenir l’identité d’une minorité francophone se sentant politiquement, culturellement et religieusement marginalisée et mise en danger sur son propre sol (Québec) ; ou que l’on vive en France une série de bouleversements socio-politiques et religieux qui superposent de manière complexe des choix ecclésiologiques (romanité ou gallicanisme) et politiques (monarchisme ou pas).

Quelle unicité alors du modèle sacerdotal développé depuis la Réforme catholique, et jusqu’où doit-il aller dans son accommodement au monde ? M. Tronson aurait répondu que les habitudes sacerdotales doivent demeure invariables en tout lieu et en tout temps, car elles permettent de réaliser l’être propre du prêtre – la dépossession afin d’être tout à Jésus prêtre. M. Olier n’aurait sans doute pas eu la même réponse, préférant à la réitération sans fin de comportements modelant et faisant l’être, le déploiement dans le temps des charismes baptismaux et ministériels, l’âme sacerdotale devenant alors capable de jouer divinement toute une série de partitions nouvelles et inconnues, plutôt que de réitérer sans cesse des gammes assurant une solide colonne spirituelle et la capacité à se confronter à toutes les situations. Le traitement réservé à la spiritualité du fondateur laisse supposer que c’est dans cette direction que s’orienteraient les rédacteurs de cette histoire. On entre alors dans des débats importants sur la formation sacerdotale, qui dépassent le cadre d’une recension.

On les laissera alors de côté, en soulignant seulement, en conclusion, l’importance de la courte préface d’Étienne Fouilloux, qui incite à une lecture historicisante de l’ouvrage, à rebours de ce que l’on vient de faire ici. Mais il est vrai qu’une rapide lecture dans Résurrection ne répond pas aux mêmes objectifs qu’une analyse destinée à des revues universitaires : en toutes choses, et même dans les recensions, il faut savoir ne pas confondre les ordres, afin de pouvoir un jour unir pour avoir su distinguer.

Un seul regret profond à mentionner : l’absence du rappel de l’anecdote rapportée par Ernest Renan dans ses Souvenirs. Alors que les révolutionnaires des Trois Glorieuses passaient sous les fenêtres du Séminaire de Saint-Sulpice en 1830, un des directeurs laissa tomber ces paroles définitives, qui disent mieux que tout ce qu’était un sulpicien au début du XIXe siècle : « On voit bien que ces gens ne font pas oraison ».

Paul Airiau, marié, huit enfants, né en 1971. Diplômé de l’IEP de Paris, agrégé et docteur en histoire, enseignant dans un établissement public (ZEP) de l’Académie de Paris.

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