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Histoire et structure du symbole des Apôtres

Adélaïde de Montpellier , Jérôme Levie

Si la tradition et le depositum fidei ne consistent pas fondamentalement en des formulations données, celles-ci n’en constituent pas moins un aspect essentiel de la vie de foi. « Le langage objectif du Credo, pour être légitime, doit être la manifestation du langage existentiel de l’acte dont il témoigne. Cependant, pour être second, il n’en est pas moins nécessaire [1] », et peut-être davantage en notre époque où se perd la compréhension de l’articulation complexe entre la foi et son expression orale – déjà sujet du traité de saint Augustin, De fide et symbolo –, liée à la relation en nous du cœur et de la parole. Cet article étant consacré à la structure et à l’histoire du symbole, portes d’entrée privilégiées pour comprendre son contenu, contentons-nous, face à une quête forcenée et parfois paralysante d’ « authenticité », de rappeler, avec le Docteur de la grâce, que « notre foi exige de nous le service du cœur et celui de la langue [2] ».

Pourquoi « symbole » ?

Le mot grec symbolon désignait un objet coupé en deux dont deux hôtes conservaient chacun la moitié (qu’ils transmettaient éventuellement à leurs enfants) : les deux parties rapprochées servaient à faire reconnaître les porteurs et à prouver les relations, commerciales ou autres, contractées antérieurement [3]. Plus largement, ce pouvait être un signe de ralliement, et un lien, entre initiés. Et en effet, au symbole des apôtres, formant ainsi comme « le pacte sur lequel est établie [4] » la société des chrétiens – pacte conclu d’abord, tel un contrat (sacramentum), entre le fidèle et le Seigneur –, celui-ci peut être reconnu comme tel, avec ses liens l’unissant à tous les porteurs du symbole. Tertullien écrit ainsi : « Voyons ce qu’a appris l’Église romaine, ce qu’elle a enseigné, ce qu’elle a échangé en gage (contesserarit) avec les Églises africaines [5]. » Le « symbole » de la foi est donc un signe de reconnaissance et de communion entre les croyants. Plus tard, en latin, à travers l’assimilation des mots grecs symbolè et symbolon, les Pères médiévaux ajoutèrent à ce sens celui de collatio, d’un tout où chacun (des douze apôtres) apporte sa part.

Le Catéchisme du concile de Trente affirme, relativement sobrement – par rapport à la légende que nous étudierons plus loin –, que les apôtres composèrent le Symbole, et qu’ils l’appelèrent ainsi, « soit parce qu’ils [le] formèrent de l’ensemble des vérités différentes que chacun d’eux formula, soit parce qu’ils s’en servirent comme d’une marque et d’un mot d’ordre qui leur ferait distinguer aisément les vrais soldats de Jésus-Christ des déserteurs et des faux frères qui se glissaient dans l’Église pour corrompre l’Évangile [6] ». Le but était bien « que tous eussent la même croyance et le même langage, qu’il n’y eût ni division, ni schisme parmi ceux qu’ils allaient appeler à la même foi et que tous fussent consommés dans un même esprit et un même sentiment ».

Le symbole « des apôtres »

Selon une légende, d’origine fort ancienne mais qui s’est amplifiée au cours des siècles, les douze apôtres auraient formulé, sous l’action de l’Esprit Saint, à la veille de leur dispersion, le symbole des apôtres, chaque apôtre récitant un article… Cette légende, stylisation naïve d’une profonde vérité, correspond bien avec l’apostolicité de la doctrine et avec le caractère primitif de certains groupements, et elle montre que le symbole des apôtres a toujours été considéré pour ce qu’il est : un résumé de l’enseignement apostolique.

Très tôt les écrivains ecclésiastiques ont considéré que l’origine et la norme de l’enseignement de l’Église résidaient dans la « règle de foi » constituée par la « prédication apostolique », et que « les saints apôtres ont transmis très clairement à tous les croyants […] tout ce qu’ils ont jugé nécessaire [7] ». Cependant, et au sujet de notre symbole, dès le IVe siècle les Pères se font plus précis, affirmant sa composition directe par les apôtres. Ceux-ci, pour citer Rufin (écrivant entre 401 et 409) qui affirme le tenir de la tradition [8], avant de partir prêcher après la Pentecôte, « établirent en commun une règle de la prédication qu’ils devaient faire afin que, une fois séparés, ils ne fussent exposés à enseigner une doctrine différente à ceux qu’ils attiraient à la foi du Christ. Étant donc tous réunis, remplis de l’Esprit Saint, ils composèrent ce bref résumé de leur future prédication, mettant en commun ce que chacun pensait et décidant que telle devra être la règle à donner aux croyants. Pour de multiples et très justes raisons, ils voulurent que cette règle s’appelât symbole. » Saint Ambroise (vers 380-390) ne manque pas de rapprocher le nombre d’articles du nombre des apôtres : « Voici que selon les douze apôtres, douze sentences ont été exprimées [9]. »

Deux sermons pseudo-augustiniens [10], œuvre d’un prédicateur gaulois du VIe siècle, attribuent un article à chaque apôtre, rendant plus vivante la leçon : « Pierre dit : Je crois en Dieu le Père tout-puissant, Jean dit : Créateur du ciel et de la terre […] Judas, fils de Jacques : La résurrection de la chair, Matthias acheva : La vie éternelle. Amen. » Via Alcuin et saint Pirmin notamment, ces attributions – diverses – furent reprises au Moyen Âge, par saint Thomas, saint Bonaventure… et une pièce de vers mnémotechnique contribua à répandre la légende, qui s’inscrivit aussi dans l’art religieux. Apparurent (on peut citer l’exemple, datant du XVe siècle, de l’église de Charlieu, dans le diocèse de Lyon) des peintures des douze apôtres tenant chacun une banderole où est gravé un article du symbole. Cela se combina avec le symbolisme du nombre douze (citons la référence aux douze pierres enlevées du Jourdain sur l’ordre de Josué), avec les douze prophètes dont les prophéties annoncent les articles correspondants [11], comme dans des miniatures de la fin du XIIIe siècle, et maints vitraux et fresques… Chaque apôtre, résume saint Bonaventure, est venu poser son article à l’endroit voulu, pierre vivante, ferme et immuable, tirée de la profondeur des Écritures [12].

Cependant, en 1438, lors du concile de Florence – alors à Ferrare –, l’Occident apprenait par la voix (antiunioniste) de Marc d’Éphèse que ce symbole n’était pas connu en Orient. Si Lorenzo Valla (qui voulait y voir un résumé tardif du Credo de Nicée-Constantinople) et d’autres en remirent dans l’hypercritique sans nuances, la brèche était faite où s’engouffra la critique humaniste, puis moderne. Érasme nota avec bon sens : « Si le symbole qu’on appelle des apôtres a été procuré par les apôtres eux-mêmes, je n’en sais rien ; du moins porte-t-il la marque de la majesté et de la pureté apostoliques [13]. »

Origine et développement

Si le caractère légendaire – tout comme la vertu didactique – des récits que nous venons d’évoquer est clair, les recherches historiques [14] peuvent confirmer l’antiquité du symbole, « catéchisme le plus ancien de la chrétienté [15] », lié à la liturgie baptismale romaine mais dont les éléments et la double forme christologico-trinitaire sont déjà dans le Nouveau Testament, et sont répandus dans toutes les Églises naissantes. Ainsi, le symbole « exprime réellement, sous une forme condensée, la foi [que les apôtres] avaient reçu mission de répandre [16] ».

Le symbole baptismal romain ne fut pas le seul symbole, ni le seul résumé de la foi : de nombreux textes circulèrent, d’une grande diversité de genres littéraires et de fonctions, pouvant être liturgiques, catéchétiques, mnémotechniques… Notre symbole rapproche deux modèles de formules, un modèle trinitaire et un modèle christologique, l’amalgame ayant eu probablement lieu au cours de la première moitié du IIe siècle [17]. Les deux formes circulent dès l’origine [18] : très anciennement on trouve des résumés de la foi présentés comme des développements christologiques, ou de façon trinitaire ; très anciennement – dès le Nouveau Testament – on parle à la fois de baptême « au nom du Seigneur Jésus » et de baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit [19], fait par triple immersion qui plus est. Lubac met en garde contre l’idée d’un passage entendu univoquement des formules christologiques aux formules trinitaires. Il s’agit ici de ne pas opposer christologie et triadologie, économie et théologie : « il y a une homogénéité nécessaire entre le “Dieu pour nous” et le “Dieu pour lui-même [20]” ».

Le symbole est quasiment en son entier un tissage de formules, voire de regroupement de formules, tirés du Nouveau Testament. La prédication de saint Pierre lors de la Pentecôte (Ac 2, 31-39) contient déjà l’essentiel de la deuxième partie du symbole : Jésus est Seigneur et Christ, il a été crucifié et mis à mort, il a passé par les enfers, Dieu l’a ressuscité, il a été exalté à la droite de Dieu. D’autres formulations du Nouveau Testament peuvent avoir servi de résumés de la foi [21], ainsi la façon dont Paul exprime ce qu’il a reçu et transmet, en 1 Co 15, 3 ; Rm 1, 34 contient d’autres éléments de foi qui se retrouveront dans le symbole (relations aux prophéties de l’Écriture, filialité) et y inscrit l’Esprit ; 1 P 3, 18-22 ajoute la mention de la droite du Père et de la descente aux enfers (cf. Ep 4, 9). On voit dès le texte des Actes (19, 1-5) que, dans le contexte baptismal, les ancrages christologique et trinitaire sont liés, puisque Paul comprend, par l’ignorance des disciples de l’existence de l’Esprit-Saint, qu’ils n’ont pu recevoir le vrai baptême fait au nom du Seigneur Jésus.

Vers l’an 110, saint Ignace d’Antioche exprime de façon ramassée la foi en « Jésus-Christ, né de la race de David, né de Marie, qui a été réellement engendré, a réellement mangé et bu, a réellement souffert persécution sous Ponce Pilate, a réellement été crucifié, est mort sous les regards du ciel, de la terre et des enfers, qui est aussi réellement ressuscité d’entre les morts [22] ».

Si on trouve deux formules trinitaires, sans ancrage liturgique a priori, dans la lettre de saint Clément de Rome datée de l’an 96 (58, 2 ; 46, 6), saint Justin offre à la fois une formule trinitaire, dont chaque article est déjà quelque peu développé (« Nous adorons le Créateur de cet univers […] nous adorons Jésus-Christ qui fut crucifié sous Ponce Pilate […] en qui nous voyons le Fils du vrai Dieu, nous le mettons au second rang, et, en troisième lieu, l’Esprit prophétique [23]. »), et des développements christologiques qui, rassemblés, contiennent tous les éléments de la deuxième partie du symbole actuel [24].

Saint Irénée fournit des exemples plus développés encore d’une expression en trois « articles » – mentionnés comme tels – de la base de l’édifice de la foi, du canon de la vérité reçu au baptême :

Dieu le Père incréé, inengendré, invisible, Dieu unique, Créateur de tout : c’est le premier article de notre foi. Quant au second article, le voici : c’est le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, notre Seigneur qui est apparu aux prophètes en la forme décrite dans leurs oracles et selon l’économie spéciale du Père, le Verbe par qui tout a été fait et qui, dans la plénitude des temps, pour récapituler et contenir toutes choses, s’est fait homme, né des hommes, s’est rendu visible et palpable, afin de détruire la mort et de rétablir l’union entre Dieu et l’homme. Quant au troisième article, c’est le Saint-Esprit qui a parlé par les prophètes, a enseigné à nos pères les choses divines et a conduit les justes dans la voie de la justice [25]...

Notons le très fort caractère trinitaire de la reformulation suivante par Irénée :

La foi en un seul Dieu, Père tout-puissant qui a fait le ciel et la terre et les mers et tout ce qui s’y trouve, et en un seul Christ Jésus, le Fils de Dieu qui s’est incarné pour notre salut, et en un Esprit Saint qui, par les prophètes, a annoncé les économies et les avènements, la naissance virginale, la passion, la résurrection d’entre les morts, l’ascension corporelle dans les cieux du bien-aimé Christ Jésus notre Seigneur et sa parousie quand des cieux il apparaîtra à la droite du Père pour tout restaurer et ressusciter toute chair de toute l’humanité, afin que, devant le Christ Jésus notre Seigneur, Dieu, Sauveur et Roi, selon le bon plaisir du Père invisible, tout genou fléchisse au ciel, sur terre, aux enfers [26]…

Cependant le Sitz im leben du symbole est la liturgie baptismale. On sait que, au moins au IVe siècle mais probablement avant, la préparation au baptême à Rome comprenait, le cinquième dimanche du carême, la remise solennelle du symbole aux catéchumènes, la traditio symboli [27], ainsi que, le matin du Samedi saint, la récitation publique, sur une estrade, dudit symbole, par les futurs baptisés du lendemain (competentes), qui le « rendent » ainsi, intact, à Dieu – la redditio symboli [28]. Il s’agissait là d’un rite très important de la liturgie baptismale, accompli personnellement par chaque catéchumène, d’où le singulier : « Credo  ».

Cet antique ancrage liturgique du symbole des apôtres est confirmé par la Tradition apostolique de saint Hippolyte (écrite vers l’an 200) :

Que celui qui doit être baptisé descende dans l’eau et que celui qui le baptise lui impose la main sur la tête en disant :
Crois-tu en Dieu le Père tout-puissant ?
Et que celui qui est baptisé réponde : Je crois.
Qu’il le baptise alors une fois en lui tenant la main posée sur la tête. Puis qu’il lui dise :
Crois-tu au Christ Jésus, le Fils de Dieu qui est né par l’Esprit Saint de la Vierge Marie, est mort et a été enseveli, est ressuscité vivant des morts le troisième jour, est monté aux cieux, est assis à la droite du Père, viendra juger les vivants et les morts ?
Et quand il aura dit : Je crois, qu’il le baptise de nouveau.
Qu’il lui dise de nouveau :
Crois-tu au Saint-Esprit, en la sainte Église et en la résurrection de la chair ?
Que celui qui est baptisé dise : Je crois.
Et ainsi qu’on le baptise une troisième fois [29].

Notons par comparaison – alors que Tertullien témoigne de l’existence d’un symbole très proche [30] dans les Églises d’Afrique –, qu’il existe parmi les symboles baptismaux du IIe siècle, en Asie mineure, l’ainsi nommée forma antiquissima, tirée de la Lettre des Apôtres (apocalypse composée en grec peu après 150) : « Je crois au Père, le tout-puissant, et en Jésus-Christ, notre Sauveur, et au Saint-Esprit, le Paraclet, et à la sainte Église, et à la rémission des péchés » ; en Égypte, le rituel tiré du papyrus de Der-Balyzey, datant de la fin du IIe siècle, qui change seulement « Sauveur » en « Fils unique » et « Seigneur », et « rémission des péchés » en « résurrection de la chair ».

Il ressort du texte d’Hippolyte, croisé avec les diverses formules de Tertullien, que l’Église romaine, vers la fin du IIe siècle, avait déjà un symbole baptismal avec sa structure actuelle, c’est-à-dire trois parties dont la deuxième contient un développement christologique complet. Il s’agit d’un texte continu, rédigé en langue grecque, dès la fin du IIe siècle donc, se fixant au cours du IIIe siècle pour atteindre un texte quasi complet – soulignons que nous ne pouvons parler que des manifestations écrites partielles du symbole et qu’une forme de discipline de l’arcane semble à son sujet encore en vigueur à la fin du IVe siècle [31] –, le textus antiquus, qui a de petites divergences avec le textus receptus (manque surtout la descente aux enfers et la communion des saints », ainsi que « créateur du ciel et de la terre [32] »). Ce textus antiquus est d’abord attesté en grec par Marcel, évêque d’Ancyre, dans une lettre [33] qu’il écrit en 340 au pape Jules pour l’assurer de sa communauté de foi avec l’Église de Rome, puis, en latin, par Rufin d’Aquilée [34]. Selon Rufin, ledit symbole existait sans ajout depuis longtemps, ce qu’il explique par le fait « qu’aucune hérésie n’y est née » et que, « ceux qui vont recevoir la grâce du baptême [proclamant] le symbole […] devant le peuple des fidèles […], [celui-ci] n’admettrait pas qu’on ajoutât, fût-ce un seul mot, au symbole transmis par ceux qui nous ont précédés dans la foi ».

Ledit textus antiquus se trouve aussi dans la lettre [35] du concile de Milan à Sirice, en 390, lettre qui porte la première attestation de son titre, Symbolo apostolorum. Témoins de son succès, Cyrille de Jérusalem et Théodore de Mopsueste lui consacrèrent des catéchèses. On peut constater qu’il avait vraiment douze articles – alors que l’actuel en a quatorze [36] –, ce qui encouragea le développement légendaire dont nous avons traité.

On trouve le texte exact du symbole, dans son textus receptus, pour la première fois dans le Scarapsus de saint Pirmin [37], écrit entre 710 et 724, mais déjà, à un ou deux mots près, dans un sacramentaire gallican du milieu du VIIe siècle, et avec des variantes minimes dans un sermon de saint Césaire d’Arles au début du VIe siècle [38].

Structure et caractère du symbole

La structure du symbole n’est pas d’abord à comprendre suivant son découpage en douze ou quatorze articles, ce qui risquerait de le réduire à une sèche énumération de vérités à croire, toutes ont au contraire une « co-aptation [39] » mutuelle pour s’articuler en un ensemble organique. On a aussi voulu le diviser en deux parties : l’une concernant la divinité et les choses éternelles et l’autre concernant l’humanité du Christ et son œuvre dans le temps. Mais cette division, théorique et abstraite, bouleverse l’ordre des articles traditionnellement reçu.

Sa structure en est ternaire parce que sa substance l’est : commençant par la première personne divine et l’œuvre de la Création, il traite ensuite de la deuxième personne divine et du mystère de la Rédemption des hommes, et enfin de la troisième personne divine, source et principe de notre sanctification (quoique chaque personne n’agisse jamais séparément des deux autres). Le symbole révèle une trinité « économique » dont la révélation est une révélation en acte : Dieu nous ouvre son être intime en nous dévoilant son dessein d’amour, le salut des hommes par l’Incarnation rédemptrice de son Fils qui nous introduit dans la connaissance et dans l’amour de la Trinité. Il ne s’agit pas d’un théorème sacré de métaphysique révélée, mais d’une réponse à l’appel de Dieu.

Les trois articles nommant les personnes divines sont les articles principaux, les « cellules-mères [40] » autour desquels s’articulent les autres, et ce n’est qu’en ces trois personnes que s’applique en toute rigueur le solécisme chrétien credere in (« croire en ») qu’a tant souligné le P. de Lubac : nous croyons en le Fils, mais nous croyons à la communion des saints.

Le cardinal Ratzinger souligne la spécificité du symbole romain face à la pluralité des symboles orientaux, ancrés dans la compréhension cosmo-métaphysique de la foi : « il met davantage l’accent sur l’histoire du salut, sur l’élément christologique », ancré dans « la positivité de l’histoire chrétienne [41] ». Le symbole des apôtres a donc son caractère propre, n’étant pas « une de ces compositions savantes [42] », ni un exposé doctrinal abstrait, mais un symbole baptismal, avec un aspect doxologique, lié, par son autre nom de « confession », au témoignage suprême et public des martyrs.

Comme on l’a vu, le développement du symbole, qu’Origène [43], et après lui Rufin puis Cassien [44], a pu appeler verbum abbreviatum (selon l’expression venue d’Isaïe et reprise par saint Paul), rejoint une conception de la foi comme ayant un centre d’où part tout le contenu : « Qu’il s’agisse de l’objet de la foi, ou de l’ensemble des sujets qui croient, la foi chrétienne est donc une, comme la Trinité est une, et si le dogme se développe et s’actualise, si le mystère se condense et s’approfondit, c’est toujours à l’intérieur du cercle parfait du Credo [45]. »

Reste à redire que la charité est au principe et au terme du symbole. En effet, nous dit saint Augustin, « pour jouir de ce qu’on sait, il faut l’aimer », or « jouir de la Sagesse de Dieu n’est pas autre chose que lui être uni par l’amour, et sans l’amour personne ne persévère dans ce qu’il apprend [46] ». Par ailleurs, si le symbole sert de ciment à la société des chrétiens, le but de cette société est le culte spirituel, la recherche de la « perle de grand prix » qui « est la charité [à laquelle] on parvient par la foi que contient ce symbole [47] ». Alors il sera bien « la méditation de notre cœur, la garde toujours présente, le trésor de notre âme [48] ».

Adélaïde de Montpellier, responsable du groupe « Saint François de Sales » à Résurrection. Juriste en droit des sociétés.

Jérôme Levie, ancien élève à l’École Normale Supérieure, poursuit actuellement une thèse de physique théorique et une maîtrise de philosophie.

[1] Henri de Lubac, La Foi chrétienne. Essai sur la structure du symbole des apôtres, Œuvres complètes, V, Cerf, 2008, p. 371.

[2] Augustin, De fide et symbolo, c. 1, cf. Rm 10, 10. On peut aussi citer Bossuet, Histoire des variations, l. 5, n. 32 (Œuvres, Lachat, t. 14, p. 205) : « La religion, dont le premier acte est de croire, comme le second est de confesser », cf. le sermon 23 d’Yves de Chartres, consacré au symbole (PL 162, 604 BC). Le chapitre X de La Foi chrétienne, op. cit., « Foi et profession de foi », est consacré à ce problème.

[3] Cf. Tb 4, 20 - 5, 3. Augustin, dans ses Sermons 212 (§ 1) et 214 (§ 12), utilise cette analogie avec le pacto fidei des négociants. Sur les divers sens, réels ou supposés, du mot, en grec et en latin, cf. de Lubac, op. cit., 393-406.

[4] Augustin, Sermon 214, 12.

[5] Tertullien, De praescriptionibus haereticorum, 36. Tessera, tesson d’argile, correspond au symbolon grec.

[6] Catéchisme du concile de Trente, I, 1, 2.

[7] Origène, Traité des Principes, I, Sources chrétiennes 252, Cerf, 1978, Préface, 3, l. 44-48 : Sancti apostoli […] quaecumque necessaria crediderunt, omnibus credentibus, […] manifestissime tradiderunt. Cf. Tertullien, De praescriptione haereticorum, 37 : « Avançons dans cette règle de foi, l’Église l’a reçue des apôtres, les apôtres du Christ, et le Christ de Dieu. »

[8] Rufin d’Aquilée, Commentaire du symbole des apôtres, 2. Cf. Jérôme, Contre Jean de Jérusalem, 28 : « Le symbole de notre foi et de notre espérance fut transmis par les apôtres. »

[9] Ambroise, Explanatio symboli, n. 8, Cerf, Sources chrétiennes 25 bis, 1961, p. 56.

[10] Pseudo-Augustin, Sermons 240 et 241, PL 39, 2189 et 1290.

[11] À la suite de Filippo Barbieri (Discordantiae nonnullae inter sanctos Hieronymum et Augustinum, 1581), apparaît même en 1505 un livre anonyme dédié à Anne de France ayant pour titre : La Conformité, concordance et assonance des Prophètes et Sybilles aux douze articles de la foi.

[12] Bonaventure, Commentaire des Sentences de Pierre Lombard, in 3 Sent., 25.

[13] Érasme, Opera omnia, t. 5, p. 92.

[14] Sur l’histoire du Symbole, voir, outre le livre cité du P. de Lubac, F. Kattenbusch, Das Apostolische Symbol, I, 1884 / II, 1900 (éd. Darmstadt, 1962) ; J. de Ghellinck, Patristique et Moyen Age, I, Paris, 1949 ; J. N. D. Kelly, Early Christian Creeds, London, 1950 ; W. Trillhaas, Das Apostolische Glaubensbekenntnis, Geschichte, Text, Auslegung, Witten, 1953 ; sœur Gabriel Peters, Lire les Pères de l’Église : cours de patrologie, Desclée de Brouwer, 1981 (plusieurs chapitres, dont celui sur l’histoire du Symbole, sont consultables en ligne sur www.patristique.org).

[15] Josef Andreas Jungmann, L’Annonce de la foi, trad. R. Virion, Mulhouse, 1965, p. 20.

[16] Henri de Lubac, op. cit., p. 519.

[17] Sœur Gabriel Peters, Lire les Pères de l’Église…, op. cit.

[18] On trouve aussi des formules binaires, qui ne font référence qu’à Dieu et à Jésus-Christ. Ce ne sont pas des résumés complets de la foi catholique mais des raccourcis de la prédication initiale telle qu’elle se différenciait, d’une part de la religion juive, d’autre part de la religion païenne – c’est l’explication du P. Joseph Moingt, La Théologie trinitaire de Tertullien, Aubier, 1966, t. I, pp. 66-86, restituée in de Lubac, op. cit., pp. 77-81.

[19] Outre la finale de Mt (28, 19), on pense à la Didachè : « Baptisez au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit dans l’eau vive… Verse sur la tête trois fois de l’eau au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit », à l’épître de saint Clément de Rome ou à l’Apologie de saint Justin, I, 6, 1 : « au nom de Dieu le Père et le maître de toutes choses, et de Jésus-Christ, notre Sauveur, et du Saint-Esprit. Ils sont alors lavés dans l’eau. »

[20] De Lubac, op. cit., p. 523, cf. pp. 73-74.

[21] Cf. la proclamation solennelle de l’eunuque juste avant son baptême, en Ac 8, 37, aujourd’hui considéré comme une glose venant de la liturgie baptismale, car absent des meilleurs manuscrits grecs même si présent dans l’Itala et dans Irénée, Adversus haereses, 3, 12, 8 : « Je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu. »

[22] Ignace d’Antioche, Lettre aux Tralliens, 9.

[23] Justin, Apologie I, 13.

[24] Justin, Apologie I, 42 : « Jésus-Christ a été crucifié, est mort, est ressuscité et il est remonté au ciel où il règne » ; Dialogue avec Tryphon, 85 : « Ce Fils de Dieu enfanté par une vierge qui s’est fait homme souffrant, crucifié sous Ponce Pilate par votre peuple, mort, ressuscité des morts, monté au ciel » ; ibid., 132 : « Ce Jésus est le Christ, Fils de Dieu, il a été crucifié et il est ressuscité, monté au ciel et il reviendra comme juge de tous les hommes absolument, jusqu’à Adam lui-même » ; cf. ibid., 63.

[25] Irénée, Démonstration de la prédication apostolique, c. 177, 6.

[26] Irénée, Adversus Haereses, 1, 10, 2.

[27] Augustin, Sermon 212 : « Le temps est venu de vous remettre le symbole qui renferme en peu de mots tout ce que vous devez croire pour obtenir le salut éternel. »

[28] Le rituel était semblable à Hippone, comme en témoigne les sermons de saint Augustin, cf. Augustin, Sermons pour la Pâque, Cerf, Sources chrétiennes 116, 1966, pp. 21-26 et 59-64. Concernant Rome, voir son beau récit de la conversion de Victorin in Confessions, VIII, 2.

[29] Hippolyte, La Tradition apostolique, n. 20, Cerf, Sources chrétiennes 11 [11 bis], 50-51.

[30] Tertullien, Du Voile des vierges, I : « croire en un seul Dieu tout-puissant, créateur du monde et en son Fils Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, crucifié sous Ponce Pilate, ressuscité le troisième jour des morts, reçu dans les cieux, assis maintenant à la droite du Père d’où il viendra juger les vivants et les morts par la résurrection de la chair », cf. Contre Praxéas, 2 ; La Prescription des hérétiques, 13 et 36.

[31] Cf. Augustin, Sermon 212, et Ambroise, Explanatio symboli, n. 9, loc. cit., p. 57-59 : « Nous l’avons reçu de telle façon qu’il ne doive pas être écrit », et le commentaire d’Henri de Lubac, op. cit., pp. 25-28.

[32] Creatorem cœli et terræ a été inséré dans le textus antiquus du symbole des apôtres au VIIe siècle, mais il apparaît dans les « pré-versions » d’Irénée et de Tertullien. Le dédoublement entre conception et naissance date des Sermones de Tempore pseudo-augustiniens, repris par Eusèbe d’Emèse / Eusebius Gallus, De Symbolo ; PL, suppl., 3, 583. Pour plus de détails, cf. Philip Schaff, Creeds of Christendom, with a History and Critical notes, t. I, The History of Creeds, 1876, consultable ici : http://www.ccel.org.

[33] On la trouve dans Épiphane, Adversus Haereses, l. 3, t. 1, haeresis 72, n. 3 ; PG 42, 385-388.

[34] Rufin d’Aquilée, Commentaire du Symbole des Apôtres ; cf. Sermons 240 et 241. Rufin omet cependant la mention de la vie éternelle.

[35] Ambroise, Epist. 42, n. 5 : « qu’ils en croient le Symbole des Apôtres, que l’Église romaine a toujours gardé et préservé inchangé », Credatur symbolo apostolorum, quod Ecclesia romana intemeratum semper custodit et servat, PL 16, 1125 B, cité par Lubac, op. cit., p. 24.

[36] De Lubac note que ce chiffre de quatorze a lui aussi pu être exploité de façon symbolique au Moyen Âge, dans les commentaires théologiques et catéchétiques ainsi que dans l’art religieux.

[37] Pirmin, De singulis libris canonicis scarapsus ; PL 89, 1029 sqq., cité in J. N. D. Kelly, Early Christian Creeds, op. cit., pp. 398–434 (il omet cependant la répétition du mot Credo au début du troisième article, répétition attestée dès saint Pierre Chrysologue, circa 450, mais qui n’est pas dans la version d’origine). De Lubac mentionne quant à lui, op. cit., p. 67, un Ordo romanus de 950, qui donne notre version mot pour mot.

[38] Césaire d’Arles, Opera Omnia, Maredsous, éd. Germain Morin, 1937, t. I, p. 51 ; PL 39, 2195. Cf. aussi Eusebius Gallus, op. cit.

[39] Le terme coaptatio est de Thomas d’Aquin, S. T. IIa IIae, q. 1, a. 6, cité par de Lubac, op. cit., p. 62.

[40] Henri de Lubac, op. cit., p. 149.

[41] Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Cerf, 2005 [Einführung in das Christentum. Vorlesungen über das Apostolische Glaubensbekenntnis, Kösel-Verlag, Munich, 1969], p. 40.

[42] Henri de Lubac, op. cit., p. 71.

[43] Origène, In Rom., l. 7, c. 19, PG 14, 1154, cf. Is 10, 22-23 et Rm 9, 28.

[44] Rufin, Expositio symboli, c. 1 ; CCL 20, 133-134 ; Cassien, De incarnatione Domini contra Nestorius, l. 6, c. 3-4 ; CSEL 17, p. 328. On sait la fortune de la formule verbum abbreviatum chez les médiévaux, qui l’appliquèrent au Christ.

[45] Henri de Lubac, op. cit., p. 22.

[46] Augustin, De fide et symbolo, 19.

[47] Augustin, Sermon 212, 1, cf. Mt 13, 45-46.

[48] Ambroise, Explanatio symboli, 1 ; PL 17, 1155 C : Cordis nostri meditatio, semper praesens custodia, thesaurus pectoris nostri.

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