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« Ite et vos… » Pèlerinage septembre 1933

Maxime Charles
À la fin de l’année scolaire 1932-1933, un certain nombre de séminaristes des Carmes décident, à l’initiative de l’abbé Charles, d’organiser un pèlerinage conçu sur un mode un peu particulier, dans la mesure où ils veulent à la fois vivre sous la tente, à la manière des scouts – les scouts constituent au sein du séminaire un groupe respectable –, mais aussi exercer une certaine action sur les populations visitées, et enfin ménager des temps de discussion en se référant explicitement au modèle des Compagnons de Saint-François chers à Joseph Folliet (lui-même « ancien » des Carmes), étant entendu que les sujets de discussion doivent se référer à la vie sacerdotale à laquelle tous se préparent. On prévoit en outre de donner à ce pèlerinage une note de piété liturgique, mais aussi « l’étude de l’idée de communauté ». Suivant un terme bérullien, « l’abbaye voyagère » ou, plus familièrement, « l’abbaye vadrouillante », est donc une sorte de pèlerinage à la fois apostolique et communautaire [1], qui se déroule dans le Mâconnais et le Beaujolais avant de s’achever à Ars-sur-Formans. L’aventure a lieu entre le 20 septembre et le 1er octobre 1933. Les participants sont Maxime Charles, Raymond Pichard, Fernand Guimet, Pierre Biseau, René Viry [2] et Henri Godet [3]. Le texte que l’on va lire [4] est extrait du devoir rédigé par l’abbé Charles lui-même à l’issue de cette aventure et à l’usage de ses supérieurs, sans l’accord préalable desquels une telle entreprise n’aurait pas été possible.

II. RÉALISATIONS

1. Notre vie

Ne soyez pas inquiets de ce que vous mangerez, de ce [que] vous buvez… Cherchez le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît.

Malgré l’inexpérience de la plupart d’entre nous, notre randonnée s’est effectuée à la perfection. La Providence s’est souvent manifestée d’une manière sensible, et nous lui avons témoigné notre reconnaissance par une bonne humeur jamais défaillante.

Au lever, chacun procédait à sa toilette suivant ses habitudes : les mieux fournis avaient des cuvettes de caoutchouc, les autres utilisaient un abreuvoir, un quart, un seau. Le brossage était assez laborieux et nous ne parvenions jamais à expulser les derniers brins de paille. Quant aux chaussures, nous avons rapidement renoncé, sauf en des circonstances spéciales, à les maintenir propres. Enfin, les pyjamas disparaissaient pour faire place à de noires soutanes, à d’élégants complets (n’est-ce pas le bourgeois ?) ou à de pratiques costumes de campeurs. Cependant le lever fut le point faible de l’expédition : MM. les curés disaient leur messe de si bonne heure ! Mais quel bien-être fait d’équilibre physique et spirituel lorsque dûment levés, les poumons bien oxygénés, nous nous rendions par les champs couronnés de coteaux vers l’office matinal !

Les repas ne manquaient pas d’originalité non plus. Le cuisinier, sa soutane recouverte d’un beau tablier bleu, s’affairait. Le campeur activait le feu ; les autres épluchaient les légumes. Et quel affolement joyeux lorsqu’un plat trop cuit restait sur le feu faute d’instruments pour l’enlever ! La table assez basse se parait, par un reste de luxe, d’une nappe caoutchoutée. Mais souvent le repas du soir était beaucoup plus soigné : nous avions un poêle, une cuisinière, une table quelquefois. Chacun d’ailleurs s’ingéniait à servir les autres, et cela était très utile car dans l’amoncellement de notre matériel il était difficile de retrouver le sel et le pain. Pourtant la propreté régnait et sauf de très rares exceptions le repas ne se terminait pas sans un lavage méticuleux de la vaisselle.

Au départ nous ressentions toujours une joie réelle : la joie de la route. L’esprit encore plein de belles choses, des aventures pittoresques, des amicales réceptions de la veille, nous nous arrachions avec plaisir au déjà vu pour aller vers des horizons et épisodes inédits. La nuit, un repas trop copieux ou trop bien arrosé faisait bien d’abord grincer les articulations ; mais bientôt le moteur réchauffé reprenait sa cadence normale.

Sur la route, nous faisions de bonnes moyennes. Presque toujours les paysages nous enchantaient. Mais de toute façon les kilomètres enlevés au chant de marches amusantes, coupés par la psalmodie de l’office ou par des discussions animées, passaient vite. Lorsque la côte était rude, et cela arrivait souvent en ce pays montagneux, il était beau de voir soutanes et laïques luttant de concert pour tirer la lourde et précieuse charrette. À l’approche de la nuit l’allure s’accélérait ; et nous aurions marché beaucoup plus vite si l’arrimage toujours instable de notre train des équipages ne nous avait contraints à de nombreuses haltes.

À l’arrivée, c’était l’inconnu qui s’ouvrait devant nous. Quelquefois M. le curé nous tirait d’embarras. D’autres fois dans la nuit noire nous connaissions les angoisses du chemineau qui cherche le ventre creux et les membres rompus un couvert et un gîte. Mais rapidement tout s’arrangeait. Sous la direction du maître-campeur les tentes étaient dressées, ou la couche préparée dans la paille, tandis que la cuisine commençait à ronronner : doux présage d’un bon souper.

L’heure du coucher venue, nous connaissions la joie unique et si humaine du repos bien mérité, le ventre plein. Et quelle variété dans nos installations ! L’esprit de l’homme, qui cherche à systématiser pour comprendre, crut découvrir un cycle dans nos réceptions. Ce n’est qu’une théorie. Nous avons connu successivement les dortoirs du château-colonie de vacances, la chambre à lit unique de la maison bourgeoise, l’écurie de ferme, la tente enfin ; puis de nouveau les chambres luxueuses du château, la grange, les canapés du presbytère et pour finir la tente. Il semble bien que le repos idéal du marcheur soit la tente, car une couche trop confortable nous valut toujours de pénibles départs.

Ceci prouve que, malgré les justes inquiétudes de M. le supérieur des Carmes et de nos parents, nos conditions de vie ne furent pas trop dures. La pluie nous accompagna presque toujours ; mais elle adoucit l’effort de nos étapes, et nos tentes nous en protégeaient, si bien que nous avons plutôt souffert de la chaleur que de l’humidité. De plus, nos repas ne cédèrent jamais à la tentation de se réduire au profit du repos. Ils furent toujours composés, malgré de malencontreux Quatre-Temps, d’un potage ou hors-d’œuvre, d’une viande ou plat maigre, d’un légume et d’un reconstituant dessert.

2. Notre piété

Quand vous vous réunirez deux ou trois pour prier je serai au milieu de vous.

Notre piété fut ce qu’elle devait être : liturgique. Pendant la messe que nous répondions tous ensemble, nous chantions le Sanctus, l’Agnus Dei et un motet au Saint-Sacrement. Cela faisait un ensemble à la fois discret et vivant, dans lequel passait une âme collective soutenant notre piété personnelle.

Nous psalmodions les psaumes et chantions le propre de l’office divin. Sur la route au clair soleil ou dans l’éblouissement du soleil couchant, il s’adaptait à la cadence de notre pas. Dans la nuit il montait très simple vers un ciel étincelant d’étoiles. Et songeant que Jésus avait vécu ses heures terrestres, nous nous unissions à Lui simplement. D’autres fois, seuls avec Lui, nous chantions dans des églises abandonnées l’heure de none ou de Vêpres. Et nous nous sentions vraiment ses ministres choisis, lorsque dans les stalles d’une collégiale ou d’une basilique nous envoyions vers les voûtes les versets et les répons [5].

D’autres exercices de piété moins originaux eurent aussi leur place dans notre pèlerinage. Le chapelet chaque jour fut égrainé sur la route, soutenu quelquefois d’une intention particulière, colorant toujours d’une teinte de prière l’effort vers le but. Et nous trouvâmes un cadre idéal pour l’oraison dans un cirque de monts ou le long d’une route isolée.

Aussi, de ce fond de piété, jaillit souvent en face d’un spectacle particulièrement beau un chant spontané : le Magnificat de la Roche de Solutré ou le Benedicite omnia opera Domini du fût d’Avenas. Car il y a une facilité étrange, lorsque le corps est fatigué et que la terre et le ciel s’enveloppent de beauté, à faire monter vers Dieu une prière réelle.

Mais nous savions aussi saluer la présence de Dieu caché dans les modestes églises en faisant monter vers lui une hymne eucharistique.

Ce fut encore vers Dieu que se tournèrent nos nombreuses lectures poétiques. Les lieux que nous visitions, le génie particulier du poète nous amenèrent souvent à lire Lamartine. Ses besoins de divin, sa compréhension si délicate de certains aspects essentiels du christianisme, nous furent une fois de plus révélés dans la matinée de Milly et dans celle plus douce encore de Saint-Point. Mais bien d’autres heures littéraires surent naître spontanément de nos trop courts loisirs. Chacun y apportait des vers aimés, une prière plus chère.

Car il régna entre nous une véritable intimité. Limitée par la brièveté de nos réunions, mesurée par l’horreur du déballage, elle s’épanouit discrètement, permettant à chacun de s’ouvrir sans gêne exagérée. C’est ce qui nous permit d’avoir des initiatives délicates comme notre invitation à déjeuner d’un vieux mendiant et tant d’exercices de piété originaux : nous savions d’avance trouver une approbation enthousiaste ou sympathique.

Fidèle à sa puissance, Jésus fut vraiment au milieu de nous durant ces jours-là ; nous parlions de Lui, nous Le chantions sans cesse, comment aurions-nous pu ne pas sentir sa présence ?

3. Notre promenade

Regardez les oiseaux du ciel… Considérez les fleurs des champs…

L’intérêt « touristique » (c’est un vilain mot qu’il faudrait changer) de notre randonnée fut plus grand que nous ne l’avions pensé ; car ce n’est pas ce que nous recherchions.

Le Mâconnais nous révéla d’abord l’harmonie de ses monts bleutés. Nous en vîmes le tableau presque complet du jardin en terrasse du curé de Charnay, pris et délicatement encadré par les peupliers du château de Verneuil. La « corniche mâconnaise » déroula devant nous la grâce un peu sèche de ses rochers en poupe de navire. De la Roche de Solutré, nous eûmes le panorama étendu de la plaine lointaine.

La route de Cluny en lacets alanguis nous montra les paysages frais et mouillés du Briselau. Saint-Point fut plein de douceur romantique entre ses frondaisons et nous quittâmes à regret sa vallée, contemplée une dernière fois dans la montée vers Tramayes.

Le Beaujolais fut bien pluvieux pour nous, mais malgré les ondées nous goûtâmes beaucoup les masses […] [6] vues d’Avenas ; et, ce bourg passé, nous devinâmes au fût une perspective magnifique sur la Saône que vint trop vite voler un épais brouillard. D’ailleurs nous fûmes récompensés de ce sacrifice par le rutilement du couchant vers Beaujeu.

La montée vers la Croix Rosier fut pénible certes mais pleine de charmes par ses enfoncements dans la vallée secrète. Un dernier coucher de soleil illumina notre souper à la trappe, riche de toutes les teintes d’un rayonnement sans écran.

Notre visite à Mâcon nous montra l’ancienne cathédrale, ruine vieille et fluette, la chapelle « Grand Siècle » de la Charité, la maison natale de Lamartine et surtout la pharmacie cossue et moliéresque de l’Hôtel-Dieu.

Celui de Cluny nous replongea aussi dans le siècle de Louis XIV avec ses lits à baldaquins, ses religieuses à hermine et ses marbres solennels. Mais toute cette ville nous fut précieuse à visiter avec ses vieilles maisons à jolies colonnades romanes, la flèche si lumineuse de Saint- Marcel, le chœur solennel de Notre-Dame et surtout les restes de son abbaye. Fernand reconstitua pour nous à travers la porte double les splendeurs de l’antique monastère. Et nous admirâmes la solennité du cloître, de la façade XVIIIe siècle. Près d’une flèche et d’un curieux farinier [7], une chapelle gothique élancée faisait la nique à son voisin, un oratoire roman à la grâce un peu lourde ; et l’escalier de fer forgé nous dit l’art du frère Placide. Au musée, les chapiteaux nous montrèrent une Prudence en côtes de mailles et les tons liturgiques en costume léger.

L’église d’Avenas, à l’abside bien tournée, nous montra son joyau : un autel très ancien, d’époque carolingienne peut-être, dont les sculptures un peu barbares sont pourtant pleines d’expression.

Notre-Dame-des-Marais de Villefranche est une fort belle église flamboyante dont la flèche dissymétrique s’appuie sur un audacieux arc-boutant. L’intérieur très soigneux est riche de beaux vitraux et de chênes cirés.

Quant à l’église de Brou, perfection puissante du gothique, elle séduisit ceux qui la voyaient pour la première fois par les fûts arborescents de ses colonnades, le travail merveilleux de ses tombeaux et la somptuosité rare de ses stalles de bois. L’exposition d’art religieux installée dans le cloître voisin nous rappela en terminant l’effort artistique de toute cette région.

Milly, Bussières, Saint-Point, fut pour nous un pèlerinage lamartinien. Nous retrouvâmes le poète à son banc dans les églises, à son tombeau, d’un gothique si romantique. Son château de style composite nous dit ses goûts anglais et nous montra ses trésors intimes : œuvres, lettres célèbres, drapeau de 1848, souvenirs familiaux ; la grâce effacée de Mme de Lamartine dans les peintures, la figure si séduisante du jeune homme, [celle,] si noble, du vieillard, et surtout l’amour à jamais célèbre dont « le Crucifix » fut le legs.

Ars, qui fut le but de notre pèlerinage, ne nous déçut point. La vieille église conserve encore la grande âme du saint. Que de douces leçons pour nous qui regardons le Sacerdoce ! La chaire à la parole si précise, si simple, si prenante, le confessionnal torturant et rédempteur, les chapelles qui nous dirent les grandes dévotions sacerdotales : Marie, la Croix, la Pureté et la Souffrance de la petite sainte, la lutte contre le mal avec saint Michel. En cette petite église de village étroite et basse, un pauvre curé fit de la sainteté. Après la sacristie si touchante où il composait ses sermons près du Saint-Sacrement, on nous montre son calice et son ostensoir. Au presbytère nous entrons dans sa vie quotidienne : pauvre cuisine aux matefaims [8], pauvre chambre aux disciplines, à la mort misérable mais aussi à la bibliothèque bien mieux formée qu’on ne le pense. Quelques souvenirs émouvants d’honneurs ou de souffrance complétèrent la visite. Comme il fait bon dans ce presbytère si naturel de songer que, ce qu’un prêtre fit alors, nous pouvons le faire.

À la basilique, nous jouissons délicieusement de sa châsse en des visites souvent répétées, et notre campement près de la récente chapelle dont le style n’est pas trop laid nous permit de vivre autour de son cœur.

La trappe Notre-Dame-des-Dombes nous enveloppa de nouveau de grâce monastique : chants simples et nostalgiques, dans l’église qui s’assombrit ou s’éclaire ; cloîtres roses dont nous envions la paix.

4. Notre influence

Que votre lumière brille…

Notre influence sur la population fut bien restreinte par l’absence d’un prêtre. Nous dûmes nous contenter de passer… Cependant il ne semble pas que cela fut en vain.

Sur la route, notre groupe chantant et robuste fut toujours salué avec sympathie : touristes dans autocars, paysans, bohémiens, nous témoignaient plus ou moins bruyamment leur enthousiasme. Devant la croix du village nous chantions, et cette façon d’annoncer notre passage nous attira toujours beaucoup de déférence.

À l’étape nous fûmes toujours reçus cordialement. D’abord les braves gens ne comprenaient pas. « Vous êtes obligés, disaient-ils, à mener cette vie », attribuant notre effort à l’ascétisme. Mais bien vite la glace était rompue. Un peu d’apostolat par la cuisine établissait les relations. Nous avions besoin de tant de choses. Manifestement ils étaient flattés de nous rendre service. Il nous est arrivé souvent d’être disputés entre plusieurs propriétaires. Tous nous ont offert gratuitement ou presque des provisions, de la paille, du bois, des ustensiles de cuisine. Naturellement nous étions très simples et très polis avec nos hôtes, et cela paraissait les étonner joyeusement. À cet aspect « bon enfant » de notre installation, nous joignions la note discrète de la prière, et l’on écoutait avec intérêt notre angélus ou notre office. D’ailleurs ils finissaient par comprendre assez bien le but de notre voyage.

Au départ, après les multiples dérangements que nous leur avions occasionnés, nous étions heureux de voir combien ils avaient été contents de notre passage.

C’était l’occasion de libations paysannes : café et eau-de-vie. « Quand reviendrez-vous ? » ajoutait-on et on faisait des projets bizarres. Henri prenait une photo de la famille, ce qui donnait l’espoir d’une correspondance. Alors nous entendions des réflexions touchantes : « Ce n’est pas la peine de me remercier, j’ai fait tout cela pour le Bon Dieu, car vous êtes séminaristes ». Une maman, nous montrant ses trois enfants, nous demanda de prier pour que l’un d’eux devienne comme nous.

Nous aurions pu aussi faire une intéressante étude des mœurs sociales ; car nous eûmes des relations avec la plupart des classes de la société. Représentant le clergé, MM. les curés de Charnay et de Pierreclos furent sympathiques et obligeants, cherchant à nous retenir plus longtemps. M. l’aumônier de Cluny fut tout de suite très aimable avec nous. Mgr Baudrillart avait passé par là. M. le curé de Saint-Point nous fit grande confiance en nous annonçant très fièrement en chaire et en nous obligeant de toutes façons. Nous nous sommes quittés très bons amis : « À l’année prochaine ! » M. le curé de Perréon mit pour nous son presbytère au pillage. Sa réception cordiale et confortable témoigna assez sa joie de nous voir – « Ah vous égayez nos pauvres presbytères ! » Un curé trop brièvement entrevu chez lui nous cria son enthousiasme – « C’est magnifique ce que vous faites là. »

La bourgeoisie, habituée au scoutisme, nous reçut aimablement. L’aristocratie, plus distante, nous offrit cependant sans hésiter de partager sa table et ses chambres. Mais toute notre sympathie alla à l’agriculture.

Fait remarquable et sans doute assez rare, certaine commerçante refusa de se faire payer et ajouta à nos commandes d’autres denrées gratuitement. Un sacristain, espèce fatiguée de soutane, un gendarme […] [9] terrible aux sans-logis, nous protégèrent ouvertement. Le contrôleur du petit train sut nous témoigner sa joie de nous voir. Pour finir, un colonial fut charmé de nous rappeler son ancienne vie et le vieux mendiant d’Ars parut, quoique précieux, conquis par notre joyeuse réception.

Les enfants surtout ouvraient de grands yeux. À Milly le cuisinier réquisitionna un jeune séminariste pour lui éplucher ses légumes, et sur la route de Saint-Point nous vidâmes notre sac de bonbons entre les mains d’un petit bonhomme très heureux.

Mais le jour où vraiment nous nous donnâmes aux autres fut le dimanche de la séance.

En voici le programme :

- Marche indienne : Raymond

- Allocution de remerciement et d’explication à la population : P. Abbé

- Le Chameau : Raymond et Fernand, présenté par René

- Le ban du chemin de fer : René

- Histoire juive : René

- La Farce du Pâté : René, Fernand, Maxime

- Le cor : toute la troupe

- La Passion saint Jean : Maxime

- Voix de N.-S. : Pierre

- Personnages : René, Fernand

- Au piano : Raymond

Ce soir-là, contre notre attente, nous eûmes un gros succès. Les difficultés étaient réelles puisque nous n’avions aucun texte et que notre troupe réduite, où l’on comptait trop de soutanes, ne nous permettait pas grande manifestation. Pourtant on s’arrangea. Les soutanes firent les voix dans les coulisses ou s’improvisèrent machinistes. La salle fut conquise. M. le curé aussi. Et on nous dit de toute façon que nous avions amusé et fait du bien… de toute façon car les dons affluèrent, ce qui inquiéta M. le curé pour son denier du culte et nous contraignit à rapporter des provisions à Paris.

III. LES CHAPITRES

Nous avions résolu d’étudier certains aspects de la perfection sacerdotale et particulièrement la communauté et la liturgie. Pour ce faire, chacun d’entre nous prépara une petite causerie, qu’il donna avec plus ou moins de forme littéraire et qui fut toujours suivie d’une discussion animée. C’est ce que nous appelions « le Chapitre ».

Chapitre du Cros du Charnier

Quelques figures du jeune clergé

Le jeune clergé nous intéresse particulièrement. Les prêtres déjà anciens dans le sacerdoce nous paraissent loin de nous par l’âge, la lassitude, les habitudes et les idées d’une époque qui n’est pas la nôtre. Nous pouvons moins tirer d’enseignements de leur vie. Au contraire les jeunes prêtres sont pleins de leçons pour nous. Nous voyons en eux ce que nous serons bientôt. Car, toutes choses égales d’ailleurs, et particulièrement la grâce et l’effort de chacun, la sainteté et l’action sacerdotale dépendent pour une grande part des conditions générales : milieu, éducation, qui s’imposent au prêtre. C’est dire que les esquisses suivantes ne prétendent nullement être des jugements que nous interdiraient le respect et la décence. Notre seul but est de voir ce que nous devons assurer à notre vie sacerdotale pour lui éviter de s’égarer.

M. K. est un premier de cours du séminaire d’Issy. Intelligent, intellectuel, il y vécut entouré de la considération de ses confrères, de l’estime de ses supérieurs. À la sortie du séminaire, plein de zèle et de confiance en lui, il demanda le ministère en paroisse non communautaire. Les prêtres qu’il y trouva étaient très corrects, très consciencieux, mais peu zélés au sens cultuel du mot. N’aimant pas les œuvres, ils n’entendaient pas être dérangés par le nouveau-venu. Celui-ci voulut agir tout de même, au risque de paraître condamner l’inaction de ses confrères. Ce fut la guerre. M. K. avait son point faible. Seul dans son appartement, il s’ennuyait et cherchait des distractions au dehors. On l’attaqua de ce biais. M. K., qui s’imaginait qu’en brillant par son ardeur apostolique il s’attirerait comme au séminaire estime et considération, fut très étonné et bientôt… désabusé. À ce moment, l’un de ses supérieurs immédiats lui offrit la paix. Il l’accepta, réduisant ses œuvres, s’entourant de la plus grande prudence, sacrifiant toute initiative au désir exprimé ou deviné de ses supérieurs. Peu à peu il « s’embourgeoisa », bonne table, beaux meubles, bonnes vacances… Maintenant il fait « ce qu’il doit ». Entendez par là ce à quoi son état l’oblige rigoureusement.

Laissant de côté ce qui est plus proprement erreur de sens chrétien et sacerdotal, il semble qu’il a manqué à ce jeune prêtre un milieu [10] sympathique lui évitant [11] le sentiment d’être un phénomène [12].

M. B. est du même cours que le précédent. Mais, moins intellectuel, ses études se sont ressenties de la guerre. Avec cela très pieux et très zélé. Sa santé d’une fragilité extrême l’a contraint de vivre dans sa famille. Cependant il est à la tête d’une grande œuvre populaire. Sa famille le défend de toutes ses forces contre le surmenage, mais fait écran entre ses jeunes et lui. Pourtant le temps lui échappe. Un peu scrupuleux il s’inquiète de ses exercices de piété en souffrance, regrette à juste titre de ne pouvoir étudier. Le mécanisme de ses œuvres anciennes le laisse, sauf les heures familiales, en proie à tous les dérangements. Ses jugements un peu étroits se ressentent quelquefois d’une science toute de vulgarisation.

M. L. fut au séminaire « le séminariste pieux ». Goûtant profondément les exercices ordinaires il s’y persuada que la piété consiste essentiellement à en assurer la régularité. Muni d’un ministère assez spécial : aumônier d’œuvres féminines, il se défend avant tout de ce qui peut nuire à ses exercices de piété. Il a peur de perdre le recueillement et préfère dire sa messe privatim que devant des fidèles dont les entrées et sorties le gênent. Il conçoit l’apostolat surtout comme une agrégation d’âmes choisies à sa propre piété.

M. F., jeune prêtre de province, vit en communauté obligatoire avec son curé. Celui-ci, malade, est obligé de faire tout faire par son vicaire. M. F. vit dans un véritable affolement : il ne peut sauvegarder ni sa piété, ni ses études. De plus la communauté se borne à la commensalité : il n’y a jamais d’échanges de vue simples et familiers entre l’archiprêtre âgé qui dirige tout selon ses vues et le jeune prêtre inexpérimenté ; c’est la communauté-exploitation, où le supérieur qui a constamment son inférieur sous la main l’utilise sans cesse et ne lui permet pas d’avoir une idée originale.

Discussion

Ce qui retient le plus l’attention, c’est la déficience intellectuelle des jeunes prêtres. Nous sommes tous d’accord sur ce point : pour être un prêtre vraiment saint, et apostolique, il faut être un prêtre intellectuel, sauf cas exceptionnel. Or, ce qui manque à beaucoup de nouveaux prêtres, c’est une bonne théologie. Ils n’en ont ni la science suffisante, ni surtout le goût. Ils l’ont quelquefois mal étudiée, comme un savoir profane, subtil, logique, où brillent les vibrions, les équilibristes. Des études de leur séminaire ils gardent le souvenir de règlements dogmatiques, moraux, juridiques, cérémoniels, à appliquer.

On fait remarquer que souvent il y a un hiatus entre nos connaissances divines et notre piété. Les séminaristes, leur devoir scolaire terminé, se réfugient parfois en une piété trop superficiellement affective. Certes c’est souvent jeunesse de cœur et donc chose précieuse, mais c’est aussi une viande bien creuse pour la vie profonde. Ce qui manque à beaucoup c’est un directeur intellectuel qui oriente les études, aide à en faire la synthèse. On se plaint que chacun ne se spécialise pas assez dans une étude ; mais l’on fait remarquer aussitôt que le prêtre doit être assez universel. Que s’il a une spécialité, cette spécialité c’est la théologie. Sans doute beaucoup d’autres savoirs lui permettraient de briller, de faire honneur au clergé ; mais il y a grand besoin de prêtres savants « en choses de prêtrise ». Ce qu’on demande du prêtre c’est, comme de toute autre valeur sociale, d’être un maître en son métier [13].

D’ailleurs il y a une curieuse interaction du ministère et des études théologiques. À celui qui peut mener de front les deux occupations, la vieille antithèse homme d’action / homme d’étude, prêtre du ministère / prêtre d’études-professeur, apparaît bientôt comme fausse. D’abord, il n’y a rien de plus pénible que ce prêtre – qui n’est pas un mythe – qui plein d’allant attire à lui la jeunesse en de multiples mouvements mais n’a, c’est lui-même qui l’avoue, rien à leur dire ; rien au moins de vécu, de profond, de solide… et seulement quelques fragments de manuel. Au contraire, à celui qui s’est préparé et garde le goût de l’étude, la vie active même pose tant de problèmes. S’il veut être loyal, le prêtre doit répondre aux autres, se répondre à lui-même sans cesse. Pour cela, il doit connaître les solutions classiques, les points élucidés, mais aussi, au moyen de sources et de bases qui s’imposent, chercher en réfléchissant, en discutant, des réponses plus profondes, plus appropriées.

À ce propos, comment ne pas rappeler la conversation qui décida de l’entrée d’un jeune séminariste aux Carmes. M. Verdier demandait « Vous désirez préparer des licences ? Vous désirez donc être professeur ? – pas du tout, M. le Supérieur, je désire le ministère paroissial – Mais à quoi bon alors vouloir allonger vos études, être diplômé ? – Oh, M. le Supérieur ne croyez vous pas qu’il faut être bien savant pour faire un bon vicaire – c’est bien, petit vicaire ! », conclut M. Verdier.

Parmi toutes ces études, l’une d’elle semble primordiale c’est celle de la vie chrétienne, théologie morale et spiritualité, ou l’une ou l’autre, suivant les conceptions. Il importe en effet au prêtre de saisir complètement, de s’assimiler, d’apprécier, tant de formules qu’il distribue par habitude mais qui, étant des formules de vie, de vie tout court, de vie chrétienne, de vie d’union avec Dieu, peuvent avoir de grandes conséquences sur les âmes. Au contraire, au moins d’après certains avis, il ne s’égarera pas, sinon par vocation spéciale, dans les sciences qui sont à la périphérie de la théologie, ces sciences qui si facilement sont étudiées d’une façon profane et donc qui écartent l’âme de la ligne sacerdotale. Le prêtre ne doit pas être premièrement un savant au sens scientifique du mot, mais un « sapiens », un professionnel de la vie et de la prudence chrétiennes. Et ce savoir demande d’abord une étude très consciencieuse menée d’une façon scientifique.

Or la communauté, dit quelqu’un, ne favorise les études qu’à la condition d’avoir un supérieur intellectuel qui les oriente et les favorise.

Un supérieur … ? oui ; mais alors il y a un danger. La communauté n’est plus qu’une réunion de disciples autour d’un Maître… Or il faut aux prêtres du ministère une indépendance réelle. Ce que la communauté doit fournir, c’est, à ce point de vue, une atmosphère intellectuelle. Et les membres de la communauté suffisent à la créer si parmi eux se trouvent quelques individualités intellectuelles. De plus, la communauté assure le temps réservé aux études par la semi-clôture dont elle protège ses membres. C’est ainsi que chez les assomptionnistes de Lourdes, qui tiennent une paroisse, les prêtres sont plus à la disposition des fidèles qu’ailleurs, car au couvent ils savent toujours trouver les Pères et cependant leur chambre n’est pas ouverte à tout venant comme celle de maint vicaire parisien. Le parloir ne nuit pas du tout à la multiplicité des rapports, mais il impose aux fidèles de ne déranger le prêtre que pour des questions religieuses.

Enfin, la communauté évite l’ennui et l’isolement. Le prêtre, au cours des repas, des récréations, jouit des délassements et de la compagnie qui lui sont nécessaires sans avoir à sortir en ville, à accepter des invitations souvent pleines d’inconvénients, toujours gaspilleuses de temps.

La piété est une vie, et non une série d’exercices méticuleusement accomplis. Certes, la régularité y est nécessaire ; mais elle ne constitue pas l’essentiel. Une certaine ferveur, un certain goût, un certain « tonus » psychologique, doivent aussi être assurés. L’exercice sec, mais assuré coûte que coûte, est très méritoire, mais ne doit pas être l’élément normal de la vie de piété. On peut considérer l’exercice de piété comme un moment fort de nos relations avec Dieu, un moment où nos facultés s’imprègnent de Lui pour en vivre plus intensément. Cela ne se fait pas en règle générale par un processus purement juridique de mérite ignoré ; les auteurs spirituels les plus sûrs, comme Dom Lehodey (Le saint Abandon), reconnaissent que la sécheresse, le dégoût spirituel, ou la banalité spirituelle, ne sont pas des états merveilleux. Ils tiennent souvent à d’autres causes qu’à la volonté de Dieu… peut-être à l’inadaptation de beaucoup d’exercices de piété classiques. Sur cet aspect, qu’il ne faut pas confondre avec le panhédonisme tant combattu par Bremond, et qu’il importe de sauvegarder dans la vie agitée du prêtre de paroisse, nous reviendrons plus tard. Aujourd’hui, nous signalons seulement que le programme d’exercices de piété du jeune prêtre, ses habitudes de séminaire, ne suffisent peut-être pas à sa piété. Il y faut une atmosphère qui la rende facile et profitable.

Chapitre du pressoir mystique

Quelques opinions sur la vie commune

Celle d’un prêtre professeur : vive l’individualité. La vie commune est bonne pour ceux qui n’ont pas de personnalité. Elle est contraire à l’esprit du sacerdoce, qui est une mission individuelle faite de responsabilité particulière.

Qu’est-ce que la personnalité ? M. Lieutier répond à l’objection en montrant que la communauté développe en effet ce qu’il doit y avoir de commun dans tous les prêtres : l’amour du Christ et des âmes, et diminue l’amplitude des vues particulières sur la Religion. Mais il nous apparaît qu’en laissant intacte l’orientation commune le prêtre peut avoir légitimement une conception particulière des grands problèmes chrétiens, et par conséquent a droit à une certaine indépendance de pensée et d’action.

Seulement nous pensons que cette personnalité, surtout intellectuelle, est fort sauvegardée dans la vie commune bien comprise. En effet celle-ci, on l’a déjà signalé, ne doit pas consister en de petits cénacles où une forte individualité marque des disciples. Il peut y avoir communauté sans conformisme, sans uniformité. C’est là une formule sur laquelle nous nous mettons tous heureusement d’accord. Nous concevons une réunion très unie de prêtres, où chacun garde ses vues politiques, sociales, et même spirituelles ou pastorales. Nous ne mettons pas le lieu de la communauté, comme c’est le fait de la plupart des organismes existants, dans un esprit commun. Certes il faut à la base un minimum : les prêtres communautaires doivent tous avoir le grand mais vague idéal de leur sanctification personnelle et de celle des autres. Ils doivent être des « zelanti  », des prêtres qui ne se contentent pas du statu quo. Mais cela laisse subsister les divergences quant à l’emploi des moyens. Ils se réunissent pour se donner le secours de la fraternité dans la prière, dans l’étude, dans les relations sociales.

L’objection ainsi repoussée, nous ajoutons même que la personnalité gagne à une communauté de cette sorte. Notre esprit croît et s’enrichit au contact d’autres esprits. C’est par des échanges incessants d’opinions pastorales, spirituelles, que le prêtre peut échapper à des solutions qui ont un seul mérite : celui de la bizarrerie. Pour qu’il y ait réaction, il faut qu’il y ait action. Il n’est pas bon à l’homme d’être seul. Et nous ne croyons pas du tout à l’affirmation du poète latin, « chaque fois que je suis allé avec les hommes, je suis revenu moins homme ». Il suffit de choisir sa société. Celle du prêtre et naturellement la compagnie de ses confrères. Ainsi nous pensons que les deux opuscules de l’abbé Gelé développent une thèse paradoxale : la sainteté par la solitude. Ce ne peut être là, de l’avis de la plupart des spirituels, que le fait d’une vocation spéciale. Malheureusement les circonstances actuelles y contraignent beaucoup de prêtres de France.

Un jeune prêtre signale que, dans la vie de communauté, les travers et les manies apparaissent et font souffrir. Cela nous paraît une bonne chose car la correction fraternelle est aussi vieille que le christianisme. Il vaut mieux essayer de corriger ses confrères par une taquinerie familière que de lutter contre eux avec l’indifférence des employés d’une même sacristie.

Le même ecclésiastique signale aussi la vulgarité des conversations en communauté. Cela dépend sans doute de l’atmosphère de la communauté. Si elle ne consiste qu’en une commensalité banale, il n’y a pas à s’en étonner : ce sont des propos de table ; mais si le lien est sur le plan de la piété, ce ne doit pas être la même chose. D’ailleurs cela dépend, comme toute chose humaine, de la valeur des individus.

Il y a, dit-il encore, quelque chose de pénible à se plier à la vie de la communauté. Cela certes est vrai ; mais il serait curieux de vouloir bannir toute gêne de la vie d’un prêtre. Au demeurant, la communauté par sa souplesse doit viser à assurer à ses membres une vie adaptée aux besoins de chacun.

D’autres prêtres soulèvent des difficultés matérielles : les nominations par l’autorité, les caractères qui ne s’entendent pas, la précarité de ces institutions. À ceci nous répondons, d’après Mgr Rolland-Gosselin et le T. R. P. Brillet, interviewés, que l’autorité encourage dans la mesure du possible – ce qui est souvent la volonté de Dieu – les initiatives intéressantes, que les communautés doivent se recruter par cooptation et pas seulement par voie administrative, qu’un prêtre retire toujours grand profit à vivre quelques années de sa vie dans une communauté fervente.

Chapitre de la Cuisine et des Pins

Sacerdoce et famille

Il est d’abord fait une étude historique. Les textes de l’Évangile, si forts, sont rappelés. Il n’y a pas de doute que Notre-Seigneur nous ait signalé dans la famille un écueil possible à la vie parfaite. L’exemple de deux saints prêtres nous est ensuite montré : saint Charles Borromée et le cardinal de Bérulle. Le premier, très affectueux pour sa famille, n’hésite pas à lutter contre elle lorsqu’elle s’oppose à ses volontés d’apostolat et de sainteté. Cette lutte est donc commandée par des nécessités inconciliables. Le cardinal de Bérulle se montre très froid envers ses parents dans les grandes circonstances de sa vie, surtout pour réagir contre l’habitude du siècle qui faisait du sacerdoce ou plutôt de l’aptitude aux bénéfices un bien de famille. Ce régime bénéficial est à la racine de toute une spiritualité antifamiliale du prêtre. Plus près de nous, Don Bosco et le P. Chevrier du Prado nous sont montrés comme des exemples opposés. Le Bienheureux, qui avait le bonheur de posséder une sainte mère, à l’âme sacerdotale et apostolique, l’associa toujours, quelquefois contre son gré, à ses travaux. Au contraire, le « Saint » du Prado s’élève avec véhémence contre une affection familiale trop étroite. Il semble d’ailleurs que ce prêtre lyonnais est un peu enragé [14] dans sa logique sentimentale appuyée sur des mots épars de l’Évangile.

Puis, après la lecture de quelques opinions modernes, nous en arrivons au fond du sujet. Le prêtre doit se renoncer, même dans ses affections familiales. Mais le renoncement n’est pas un but par lui-même. En cette matière il doit être commandé par l’intérêt des âmes ou de sa sanctification personnelle. Ceci est le principe, dont l’application par ailleurs est limitée par le quatrième commandement. Pour apporter de la clarté, on distingue en le prêtre l’homme public et l’homme privé. Cette distinction est d’ailleurs contestée. Elle est assez « juridique ». Elle aboutit à faire dresser la hiérarchie suivante. Comme homme public, le prêtre se doit d’abord aux âmes qui lui ont été confiées, et ensuite à toutes les âmes, mais, parmi celles-ci, à titre d’homme privé, ses parents ont la première place. L’expression « les âmes qui lui ont été confiées » est critiquée, puis acceptée en y comprenant les âmes de ceux qui ne pratiquent pas. En résumé, nous admettons que le prêtre peut et doit aimer ses parents autant et mieux que quiconque ; mais que dans les manifestations pratiques de cette affection il doit tenir compte de ses obligations particulières de prêtre. En cette question, la hiérarchie précitée, à la réflexion, paraît juste.

Ensuite nous voyons brièvement les avantages et les inconvénients de la cohabitation du prêtre et de sa famille. Les uns et les autres sont réels mais dépendent surtout de la façon dont les parents comprennent leur rôle, de leur discrétion, etc. ; ceci explique que nous n’admettons pas sans réserve la règle de ne pas employer ses parents, sa mère en particulier, dans son ministère ou ses œuvres. À Paris, où l’on a plusieurs confrères dans la même œuvre, cela peut créer des difficultés, mais il n’en est pas de même en province où souvent l’on est seul à travailler. L’on remarque aussi qu’il est plus facile de vivre avec son père ou sa mère seul qu’avec l’un et l’autre, car alors le prêtre risque de rester le fils de chez ses parents.

À comparer la vie communautaire et la vie familiale il semble que, d’un point de vue très général, sans tenir compte des cas d’espèces, la première soit un meilleur cadre pour la vie sacerdotale que la seconde. Mais, au contraire, la vie familiale paraît supérieure à la vie solitaire.

Enfin, nous remarquons qu’il n’y a pas autonomie absolue entre la vie communautaire et la vie familiale. On peut concevoir des relations du genre de celle d’un fils marié avec ses parents : visites et invitations. Les ordres anciens n’avaient pas ces dispositions ascétiques, pénibles surtout à autrui, qui interdisent à un religieux d’offrir un verre d’eau à ses parents. Au contraire, les parents étaient reçus avec honneur à l’hôtellerie. Rien n’empêche une communauté de garder une chambre, une place à table, pour recevoir les parents avec discrétion mais avec humanité.

Chapitre de l’Esplanade

Vœux et Perfection sacerdotale

Une question préliminaire est rapidement résolue. Le sacerdoce, de par sa nature, exige-t-il la sainteté du prêtre ? Certes il l’exige, car toute opération exige un instrument aussi parfait que possible. Or le prêtre est l’agent des opérations supérieures, celles de la sanctification. Ceci est en quelque sorte une obligation commune, de même nature que celle qui est requise du père de famille pour bien élever ses enfants. La différence n’est qu’une différence de grandeur. Mais de plus, le prêtre doit être saint parce que la sainteté fait partie intégrante du sacerdoce ; elle est un moyen d’action sacerdotale, d’action par en haut auprès de Dieu dans l’intercession, d’action par en bas auprès des hommes par le ministère. La qualité du prêtre, du canal de la grâce, n’est pas aussi indifférente que certaine conception juridique de la vie chrétienne semble le croire. Certes, dans ces sommets de l’action divine que sont les sacrements, la grâce nous est garantie quelle que soit la valeur du ministre. Mais la grâce se répand au moyen de l’action sacerdotale par bien d’autres activités : la prédication, l’organisation, la conversation du prêtre. En ses activités le prêtre n’agit surnaturellement qu’autant qu’il est saint. L’exemple d’Alexandre VI apporté est intéressant. Certes ce pape n’a pas failli dans l’enseignement dogmatique mais peut-on dire qu’il ait sanctifié normalement l’Église comme les saints pontifes ? Tout ceci est trop clair.

Au contraire, la seconde question ne l’est pas : le Sacerdoce donne-t-il au prêtre les moyens de sa propre sanctification ? Certains ne le pensent pas. Un Père franciscain disait : le sacerdoce n’étant pas pour le prêtre mais pour les autres, il n’a pas en lui de quoi sanctifier le prêtre. Celui-ci doit recourir à des moyens extrinsèques, et notre religieux de proposer, pour ceux qui ne voulaient pas entrer dans un ordre, le Tiers-ordre de saint François. D’autres, le P. Doncœur, M. Lemaître, vont beaucoup moins loin et, tout en reconnaissant dans [le] sacerdoce une source de sanctification pour le prêtre lui-même, prêchent la nécessité des vœux comme une façon d’expliciter cette sainteté.

Or il ne semble pas du tout que l’Église considère les vœux de cette façon. Les vœux sont venus, non comme des moyens de sanctification individuelle, mais comme des liens sociaux. La boutade célèbre d’un religieux à une communauté sacerdotale l’illustre : « Vous ne durerez que si vous faites des vœux. » De plus, beaucoup de congrégations du siècle dernier sont nées de la nécessité qu’avait une œuvre de se garder des serviteurs permanents. Le vœu de pauvreté lie matériellement, le vœu d’obéissance sert à l’organisation du corps. Il ne saurait être question du vœu de chasteté qui, sauf dans certaines exagérations mystiques, ne saurait être complété ou renforcé après le sous-diaconat. Mais, dit-on, les vœux privés d’un prêtre entre les mains de son supérieur ne sauraient avoir cette valeur presque exclusivement utilitaire, car le De Votis du C. D. C. ne s’applique qu’aux vœux publics. On réserve la question des vœux purement privés, faits cependant entre les mains de l’évêque, tels que les conçoit une communauté moderne.

Quelle est donc la valeur propre du vœu dans la sanctification ? On nous fait la parabole suivante. La vie chrétienne est un jet d’eau qui jaillit vers le ciel, la pesanteur l’attire vers les choses de la terre en trois jets principaux. À chacune de ses chutes correspond un vœu qui supprime l’attraction. Très bien, répond-t-on ; mais comment le vœu a-t-il cette action bienfaisante. Certains décrivent un mécanisme juridique de mérites redoublés par la vertu de religion ; c’est possible. Mais théologiquement, il semble que le gain retiré du vœu se trouve dans la ratification qu’en fait Dieu, dans l’assomption par le Seigneur d’une volonté qui s’offre. De ce point de vue, les cérémonies antiques de la consécration des Vierges (cf. Pontifical romain) sont bien plus expressives que l’émission des vœux dans les congrégations modernes. Autrefois, on mettait l’accent sur l’action de Dieu, son choix, sa consécration, à laquelle correspondait seulement une offrande. Aujourd’hui, avec le correctif « moyennant votre grâce », le profès jure que lui fera ceci, fera cela… Si l’on considère le vœu de cette façon, il faut avouer qu’il se trouve essentiellement et éminemment dans l’Ordination. L’ordinant s’offre ; Dieu, acceptant, lui donne la grâce correspondante aux pouvoirs et aux obligations de l’ordre. La vieille réponse de nos catéchismes, « le sacrement de l’ordre est un sacrement qui donne le pouvoir de faire les fonctions ecclésiastiques et la grâce de les accomplir parfaitement », ne le dit-elle pas déjà ?

Et s’il en est ainsi, à quoi bon faire un vœu qui ne serait qu’une explicitation, qu’un procédé psychologique pour bien s’exprimer à soi-même ses obligations… une sorte de promesse scoute… ? Car celle-ci bien comprise est aussi contenue dans le baptême.

La discussion s’arrête ensuite sur le vœu de pauvreté. C’est une banalité de reconnaître que la pauvreté des religieux n’est pas réelle : ils ont un confortable aussi grand que celui des prêtres séculiers et de plus sont assurés de ne rien manquer. Dans ce cas quel peut bien être l’état psychologique de celui qui fait un vœu de pauvreté ? Est-il vraiment supérieur à celui du prêtre qui s’est dit dans ses ordinations : je ne veux la richesse, comme tout autre bien terrestre, que dans la mesure où l’exercice de mon sacerdoce le demande ?

Mais, répond-t-on, c’est bien ainsi que l’Église interprète le vœu de pauvreté pour les religieux. La règle et le supérieur laissent entre les mains du prêtre religieux tout ce qu’il lui faut pour son ministère. Eh bien justement, la pauvreté alors n’est plus réelle, elle n’a consisté qu’en des exercices de noviciat. Or il me semble difficile de conserver au vœu toute sa valeur dynamique de don total si l’on sait que par la suite on peut tout reprendre en détail. Certes, il demeure que le supérieur est juge, mais cela est du ressort du vœu d’obéissance. Il serait intéressant à étudier. Car comment, si on l’applique strictement, se concilie-t-il avec l’indépendance du ministère ? Et si on l’applique d’une manière très large, a-t-il plus de valeur que la disposition nécessaire à tout prêtre d’obéir à ses supérieurs lorsqu’ils le demanderont ?

Mais, dit-on, dans les moments de défaillance, la règle est un grand secours. Ce n’est pas si sûr que cela car, à côté de la règle, il y a la casuistique sur la règle. Celle-ci détruit en grande partie l’élan psychologique du don. De plus, la vie en communauté, par son atmosphère, par ses exemples, est aussi un puissant secours dans les défaillances. Enfin, le principal inconvénient du vœu est signalé par le cardinal de Bérulle. Le vœu, avec la règle qui en est le complément nécessaire, car l’Église n’accepte pas un vœu sans une interprétation précise qui en fixe la portée, est une mesure générale. Il ne correspond ni aux tempéraments particuliers ni à l’originalité de la grâce en chacun. Il y a bien des moyens d’envisager le renoncement. Chaque âme dans sa marche vers la perfection est attirée vers tel renoncement, puis vers tel autre. Pauvreté, obéissance, zèle, apostolat, prière, sont les composantes d’une formule particulière à chacun. Certes il faut arriver à une synthèse aussi compréhensive que possible. Mais les vœux et la règle annexée sont une synthèse toute faite qui s’impose à tous, à tous les moments de sa vie spirituelle. Aussi voyons-nous beaucoup de saints religieux en difficulté, en scrupule à cause de leur règle.

Sans doute, ce qui séduit dans les vœux, c’est cette oblation totale de soi-même à Dieu. Mais elle est encore une fois contenue dans l’Ordination sacerdotale, dans le sous-diaconat en particulier, discrètement exprimée il est vrai, dans la mesure où la volonté propre peut quelque chose. À quoi bon le renouveler par un acte distinct ? Mais alors nous supprimons l’intérêt des congrégations de prêtres ? Examinons leur histoire. Nous voyons que les anciens ordres sont des ordres de laïques. Les monastères ne possédaient qu’un ou deux prêtres pour le service religieux. Il en a été de même à l’origine des franciscains, et peut-être des dominicains. Ce n’est que par une piété personnelle ou les nécessités d’un apostolat non prévu que le nombre de prêtres s’est augmenté dans ces ordres. Les premiers siècles n’ont certes pas connu des rassemblements de prêtres occupés uniquement à la sanctification par les vœux. Il ne faut pas apporter l’appui de saint Augustin, car cet instituteur de la vie « canonique » n’a pas connu de vœux distincts du sacerdoce pour les prêtres. C’est plutôt un précurseur de la vie communautaire de prêtres sans vœux spéciaux.

Ensuite sont nées les congrégations de clercs réguliers (jésuites, etc.), compagnies de prêtres instituées pour une lutte plus ardente, et où les vœux, celui d’obéissance devenant primordial, ont été employés comme un moyen de discipline : ce fut le serment au drapeau.

Ces institutions gardent leur intérêt particulier mais on ne voit pas que dans leur sein les vœux soient un moyen supérieur de sanctification ajoutée au sacerdoce. La preuve, c’est qu’un clerc régulier avec ses vœux triennaux, puis perpétuels, sa tonsure, son sous-diaconat et son sacerdoce, recommence trois ou quatre fois la même chose. Manifestement il y a double emploi.

Mais l’on veut dissocier le vœu de la règle. On accorde que la règle a surtout une valeur sociale mais le vœu a une valeur de perfection privée. Le vœu c’est l’offrande de soi-même à Dieu. D’accord – mais l’Église lie le vœu et la règle. Elle n’admet pas un vœu en l’air. Que si l’on veut trouver un vœu vidé ou presque de son contenu juridique c’est précisément dans le sacerdoce qu’on le trouve. D’après la doctrine du cardinal de Bérulle, le sacerdoce est une union tout à fait spéciale avec Jésus-Christ, non seulement plus étroite que celle du chrétien ordinaire, mais même d’une nature différente. Si on veut tenter une explication théologique, on dira que le chrétien au baptême s’unit à la Sainte Trinité, à la Divinité, en Jésus-Christ. Le Christ est le moyen, la source de la grâce habituelle, le lieu où se rencontreront les âmes unies à Dieu, la tête du corps qu’elles forment. Elles sont unies per Jesum Christum. Le prêtre participe au Christ dans sa personne d’Homme-Dieu, de Verbe Incarné, de Médiateur. Il est lui-même un médiateur participant à la Médiation souveraine. Comme chrétien il est uni à Dieu par Jésus-Christ, comme prêtre il est uni à Jésus-Christ comme possédant les deux natures humaine et divine. Cette union est une source de sanctification non seulement pour les autres mais pour lui-même. Nul homme n’a une union aussi intime. Que peut-il faire en face de cette assomption de son être par la personne de l’Homme-Dieu, que de s’offrir sans limites, sans réserves, mais aussi sans programme humain. Qu’il garde à Dieu toute liberté dans sa grâce, qu’il se garde à lui-même toute spontanéité. Dieu lui donne la grâce des conseils évangéliques ; s’il y est fidèle au fur et à mesure des circonstances, il la fera fructifier selon la volonté de Dieu.

En résumé et pour systématiser un peu la discussion : ce qu’il y a de grand dans le vœu, c’est le don de soi. Or ce don, cette offrande dynamique, existe dans l’ordination éminemment, mais plus souple ; car elle est moins volontariste, moins pratique ; elle ne dit pas : « Moi je décide à partir de ce jour que je ferai telle action » ; mais elle dit « Seigneur, en recevant ce pouvoir sacerdotal, je sais que vous me donnez la grâce de pratiquer telle vertu d’une manière absolue (la chasteté), de me renoncer d’une façon en partie connue de moi, en partie inconnue, pour que mon sacerdoce soit ce qu’il doit être. Eh bien je m’offre à cette grâce de toutes mes forces. »

Que si la formule semble trop vague, ce qui prouve que Dieu a déjà donné à cette âme des lumières sur sa sainteté particulière, qu’elle explicite son offrande. Point n’est besoin de vœu pour cela. À la veille d’une ordination, il convient d’examiner ce que doit être sa vie future. Le religieux, ou celui qui fait des vœux, est bien obligé lui aussi de préciser, seulement il le fait d’après un règlement qui lui est plus ou moins bien adapté.

Malgré le flou de cette offrande contenue dans l’ordination, nous avons vu que le prêtre pratique normalement autant la pauvreté et la chasteté réelles que le religieux. Pour ce qui est de l’obéissance, elle ne saurait être stricte dans le ministère.

On envie souvent à ceux qui ont fait les vœux beaucoup de choses qui n’y sont pas liées.

La formation peut très bien se faire avec ses exercices pour acquérir les grandes vertus, dans un noviciat sans vœux (cf. les oratoriens). Que, si les rites du Pontifical ne mettent pas autant en relief le don de soi que le rituel de certaines cérémonies de vœux, c’est un détail que l’on pourrait corriger. Enfin, nous l’avons vu, les secours qu’apportent la règle et l’organisation religieuse peuvent être fournis par une vie communautaire bien comprise.

Bien entendu, n’ignorant pas les paroles de Léon XIII sur cette question, nous ne diminuons pas la valeur des vœux. Nous essayons seulement de montrer que dans leur essence ils se trouvent dans l’Ordination, car ce qu’il y a de plus précieux dans le vœu, c’est l’assurance que donne Dieu d’aider de sa grâce celui qui se donne à lui dans tel institut. Mais cette assurance n’est nulle part plus forte que dans le Sacerdoce, sacrement d’institution divine où Dieu s’engage à donner toutes les grâces que réclame cet état voulu par lui.

De plus, pour ceux qui ne reçoivent pas ce sacrement, il demeure que le sacramental de la profession religieuse reste le seul moyen de se lier à Dieu.

Une dernière remarque : on prétend quelquefois que les vœux ont au moins une grande valeur psychologique. Pourtant, dans la vie des saints religieux, nous voyons souvent que leur « conversion » ne coïncide pas du tout avec cette cérémonie.

Chapitre du Presbytère

La doctrine liturgique de Maria Laach

Deux d’entre nous ont fréquenté cette célèbre abbaye bénédictine des bords du Rhin, où a pris naissance le mouvement liturgique allemand. Ce mouvement s’appuie sur une doctrine connue en partie en France par Guardini (L’Esprit de la liturgie).

On nous donne d’abord l’analyse de différents opuscules qui ont pour but de faire en quelque sorte l’apologétique de la doctrine.

Un bref historique nous montre la piété antique, sociale et liturgique, se modifiant peu à peu. D’abord, dans sa lutte contre le protestantisme, elle éprouve le besoin de devenir plus individuelle ; puis, avec la venue des concepts aristotéliciens, elle fait davantage de place aux abstractions. C’est ainsi que naît et se développe de plus en plus l’oraison méthodique pour occuper les longs temps de silence, que naît aussi bien du mystérisme sentimental et faux… on préfère de plus en plus aux offices les longues adorations où l’âme est seule avec un Dieu séparé, abstrait ; les messes basses, où cette piété n’est pas gênée, se répandent. Le salut, dont le contenu liturgique est très pauvre, mais qui clôture bien ce genre de piété, connaît une grande vogue. Le désir de voir l’Hostie, très louable par ailleurs, se greffe sur cette évolution. Dieu ne se manifeste plus dans des cérémonies sacrées, mais il réside, silencieux et muet, dans l’Eucharistie. On l’y contemple : un minimum de sensible pour un maximum d’activité cérébrale.

Sur ce, Maria Laach rappelle la théorie antique du symbole, qui n’est pas seulement un signe intellectuel mais qui est chargé de réalité. Les moines rappellent que leur doctrine ne favorise pas le molinisme. Elle est conforme de plus à l’instinct religieux le plus profond, [au] goût des « mystères » (sens antique du mot) tel que saint Paul y a sacrifié. Le grand Apôtre en effet n’a condamné les mystères païens que pour initier aux mystères chrétiens ; et ces mystères ne sont pas seulement des vérités dogmatiques obscures à la raison. On peut justifier aussi la doctrine de Maria Laach par la convenance qu’elle présente avec la théorie de l’Église et du Corps mystique. Les prêtres deviennent alors véritablement « les dispensateurs des mystères divins », qui sont des reviviscences des actes rédempteurs du Christ. Nous voyons ensuite présentés quelques-uns des avantages classiques de la liturgie : elle tonifie la piété par son appel incessant aux saintes Écritures ; elle manifeste psychologiquement l’union des chrétiens ; elle apaise et simplifie l’âme ; elle éloigne le pessimisme, la tristesse.

Tout ceci est un peu « allemand » en sa forme circulaire. Voici un bref exposé qui ne serait peut-être pas contresigné par Dom Herwegen, et qui n’est que la réaction d’un séminariste français en face de cette doctrine touffue mais riche et substantielle.

Il faut d’abord exclure les exagérations de cette doctrine. Sous prétexte de liturgie, on ne doit pas nier tout intérêt aux manifestations de la piété privée : saluts, oraison, visite au Saint-Sacrement, chapelet, etc., correspondant à des besoins de l’âme. Bien plus, il faut dire qu’une vie liturgique bien entendue les réclame et les nourrit.

Signalons d’abord l’extension du mot « liturgie ». Maria Laach n’y voit pas seulement la codification officielle des rites les plus importants, mais toutes les actions par lesquelles nous essayons de nous rendre plus présente, plus concrète, notre participation à Dieu dans le Christ. En effet le disciple de Maria Laach, sachant que Jésus a vécu toutes les heures, toutes les actions de la vie terrestre, et qu’il les a sanctifiées, essayera, le plus souvent possible et dans le détail concret de la journée, de puiser à cette source de grâce. Il y a loin de cette disposition d’esprit à celle du disciple de saint Ignace qui, ayant offert sa journée à Dieu et comptant sur sa grâce, agira ensuite sans autres soucis.

Mais comment puiser à cette source de grâce ? C’est là que vient la théorie du « drame » et du « jeu ». Mais elle est elle-même commandée par celle de la triple existence du Christ. En plus de son existence sans fin, Jésus est d’abord un personnage historique qui a vécu dans le temps, c’est ensuite une personne mystique qui vit dans l’âme de ses fidèles, c’est enfin une personne liturgique. Qu’est-ce à dire ? Ayant posé une fois les actes rédempteurs les plus hauts : le sacrifice de la croix, comme les plus humbles : la fatigue de la route, il peut les revivre dans leur représentation. C’est le drame, le mystère. Les fidèles et les prêtres réunis chantent des paroles inspirées, évoluent et en cette re-présentation le Christ se fait de nouveau présent. Bien entendu il y a des temps forts et des temps faibles dans cette présence. La messe en premier lieu, mysterium fidei, les sacrements ensuite (cf. la théorie de l’action morale du sacrement), nous assurent cette présence et son action ; mais toute la liturgie fixée et à venir y participe aussi, quoique à un degré moindre. C’est la théorie du sacramentisme, qui voit dans l’ensemble des rites un courant sacramentaire dont les sept sacrements ne sont que des points privilégiés. Ce n’est plus le sacrement pilule de grâce, c’est une vie de la grâce.

Mais pourquoi des rites, qui d’ailleurs ne représentent pas toujours très clairement une action du Christ ? C’est que, dans nos actions ordinaires, nos actions utilitaires, nous sommes pris tout entiers par le côté humain et visible, que nous ne savons pas nous élever à l’ordre surnaturel. L’Apôtre dit bien : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, faites tout à la gloire de Dieu », qui y songe ? Certains disent : une intention initiale suffit, au début de la journée par exemple ; cela élève tout ensuite. C’est un point de vue juridique. En réalité nous vivons comme si notre union à Dieu dans le Christ était quelque chose d’irréel. Le rite est une activité de jeu, une activité en apparence sans but, sans portée pratique. Il fait jouer nos puissances à vide pour permettre à l’action de Dieu de s’insérer d’une façon concrète et psychologique… consciente, touchons le mot. Car vraiment on a trop peur de la piété consciente. Il ne s’agit pas de rechercher des émotions religieuses, de se laisser aller à la sentimentalité. Mais tout de même normalement la grâce s’applique à nos puissances, les réconforte, les soutient vers le bien en suivant l’ordre naturel. Pourquoi craindre de dire que, d’une manière générale, elle agit d’abord sur le sens intime, sur la conscience profonde et, par irradiation, sur l’esprit, sur le cœur ? Tout cela ne se passe pas dans l’inconscient absolu. Le rite permet de prêter l’oreille à toutes ces touches divines, le rite met dans une situation d’attente.

Mais pourquoi des gestes extérieurs, des chants, au lieu d’un recueillement profond, muet et immobile ? C’est que l’homme est essentiellement composé d’une âme et d’un corps. Sous le prétexte que Dieu est spirituel, on veut une piété purement rationnelle, intellectuelle, spirituelle. Que le corps s’anéantisse, l’esprit va s’élever vers Dieu. Cela est peut-être inexact. Dieu s’est incarné pour nous sauver. Tout le composé humain doit concourir à la vie éternelle. Il ne faut pas oublier, surtout, que la volonté humaine ne s’émeut et n’agit la plupart du temps qu’en face d’un objet sensible. Si Dieu demeure une idée, aussi belle et aussi personnelle qu’on le veuille, Il n’aura pas grande action sur la volonté. Il faut le concrétiser, le rendre presque sensiblement présent. Et cela nous est permis puisque le Verbe s’est incarné et qu’il nous a dit de faire des choses « en mémoire de Lui ». Pour le prêtre surtout, quel secours dans une vie liturgique bien comprise ! L’esprit fatigué, énervé par le ministère, il trouve, dans l’action liturgique, un apaisement, une rencontre facilitée avec Dieu. Un homme ordinaire, fatigué par les événements de la journée, ne retrouvera pas courage en s’élevant aux idées abstraites du devoir familial, mais en voyant sa femme, ses enfants, en chair et en os. Il devrait en être de même du prêtre. Il est si difficile de vivre de transcendantaux, de jouer toute sa vie sur ces transcendantaux !

Corollaires. Il s’agit ici bien entendu d’une liturgie complète qui crée atmosphère, qui s’adresse aux sens. Le bréviaire récité, même en commun, n’est pas de la liturgie. Il y faut le chant, ou du moins la psalmodie, les gestes, l’encensoir. La liturgie est une sorte « d’incantation » de la vie de l’homme à la vie du Christ. Jésus a connu l’heure où il faut éclairer les demeures, à cette heure il faut s’unir à lui, en redisant ses sentiments, en vivant de sa vie.

Il s’agit aussi d’une liturgie facile. Bien sûr il faut connaître ses rites, les accomplir sans être arrêté par le côté technique. Certains séminaristes, certains prêtres qui n’ont jamais atteint ce stade, disent : « la liturgie m’empêche de prier ». Et c’est vrai. Cette liturgie doit être aussi parfaitement exécutée que possible. Mais ce qui importe de ce point de vue, c’est moins l’exacte obéissance des règles que l’atmosphère sauvegardée. Il faut que cela fasse « office ». On en dira autant du chant. S’il y a des imperfections, et il y en aura toujours, il ne faut pas, pour l’amour de la musique ou des règlements liturgiques, compromettre l’ensemble. D’ailleurs il faut reconnaître que ces deux points doivent être soigneusement préparés pour que l’office joue vraiment son rôle.

On voit que cette façon de comprendre la liturgie est assez différente des conceptions juridiques ou sociales ordinaires (cf. cours du P. Vittaut). Il doit y avoir un culte extérieur – se surajoutant au culte intérieur – parce [que] le corps doit comme créature rendre hommage à Dieu. Il doit y avoir un culte public – se surajoutant au culte privé – parce que les sociétés doivent comme les individus rendre hommage à Dieu. Ceci justifierait seul la liturgie ! D’autres y voient surtout un intérêt spectaculaire et apostolique : cela fait bien pour les foules. Ce n’est pas à dire que la liturgie n’ait pas un réel intérêt social ; mais ceci sur le plan théologique. La grâce est donnée à l’Église, l’Église doit donc la demander en tant que communauté, et elle ne saurait mieux être impartie aux membres que dans une réunion de corps.

Il y aurait intérêt à distinguer les arguments théologiques et les arguments psychologiques, qui sont mêlés ici. On objecte qu’il y a des jours où la liturgie elle-même est pénible, où elle ne supprime pas la sécheresse intérieure. Aussi bien elle ne prétend pas être un procédé d’émotions religieuses et de consolations sensibles. Elle s’adresse à tout l’homme ; et si elle facilite la piété, si elle donne la grâce, [ce n’est] quelquefois qu’en agissant sur la fine pointe de l’esprit, cette pointe où aux dires des mystiques l’action de Dieu n’est pas sentie, mais connue seulement. Cette connaissance n’est pas forcément discursive, c’est plutôt une intuition. La liturgie aide à créer cette intuition.

Au demeurant, il y a peut-être ici question de personnes ; nous parlons pour les âmes qui goûtent la liturgie. Or ceci, comme le sens esthétique en peinture, en musique, n’est peut-être pas donné à tout le monde. Il y faut certainement une formation.

Une dernière remarque qui souleva de grandes discussions : la liturgie n’est certes pas le seul moyen pour la grâce de se répandre en l’homme. On défend en particulier la valeur de l’effort dans l’action morale qui attire la grâce. Mais cela n’est pas en cause ; car notre position n’est pas exclusive.

Il faudrait ajouter, mais ceci dépasse le cadre de nos discussions, qui tournent toutes autour de la perfection sacerdotale, que la formation liturgique de la jeunesse est une œuvre de première nécessité. Il ne s’agit pas là d’une opinion exagérée, d’une idée fixe. Nos jeunes abandonnent les pratiques religieuses pour beaucoup de raisons il est vrai, raisons morales surtout ; mais en particulier pour les deux suivantes : ils s’ennuient à l’église ; les réalités religieuses sont d’ordre abstrait et donc pour eux irréelles. La première raison est évidente : même jeunes, ils ne savent pas prier, ils n’ont pas le goût de la prière. Ne serait-ce pas parce qu’on veut les former à une piété qui ne leur est pas adaptée, une piété abstraite, une piété où sans cesse il faut faire effort pour se reprendre, une piété qui est davantage un exercice d’ascèse qu’un bain rafraîchissant, qu’un enchantement divin ? Prières récitées, chapelet, silences, sermons, etc. Mais, dit-on, il est impossible de les former liturgiquement pour arriver à des offices parfaits. Ce n’est pas sûr. Et où nous rejoignons la seconde raison : une religion trop abstraite. Au lieu de notions si difficiles à comprendre et que nos jeunes ne retiennent pas d’ailleurs après la première communion, il vaudrait mieux leur enseigner une religion vivante. Au lieu de commencer le catéchisme par des généralités sur le mot religion, sur le mot signe (de la croix), il vaudrait mieux expliquer la messe aux enfants. Cela serait plus à leur portée. On parle sans cesse de rendre l’enseignement catéchistique plus concret ; mais la liturgie est là pour cela. Que si, entre les mains des « canonistes de la liturgie » et de certains moines, elle est devenue sans mordant, on peut très bien dans la limite des règles la rajeunir, la développer.

« Seigneur, apprenez-nous à prier. »

Remarquer comment l’enseignement, les élévations de Jésus, se greffent sur la « liturgie judaïque », sur les événements de la journée, comment chez Lui le geste symbolique, rituel, se joint à la parole. (cf. P. Lebreton, La Vie et l’enseignement de Jésus-Christ Notre-Seigneur)

Chapitre de Notre-Dame des Dombes

Communauté liturgique

Il y a des communautés de toutes espèces. Il ne faut pas les confondre. Pour établir une discrimination on peut distinguer les variétés suivantes.

La commensalité ordinaire consiste à prendre ses repas en commun pour des raisons d’ordre économique.

La commensalité hiérarchique est une commensalité d’inférieurs sous l’autorité d’un supérieur ecclésiastique (curé ou directeur de collège). Elle a pour but de ne pas laisser à leur indépendance et à leur inexpérience les jeunes prêtres.

La commensalité apostolique réunit autour d’une même table les collaborateurs d’une œuvre pour qu’ils puissent avoir une action commune.

La commensalité genre séminaire où se réunissent des prêtres qui désirent assurer en les faisant en commun la régularité de leurs exercices de piété (pour la plupart d’ailleurs privés de leur nature : oraisons, examens, etc.).

Si cet idéal est sanctionné par des engagements ou des vœux, on a une communauté religieuse.

Bien entendu cette classification schématique reconnaît que beaucoup de communautés sont un mélange des espèces distinguées. Quant à nous, nous ne reconnaissons le nom de vie communautaire qu’à celle qui est à base de piété ou de sanctification. Cela écarte bien des exemples fâcheux de « communautés ».

Ceci posé, nous imaginons un genre de communauté répondant, nous semble-t-il, aux besoins d’un prêtre du ministère paroissial, d’un vicaire parisien par exemple. Nous pensons que le principal pour un prêtre c’est sa vie intérieure. Nous remarquons que cette vie intérieure est difficile à assurer, moins à cause du manque de temps qu’à cause du manque d’atmosphère. Le vicaire parisien qui rentre chez lui énervé, fatigué, dispersé par toutes sortes d’occupations matérielles et d’exemples de vie plus facile, dans un appartement banal et solitaire de vieux garçon, l’église fermée, le Saint-Sacrement rangé, ne se trouve guère en disposition pour s’unir à Dieu. Il « récite » son bréviaire : c’est une obligation, et se distrait comme il peut.

Nous voudrions donc nous réunir en communauté « pour prier » ; et, comme nous l’avons déjà dit, la liturgie est la forme de prière « la plus facile », « la plus prenante », « la plus féconde », pour faire de la liturgie. Nous ne prenons pas ce mot dans le sens : observer des règles liturgiques. Nous cherchons aussi à mettre dans notre projet une aide pour le travail intellectuel, une atmosphère pour de bonnes relations entre prêtres. Mais nous voulons aussi sauvegarder la liberté et la juste indépendance de chacun : il n’y a ni idéal, ni conception spirituelle imposée. Nous nous réunissons pour prier.

Du point de vue piété, il y aurait donc un horaire composé des offices de prime, de sexte à midi (suivi de recueillement), de vêpres vers 6 h les jours ordinaires (jeudis, dimanches exceptés), de complies aussitôt après dîner. Ces offices seraient en partie chantés et en partie psalmodiés (et non récités). À cela se joindrait la « liturgisation » des autres moments de la journée : chants avant et après les repas, Angelus chanté, et la piété spontanée de la communauté : mois de Marie, etc. Matines et Laudes en silence pour ceux qui le pourraient devant le Saint-Sacrement, avant d’aller se coucher. Les jours d’heures saintes, le Saint-Sacrement serait exposé depuis Complies jusqu’à la fin de l’office nocturne. Ce serait l’heure pour recommander nos intentions apostoliques. Les repas seraient sans lecture, car c’est là une détente naturelle et les conversations entre prêtres employés à des ministères différents ne sauraient être banales. Il y aurait des messes solennelles de dévotion aux jours de fêtes peu connues des fidèles. Sans esthéticisme, tout serait arrangé pour une atmosphère et un cadre favorables. Le vicaire rentrerait dans un prieuré bénédictin. Et, s’il est nécessaire d’avoir beaucoup d’argent pour construire un cadre (cloître, etc.), il ne faut pas oublier que les communautés attirent les dons bien plus que les individus.

Du point de vue ascétique, il n’y aurait rien, car c’est là une affaire privée. Seulement, une fois par semaine, on ferait la coulpe en forme de correction fraternelle sur les défauts contraires à la vie en commun. De plus les heures de silence seraient strictement gardées.

Du point de vue intellectuel, trois fois par semaine il y aurait « chapitre », c’est-à-dire exposé puis discussion selon la manière que nous avons utilisée pendant ce pèlerinage. Chacun, en une série de chapitres, exposerait une étude spirituelle, des idées personnelles ou le compte-rendu d’un livre de spiritualité. On pourrait aussi faire précéder les complies de la lecture d’une brève prière, d’une belle pièce de poésie ou de prose.

Du point de vue formation, un noviciat s’imposerait pour former aux cérémonies. Mais ce noviciat sans sanction serait compris comme le 3e an des Jésuites. Ce serait un temps de ministère diminué, mais plus soigné.

Du point de vue recrutement, il n’y a pas à s’exagérer les difficultés. Deux ou trois prêtres suffisent : deux vicaires et un professeur ou aumônier par exemple. Pour fournir le chœur, on peut imaginer des jeunes vivants à la communauté : sorte d’externat presbytéral pour aspirants au sacerdoce continuant cependant à fréquenter leur école, ou pour collégiens ne désirant pas vivre internes en de grandes casernes. De plus, il n’est peut-être pas chimérique de penser que certains vieux retraités désireux de recueillement, mais ne voulant ni s’engager, ni se transplanter ni abandonner leurs relations familiales, viendraient volontiers apporter leurs petites rentes et rendre bien des services. On leur donnerait pour le chœur, ainsi qu’aux enfants, un costume en quelque sorte religieux. (cf. aluminat et oblats des monastères bénédictins)

La chapelle idéale serait bien entendu l’Église. Car, si le curé y consentait, la communauté ne désirerait pas du tout se confiner dans une piété aristocratique ; mais serait heureuse de donner le spectacle d’une piété sacerdotale profonde.

Du point de vue financier, dans le but de sauvegarder à chacun la liberté de se retirer, et de simplifier ces questions qu’une générosité initiale faite d’illusions embrouille parfois, la communauté vivrait du régime des maisons de famille. La maison et le matériel seraient la propriété d’une fondation indépendante des membres. Un économe laïque ou ecclésiastique assurerait la vie journalière et percevrait de chaque membre communautaire une cotisation correspondante aux repas et aux nuits fournies par la fondation. Ainsi pas d’histoires.

Ceci permettrait comme on l’a déjà dit au chapitre de la famille, à chacun, de recevoir ses parents : il paierait en conséquence pour eux comme pour lui.

Certes ce n’est pas ainsi que l’on a coutume de former « un petit cénacle ». Ce projet n’a pas l’élan d’un appel à une sainteté commune, à un programme de mortification, à un idéal exaltant. C’est vrai ; mais il ne prétend que favoriser la vie intérieure de chacun par le dehors. Normalement une intimité, des idées, des enthousiasmes communs, naîtraient d’une telle vie. Mais ils ne sont pas présupposés ; si par suite des caractères, des âges ou des circonstances, ils ne venaient pas, cette vie de communauté liturgique garderait cependant sa valeur.

Conclusions : projets

Contents de notre réalisation, nous nous sommes promis de recommencer. Des projets ont été imaginés. L’un lointain encore… un pèlerinage à Jérusalem, en campant à travers la Palestine. D’autres plus proches. On a proposé, pour nous entraîner aux déserts du Proche-Orient, de nous réunir en Tunisie ; nous y aurions des facilités. Mais ce projet soulève des difficultés financières. Pour nous rendre là-bas, nous dépenserons une assez grosse somme qui diminuera les fonds pour la Palestine. De plus, il semble bien que nous ne pourrions y avoir aucune action apostolique, ce qui nous tient beaucoup à cœur.

Voici un autre projet qui aurait pour but d’éviter le reproche de dispersion causée par un camp volant ininterrompu.

Nous nous rendrions dans un presbytère de paroisse sans prêtre, dont nous ferions notre quartier général qui assurerait mieux nos offices, et nos chapitres. L’installation y serait cependant digne de la sainte Pauvreté. De là nous rayonnerions sur les autres paroisses sans prêtres de la région, où nous donnerions une petite séance. Partout où cela serait possible, nous organiserions une petite cérémonie religieuse. Nos expéditions pourraient se prolonger grâce à la tente ; ce qui nous donnerait tout de même le charme du campement. Nous pourrions ainsi entrer en un contact plus étroit avec la population, nous occuper des enfants et aussi visiter les malades et les vieillards.

[1] Chez Bérulle, le terme d’« abbaye voyagère » s’applique à l’état prépascal du Christ.

[2] Décédé fin 2002, le chanoine Viry fut des décennies durant l’une des grandes personnalités du diocèse de Langres.

[3] Originaire du diocèse de Soissons, Henri Godet est présent aux Carmes durant deux années (1932-1933 et 1933-1934) mais il doit quitter le séminaire pour des raisons de santé.

[4] Sans modification. Seuls l’orthographe et la ponctuation ont été modifiés pour le confort de la lecture. Hormis la « Note du rédacteur », les notes sont de M. Emmanuel, qui a établi le texte et rédigé cette introduction, et de la rédaction de Résurrection. Sont ici uniquement publiées les parties II. Réalisations, et III. Les Chapitres. On trouvera l’ensemble du texte, y compris l’introduction et la partie I. Diaire, dans les pages 1099-1127 de la thèse de Michel Emmanuel, Devenir prêtre dans l’entre-deux-guerres, Les années de formation de Mgr Maxime Charles, thèse d’histoire soutenue à l’Institut d’études politiques de Paris (C.H.S.P.), le 13 décembre 2011.

[5] Note du rédacteur : chaque société, au dire de nos maîtres sociologues, a ses rites spéciaux. Nous ne manquâmes pas à la règle. Nous eûmes une liturgie propre, élémentaire encore, mais qui ne demandait qu’à se développer. Aux heures traditionnelles si pleines de sens nous chantions l’Angelus breton en français, et pour joindre à la peine l’élévation chrétienne, nous lavions la vaisselle en psalmodiant le Miserere. Le Benedicite fut de même toujours chanté à la façon des bénédictins.

[6] Illisible.

[7] Douteux.

[8] Spécialité franco-provençale, déjà connue de Rabelais (« matafain »), le matefaim est une crêpe épaisse à laquelle on incorpore divers ingrédients, épinards, lardons… (variante salée) ou fruits secs (variante sucrée).

[9] Mot illisible.

[10] Rayé : « sainement distrayant ».

[11] Rayé : « l’ennui ».

[12] Rayé : « et la sécheresse dans la piété ».

[13] Rayé : « Mais la communauté ne favorise le travail intellectuel qu’à la condition de… posséder un supérieur intellectuel lui-même. »

[14] Douteux. Rayé : « et outré ».

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