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Jacques, frère du Seigneur

Catherine Bergot

Les travaux récents des historiens et archéologues ont remis en lumière un personnage qui joua un rôle clé dans l’Église pendant les années qui suivirent la résurrection du Christ, mais qui fut par la suite assez largement oublié : il s’agit de Jacques, « le frère du Seigneur ». Celui-ci est intéressant en ce qu’il nous permet, par ses relations avec les deux piliers de l’Église que sont Pierre et Paul, de mieux connaître le fonctionnement de l’Église naissante, les efforts déployés et les difficultés rencontrées par les Apôtres pour annoncer la bonne nouvelle à la fois au peuple d’Israël et aux païens. Nous le connaissons d’une part par les ÉEcritures (évangiles, Actes des Apôtres, lettres de Paul), d’autre part par des historiens anciens (Flavius Josèphe et Eusèbe de Césarée) et des textes apocryphes.

De quel Jacques s’agit-t-il ?

Les textes du Nouveau Testament font mention de plusieurs Jacques (ou Jacob). Ce grand nombre de personnes s’explique par le fait que c’était un prénom très répandu à cette époque chez les juifs. Certains sont bien situés, d’autres restent dans l’ombre :

  1. Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean (Mc 1, 19), était pêcheur au bord du lac de Tibériade, comme Simon et André. C’est là qu’il fut appelé par Jésus pour faire partie du groupe des douze Apôtres, et avec son frère Jean, fut surnommé par Jésus « fils du tonnerre » (Mc 3, 17).
  2. Jacques, fils d’Alphée, fut aussi un des Douze (Mt 10, 3 ; Mc 3, 18 ; Lc 6, 15 )
  3. Jacques, dit « frère de Jésus » ou « frère du Seigneur » (Mt 13, 55 ; Mc 6, 3). C’est lui qui apparaît comme chef de l’Église de Jérusalem dans les Actes des Apôtres (Ac 12, 17 ; 15, 13 ; 21, 18) et les épîtres de Paul (Ga 1, 19 ; 2, 9 ; 2, 12 ; 1 Co 15, 7)
  4. Jacques le petit, mentionné dans les récits de la Passion du Seigneur (Mc 15, 40 ; 16, 1 ; Mt 27, 56 ; Lc 24, 10)
  5. Jacques, père d’un troisième apôtre parmi les Douze : Jude (Lc 6, 16 ; Ac 1, 13).
  6. Jacques, auteur de l’épître qui porte son nom (Jc 1, 1).
  7. Jacques, frère de l’auteur de l’épître de Jude (Jude 1, 1).

Les deux plus connus sont l’apôtre Jacques, fils de Zébédée, qui fut mis à mort par Hérode Agrippa en 44 (Ac 12, 2), et Jacques, le frère du Seigneur, qui fut à la tête de l’Église de Jérusalem. Selon une tradition ancienne, rapportée par Eusèbe dans son Histoire ecclésiastique [1], mais qui n’apparaît pas dans le Nouveau Testament, ce dernier fut surnommé aussi « Jacques le Juste ». Un autre nom, « Jacques de Jérusalem », a été introduit récemment pour souligner son rôle de chef de l’Église de Jérusalem. C’est lui dont il sera question ici.

Jacques, frère de Jésus

L’expression « frère de Jésus » pour désigner Jacques a suscité maintes questions sur les liens de parenté exacts qui pouvaient exister entre les deux hommes, ainsi qu’avec les autres membres de la famille de Jésus auxquels il est fait référence dans les évangiles.

Matthieu et Marc rapportent la visite de Jésus à Nazareth, et, à cette occasion, nous apprennent comment s’appellent les autres membres de la famille. C’est là que sont donnés les noms des frères de Jésus, avec une légère variante dans l’ordre de citation : « N’est-ce pas là le fils du charpentier ? N’a-t-il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? » (Mt 13, 55-56). « N’est-ce pas là le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joset, de Jude et de Simon ? Et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? » (Mc 6, 3).

Les noms des sœurs ne sont pas cités dans le Nouveau Testament, ni leur nombre. Il est vrai que les femmes avaient un rôle plus effacé dans la société juive de cette époque. On remarque que Jacques est toujours cité en premier, suggérant qu’il devait être l’aîné de la fratrie, donc celui qui avait pour rôle de représenter la famille.

L’interprétation de l’expression « frère » de Jésus a suscité des débats très tôt après la disparition des témoins oculaires, et trois théories ont vu le jour pour expliciter les liens de parenté de Jésus avec Jacques et ses autres « frères ».

  • La théorie dite « épiphanienne » a été soutenue par Épiphane, évêque de Salamine, qui s’appuie sur le Protévangile de Jacques, écrit apocryphe du milieu du IInd siècle. Jacques et ses frères seraient des enfants d’un premier mariage de Joseph, donc des demi-frères de Jésus. Joseph aurait épousé Marie lorsqu’il avait déjà atteint l’âge de quatre-vingts ans, après son veuvage, ses enfants étant déjà adultes à la naissance de Jésus. Son grand âge faisait exclure toute relation conjugale avec Marie, ce qui ne contredisait pas la foi des chrétiens en la naissance virginale de Jésus, ni en la virginité perpétuelle de Marie. Cette théorie fut soutenue aussi par des Pères de l’Église éminents tels que Clément d’Alexandrie, Origène, Eusèbe de Césarée.
  • La théorie helvidienne, du nom d’Helvidius, un de ses défenseurs et théoricien à la fin du IVe siècle, fut soutenue très tôt par des groupes comme celui des ébionites, et au IIIe siècle par Tertullien. Selon cette théorie, Jacques et ses frères et sœurs seraient les enfants de Joseph et Marie, nés après Jésus. Ils seraient donc les frères de sang de Jésus, au moins les frères utérins si l’on tient à garder le caractère surnaturel de la naissance de Jésus. Le principal défaut ce cette théorie est qu’elle est incompatible avec la foi en la virginité perpétuelle de Marie, adoptée et tenue fermement dès les premiers temps de l’Église, même si elle n’a pas fait l’objet d’une définition dogmatique. Le point de vue helvidien fut déclaré hérétique à la suite des réfutations de saint Jérôme, mais reparaît périodiquement, en particulier ces dernières années, à la suite de travaux récents de critique historique sur la Bible.
  • La théorie hiéronymienne fut exposée par saint Jérôme pour réfuter spécifiquement la thèse d’Helvidius qui devenait de plus en plus populaire. Pour saint Jérôme, les frères de Jésus sont des cousins, fils d’une sœur de sa mère, appelée aussi Marie. En effet, parmi les femmes présentes au pied de la croix, Matthieu cite Marie, mère de Jacques et de Joseph (Mt 27, 56), et Marc cite Marie, mère de Jacques le petit et de Joset (Mc 15, 40). Jean cite la mère de Jésus, et la sœur de sa mère, Marie de Clopas. Il est donc possible d’identifier Marie, femme de Clopas, avec la mère de Jacques (le petit) et de Joseph, ou Joset.

De plus, Jérôme identifie Jacques, le frère du Seigneur, avec Jacques, fils d’Alphée. Pour cela, il se fonde sur le passage de l’épître aux Galates où Paul parle de sa visite à Jérusalem : « Ensuite, après trois ans, je montai à Jérusalem rendre visite à Céphas et demeurai auprès de lui quinze jours ; je n’ai pas vu d’autre apôtre, à part Jacques, le frère du Seigneur » (Ga 1, 18-19). Des deux apôtres prénommés Jacques parmi les Douze, il ne pouvait s’agir du fils de Zébédée, qui était déjà mort, donc le frère du Seigneur dont parle Paul serait le fils d’Alphée. Jérôme regroupe donc en un seul personnage Jacques fils d’Alphée, Jacques frère de Joseph (Joset), Jude et Simon, et Jacques le petit, fils de Marie de Clopas. À l’appui de cette thèse, certains auteurs ont pu montrer que « Alphée » et « Clopas » seraient deux traductions grecques possibles du même nom araméen [2].

Le personnage composite décrit par saint Jérôme fut appelé ultérieurement dans la tradition catholique Jacques le Mineur (à cause de son surnom de « petit » en Mc 15, 40) ; il se distingue bien de Jacques, le fils de Zébédée, qui s’est vu attribuer en conséquence le nom de Jacques le Majeur. La théorie de Jérôme fut cautionnée par saint Augustin et est restée dans la tradition de l’Église catholique. C’est ce Jacques qui est fêté avec saint Philippe le 3 mai, alors que Jacques le Majeur, honoré à Compostelle, est fêté le 25 juillet.

L’assimilation en un même personnage du fils d’Alphée et du frère du Seigneur avait été avancée par saint Jérôme, pour démolir l’idée que ce « frère du Seigneur » serait un frère de sang de Jésus. La mère de ce personnage, Marie de Clopas, ne pouvait ainsi être confondue avec Marie, la mère de Jésus, ce qui confirmait la virginité perpétuelle de Marie. Mais ce rapprochement est discuté actuellement, car jugé un peu artificiel, sans que cela remette en cause les liens entre Jésus et ses frères. Il y aurait donc deux personnages différents : Jacques « frère de Jésus » serait un membre de la parenté proche de Jésus ou du groupe de familiers appelés globalement « frères de Jésus », alors que Jacques, fils d’Alphée, serait un des douze apôtres choisis par Jésus au début de sa vie publique.

Frère ou cousin ?

La polémique sur les liens de parenté entre Jacques et Jésus vient de l’utilisation dans les évangiles du mot grec adelphos, qui signifie habituellement frère, au sens de fils de la même mère, au lieu du terme anepsios qui désigne le cousin. Or, contrairement à ce que voudraient faire croire ceux qui affirment que Marie et Joseph ont eu plusieurs enfants après Jésus [3], on trouve dans la Bible de nombreuses occurrences de terme adelphos dans un sens plus large que celui de simple frère de sang. Paul l’utilise à maintes reprises dans ses épîtres. De fait, il désigne le plus souvent un membre de la même communauté religieuse (1 Co 1, 10), quelqu’un dont on est proche en religion (cf. Rm 9, 3 ou l’histoire de Tobie [4] en Tb 5, 9-22), ou bien un voisin (Mt 5, 22), ou un demi-frère (tels Hérode Antipas, qui fit décapiter Jean Baptiste, et Philippe, époux d’Hérodiade, Mc 6, 17-18) ou encore un membre de la famille au sens large.

Comme c’était le cas chez les peuples du Moyen-Orient à cette époque – et encore de nos jours – le terme de frère ou sœur ne se limitait pas aux enfants de parents communs, limitation qui est le propre des civilisations occidentales modernes, attachées à ces précisions quasi notariales et à un mode de vie familial resserré, bien différent de celui qui constitue l’arrière-plan des écrits néo-testamentaires. Ce n’est donc pas forcer le sens du mot adelphos, faute dont on a accusé saint Jérôme, que de l’entendre comme désignant une personne proche, dans tous les sens du terme, c’est-à-dire avec qui on a des affinités et des liens étroits, soit par la religion, soit par l’amitié, soit par les centres d’intérêts, soit par la parenté.

Jacques avait donc des liens privilégiés avec Jésus. Il le connaissait vraisemblablement depuis l’enfance, à Nazareth, et en tant que familier de Jésus, il accompagnait quelquefois celui-ci ; ainsi, dès le début du ministère de Jésus, il était présent aux noces de Cana, avec Marie et les disciples, et on voit qu’il le suivait de temps à autre dans ses divers déplacements en Galilée. Mais lui et les autres frères formaient un groupe à part, distinct du groupe des Apôtres ou des disciples en général.

Les relations familiales

Comme les Apôtres, Jacques et ses frères étaient déconcertés par le comportement de Jésus et ne le comprenaient pas. C’est à cette occasion que Jésus donne une nouvelle définition de la vraie famille (Mt 12, 46-50 ; Mc 3, 31-35 ; Lc 8, 19-21) : à l’entourage de Jésus lui signalant que sa famille est là et le cherche, celui-ci répond que ses parents (mère, frère ou sœur) sont ceux qui font la volonté de Dieu. Jésus enseigne là que les vraies relations avec lui, et l’union avec Dieu, passent par l’accomplissement de la volonté de son Père plutôt que par les liens du sang. Elles ne sont pas un privilège acquis par la naissance, mais une communion qui résulte d’une libre adhésion à la volonté du Père, à la suite de Jésus lui-même qui a toujours œuvré pour l’accomplissement de la volonté divine. Elles ne sont d’ailleurs pas non plus un privilège acquis par favoritisme comme l’aurait souhaité la femme de Zébédée pour ses fils (Mt 20, 20-21).

Dans l’évangile de Marc, cet épisode est précédé d’un passage où la famille de Jésus veut « se saisir de lui, car ils disaient : ‘il a perdu le sens’ » (Mc 3, 21). En s’appuyant sur ce passage, plusieurs commentateurs ont cru bon de mettre en avant une situation conflictuelle entre Jésus et sa famille biologique [5]. La réponse de Jésus traduirait un rejet, un reniement de sa parentèle, en réaction à cette hostilité supposée. Or, ce passage n’apparaît pas chez Matthieu ni chez Luc, pas plus qu’aucune autre trace d’antagonisme entre Jésus et sa famille. Chez Luc, la réponse de Jésus laisse même entendre que sa famille biologique est incluse dans la famille eschatologique. Le passage de Marc est plutôt une invitation pour ses proches, ainsi que pour ses auditeurs, à faire la volonté de Dieu.

Un autre passage témoignant de l’incompréhension des proches de Jésus est cité dans Jn 7, 3-5 : « Ses frères lui dirent donc : ‘Passe d’ici en Judée, que tes disciples aussi voient les œuvres que tu fais : on n’agit pas en secret quand on veut être en vue. Puisque tu fais ces choses-là, manifeste-toi au monde’. Pas même ses frères en effet ne croyaient en lui ». Leur incompréhension et leurs difficultés à croire étaient peut-être plus grandes encore que celles des Apôtres, car, ayant toujours vécu dans la compagnie et le voisinage de Jésus, son passage à la vie publique, prêchant, guérissant les malades et violant le repos du sabbat, tranchait d’autant plus avec le mode de vie de soumission et d’obéissance à ses parents et à la Loi (Lc 2, 51-52) qu’ils avaient partagé avec lui jusque-là, et avait de quoi les surprendre [6].

Pourtant, malgré leur incrédulité manifestée avant la Résurrection et l’Ascension du Seigneur, Jacques et ses frères sont restés avec les disciples, et ils se retrouvaient ensuite régulièrement rassemblés dans la prière, dans la chambre haute du Cénacle, avec les onze Apôtres et Marie la mère de Jésus (Ac 1, 12-14). Ils étaient aussi présents à la Pentecôte et ont donc fait partie des fidèles de la première heure qui ont constitué l’Église naissante.

Jacques et le concile de Jérusalem

C’est d’abord par les Actes des Apôtres et l’épître aux Galates que nous sont connues les actions de Jacques dans les premiers temps de l’Église. Les mentions de ses interventions sont peu nombreuses mais ont donné lieu à de nombreux commentaires, plus ou moins spéculatifs.

Cependant, tous les commentateurs s’accordent pour constater que Jacques occupait un rang très important dans l’Église mère de Jérusalem, et ce dès le début de l’Église. On le voit de façon particulièrement nette à l’occasion de ce que l’on nomme ‘concile de Jérusalem’.

Au début de leur mission, les Apôtres évangélisaient les gens qu’ils fréquentaient habituellement, c’est-à-dire les milieux juifs pratiquants. Pierre prêchait souvent dans le Temple. Quand les Apôtres allaient dans une ville, c’était d’abord à la synagogue. C’est là que, aussitôt après sa conversion et son baptême, Paul se met à évangéliser : « Il passa quelques jours avec les disciples à Damas, et aussitôt il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, proclamant qu’il est le Fils de Dieu » (Ac 9, 19-20). Le message de la Résurrection du Christ a donc d’abord été adressé aux Juifs, mais les Apôtres franchirent bientôt les limites du monde juif pour s’adresser aux païens. Le nombre des croyants augmentait, et surtout de ceux venus du paganisme. Les responsables de l’Église se trouvèrent alors rapidement confrontés à une question urgente : quelle conduite tenir vis-à-vis des non-juifs, des Gentils qui se convertissaient et adhéraient à la foi ? Devaient-ils devenir juifs comme eux ? Fallait-il leur imposer d’obéir à la loi de Moïse, de se faire circoncire et de suivre les règles de pureté que tout juif pieux se devait de respecter ? Au début, il semble qu’ils aient agi de façon empirique et pragmatique : Timothée, compagnon de Paul, avait été circoncis, pour ne pas choquer les juifs (Ac 16, 3), mais ce ne fut pas le cas de Tite (Ga 2, 3). Le centurion Corneille et sa famille ont aussi été baptisés après avoir reçu l’Esprit Saint, mais sans être d’abord soumis à la circoncision ni à aucune autre condition préalable : « Alors Pierre déclara : ‘Peut-on refuser l’eau du baptême à ceux qui ont reçu l’Esprit Saint aussi bien que nous ?’ Et il ordonna de les baptiser au nom de Jésus-Christ » (Ac 10, 47-48).

Cet épisode, suivi des nombreuses conversions ultérieures opérées par Paul à Antioche et ailleurs, fut à l’origine du ‘Concile de Jérusalem’ (Ac 15, 1-29). Le vrai problème n’était pas de savoir si les Gentils pouvaient devenir chrétiens, mais s’ils devaient être circoncis et suivre la loi de Moïse pour être sauvés : « Cependant certaines gens descendus de Judée enseignaient aux frères : ‘Si vous ne vous faites pas circoncire suivant l’usage qui vient de Moïse, vous ne pouvez être sauvés’ » (Ac 15, 1). C’était la position de l’entourage de Jacques (Ga 2, 12), mais les différents points de vue sont exposés. Dans son discours, Pierre défend l’idée que les païens peuvent aussi être sauvés et qu’on ne peut leur imposer la circoncision : « Et [Dieu] n’a fait aucune distinction entre eux et nous, puisqu’il a purifié leur cœur par la foi » (Ac 15, 9). Paul et Barnabé exposent à leur tour « tout ce que Dieu avait accompli par eux de signes et de prodiges parmi les païens » (Ac 15, 12). C’est ensuite Jacques qui fait la synthèse et prend les décisions.

Jacques apparaît comme le médiateur entre Paul et les judéo-chrétiens. En citant le prophète Amos, il replace le débat dans l’histoire de l’élection du peuple d’Israël. Le dessein de Dieu est que toutes les nations viennent à lui et soient rassemblées en lui. Pour Jacques, cela sera possible quand la maison d’Israël sera relevée de ses ruines. La restauration d’Israël a été commencée avec le ministère de Jésus, dont la mission était de reconstituer le peuple élu, comme au temps des prophètes. La conversion des païens est l’accomplissement de la prophétie d’Amos. En tant que chef des judéo-chrétiens, Jacques pense que son rôle est de continuer ce qu’a commencé Jésus, c’est-à-dire continuer d’œuvrer pour la restauration d’Israël. Le Christ n’a pas introduit une nouvelle religion, mais il est venu accomplir la Loi, comme il le dit lui-même : « N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir […]. Celui donc qui violera un de ces moindres préceptes, et enseignera aux autres à faire de même, sera tenu pour le moindre dans le Royaume des Cieux ; au contraire celui qui les exécutera et les enseignera celui-là sera tenu pour grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 5, 17 et 19 ). Jacques a pris ces paroles au pied de la lettre : l’observance de la Loi est le signe visible de l’appartenance au peuple élu, et les différents préceptes de cette Loi sont toujours la voie d’accès privilégiée vers Dieu. Il n’envisage donc pas que les judéo-chrétiens abandonnent la Loi qui les identifie et les distingue du monde environnant. Comme il y avait des « étrangers résidents » en terre d’Israël, à qui s’appliquaient aussi une partie des règles de pureté (Lv 17), Jacques admet qu’il peut y avoir dans l’Église des païens convertis [7]. Il accepte la mission auprès des païens et même la soutient : ceux-ci peuvent avoir part au salut, mais ils doivent aussi manifester leur appartenance au peuple sauvé par l’observance de quatre préceptes de pureté seulement (Ac 15, 19-20).

Jacques, chef de la communauté de Jérusalem

Au cours du concile, Jacques apparaît bien comme le chef de la communauté de Jérusalem. C’est lui qui reçoit les participants, anciens et apôtres présents à Jérusalem, et venant d’Antioche où la question avait surgi de façon plus pressante. Il préside les débats et, après avoir écouté les arguments des parties en présence, prend la décision finale. Les décisions seront mises par écrit en accord avec les anciens, et portées aux différentes Églises par des hommes choisis car faisant l’unanimité, et spécialement mandatés pour qu’elles y soient appliquées (Ac 15, 22-29).

Juste après la Pentecôte, ce sont surtout Pierre et Jean qui tenaient le devant de la scène dans les Actes des Apôtres. Nous retrouvons ensuite Jacques au moment de la persécution du roi Hérode Agrippa contre les Apôtres. Après avoir exécuté Jacques, le fils de Zébédée, Hérode fit arrêter et emprisonner Pierre qui fut miraculeusement délivré et put s’échapper malgré la garde renforcée et les chaînes (Ac 12, 1-11). Avant de quitter Jérusalem, il prit seulement le temps d’aller raconter sa libération et de faire prévenir Jacques : « Mais il leur fit de la main signe de se taire et leur raconta comment le Seigneur l’avait tiré de la prison. Il ajouta : ‘Annoncez-le à Jacques et aux frères’. Puis il sortit et s’en alla dans un autre endroit » (Ac 12, 17). Le fait que Jacques soit la seule personne nommément désignée est le signe de l’importance du rôle qu’il tenait déjà dans la communauté de Jérusalem. De même, lorsque Paul revient de son deuxième voyage, il demeure un peu avec Pierre, et va aussi saluer Jacques, pour lui rendre compte de sa mission. À ce moment-là, les principaux personnages de l’Église de Jérusalem sont Jacques, Pierre et Jean d’après saint Paul : « et reconnaissant la grâce qui m’avait été départie, Jacques, Céphas et Jean, ces notables, ces colonnes, nous tendirent la main, à moi et à Barnabé, en signe de communion » (Ga 2, 9). Là aussi, Jacques est nommé en premier. Les voyages missionnaires des apôtres et de Paul étaient à leurs débuts et la communauté des chrétiens de Jérusalem, avec Jacques à leur tête, si elle n’était plus coextensive à l’ensemble de l’Église, tenait toujours la première place.

Jacques avait autorité sur l’Église de Jérusalem, mais aussi sur les autres Églises ; il est tenu régulièrement informé de ce qui se passe dans les autres communautés et organise la répartition des missionnaires chez les nouveaux convertis pour les baptiser et les consolider dans la foi (Ac 8, 14 ; 11, 1 ; 11, 22). Comme on l’a vu, Paul lui-même vient lui rendre compte de ses voyages missionnaires (Ac 21, 17-19 ; Ga 1, 18-19 ; 2, 1-2).

Le partage des repas

Une fois tranchée la question de l’observance des préceptes de la Loi de Moïse, se posa ensuite le problème pratique du partage des repas. Les Juifs pieux évitaient de fréquenter les païens, encore plus de les recevoir chez eux. C’est ce que dit Pierre chez le centurion Corneille : « Vous le savez, il est absolument interdit à un Juif de frayer avec un étranger ou d’entrer chez lui. Mais Dieu vient de me montrer, à moi, qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur » (Ac 10, 28). C’est à la suite d’une vision que Pierre a bravé l’interdit. A l’exemple du Christ qu’on voit souvent dans les évangiles prendre des repas chez les publicains et les pécheurs, ce qui lui fut aussi reproché, Pierre continua à partager ses repas avec les païens convertis. Mais lorsque des envoyés de Jacques arrivèrent à Antioche, il cessa de le faire pour ne pas les choquer. En effet, pour les judéo-chrétiens, si le fait de convier un païen à sa table est acceptable, car le repas est préparé selon les règles de pureté, le fait d’être invité chez un païen présente le risque de devenir soi-même impur. Lorsqu’il s’agit d’un païen converti au christianisme, il n’y a pas de risque de manger des aliments consacrés aux idoles, mais les aliments ont-ils été préparés selon les règles de pureté ? Les judéo-chrétiens de l’entourage de Jacques refusaient donc de partager les repas avec les pagano-chrétiens. Pierre, ayant cessé de le faire en présence des judaïsants, a été vivement repris par Paul qui lui reprochait d’une part son manque de logique d’autre part la caractère ambigu de cette attitude qui laissait entendre que les nouveaux convertis issus du paganismes n’étaient pas des chrétiens à part entière (Ga 2, 11-14). Le risque était aussi de voir se constituer deux communautés parallèles. Car au-delà de simples questions de convives et de préparations culinaires, cela posait le problème du partage du repas eucharistique. Comment envisager que tous ne puissent pas communier ensemble au même corps du Christ et constituer un seul peuple ? L’unité de l’Église était en jeu. C’était donc un sujet brûlant qui divisait les premiers chrétiens. En tant que chef de la communauté de Jérusalem, Jacques a dû contribuer à régler ces questions nouvelles posées à la jeune Église.

Jacques et Pierre

Certains commentateurs pensent que l’autorité de Jacques sur l’Église de Jérusalem et sur les autres Églises lui aurait été conférée par Pierre lorsque celui-ci dut quitter Jérusalem après s’être échappé de prison pour fuir la persécution (Ac 12, 17). On a vu en effet que c’est Jacques qui dirige le ‘concile de Jérusalem’, et non pas Pierre qui est pourtant présent. Mais il reconnaît l’autorité de Pierre, et tient compte de l’avis de celui-ci avant prendre sa décision.

Tout ceci, joint au fait qu’après le ‘concile de Jérusalem’ il ne soit plus fait mention de Pierre, dans les Actes, a fait dire que Jacques était de fait le vrai chef de l’Église, et aurait mérité le titre de pape [8].

Or cela ne correspond pas à ce qu’on connaît de Pierre dans le Nouveau Testament. Dans les évangiles, Pierre avait été accepté et reconnu comme chef des Apôtres, conformément au choix du Christ (Mt 16, 18-19) ; il est toujours nommé en premier dans la liste des Douze (Mt 10, 2-4 ; Ac 1, 13) , et c’est lui qui parle au nom du groupe (Lc 9, 20). Dans les Actes des Apôtres, c’est lui qui prend l’initiative de nommer un remplaçant à Judas pour compléter le groupe des Douze (Ac 1, 15) ; immédiatement après l’effusion de l’Esprit à la Pentecôte, il fait le premier discours devant la foule rassemblée. À plusieurs reprises par la suite, il aura bien le rôle de dirigeant. Mais sa mission est celle qu’a confiée le Christ aux douze Apôtres : « Ayant convoqué les Douze, il leur donna puissance et pouvoir sur tous les démons et sur les maladies pour les guérir. Et il les envoya proclamer le royaume de Dieu et faire des guérisons » (Lc 9, 1-2). De même, à la fin de l’évangile de Matthieu, Jésus dit aux Apôtres : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19). Au moment de l’Ascension, Jésus réitère cette mission : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). La mission de Pierre, et des Douze, est donc d’annoncer la bonne nouvelle.

En quittant Jérusalem pour échapper à la persécution, Pierre va donc repartir et reprendre son activité de missionnaire itinérant, à la façon du Christ, alors que Jacques a une mission sédentaire de gérance et d’organisation de la communauté de Jérusalem, l’Église-mère. Jacques avait déjà ce rôle même avant le départ de Pierre : dans sa lettre aux Galates, Paul le reconnaît comme « colonne » dans l’Église, ainsi que Pierre et Jean (Ga 2, 9). Chacun, à sa façon, était ainsi fidèle à la mission que lui avait confiée le Christ. Il ne s’agit donc pas de guerre des chefs ou de luttes d’influence sur fond de poursuite de l’hégémonie et de prise de pouvoir.

Jacques et Paul

Les relations entre Jacques, frère du Seigneur, et Paul, le nouveau converti, sont apparemment plus difficiles. Paul, lui aussi, reconnaît et accepte l’autorité de Jacques ; il suivra et fera appliquer les décrets apostoliques : « Dans les villes où ils passaient, ils transmettaient, en recommandant de les observer, les décrets portés par les apôtres et les anciens de Jérusalem » (Ac 16, 4). Jacques et Paul étaient tous deux des juifs zélés et respectueux de la Loi, mais ils avaient pourtant des conceptions différentes de la conduite à tenir vis-à-vis des pagano-chrétiens, comme on le voit dans le récit de la visite de Paul à Jacques et aux anciens, lors de son retour à Jérusalem après son troisième voyage missionnaire. Pour Paul, le salut vient de la foi en Jésus-Christ, et la Loi juive ne joue plus aucun rôle dans le salut des chrétiens : Et cependant, sachant que l’homme n’est pas justifié par la pratique de la Loi, mais seulement par la foi en Jésus-Christ, nous avons cru, nous aussi, au Christ Jésus, afin d’obtenir la justification par la foi au Christ et non par la pratique de la Loi, puisque par la pratique de la Loi, personne ne sera justifié (Ga 2, 16). La Loi avait un rôle pour annoncer et préparer la venue du Christ, mais maintenant elle est devenue caduque : Avant la venue de la foi, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, réservés à la foi qui devait se révéler. Ainsi, la Loi nous servit-elle de pédagogue jusqu’au Christ, pour que nous obtenions de la foi notre justification. Mais la foi venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue. Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans le Christ Jésus. Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtus le Christ : il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous, vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. Mais si vous appartenez au Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham, héritiers selon la promesse.(Ga 3, 23-29)

Ces propos avaient donc de quoi inquiéter les judaïsants, pour qui la Loi était le cadre nécessaire à l’expression de leur foi. Ils acceptent que les païens adhèrent à la foi chrétienne sans avoir à suivre l’ensemble des préceptes de la Loi, en particulier le circoncision, mais seulement les quatre préceptes du décret apostoliques, mais les Juifs de naissance, eux, ne doivent pas abandonner la Loi en devenant chrétiens et vivre comme les païens convertis. Paul va se plier au vœu de naziréat qu’on va lui demander de suivre comme preuve de son identité juive et de sa fidélité à la Loi (Ac 21, 23-25), pour ne pas choquer ses interlocuteurs, mais il ne croit pas en son rôle salvifique. Vis-à-vis des judéo-chrétiens, il adopta toujours une position pragmatique, pour ne pas heurter de front les juifs pieux convertis, dont il respecte la foi et les pratiques, mais il ne se fait pas d’illusions sur l’efficacité de la Loi seule.

C’est là qu’il rejoint en réalité la position de Jacques, toujours attaché à l’observance de la Loi. Dans l’épître qui lui est attribuée, Jacques ne dissocie pas la foi et les œuvres : l’une sans l’autre est également stérile.

A quoi cela sert-il, mes frères, que quelqu’un dise : ‘j’ai la foi’, s’il n’a pas les œuvres ? La foi peut-elle le sauver ? […]. Veux-tu savoir, homme insensé, que la foi sans les œuvres est stérile ? Abraham, notre père, ne fut-il pas justifié par les œuvres quand il offrit Isaac son fils sur l’autel ? Tu le vois : la foi coopérait à ses œuvres et par les œuvres sa foi fut rendue parfaite. Ainsi fut accomplie cette parole de l’Ecriture : Abraham crut à Dieu, cela lui fut compté comme justice et il fut appelé ami de Dieu. Vous le voyez : c’est par les œuvres que l’homme est justifié et non par la foi seule (Jc 2, 14-24).

Les œuvres sont pour Jacques la manifestation visible de la foi. Cela va dans le même sens que la parole de Jésus : « Croyez-m’en ! Je suis dans le Père et le Père est en moi. Croyez du moins à cause des œuvres mêmes » (Jn 14, 11). C’est pourquoi Jacques insiste tellement, dans son épître, sur l’attention aux pauvres.

Il est intéressant de voir que Jacques et Paul, pour exposer leur théologie de la justification, s’appuient tous deux sur l’exemple d’Abraham et font explicitement référence au même passage de la Genèse (Gn 15, 6). Mais alors que Paul souligne la foi d’Abraham, par laquelle seule il est justifié (Ga 3, 6 ; Rm 4, 3), Jacques évoque le sacrifice d’Isaac qui montre la foi d’Abraham en action (Jc 2, 23). Pour lui, la foi ne peut exister en dehors des œuvres, des actes concrets posés par l’homme, par lesquels celui-ci obtient la justification, tandis que pour Paul, la foi qui justifie est l’œuvre de Dieu.

Pour résoudre cet antagonisme apparent, à la suite de saint Augustin [9] il faut voir qu’en fait Paul et Jacques ne parlent pas exactement de la même chose : Paul considère quelqu’un qui s’ouvre à la foi : celle-ci est bien un don de Dieu, gratuit, sans mérite ou bonne action préalable de la part de l’homme qui la reçoit. Jacques parle de la foi active de quelqu’un qui est déjà croyant, et qui l’exprime par ses actes. Les deux visions sont donc complémentaires.

Poursuivant sa mission de propagateur du message de son « frère » Jésus, Jacques reprend des éléments du sermon sur la montagne (Mt 7, 24-29), où le Christ affirme l’importance d’une vie basée sur le roc qu’est la foi en lui. Paul fait aussi l’éloge d’une vie fructueuse par ses actions, qui permet de « grandir dans la connaissance de Dieu » (Col 1, 10). Les contextes différents dans lesquels s’exercent leur mission, les différentes personnes auxquelles ils s’adressent, les juifs pour Jacques, les païens pour Paul, expliquent aussi ces formulations apparemment antagonistes et incompatibles. Mais les deux se retrouvent dans la nécessité de l’observation de la seule Loi parfaite : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Jc 2, 8).

Jacques, martyr

Bien qu’il ait eu une position importante dans l’Église-mère de Jérusalem et qu’il ait joui d’un grand prestige chez les judéo-chrétiens, nous connaissons finalement peu de détails sur la biographie de Jacques. En dehors des textes canoniques, les principales sources de renseignements sur lui sont Flavius Josèphe dans ses Antiquités juives, à la fin du premier siècle, et Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique, au IVe siècle, qui s’appuie largement sur l’œuvre de prédécesseurs, qui ne sont pas antérieurs au IInd siècle.

Flavius Josèphe, au cours de son récit centré sur le grand prêtre Anan, rapporte les circonstances de la mort de Jacques, ce qui permet de la dater de 62 : le procurateur de Judée Festus venait de mourir, et son successeur Albinus, envoyé par Néron, n’était pas encore arrivé à Jérusalem. Le grand prêtre, profita de l’absence des autorités romaines pour réunir le Sanhédrin, faire accuser Jacques d’avoir transgressé la Loi, et le faire lapider sous ce prétexte. Les pharisiens mécontents allèrent à la rencontre d’Albinus et se plaignirent de cette exécution expéditive, non justifiée à leurs yeux. En conséquence, Anan fut destitué par le roi Agrippa II. Ce récit, chez un historien non chrétien, prouve encore, s’il est besoin, que Jacques était un personnage public, important et respecté, puisque sa mort a entraîné la destitution du grand prêtre.

Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique [10], nous donne plus de détails sur la mort de Jacques, en se référant d’abord à Clément d’Alexandrie. C’est Clément qui donna à Jacques le surnom de Jacques le Juste. Pour Clément, Jacques a été le garant de la fidélité de la tradition entre Jésus et l’Église. Les circonstances de sa mort sont différentes de celles relatées par Josèphe : il fut précipité du haut du pinacle du Temple, et comme il vivait encore après sa chute, il fut battu à mort avec un bâton de foulon. Eusèbe rapporte aussi le récit d’Hégésippe [11] (fin du IInd siècle), beaucoup plus détaillé, qui semble être la synthèse des deux précédents : après avoir été jeté du pinacle du Temple, Jacques fut lapidé puis frappé à mort avec un bâton. Il fut enterré à cet endroit, au pied du Temple. Le bâton de foulon est devenu depuis le symbole du martyre de Jacques et son signe distinctif dans ses représentations iconographiques.

Jacques frère du Seigneur, Jacques le Juste, fut une figure majeure de l’Église naissante, à côté de Pierre, Jean, et Paul. A cause de sa réputation de sagesse et de droiture, de la proximité de sa relation avec le Seigneur, il fut reconnu et respecté unanimement en tant que chef de la communauté chrétienne de Jérusalem, et gardien de son ancrage dans l’histoire du peuple élu. Chacun suivant sa mission propre, Jacques chez les judéo-chrétiens, Pierre et les Apôtres chez les Juifs, Paul chez les païens, ont annoncé et proclamé Jésus ressuscité. Le nombre des croyants augmentant rapidement, la jeune Église a dû s’organiser et a été confrontée à des situations nouvelles : le problème de l’accueil des païens et du partage de repas non-conformes aux rites de purification. Elle a dû inventer de nouvelles règles de fonctionnement dans le respect et la fidélité à la Loi, souvent avec des conflits et des discussions, surtout entre Jacques et Paul.
C’est finalement la vision de Pierre et de Paul, dégageant les convertis des obligations de la Loi, qui l’a emporté sur celle de Jacques, fidèlement ancré dans la tradition juive qui a conduit au Messie. Mais tous trois sont morts martyrs, témoins de l’unique Seigneur, et nous ont ainsi transmis la bonne nouvelle du Christ, chacun suivant sa mission propre.

Catherine Bergot, enseignante hospitalo-universitaire à l’Université Paris VII.

Cet article doit beaucoup à l’ouvrage de Patrick J. Haltin, James of Jerusalem, heir to Jesus of Nazareth (voir note 6).

[1] Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, trad. G. Bardy, SC 31, Paris 1952, 2001 ; II, ii, 2, dans un passage emprunté à Clément d’Alexandrie ; II, xxiii, 4, dans une citation d’Hégésippe.

[2] Cf. Paul-Laurent Carle, Les quatre frères de Jésus, éditions de l’Emmanuel, 2004, pp. 51-52.

[3] P.A. Bernheim, Jacques, frère de Jésus, Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, Paris, 2003, chapitre 1.

[4] Voir l’article de J.H. Sautel, « Compte rendu critique de l’ouvrage de G. Mordillat et J. Prieur, Jésus après Jésus, Seuil, 2004. », dans ce numéro.

[5] P.A. Bernheim, op. cit., chapitre 4.

[6] Ce passage pose toutefois les mêmes difficultés pour l’interprétation du terme adelphos que les précédents.

[7] Ce qui correspond sans doute exactement au statut de Corneille et des siens, ‘craignant Dieu’.

[8] P.A. Bernheim, op. cit., chapitre 8.

[9] Saint Augustin, De diversis quaestionibus LXXXIII Liber Unus 76, cité dans Patrick J. Haltin, James of Jerusalem, heir to Jesus of Nazareth, “A Michael Glazier Book”, Liturgical Press Publ., B. Green ed., Collegeville, Minnesota, USA, 2004, pp. 109-110.

[10] H.E. II, ii, 5.

[11] H.E. II, xxiii, 10-18.

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