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Je veux voir Dieu (P. Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus)

nouvelle édition revue et complétée sous la direction du P. Marie-Laurent Huet, o.c.d. et du P. Louis Menvielle, - éd. du Carmel, Toulouse, 2014, 1392 pp., notes bibliog., index.
M.C. Lefourn

Une neuvième édition de Je veux voir Dieu ! Le succès ne s’est pas démenti depuis la première édition en 1949. L’aventure commence en 1931. Le contexte de la canonisation de Thérèse de Lisieux n’y est pas étranger. Le P. Marie-Eugène, carme déchaux, répondait à la demande d’un groupe de jeunes femmes, enseignantes dans le secondaire et le supérieur, voulant vivre de l’esprit du Carmel et s’initier à l’oraison. Le P. Marie-Eugène donna une série de conférences destinées à les former, ensuite élargies à d’autres milieux, enseignement pratique qui faisait entrer de plain-pied dans la spiritualité carmélitaine à l’école des deux grands docteurs du Carmel, Thérèse d’Avila, Jean de la Croix et Thérèse de Lisieux dont le rayonnement ne cessait de croître. Les cours d’oraison se poursuivirent jusqu’en 1939.

Le volume Je veux voir Dieu reprit donc cette série de conférences que le P. Marie-Eugène voulait alors diffuser à l’intention du plus grand nombre. Pour structurer l’ouvrage, le P. Marie-Eugène prit le parti, qu’il évoque dans l’introduction de la première édition, de suivre l’itinéraire de l’âme décrit par Thérèse d’Avila dans le Château Intérieur, enrichi des apports de Jean de la Croix, repris avec sa touche très personnelle par Thérèse de Lisieux.

Quel intérêt, dira-t-on, de suivre les étapes décrites par Thérèse d’Avila dans Le Château Intérieur qui semblent d’une autre époque, aujourd’hui où l’on prétend avoir acquis une connaissance plus approfondie de l’âme humaine avec l’approche des sciences humaines et plus particulièrement de la psychanalyse ? Comment parler de l’expérience mystique sans y faire référence ? Pour répondre à cette question, il faut se rappeler que la vie intérieure ne se réduit pas à des états de conscience, mais s’inscrit dans l’histoire d’une relation définie par des étapes de croissance, celle de l’âme avec Dieu. Pour en parler, il faut des maîtres spirituels qui aient l’expérience de Dieu et celle des âmes, qui ont eux-mêmes franchi des étapes, au prix parfois de grandes difficultés, mais les ont résolues. Sainte Thérèse d’Avila a su décrire toutes ces étapes. Saint Jean de la Croix en éclaire différents aspects notamment sur le langage de Dieu avec l’âme dans la nuit de la foi.

En adjoignant la petite Thérèse aux deux grands docteurs, on pourrait penser que le P. Marie- Eugène voulait introduire une note de fraîcheur et de jouvence utile à son propos. Derrière Thérèse de Lisieux, il y a tout un public conquis d’emblée par la publication de l’Histoire d’une âme. Mais ce serait sous-estimer son intention : très tôt, il a su reconnaître dans les écrits de la petite Thérèse la portée doctrinale de sa spiritualité, authentiquement carmélitaine, bien avant que Jean-Paul II ne la proclame lui-même docteur de l’Eglise en 1997. Nourrie des écrits de saint Jean de la Croix et de la Madre, sa voie d’enfance concrétise cette ascension de l’âme dont parlent les deux grands docteurs et ouvre des perspectives nouvelles, notamment celle de rejoindre les plus petits, dans notre monde qui a tant besoin de la Miséricorde divine. Rien n’est plus actuel. Le P. Marie-Eugène démontre par là, et ce n’est pas d’un moindre intérêt, que le Carmel est porteur d’une tradition bien vivante qui ne cesse de s’approfondir et de se renouveler.

En cette année jubilaire, où l’on fête la 500e année de la naissance de sainte Thérèse d’Avila, il était judicieux d’enrichir la présente édition d’une introduction plus conséquente, et cela d’autant que la cause de béatification du P. Marie-Eugène est déjà bien avancée. Après les éléments biographiques sur le P. Marie-Eugène, l’histoire de la composition du texte nous fait entrer dans sa démarche spirituelle. On ne dissocie pas l’œuvre de l’homme. Des jalons pour la lecture nous sont donnés qui sont très précieux. Le P. Bernard Minvielle démontre avec intérêt comment l’ouvrage s’inscrit bien dans le contexte historique et spirituel du début du XXe siècle autour d’une question théologique qui fait débat, celle de savoir si l’expérience mystique est réservée à une élite ou ouverte au tout venant. Ensuite, le P. Raphaël Outré considère tout l’apport du P. Marie-Eugène à la théologie spirituelle. Cette introduction très fournie renouvelle l’abord de l’ouvrage.

Il n’est pas non plus négligeable que cette nouvelle édition se présente sous une forme attrayante et plus aisément consultable. Les index thématiques ont été mis à jour et les références bibliographiques sont plus abondantes. La lecture s’en trouve ainsi facilitée.

Il me parait bon de conclure que le livre du P. Marie-Eugène répond bien à ce besoin de notre temps de trouver des repères forts. Parler de vie intérieure semble un vrai défi, mais le Carmel est cette bonne terre dans laquelle on s’enracine et qui donne du fruit.

Réalisation : spyrit.net