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Jérôme lit l’Ecclésiaste

traduction, annotations, guide thématique de Gérard Fry, collection « Les Pères dans la Foi » n°77, Migne, 2001, 355p.
C.B.

Rédigé vers 388-389, le Commentaire sur l’Ecclésiaste de saint Jérôme est sa première œuvre exégétique. Parce que sa révision des Écritures et son ascétisme extrêmement rigoureux gênent beaucoup, il a été chassé de Rome après la mort du pape Damase, dont il était secrétaire, et s’est réfugié à Bethléem. Il destine son commentaire à un public restreint, composé essentiellement de ses disciples les plus proches.

Le commentaire ligne à ligne proposé par le saint docteur se veut clairement ascétique, conformément d’ailleurs à l’enjeu des querelles qui lui valent d’être persécuté. Il recueille au fil des versets une vision cohérente de la vie spirituelle ; il reprend et amplifie les antithèses entre sagesse et folie, entre vérité et vanité, pour défendre le renoncement au monde, animé d’une vision eschatologique et pénitentielle. Sa lecture n’élude pas les difficultés du livre, en particulier l’impression éparse d’une vision épicurienne mais également la contradiction qui pourrait surgir entre une vision pessimiste (soucieuse de contredire les réponses trop faciles aux questions du mal et de la souffrance) et l’optimisme chrétien. La sagesse ascétique y apparaît finalement à la fois comme épreuve et comme jouissance de la vie nouvelle que donne le Christ.

Cette lecture spirituelle chrétienne, souvent allégorique, est sans doute loin de l’interprétation philologique que l’exégèse moderne voudrait nous voir mener. De plus, le texte s’avère difficile d’accès, ce qui conduit Gérard Fry à construire sa présentation autour d’une question judicieuse : « pourquoi lire le Commentaire sur l’Ecclésiaste de Jérôme ». L’introduction fouillée et les notes nombreuses et précises qu’ils proposent constituent un instrument très utile pour s’interroger sur les fondements et le fonctionnement de la pratique exégétique de l’un des plus grands lecteurs de la Bible. Sa lecture spirituelle n’exclue nullement une grande précision littérale : il compare les traductions et les versions et, comme son commentaire est destiné à des lecteurs avertis, il s’inscrit dans une très grande proximité avec l’hébreu, beaucoup plus que dans la traduction définitive issue de l’hébreu qu’il donnera finalement. Son exégèse est éclectique, à la fois proche de la prudence antiochienne et inspirée çà et là d’Origène, elle est construite sur une hiérarchie des sens qui tendent à se juxtaposer simplement au fil des pages. Surtout, elle veut lire derrière les lignes un dynamisme de l’histoire du salut et du jeu entre les deux Testaments, dont l’expression culmine dans le commentaire du passage célèbre du chapitre 3, « un temps pour enfanter et un temps pour mourir », où il identifie tantôt la succession entre le temps présent et la béatitude finale, tantôt la succession entre le temps de la Loi et le temps de l’Évangile. Derrière cet apparent métaphorisme, il faut peut-être surtout contempler le mysticisme biblique qui fait la force de ce commentaire, qui lui permet de voir la lumière du Verbe irradier chaque mot de la Bible. Lorsqu’il médite cet appel au bonheur du chapitre 2, « il n’y a pas de bien pour l’homme sinon ce qu’il mange et ce qu’il boit », il nous fait partager son ardeur d’exégète et entrevoir « ces vraies nourritures et cette vraie boisson que dans les divins Livres nous trouvons tirées de la chair et de l’Agneau » (p.118).

La familiarité avec ce type de lecture n’est pas à négliger dans les réflexions contemporaines nombreuses sur l’herméneutique biblique.

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