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L’Esprit-Saint chez Basile de Césarée (P. Michel Corbin)

Paris, Cerf, 2010, 411 p.
P. Michel Gitton

Le traité du Saint-Esprit du grand évêque cappadocien est un classique publié tant dans la collection Sources chrétiennes que dans celle des Pères dans la foi. Des générations de théologiens en herbe s’y sont plongées, pensant trouver là un accès facile à la contemplation de la troisième personne de la Sainte Trinité. Beaucoup ont été refroidis par la sécheresse du propos et la minutie des analyses de divers passages des Écritures, envisagés selon la grille de lecture des prépositions employées (par, en, vers, avec...). La question souvent posée est de savoir pourquoi Basile, après en avoir tant dit sur l’égalité d’honneur qui doit être accordée à l’Esprit, semble hésiter à le dire de même nature que le Père et le Fils, ou encore « consubstantiel » à eux, comme le concile de Nicée l’avait déclaré des deux premières personnes. Prudence stratégique dans un temps où la formule risquait encore de surprendre ?

Tel n’est pas l’avis de Michel Corbin, qui parvient à nous convaincre que cette réserve cache le souci de ne pas enfermer la théologie trinitaire dans une logique des natures, où Dieu occupe l’étage supérieur et ne communique pas de façon vraiment personnelle avec les êtres qu’il a créés. Dans l’optique classique (pour laquelle il n’a pas assez de sarcasmes), c’est la Trinité tout entière qui est impliquée dans les œuvres ad extra, ce qui veut dire le plus souvent la nature divine indifférenciée. Le rôle des personnes divines n’est plus alors de nous faire entrer dans le jeu de leurs relations, mais chacune d’entre elles se voit attribuer une œuvre qui n’est pas plus la sienne que celle des autres et qui ne lui est rapportée que pour des raisons extrinsèques, ce qu’on appelle une « appropriation » (la création est rapportée au Père parce qu’il est le « principe » des autres personnes dans la Trinité, mais on peut aussi bien dire créateur le Fils ou l’Esprit). Il y a là une perte considérable, que le P. Corbin nous aide à saisir en montrant comment la révélation de l’Esprit nous fait entrer dans le jeu de surabondance qui est son rôle propre au sein de la Trinité.

De la même façon, la conviction que l’Esprit est impliqué personnellement dans la transformation de l’homme conduit à écarter l’idée d’une « grâce créée » comme interface nécessaire entre l’humain et le divin. Comme si Dieu lui-même ne pouvait pas assumer la médiation sans se salir les mains ! C’est au contraire le rôle de l’Esprit dans la déification du cœur humain qui montre qu’il ne peut donner que ce qu’il est : Dieu.

Cette conviction forte est obtenue au prix d’analyses minutieuses, ligne par ligne, de tout le traité (retraduit pour les besoins de la cause), en même temps que de rapprochements éclairants avec d’autres auteurs parfois fort éloignés du contexte patristique (Maître Eckhart, Jean de la Croix...), ce qui ne surprendra pas ceux qui connaissent l’acribie (en même temps que l’ouverture) des commentaires de saint Anselme auxquels Michel Corbin a attaché son nom. Mais il faut dire l’embarras et parfois l’énervement du lecteur au fil de ces pages où affleure sans cesse une polémique à peine déguisée, mêlée de formules incantatoires (le Dieu « plus que bon », la plénitude « que plus haute ne se pourrait atteindre », etc.), avec de temps à autres un éloge de la docte ignorance qui fait sourire quand on voit tout l’arsenal intellectuel mobilisé.

Mais à qui a poursuivi jusqu’au bout, sa patience est récompensée. Que de redécouvertes fraîches jalonnent cet exposé aride. On retiendra spécialement la façon de nous montrer comment la philanthropie divine s’accomplit dans l’action de grâce dont l’homme est rendu capable. Loin d’imaginer que l’amour de Dieu, pour être désintéressé, devrait mettre l’homme dans un état d’indépendance où il pourrait se réaliser sans reconnaître l’infinie bonté du Donateur, il montre comment l’autonomie croît à la mesure de la dépendance aimante (pp. 355-360).

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

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