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L’Essor du Christianisme Oriental. (Olivier Clément)

D.D.B., 2009, 140 pp.
P. Michel Gitton

Olivier Clément, avant de nous quitter, nous a laissé un très beau livre, de quoi nous donner à réfléchir sur le destin si imbriqué, malgré les incompréhensions et les violences, des Églises d’Orient et d’Occident, entendons : l’Église de Constantinople avec ses prolongements slaves et l’Église de Rome.

Compte tenu de la fantastique ignorance des Français sur l’histoire du Moyen Âge en général et du monde byzantin en particulier, l’entreprise s’avère plus que nécessaire, si on veut sortir des simplismes et des clichés. Et c’est un maître qui nous introduit dans sa méditation et nous fait partager ses découvertes d’un monde fascinant, où ruissellent la beauté, l’ascétisme, la rigueur intellectuelle, et un mystérieux humanisme de la Résurrection.

L’idée de base est que, pour l’Orient byzantin, la période qui va en gros du 8e au 13e siècle est le cadre d’une intériorisation des découvertes théologiques des siècles précédents (essentiellement centrées sur le Christ). Là, c’est le mystère du Saint Esprit qui est premier, avec pour corollaire la mise en valeur d’un chemin personnel de liberté intérieure, y compris dans l’Église, et la possibilité pour de nouvelles cultures de s’édifier dans une fidélité profonde à la source évangélique, mais dans une imprévisible nouveauté qui évoque le miracle de la Pentecôte.

En regard, le monde latin semble évidemment offrir un triste contraste : majoration de l’autorité du Siège Romain, intellectualisme rationalisant, cléricalisation du monachisme et de la société, usage de la violence pour préserver une chrétienté sacralisée, et, à la racine de tout, le dogme du filioque (l’Esprit Saint qui procède du Père et du Fils), cause de tous les maux. Olivier Clément est trop ouvert à la réalité du christianisme vécu pour ignorer les limites de ce tableau en contraste, il sait la puissance spirituelle de l’art roman, l’évangélisme profond du renouveau franciscain, etc... Mais il reste malgré tout pour lui une tare profonde de l’Occident latin qui n’a pas réussi à exorciser ses démons, le rationalisme et le juridisme, qui dérivent l’un et l’autre de ce qui aurait pu être sa force, son sens de l’efficacité.

Le constat est certainement injuste et on se dit que, pour dénouer l’écheveau et se situer en vérité face à nos frères orthodoxes, il faudra sans doute continuer à les écouter avec respect et sympathie, mais les aider aussi à sortir d’un système de justification, qui a sans doute été nécessaire, quand il arrivaient en Occident, pour se situer face à un Catholicisme alors triomphant, voire triomphaliste, mais que leur dénonciation de l’« hérésie latine » laisse encore place à beaucoup d’approximations (on sait aujourd’hui que l’introduction du Filioque dans le Credo ne date pas de Charlemagne, mais est nettement plus ancienne, en Espagne notamment, que l’intangibilité du Credo de Nicée-Constantinople n’a pas été arrêtée tout de suite, etc...). Il faudra pouvoir dire que la vision d’une « Église indivise » ou Église des sept conciles, merveilleusement réunie dans l’accord des cinq patriarcats, est une vue de l’esprit qui laisse de côté non seulement le « proto-schisme », si lourd de conséquences, entre l’Église pagano-chrétienne et la synagogue, mais la terrible séparation avec les chrétiens d’au-delà du Jourdain, qui est scellée après Chalcédoine (451) et laisse en dehors de la vie de l’Église (romaine et byzantine) tout un patrimoine littéraire, théologique et mystique que l’on redécouvre aujourd’hui. [1]

Il faudra encore à tous un peu de temps pour apprendre à respirer à deux poumons, comme nous y a invités Jean-Paul II !

P. Michel Gitton, ordonné prêtre en 1974, membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

[1] Cf. le dernier numéro de la revue Résurrection (DDB) consacré à ce thème, « Le christianisme au-delà du Jourdain » (n°128).

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