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L’accomplissement des Écritures

Jacques-Hubert Sautel

Le thème de l’accomplissement des Écritures renvoie, pour un disciple de Jésus-Christ, à deux réalités distinctes et cependant dépendantes l’une de l’autre : le mystère insondable de la venue de Dieu au sein d’un peuple nourri par une révélation consignée en de saintes Écritures, le peuple juif ; l’attente des derniers temps, où l’univers entier verra enfin les conséquences ultimes de cette révélation et de cette Incarnation pleinement manifestées. L’accomplissement des Écritures, c’est donc à la fois Jésus exprimant la plénitude des Écritures juives – « Qui rencontre Jésus-Christ rencontre le judaïsme » a répété le pape Benoît XVI aux jeunes réunis à Cologne cet été, à la suite de son prédécesseur Jean-Paul II –, mais c’est aussi nous-mêmes, appelés à revivre le chemin d’obéissance filiale de Jésus, pour faire passer ce monde au Père.

Dans cette perspective, il n’est pas inutile de redécouvrir l’histoire de la primitive Église : la naissance historique de la religion chrétienne, comprise comme un rameau se développant sur le tronc de la religion juive, s’est faite progressivement, au sein de communautés de juifs convertis, apportant aux nouveaux convertis venus du paganisme, la maturation des Écritures, scrutées, méditées, et vécues dans la liturgie, à la suite de ce que Jésus lui-même a dit et fait : c’est l’objet de l’article de Jean Lédion.

Ensuite, il convient de bien mesurer que cette maturation des Écritures juives par les chrétiens ne doit plus se faire aujourd’hui contre le judaïsme, ce qui fut certainement le cas historiquement en partie – il n’y a pas de naissance sans rupture, nous rappellent les psychologues – , mais dans le dialogue avec le judaïsme contemporain. Il faut ici apprécier sereinement l’enracinement de la Nouvelle Alliance dans le terreau de l’Ancienne. À la lumière du Concile Vatican II, l’enseignement de la déclaration Nostra Aetate de 1965 a été rappelé et très profondément développé par la Commission biblique pontificale en 2001 : c’est ce que nous explique Sébastien Ray.

À ces rappels sur les données de l’histoire et du magistère, l’enseignement dispensé personnellement par le Cardinal Jean-Marie Lustiger, qui a vécu dans sa propre vie l’enracinement du christianisme dans le judaïsme, apporte un complément original et non négligeable. Il nous montre en effet le risque considérable d’une conversion incomplète à Jésus-Christ que fait courir le mépris ou l’ignorance de l’élection du peuple d’Israël : conversion incomplète qui deviendra vite trahison et nouvelle paganisation de la foi chrétienne. Isabelle Rak nous rappelle ces enjeux en analysant l’ouvrage du Cardinal, La Promesse, paru en 2002.

Il restait à vérifier dans un simple essai d’exégèse biblique la tension existant dans les premières Écritures chrétiennes entre une transition fermée et une transition ouverte dans le passage du judaïsme au christianisme : c’est l’objet du dernier article de ce dossier, dédié à une comparaison entre la Lettre aux Hébreux et le fameux passage de l’épître aux Romains sur l’irréversibilité des dons de Dieu. Il permet de montrer la justesse de l’option prise par la déclaration Nostra Aetate, qui apparaît aujourd’hui comme la meilleure voie pour marcher à la suite de Jésus-Christ.

Humblement nous tentons ainsi d’entendre la double promesse que nous proclame la liturgie de la fête de la Toussaint : « J’entendis le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau : ils étaient cent quarante-quatre mille, douze mille de chacune des douze tribus d’Israël (…). Après cela, je vis une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, races, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, avec des palmes à la main » (Ap 7, 4. 9). Tribus d’Israël et foule des nations, tous nous sommes appelés à accomplir les Écritures, chacun selon le dessein que Dieu nous manifeste en Sa bonté.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

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