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L’observance, vertu de durée

Edouard Garros

L’observance est une exigence, c’est un sommet, ou peut-être une ligne de crête, qu’il nous faut poursuivre. De ce tranchant tomberaient deux versants, un manichéisme pharisien et un laxisme hédoniste, païen. La métaphore semble se poursuivre d’elle-même. Cette ligne de crête poursuit un sentier vers le sommet. Et ce sentier, c’est la juste morale.

Il ne faut pas croire que l’adret (le laxisme) soit païen et l’ubac (le rigorisme) chrétien. La soumission excessive aux lois et à la nature, stoïcisme comme confucianisme, constituent un vrai obscurantisme. Pour ces philosophies, la loi des choses est immédiate. Toute nouvelle méditation/médiation, scientifique ou théologique, devient alors, a priori, impossible. Pour peu que l’on s’accorde qu’il n’y a pas de méditation et de recherche sans médiation. L’attitude, saine en apparence, d’une rigueur radicale, absolue, étouffe la transcendance, la foi, l’amour.

Mais le sentier du juste milieu n’est pas meilleur. A l’issue de confrontations trop rapides de ces lignes de forces, se lisent toujours de nouvelles mœurs païennes sans cesse renouvelées en apparence, mais toujours soumises à la même dialectique. Seule une pensée de la miséricorde peut s’éloigner de ce piège. En effet, l’accomplissement de la Loi, ce mouvement qui lui permettra de quitter ses scléroses, ne peut naître, selon notre foi, que du mouvement d’amour et de Rédemption inauguré par le Christ.

Une morale de Seigneur, « la loi morale en moi », comme marque de l’athéisme

Saint Paul marque fortement le primat de la Foi et de l’amour sur une loi sclérosée parce qu’autojustificatrice. Si l’on retire l’amour, il reste un ersatz de Nietzsche, fier et orgueilleux de son humanité et de sa foi en l’homme, mais mort « comme un airain qui sonne » (1 Co 13, 1). Si l’on retire la foi, il reste un ersatz de Kant, absorbé dans une rigueur admirable mais au son vide d’une « cymbale qui retentit ».

La pure observance en justice est un miroir aux alouettes. Croire qu’en son cœur on peut connaître et, finalement, juger la loi, c’est une démesure de païen, de créateur d’idoles. Ce moi éthéré de la conscience qui se pose en arbitre est une invention trop récente (des Lumières) qui ne fait que justifier une morale finalement individuelle que rien ni personne n’authentifie plus. Et ce constat vaut aussi bien pour les fidèles zélotes d’une loi parfaite, parce que terrible et inhumaine, que pour les ambitieux fondateurs d’une nouvelle morale à la mesure de l’homme, souple, royale et inventive. Face à la Loi, le nouvel Adam n’est pas seulement Roi, mais il est Prêtre et Prophète, gardien d’un trésor qui le dépasse.

Une attitude morale ou amorale ne serait que formelle. Et l’observance précise et continue des commandements de Dieu, de la Loi maintenant parachevée et accomplie, cela demande davantage de respect et d’humilité, davantage d’amour et de Foi.

Une morale de chrétien : « Priez sans cesse »

Le christianisme n’est pas une secte de surhommes marchant en haut des cimes. Beaucoup peinent au fond de la vallée. Et le Christ leur apporte un pardon, un amour et une espérance. L’espérance de ces pauvres a été disséquée par nos moralistes Thomistes puis Jésuites. Il s’agit de la casuistique, voire de la gradualité – une forme paradoxale de l’observance par l’inobservance provisoire. Mais pour que ces formes gardent sens, il faut qu’elles quittent leur lieu de naissance, il faut qu’elles quittent les chemins toujours plus glissants de la consolation morale et qu’elles deviennent prière.

L’homme ne peut prier longuement sans marquer sa prière par une liturgie, une pratique, une morale. Les moines notent ainsi leurs règles et l’observance qui s’y rattache. Et cette Loi, fille de l’amour, est libératrice, elle est don de Dieu. C’est en dialoguant avec elle que l’on peut « prier sans cesse ».

La vocation d’aimer

L’observance de cette Loi qui naît de la prière se marque dans la durée. C’est aussi là qu’elle échoue. Et parfois gravement. Mais à ces fautes, il ne faut pas ajouter la condamnation. L’idolâtrie pharisienne d’une dure mais juste observance sert aussi parfois de repoussoir et d’excuse aux païens et aux pécheurs. Le découragement est rapide devant la dureté de la loi, ou plutôt devant notre propre faiblesse, ou parfois devant une souffrance muette, nue.

Mais l’observance n’est pas une règle morale. C’est un vœu d’amour. Un amour qui porte en lui ses ruptures et ses réconciliations, un amour qui est la plus haute exigence, lorsqu’il n’est pas un mensonge. Et seul cet amour peut donner l’humilité de la persévérance.

De même que la Loi, la dure Loi, est la fille et la servante de l’amour, de même l’amour et l’espérance trouvent une « petite voie » pleine de gloire vers une humble observance. Mais je n’en saurais rien dire... Sauf à prendre un exemple dans le problème de l’accoutumance.

Observance et accoutumance

L’observance se marque dans la durée, c’est à dire dans un processus non continu, discret disent les mathématiciens. En effet, la durée se donne comme une succession d’instants, une succession qui se marque par l’habitude.

Lorsque l’on parle d’observance, la difficulté ne vient pas de l’adhésion problématique à une pratique qui serait réputée bonne par d’autres, mais de la faculté de s’y maintenir. Les ennemis de l’observance sont donc principalement le temps et la pression sociale. Et ces ennemis se concentrent dans ce qui devient le contraire de l’observance : le vice, le vice compris comme une drogue, un abandon de sa propre volonté. Cette lèpre trouve son archétype dans l’onanisme, un abandon qui ruine dans la solitude. Le plaisir solitaire n’a pas d’autre ennemi que celui qui s’y adonne.

Prenons des exemples moins scabreux et plus d’actualité : les drogues. Il est vain de parler de quitter l’héroïne (la drogue la plus dure) à quelqu’un qui n’en veut rien entendre. Beaucoup de drogués ne font que parler d’arrêter, évoquant leur esclavage avec réalisme. D’autres refusent d’avouer leur vice, par une honte qui souligne un manque d’amour. Lorsque le pas se franchit, c’est d’abord une opération brutale et clinique : faiblesse, vomissements, douloureux maux de reins... Puis viennent les soucis, le spectacle du temps perdu. Ce travail de deuil est tellement destructeur que la rechute guette. Et nouveaux vomissements pour ce retour vers l’enfer. Seul un accompagnement amical peut permettre une vraie guérison.

La cocaïne est moins douloureuse. Il semble plus facile de s’en passer. Et c’est pour cela que l’on ne s’en prive plus. Il s’agit à chaque fois d’un extra, d’une exception, d’une petite fête.

Le drogué, est pris entre deux dangers opposés. Optimiste, il va se croire plus fort que sa drogue ; pessimiste, il va s’y soumettre avec désespoir. Pour sortir de l’accoutumance, il lui faut d’abord apprendre à s’aimer. La guérison vient du respect de son corps par amour. Un amour qui ne désespère pas et qui ne s’enorgueillit pas. Ce n’est que par cet amour, qui commence par l’amour de soi, Créature du Seigneur, que l’on peut quitter l’accoutumance et rentrer dans l’observance.

Le chemin parcouru vers une vie plus saine devient alors comme une mesure de l’amour et de la foi.

Edouard Garros, Né en 1968. Ancien élève de l’ESSEC.

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