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La Crise de l’origine. La science catholique des Évangiles et l’histoire au XXe siècle.

François Laplanche, Albin Michel, « L’Évolution de l’humanité », Paris, 2006.
Matthieu Cassin

François Laplanche, directeur de recherche honoraire au CNRS, publie ici une somme, qui fait suite à un autre ouvrage majeur, La Bible en France entre mythe et critique, XVIe-XIXe siècle, Paris 1994. L’œuvre qui nous retient ici se consacre à un champ plus étroit que le précédent, dans la mesure où l’étude du Nouveau Testament est privilégiée, et principalement du point de vue du contexte catholique. L’auteur ne s’est pas interdit des excursions dans les terres vétéro-testamentaires, mais ce ne sont que des éclairages adjacents au fil principal. On peut résumer ainsi le parcours du livre : partant de la situation de l’exégèse catholique au début du XXe siècle en France, qu’il définit comme science catholique, soumise étroitement aux positions très « conservatrices » du magistère, l’auteur décrit le processus de transformation de cette discipline, à travers l’acceptation progressive de la méthode historico-critique chez les exégètes et dans l’Église. Le parcours s’achève sur un regard porté sur les remises en cause de cette méthode, ou plutôt de son hégémonie dans le dernier quart du XXe siècle, et sur les autres lectures qui sont depuis lors proposées ; le terme choisi est celui des années 1980-1990, de la remise en cause de l’hégémonie historico-critique, en particulier autour du document de la Commission biblique L’interprétation de la Bible dans l’Église paru en 1993. La crise moderniste, à ce qu’annonce l’auteur, n’est pas traitée pour elle-même ; il est longuement question de ses conséquences, plus brièvement de son développement, et fort peu de ses sources, car la question a déjà été amplement traitée, en particulier par É. Poulat. Après les quelque six cents pages de texte, on trouve une série de notices bio-bibliographiques sur les personnages essentiels, puis une bibliographie et des index fournis.

L’ouvrage est d’un grand intérêt dans la mesure où il permet de dégager des lignes générales d’évolution, des rapports et des filiations, et de mettre ainsi en évidence des liens de proximité, d’amitié ou d’enseignement, qui ne sont pas évidents pour ceux qui n’ont pas vécu ces époques. L’appel assez large aux correspondances, aux comptes-rendus critiques et aux dossiers d’archives des ordres, des diocèses et des institutions d’enseignement permet de voir de l’intérieur les réactions et enchaînements, et contribue fortement à la reconstitution des différents climats et réseaux. La thèse présentée est celle d’une lente et souvent douloureuse victoire de l’exégèse progressiste, assimilée pour la période envisagée à l’exégèse historico-critique, au détriment d’une science catholique enfermée dans une apologétique dont les fondements scripturaires ne peuvent résister à l’étude du texte et de son élaboration. Si le tableau est assez convaincant jusqu’au concile, la présentation de la situation française postérieure, en particulier pour le rôle de l’ACFEB et les liens avec la pastorale et les traductions liturgiques, est parfois plus contestable et marquée par des a priori d’interprétation discutables. On finit par penser que toute innovation est bonne en soi, parce qu’elle est innovation ; si on peut suivre assez aisément l’auteur lorsqu’il s’agit des résultats de la science exégétique de la Bible, il est plus difficile de le faire sur les questions de pastorale, où les positions ne découlent plus de recherches scientifiques, mais d’opinions personnelles, comme c’est le cas pour la traduction liturgique de la sixième demande du Notre Père.

A cette importante réserve, il convient d’ajouter deux autres regrets, de nature fort différente, qui se font jour à la lecture de cette somme : la prise en compte limitée, de propos délibéré, du contexte international, surtout pour la deuxième moitié du XXe siècle, quand l’influence de la science protestante allemande ne prédomine plus ; l’enquête est ici à poursuivre, et ce n’est pas le domaine le plus aisé pour le lecteur ; pour la première moitié du siècle, au contraire, les filiations et liens internationaux, souvent plus évidents, sont largement décrits. Second regret, plus matériel : la large bibliographie est d’utilisation difficile pour la partie « Travaux », du fait du regroupement thématique (et chronologique pour les collectifs) sans index alphabétique.

On ne peut que se réjouir d’une telle somme, qui invite à reprendre des travaux d’importance, à les mieux comprendre dans leur contexte d’écriture et de réception, et à poursuivre les études d’histoire des communautés et des milieux scientifiques et religieux en des champs plus restreints. Une telle lecture permet d’aborder avec plus de recul les études exégétiques actuelles, en comprenant d’où elles viennent , le poids d’héritage qu’elles portent et les enjeux qu’elles constituent pour la diffusion de l’Évangile.

Les lecteurs de la revue trouveront, aux p. 511-512, un bref aperçu sur l’histoire ancienne de la revue Résurrection, à propos d’un article d’A. Feuillet, paru dans le numéro 32 (1970), à propos des débats sur la place de la Résurrection dans l’élaboration du témoignage évangélique, sur la « genèse de la foi pascale ». Cette étroite fenêtre laisse supposer à la fois l’ampleur du champ couvert par l’auteur, et qui ne peut apparaître directement en l’ouvrage achevé, et le travail à poursuivre.

Matthieu Cassin, Né en 1980, élève de l’Ecole Normale Supérieure.
http://matthieu.cassin.org

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