Rechercher

La Vierge au Livre. Marie et l’Ancien Testament

Philippe Lefebvre, o. p., Cerf, 2004.
Jacques-Hubert Sautel

Il a été beaucoup question de la Vierge Marie en 2004 : d’abord lors du dernier voyage de Jean-Paul II en France, venu le 15 août célébrer les 150 ans du dogme de l’Immaculée Conception (1854), sur les lieux où la Vierge Marie était apparue quelques années plus tard à la jeune Bernadette ; ensuite, de façon moins glorieuse pour notre pays, par la publication de deux livres qui ont suscité la rédaction d’une note de désapprobation, de la part de la Commission doctrinale de la Conférence des Evêques de France, et qui étaient signés respectivement du Père Domi-nique Cerbelaud, o.p. moins prudent certainement que lorsqu’il parle de la théologie d’Israël, et de Jacques Duquesne.

C‘est pourquoi nous sommes heureux de présenter un petit livre, passé davantage inaperçu, mais à notre avis de grande utilité et originalité pour comprendre et aimer la Vierge Marie aujourd’hui. Il s’agit pour l’auteur à la fois de situer Marie dans la continuité des personnages de l’Ancienne Alliance et en cohérence avec ceux de la Nouvelle, et en même temps de faire découvrir, à travers le visage de Marie qui se dessine ainsi, la participation proprement féminine au salut de l’humanité. Ce but est poursuivi grâce à un foisonnant et prodigieux exercice d’étude et de rapprochement de textes bibliques.

L‘introduction pose clairement la méthode employée : à l’image du Seigneur Jésus expliquant les Écritures à son sujet aux disciples d’Emmaüs (Lc 24), éclairer la figure de Sa mère par une série de rapprochements : horizontaux avec les femmes de son temps (Élisabeth, la prophétesse Anne, Marie de Magdala, etc. ; verticaux avec les femmes des temps passés d’Israël : Myriam sœur de Moïse, Ruth et Noémi, Rachel, la fille de Jephté, etc. ; mise en lumière des hommes de son temps, Joseph son époux, Jésus son fils. Ces rapprochements sont présentés au fil des chapitres, répartis en six parties, dont la succession n’est pas évidente à un lecteur cartésien — ce qui invite davantage à une lecture méditative, avec la Bible à côté de soi, qu’à une lecture systématique, d’autant que les mêmes passages reviennent plusieurs fois, analysés selon des angles différents, comme les pièces d’un grand puzzle qui se mettent progressivement en place.

Si nous suivons, pour donner quelques exemples des rapprochements que nous offre notre auteur, le plan simple en trois parties que l’introduction semblait indiquer, nous commencerons par les rapports de Marie avec les femmes de son temps. La figure d’Élisabeth, mère de Jean-Baptiste, s’imposant, on lira avec intérêt l’adjonction que fait l’auteur de la prophétesse Anne à ce couple de cousines pour nous présenter « trois grâces » : Marie, appelée « comblée de grâce » par l’archange Gabriel (Lc 1, 28), Élisabeth, dont le fils s’appellera Jean, c’est-à-dire « Dieu fait grâce », Anne, dont le nom même signifie « Grâce ». En ces trois femmes « gracieuses », Dieu habite soit par la maternité, soit par l’attente vigilante de Sa venue dans le temple, et à chacune il révèle sa Face. Mais elles ne sont pas seulement gracieuses par leur personnalité propre, elles le sont aussi par la collaboration vécue dans le service (Marie auprès d’Élisabeth) et dans la louange du Très-Haut : Élisabeth salue sa cousine sous l’action de l’Esprit saint et la bénit, Marie lui répond par le Magnificat ; Anne à son tour loue Dieu en présence de l’enfant Jésus, porté par sa mère au Temple pour la purification. À l’autre extrémité de l’évangile de Luc, trois femmes entoureront la nouvelle naissance de Jésus : Marie Madeleine, Jeanne et Marie, mère de Jacques (Lc 24, 10). « Deux d’entre elles portent un nom qui rappelle Marie, mère de Jésus, l’une est une Anne, Yo-Anna plus précisément, dont le nom est le féminin de Jean : ‘Dieu fait grâce’. Du début à la fin, des femmes comprennent, annoncent, magnifient la vie qui vient et qui triomphe » (p. 24).

Voici deux autres figures féminines, qui annoncent cette fois Marie dans l’histoire du peuple d’Israël. Myriam tout d’abord, la sœur de Moïse ; il nous est rappelé opportunément que le prénom est celui-même de Marie, puisque les traducteurs de la Septante ont rendu le prénom hébreu par Mariam, que le latin a repris en Maria. Or Myriam, la première Marie de l’histoire biblique, est mentionnée comme ayant entraîné avec elle un chœur de femmes, après le passage de la Mer rouge, pour chanter, avec les tambours et les instruments à cordes, le refrain que la liturgie de la Vigile pascale nous offre chaque année : « Chantons le Seigneur, car il a fait éclater sa gloire, il a jeté dans la mer cheval et cavalier » (Ex 15, 21). Notre auteur fait observer combien le Magnificat de la Vierge Marie reprend nombre de termes qui figurent dans le cantique de Moïse, auquel celui de Myriam fait suite : comme la sœur du Prophète, la mère de Jésus chante le chant de victoire du fidèle qui sait que Dieu a déployé son bras pour sauver son peuple.

Un autre texte, qui baigne davantage encore dans le mystère, contribue, sinon à éclairer, du moins à respecter le secret du cœur de Marie à l’Annonciation. C’est l’épisode de la fille de Jephté : avec beaucoup de savoir-faire, de prudence aussi — car il reconnaît que cette lecture n’est pas unanimement admise chez les exégètes — le P. Lefebvre fait découvrir, dans le récit difficile de l’offrande en holocauste de la fille de ce Juge d’Israël, la présentation, à mots couverts, d’une consécration féminine à la virginité. Il faut lire attentivement et en entier ce chapitre (p. 151-159), notamment la mise en valeur de l’événement par la célébration quadriannuelle qu’en font les femmes d’Israël (Jg 11, 40), pour comprendre combien le destin étrange de cette jeune fille annonce celui de la Vierge Marie, promise par son entourage elle aussi au bonheur des noces, mais qui ne connut pas non plus d’homme (Lc 1, 34, cf. Jg 11, 39), sans que pour autant ce sacrifice d’un bien naturel entraîne chez l’intéressée la tristesse, mais plutôt la joie et l’allégresse d’une donation de son être au Seigneur.

Enfin, nous dirons un mot de la manière dont la Vierge Marie nous est présentée comme éclairant le visage des hommes qui l’entourent, son époux Joseph, son Fils Jésus. En effet, l’auteur nous montre combien le rôle de Marie est bien de révéler à Joseph qu’il est « fils de David » (Mt 1, 20 = Lc 1, 27), afin qu’il puisse le révéler à son tour à leur fils selon l’état-civil, Jésus. Cette filiation si importante advient majoritairement par les hommes dans les généalogies des évangélistes, mais c’est une femme qui manifeste, à travers la paternité des hommes, celle fondamentale dont elle relève, la paternité de Dieu.

On l’aura compris, ce petit livre recèle de grandes richesses : sous les dehors parfois provocants de l’expression, qui apparaît dans certains titres « Les matriarches, 1. Sara, Rébecca » ou « Un homme est endormi, une femme est là » (d’Adam et Ève à Jésus et Marie de Magdala !), on découvrira une théologie sûre et un trésor de clefs pour les mystères de la vie de Jésus par Marie, ou la double vocation au bonheur des fils et filles de Dieu.

Jacques-Hubert Sautel, Né en 1954, oblat séculier de l’abbaye Saint-Pierre de Solesmes. Travaille au CNRS sur les manuscrits grecs (Institut de Recherche et d’Histoire des Textes).

Réalisation : spyrit.net