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La chute de l’Islam

Pierre-Henri Beugras

Le développement numérique de l’Islam, environ un milliard quatre cents millions d’individus, la propagation de l’islamisme comme idéologie politique depuis la fin des années soixante-dix, l’islamisation croissante des populations immigrées, l’affirmation et le développement identitaire musulman sont autant d’éléments qui, à la fois, fascinent et inquiètent.

S’il est admis que les empires et civilisations finissent d’une manière ou d’une autre par mourir, il ne semble pas en être de même pour les religions. Pourtant, si une religion constituée se lie ou, a fortiori, se confond avec un système social, surtout s’il comporte une pente impérialiste, celle-ci pourrait bien connaître l’expérience de la chute et, pourquoi pas, de sa disparition pure et simple.

Le propos de cet article est de démontrer que la situation actuelle de l’Islam, loin d’être le prélude d’une domination rêvée par les islamistes, est celui d’une chute inéluctable dont certains signes sont palpables.

D’une idéologie totalitaire à une autre

Révoltes et révolutions ont besoin d’un support idéologique. Ce support idéologique donne un sens à la mort de ceux qui veulent abattre le monde en place. En ce sens, toute doctrine révolutionnaire et toute révolution sont apocalyptiques. Le monde tel qu’il est doit être détruit par la violence pour laisser place à un nouveau monde enfin homogène, terminant par là-même le cours tumultueux de l’histoire. Ainsi la violence apocalyptique est justifiée par le rêve de l’extinction définitive de violence dans les sociétés humaines aux conflits et désordres permanents.

De la fin du XIXe siècle à celle du XXe, le socialisme - principalement sous sa forme marxiste - fut l’idéologie apocalyptique dominante. Le déclin du marxisme-léninisme précédant la chute de l’Empire soviétique, avant la dilution du marxisme chinois par le capitalisme, laissait sans support idéologique la tendance humaine à la révolution apocalyptique. La place était libre pour l’Islam, le Coran et le pétrole, nerf de la « mère des batailles ». Auparavant, les nationalismes arabes encore teintés de marxisme, financés par l’URSS, « modernes » par là-même, avaient cantonné l’Islam hors de l’espace politique. Les plaisanteries de Nasser à l’adresse du chef des frères musulmans qui lui demandait de faire porter le voile aux égyptiennes, « alors qu’il est incapable de le faire porter à sa fille », montrent à la fois la présence constante de l’ islamisme et sa faiblesse à l’époque, le marxisme étant l’idéologie dominante du moment.

Ainsi l’islamisme s’est substitué progressivement, mais rapidement à l’aune du temps de l’histoire, au communisme. La révolution iranienne est exemplaire à cet égard. Les communistes iraniens étaient la première opposition au Shah et à la monarchie dans les années 70. À la fin de cette décennie, c’est l’ayatollah Khomeiny qui, par un réseau puissant, élimina à la fois le pouvoir en place et les derniers communistes.

Il est remarquable que l’islamisme ait pris le pouvoir en premier lieu dans l’Iran chiite qui possède une sorte de clergé descendant d’Ali, gendre de Mahomet. Ce « clergé » aurait dû conduire à une séparation du temporel et du spirituel, mais celle-ci est rendue néanmoins impossible du fait de la place du Coran. Quant aux sunnites, la désignation d’un compagnon du prophète, Abou Bakr, comme calife a engendré dès le début la confusion des deux domaines et l’absolutisation du Coran. Il est à noter que les sunnites représentent plus de 85% des musulmans.

L’Islam : les ingrédients d’un totalitarisme théocratique

Comme pour beaucoup, la force principale de l’Islam est aussi sa faiblesse. Cette force-faiblesse est son livre : le Coran. Celui-ci est, par son appréhension, l’ingrédient principal de l’islamisme totalitaire. Détacher un texte de toute source humaine, donc le séparer de l’histoire, le délier de toute influence, engendre la cause principale du totalitarisme.

Ainsi, si l’Islam est « religion du livre », le Christianisme est religion de la Parole et de l’Incarnation. La notion de religion du livre absolutise celui-ci dans sa forme (la langue) et son contenu. Le livre étant disponible, accessible, l’homme peut donc mettre la main dessus. Plus précisément, le livre Coran est un non-livre au sens habituel. Il n’a de valeur qu’en arabe coranique, langue qu’une majorité de musulmans ne comprend pas. Se laisser guider par un livre qu’on ne peut lire donne aux rares interprètes un pouvoir considérable. Surtout sacraliser une langue dans son état particulier d’une époque et la faire procéder directement de Dieu crée les conditions d’un impérialisme au moins culturel en niant toutes sources venues d’une autre histoire, d’une autre culture, d’une autre langue. A l’inverse, pour les chrétiens, la parole de Dieu s’exprime en toutes les langues, comme le signifie la Pentecôte. La Bible peut être traduite sans perdre sa valeur et ainsi être appropriée par n’importe quelle culture. D’un côté, le Coran est un absolu et produit donc une religion du « livre » au singulier. De l’autre les livres composants la Bible sont des moyens parmi d’autres de recevoir la révélation de l’Absolu que, par nature, on ne peut « comprendre » et tenir dans un seul livre. Comprendre l’Absolu par la simple maîtrise d’une langue considérée de fait comme divine, c’est s’élever soi-même au rang d’absolu et se soustraire aux questions du vrai et du faux, du bien et du mal. Cette attitude est un choix. Un musulman peut choisir l’humilité face à la parole de Dieu et considérer que, si le Coran l’exprime, il ne pourra lui, parce que Dieu est Dieu, la comprendre au sens de la posséder, l’interpréter de manière parfaitement juste et l’utiliser à des fins humaines et immédiates. Si ce choix est possible, inéluctablement et dès l’origine, c’est l’inverse qui se produit le plus souvent : l’absolutisation totalitaire sera alors choisie, d’autant plus que ce choix est plus facile et donc plus tentant.

Le second élément est la question du mal et la réponse à y apporter. D’où vient le mal ? Quelle est sa nature ? Qui ou quoi peut nous en délivrer ? Ces questions expriment le caractère incontournable de l’Apocalypse. Le terme signifie « révélation », il s’agit de savoir si les hommes peuvent comprendre, au sens strict, de quoi il s’agit et surtout s’ils peuvent agir collectivement sur le sujet. Deux modes de connaissances sont en présence : la connaissance par révélation ou par compréhension. Je ne suis pas le maître de ce qui m’est révélé, je le suis de ce que je comprends. Ce qui est révélé dans l’Apocalypse de saint Jean, c’est que le Christ a déjà vaincu le mal, il est devenu ainsi le centre de gravité à la fois de l’histoire et de mon histoire. Les mouvements collectifs de l’histoire, crises sociales, calamités, guerres, ne sauraient se confondre avec la nature profonde de l’Apocalypse. Le Christ lui-même le dit, en soulignant que ces éléments sont « avant » l’achèvement, donc ne sont pas la fin. A contrario, l’Islam lie de fait les évènements de la communauté sociale et politique que forment les musulmans avec l’achèvement de l’histoire. La « grande épreuve » de la conversion intérieure du chrétien se transforme en Guerre Sainte ou djihad ou en « mère des batailles ». Alors que le chrétien est par principe détaché de son appartenance sociale terrestre par son appartenance céleste, la Communion des Saints, l’Islam est un attachement viscéral à « la terre d’Islam ». De ce fait, cette terre d’Islam est le bien, et le reste le mal.

Antagonismes totalitaires et radicalisation

Le totalitarisme se nourrit, entre autres, d’un antagonisme avec d’autres totalitarismes. L’inexorable montée en puissance d’un mode de vie hédoniste, manifestation extérieure d’un totalitarisme euphorique, nourrit la radicalisation totalitaire islamiste.

L’illustration la plus évidente de l’antagonisme totalitaire est celle du fascisme-nazisme avec le communisme. Cet antagonisme est aussi une alliance tacite à la fois idéologique et politique. Entre un national-socialisme hégémonique et un socialisme internationaliste la différence est ténue. En conséquence, une alliance politique circonstancielle pour accélérer l’anéantissement du vieux monde est possible et s’exprime à la fois avec le pacte germano-soviétique mais aussi avec les différents massacres et génocides perpétrés pour le plus grand bénéfice de l’un et de l’autre.

Ce qu’on appelle désormais civilisation occidentale s’exprime de deux façons, selon le point de vue où on se place. Elle est libérale économiquement, libertaire sur le plan sociétal, et s’est de fait débarrassée de ses racines judéo-chrétiennes et grecques. Pour l’islamisme, elle est « mécréante » mais encore identifiée au christianisme, notamment par le vocable de « croisés ». Ainsi le christianisme est le point de rencontre et de rejet entre l’occident libertarien et l’Islam. Ces deux mondes qui s’affrontent se voient eux-mêmes comme la fin de l’histoire. Tel est leur plus important point commun. Cependant leur similitude ne s’arrête pas là. L’un et l’autre sont communautaristes. Le multiculturalisme est en fait une vision culturelle impérialiste, niant paradoxalement les différences culturelles pour n’en faire que des folklores interchangeables regardés avec une condescendance méprisante. Quant à l’Islam, sa nature théocratique l’incline à détruire tout ce qui n’est pas lui. L’un et l’autre détruisent la culture, les libertariens par la soumission de l’esprit et de la science à la technique, l’Islam en niant les livres par le livre unique. L’un et l’autre nient la femme, le premier en en faisant un objet de voyeurisme, le second en cachant « l’objet » aux regards. Chaque pas de l’un et de l’autre vers son but engendre un mouvement inverse, réactif mais en fait semblable. Le burkini apparaît, un square nudiste est ouvert à Paris.

Spectateurs de cette course au néant, la tentation est grande de s’inféoder à l’un ou l’autre camp : horrifiés par le terrorisme et l’esclavagisme islamiste, accepter au nom de la guerre qui lui est menée de se dissoudre dans le consumérisme politiquement correct. Ou bien, solidaires d’un religieux diffus où toutes les religions sont considérées contre l’évidence comme voulant la paix, ‒ alors qu’elles sont simplement composées d’hommes avec leurs pentes, bonnes et mauvaises ‒, être les idiots utiles de l’islamisme, en voulant défendre « nos frères musulmans ».

Il s’agit là de deux impasses, la sagesse conseille de se garder à distance d’elles.

Des signes de la chute à la chute inéluctable

Il peut se passer un temps relativement long entre les signes de la chute et le constat que celle-ci est advenue. Ainsi les signes de décadence de l’Empire romain s’étendent sur plusieurs règnes et le constat de la chute de Rome vient bien après la disparition même de l’Empire. Il n’y a pas dans ce domaine d’avis de décès. Mais ceux qui ont des yeux et qui voient, et ceux qui ont des oreilles et entendent savent que rien de ce qui est humain ne dure. Le Christ lui-même s’interroge sur la permanence de la foi des hommes à l’heure de son retour…

Avant de désigner ce que sera la chute de l’Islam, il est possible de cerner des signes avant-coureurs.

  • Si l’islamisme attire, il repousse encore plus. Les phénomènes migratoires révèlent la fuite de millions de musulmans des terres d’Islam. Si quelques-uns rejoignent l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan ou l’Afrique, des millions fuient ces pays de violence et de misère. Il en fut de même du communisme qui ne contint sa population qu’au prix de murs, de barbelés, miradors et nids de mitrailleuses. Mais les boat people d’Asie attestent que les hommes fuient les paradis terrestres des systèmes totalitaires.
  • L’islamisme et la radicalisation s’accompagnent d’un usage et d’un trafic massif de stupéfiants, provoquant une profonde dégénérescence des individus et du tissu social.
  • La propagande et l’extension islamiques supposent des moyens financiers qui ne sont pas indéfiniment extensibles, dépendants qu’ils sont des cours d’une énergie fossile qui finira par être remplacée avant d’être épuisée.
  • Si une ou plusieurs générations s’islamisent, à un moment ou à un autre les suivantes pourront aussi bien s’en détourner.

Mais la chute inéluctable de l’Islam procède d’un syndrome plus profond. La survie de l’islamisme se joue dans une lutte à mort contre le monde tel qu’il est : plutôt la mort et le néant qu’un quelconque accommodement avec le réel. Pourtant, in fine, c’est le réel qui a toujours le dernier mot. L’illusion de la toute-puissance n’est pas la toute-puissance.

Notre situation peut se comparer à certains égards à celle de la destruction d’Israël en 70. Les zélotes, esséniens et sicaires, s’étaient radicalisés face aux blasphèmes, sacrilèges et profanations d’un empire romain qui venait de connaître les monstruosités de Néron. De pillages en provocations, jusqu’au « mariage » avec un eunuque ressemblant à Poppée, son épouse qu’il avait assassinée, tout concourrait à pousser Israël à une révolte apocalyptique en en appelant à Dieu pour sauver les croyants contre les mécréants. Flavius Joseph fut le témoin du double résultat de cet affrontement suicidaire :

  • La destruction de Jérusalem, la chute de Massada, l’extermination massive des juifs, la diaspora de quelques survivants et la disparition définitive de la forme originelle du judaïsme, celle liée au service du Temple.
  • La disparition de ce qui fit la grandeur de Rome, capable d’intégrer sans les détruire les peuples vaincus, la décadence et les prémices de la chute de l’Empire après celle de Jérusalem.

Ceux qui ont une foi obscurcie par leur passion où ils somment Dieu d’intervenir pour réaliser leurs propres plans et leur donner la victoire contre les « mécréants » créent les conditions de leur destruction inéluctable et rapide. Dieu ne se laisse pas embarquer dans nos projets politiques. Si on le croit, on ne peut que constater qu’il nous abandonne aux conséquences funestes de nos délires.

L’islamisme est donc en train de tuer devant nous l’Islam, en espérant une victoire absolue qui ne peut conduire, comme pour le nazisme et le communisme, qu’à une défaite absolue. Que restera-t-il après de l’Islam ? Quelques nostalgiques, un résidu religieux folklorique anachronique et dévalué moralement, des bâtiments, un Coran aux mains de la critique historique, quelques foyers de spiritualités musulmanes, celles qu’ont anathèmisées les islamistes.

Prêts pour après

Le propre du mal est qu’il revient toujours sous un autre visage, mais aussi tel qu’il est vraiment, fait de mort et de néant. Il ronge toutes les entreprises humaines mais disparaît aussi sous ses formes variées avec elles. Ce qui a sauvé le christianisme de la destruction d’Israël, c’est qu’il s’en est détaché et a épousé « un royaume qui n’est pas de ce monde ». Ainsi la puissance romaine n’a pu le contenir et l’éradiquer. Au contraire, ne s’étant jamais complètement identifié à une forme sociale et de civilisation, même s’il fut tenté de le faire, il devint le témoin de l’éphémère des empires et des royaumes et de la permanence de celui qu’a déjà inauguré le Christ.

Nous n’attendons pas ici-bas le rassemblement de l’humanité dans une vaste fourmilière unanime et soumise à une loi qui serait la nôtre. Toutes les expériences humaines voient se mêler inextricablement le meilleur et le pire, sans qu’il soit possible, par nos propres desseins et forces, d’y ôter le mal pour réaliser un monde parfait. En conséquence, tous les modèles de sociétés humaines disparaissent et reviennent aussi avec plus ou moins de ressemblance avec le passé. Cette vision de l’histoire nous permet le détachement qui, au contraire, condamne l’Islam à sa chute et l’islamisme à sa perte. En effet, c’est le cœur même de l’Islam qui disparaîtra avec l’islamisme, à savoir : l’espoir d’une communauté universelle et unanime guidée par le Coran.

Le chrétien, quant à lui, doit regarder l’après des sociétés à partir du Christ Alpha et Omega. Il doit savoir qu’il y aura toujours un après, tant que le Christ ne sera pas revenu dans sa Gloire achever à son heure l’histoire humaine. Jamais le monde tel qu’il est ne vivra dans le consensus et l’unanimité, n’en déplaise aux progressistes et islamistes.

A nous donc de nous tenir prêts pour l’après, en attendant d’autres illusions qui ne manqueront pas de venir et de revenir hanter l’histoire humaine, comme un lointain écho de la chute originelle.

Pierre-Henri Beugras, né en 1961, chef d’établissement dans l’enseignement catholique, professeur de philosophie. Membre de la communauté apostolique Aïn Karem.

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