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Chronique sémantique

« La foi »

Benedictus

Le pape Benoît XVI disait, lors de son récent voyage apostolique en Pologne (discours aux jeunes sur l’esplanade de Blonie, 27 mai 2006) : « Souvent Jésus est ignoré (…), est proclamé roi du passé, mais non du présent et encore moins de l’avenir ; il est cantonné dans le placard des demandes et des personnes qui ne devraient pas parler à haute voix en public ». S’il est bien vrai qu’on traite souvent ainsi la personne de notre Seigneur et maître, qu’en sera-t-il pour une notion qui semble bien abstraite, comme celle qu’exprime le mot de « foi » ?

Et pourtant, sans la foi, il est certain que les humains sont comme des invertébrés sans colonne vertébrale. Il est intéressant de consulter ici deux ouvrages parus en langue française, dont le second, le Catéchisme de l’Église catholique (1ère éd. en français en 1992) a éclipsé le premier, le Catéchisme pour adulte des Évêques de France (1991), par son universalité et l’étendue de sa matière ; toutefois, on peut maintenant relire le premier comme une propédeutique au second, une introduction qui pose des jalons limités, mais sérieux et utiles, pour le croyant.

Le CEF énonce ainsi : « La foi chrétienne ne se confond pas avec le sentiment religieux. Elle n’est pas une simple expérience, puisqu’elle naît de la Révélation de Dieu dans l’histoire et qu’elle est l’accueil de cette Révélation » (§ 15). Le CEC s’exprime à son tour : « La foi est d’abord une adhésion personnelle de l’homme à Dieu ; elle est en même temps et inséparablement l’assentiment libre à toute la vérité que Dieu a révélée »(§ 150). Sans insister sur les différences de langage entre les deux textes, on notera leur accord sur deux points fondamentaux constitutifs de la foi : la notion de révélation et celle d’adhésion (ou d’accueil).

Or que nous dit l’étymologie ? Elle nous apprend qu’à l’origine du mot « foi » se trouve le latin fides, « confiance (d’une personne en une autre) », d’où : « parole donnée ; respect de la parole, loyauté », et enfin « assistance, patronage ». Le langage de la foi s’enracine dans celui des relations humaines, des contrats passés et des traités conclus (latin foedus, « traité », d’où « fédéral, fédération ») ; la fides est pour les Romains le fondement de la société, de l’échange et de l’association entre les hommes d’une même cité ou d’un même Empire. Le point de départ est donc celui de l’adhésion à la parole d’un homme, celui de la confiance mutuelle entre deux personnes humaines. Qui pourrait dire, à la relecture des premiers chapitres évangéliques, que les premiers apôtres n’ont pas suivi Jésus pour cette raison ? « En passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée, assis au bureau de douane, et il lui dit : ‘Suis-moi’. Et se levant, il le suivit » (Mc 2, 14).

La foi c’est donc d’abord l’adhésion à une personne et à sa parole. La langue grecque souligne davantage encore la médiation de la parole : le mot « foi », pistis, est directement lié au verbe peithô, « persuader ». Pour ces amoureux de la parole que sont les Grecs, la foi est liée à une parole qui convainc et emporte l’adhésion de l’auditeur. C’est dans cette lignée que se place saint Paul, parlant de la révélation de Dieu à tous les hommes : « Or comment l’invoqueraient-ils sans avoir cru en Lui ? Et comment croiraient-ils en Lui sans d’abord L’avoir entendu ? » (Rm 10, 14). Et c’est aussi ce que saint Thomas d’Aquin exprimera dans sa célèbre maxime : auditu solo tuto creditur, « c’est par ce qu’on a entendu seulement qu’on parvient à une foi solide ». La foi est ici liée étroitement à l’adhésion à une parole et à un contenu de pensée.

La foi que nous professons en Jésus-Christ possède ces deux versants : d’abord l’adhésion vitale, depuis notre baptême, à la personne de Jésus, que nous osons vivre et affirmer, à la suite des apôtres. Oui, Jésus est passé sur notre chemin, dans notre enfance, notre adolescence, notre âge mûr ou notre vieillesse, et bien souvent, nous avons été éblouis par son regard, l’attention qu’il nous a manifestée personnellement, que ce soit dans le cœur à cœur de la prière ou l’accueil d’une communauté. Alors, nous avons décidé de le suivre. Mais, après ces élans spontanés, il y a aussi le travail de l’adhésion à un enseignement, à une vérité, le labeur d’une recherche exigeante de la vérité, balisée par des affirmations tranchées, que nous nommons dogmes, c’est-à-dire « objets de croyance, d’adhésion », et qui nous ont été révélés par Jésus-Christ à travers son Église. Ces deux versants de la foi, l’adhésion de l’homme à Dieu, et la révélation de Dieu à l’homme dans une Parole faite chair sont magnifiquement résumés par la réponse de Pierre à Jésus, qui mettait ses apôtres à l’épreuve sur leur volonté de le suivre ou de l’abandonner : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle » (Jn 6, 68).

Sur cette question de la foi, aucun dialogue n’est possible avec celui qui refuse dès le départ d’envisager qu’elle puisse habiter un homme ou une femme ou éclairer un texte. Le contraire de la foi, c’est la défiance, qui suspecte toute affirmation et ruine tout l’édifice social basé sur la confiance mutuelle. C’est aussi l’infidélité, à laquelle seule répond la parole de l’Apôtre, parlant du Christ : « Si nous sommes infidèles, Lui reste fidèle, car Il ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2, 13).

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