La justification chez saint Paul
Directeur spirituel des communautés qu’il a fondées, l’Apôtre des Gentils adresse à celles-ci des lettres animées d’une charité brûlante, des discours d’autant plus vifs qu’ils sont destinés à des frères passionnément chéris, en vue de leur affermissement dans la vraie foi et, souvent, de leur éloignement des dérives déjà présentes dans ces tout premiers temps chrétiens. Écrits de circonstance, les épîtres de saint Paul ne sont pas rédigées sub specie aeternitatis, mais si aucune n’est un traité thématique, toutes sont habitées par une même lumière eschatologique. C’est pourquoi la question de la justification est abordée en bien des moments des écrits pauliniens.
Communément, la justification s’entend de l’acte par lequel Dieu fait passer une âme de l’état de péché à l’état de grâce. En d’autres termes, c’est la communication à l’âme de la justice qui appartient à Dieu, de sa sainteté.
La doctrine de saint Paul sur ce point pourrait tenir en quelques mots, s’il n’en disait un peu plus : En [l’Évangile], la justice de Dieu se révèle de la foi à la foi, comme il est écrit : Le juste vivra de la foi (Ha 2,4) (Rm 1, 17). Or, dans son histoire sainte personnelle, l’Apôtre fut d’abord un zélé fils de la Loi ; il est donc spécialement qualifié pour établir une perspective entre cette Loi qu’il a observée et la foi à laquelle il exhorte désormais. La fulgurante rencontre du Christ sur le chemin de Damas renversa radicalement son existence ; il lui tient donc aussi à cœur de proclamer l’action libérante du Saint-Esprit et, contre la présence du péché, l’opération de la Rédemption. Telles sont les deux voies que nous allons emprunter, en tentant de réordonner les propos pauliniens, afin d’entendre l’enseignement de l’Apôtre sur la justification.
La Loi et la foi
S’agissant des Juifs, premiers destinataires de la Révélation, saint Paul écrit :
Celui qui est sous la Loi n’est pas juste s’il ne la met pas en pratique, s’il ne s’y conforme pas :
Est-ce à dire qu’observer la Loi justifie le pécheur ?
Ce n’est donc pas la Loi en tant que telle qui apporte la justification. Il faut aller chercher ailleurs. Écrivant aux Romains, saint Paul affirme très vite le cœur de sa doctrine :
Formé aux pieds de Gamaliel (Ac 22, 3), familier des règles antiques de l’exégèse, l’Apôtre peut s’en aller sonder l’histoire sainte de l’humanité, jusqu’en ses origines. Lui-même ou un de ses disciples parle ainsi des Pères :
Depuis le début, donc, c’est la foi qui conduit à la justice. Chemin spirituel manifesté par l’histoire du patriarche : Abraham crut en Dieu et ce lui fut compté comme justice (Gn 15,6 cité dans Rm 4,3). La foi d’Abraham lui a été comptée comme justice avant qu’il ne reçoive le signe de la circoncision : la foi précède la Loi. La Loi est donnée ensuite comme sceau de la justice de la foi (Rm 4, 11). L’héritage promis par le Seigneur dépend de la foi afin d’être don gracieux (Rm 4, 16).
Symbole, aux yeux du monde, de l’Alliance entre Dieu et le peuple qu’il s’est constitué, aide donnée aux descendants d’Abraham pour vivre la foi à travers les âges, la Loi n’est pas une fin :
Au contraire donc, la Loi a une fin, le Christ, pour la justification de tout croyant (Rm 10, 4). Tout croyant et non pas seulement les Juifs. Puisque tous les hommes sont pécheurs (Rm 3, 23), la chair - c’est-à-dire non pas le corps mais la fragilité héritée de la faute originelle - est, en tous, cause permanente de péché, depuis le péché d’Adam, et tous ont besoin d’être justifiés :
L’universalité du dessein de Dieu est attesté dès la Genèse :
Et l’Écriture, prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, annonça d’avance à Abraham cette bonne nouvelle : ‘En toi seront bénies toutes les nations’ (Gn 12,3). (Ga 3, 8)
Par le Christ, les prophéties sont accomplies, le Salut est offert aussi aux païens :
Saint Paul peut prendre les plus grandes distances vis-à-vis de la Loi :
Seul compte désormais le Christ :
Deux justices donc, l’une qui est vaine puisqu’elle vient de la créature, l’autre qui est salvifique puisqu’elle vient du Créateur. C’est pourquoi saint Paul peut affirmer :
Sur cette même lancée, l’Apôtre se dresse avec force contre les éléments judaïsants qui veulent imposer les pratiques de la Loi dans les jeunes Églises de Galatie :
S’attacher à la Loi quand on a connu le Christ, c’est en quelque sorte revenir au moyen alors qu’on possède la fin. Manque de foi ?
C’est par la foi que s’opère la justification ; dit autrement :
C’est la justice de Dieu qui s’est manifestée par la foi en Jésus-Christ, et tous ceux qui croient
L’opération de la Rédemption
L’abondance du péché a appelé une surabondance de la grâce, cette oeuvre qui conduit à la justification. Cette œuvre de grâce est celle du Christ Jésus qui l’accomplit avec un cœur doux et humble : Par l’obéissance d’un seul, la multitude sera constituée juste (Rm 5, 19). Le Fils s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix (Ph 2,8). Pouvait-on imaginer plus grande humilité et plus grand amour ? D’où l’ardeur de l’exhortation paulinienne :
Par un seul homme, Adam, le péché avait fait son lit dans le monde ; par un seul homme, le Christ, nouvel Adam, le monde est vainqueur du péché, la multitude est justifiée, revêtue de la justice de Dieu.
Comment s’opère cette victoire ? Par le sang du Seigneur et sa résurrection : Combien plus, maintenant justifiés par son sang, serons-nous par lui sauvés de la colère (Rm 5, 9). On pense à ce passage de l’Apocalypse : Ce sont ceux qui viennent de la grande épreuve : ils ont lavé leur robes et les ont blanchies dans le sang de l’Agneau (Ap 7, 14b) - et encore : [Jésus] ‘livré pour nos fautes’ (cf. Is 53) et ressuscité pour notre justification (Rm 4, 25). La mort, inévitable compagnon de route du péché, est terrassée par le consentement du Fils à la volonté du Père ; celui qui accepte de s’y plonger est celui-là même qui est la Vie, et à cette obéissance correspond l’événement de sa résurrection. Ainsi, après que le sang a été versé, la vie a rejailli :
La mort et la résurrection du Christ sont l’acte divin qui nous libère de notre condition de pécheurs, la source de notre justification. Peut-on imaginer que le péché n’existe plus ? Non :
Nous demeurons capables de péché tant que nous sommes sur cette terre : notre foi n’est pas parfaite, nous cédons encore au désir de relever les idoles abattues. Mais le don que Dieu nous a fait de Lui-même pour notre justification, en son Fils, est irréformable, irrévocable ; toujours offert, il nous permet de retrouver toujours à nouveau la paix avec le Père par la réconciliation dans le Christ.
Ce mouvement, qui est celui de la conversion toujours re-désirée, toujours re-demandée, toujours re-donnée, a un terme eschatologique :
La justification est la porte ouverte sur la gloire des Cieux.
Après avoir abondamment parlé du Père et du Fils, saint Paul évoque le rôle du Saint Esprit :
La troisième personne divine est engagée, elle aussi, dans cette grâce de la justification :
L’Esprit Saint est celui qui régénère, celui qui ré-engendre, celui qui fait naître de nouveau. Nous voici donc, conduits par saint Paul, parvenus au seuil d’une vie nouvelle : L’œuvre de justice d’un seul procure à tous une justification qui donne la vie (Rm 5, 18). Depuis que le Christ a accompli les Écritures en sa Personne, cette vie nous est déjà donnée, et nous la vivons dans la mesure où nous vivons notre foi ; ainsi notre justification, loin de nous statufier dans une totale passivité, nous pousse-t-elle à agir, à accomplir des œuvres, sous la mouvance du Saint Esprit, ces œuvres qui sont les prémices de la parfaite charité vécue dans le Royaume, ces œuvres bonnes annoncées par l’onction de Béthanie (Mt 26, 10), ces actions qui permettent à saint Paul de dire que Dieu rendra à chacun selon ses œuvres (Rm 2, 6) : Tribulation et angoisse à toute âme humaine qui s’adonne au mal (Rm 2, 9) ; Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien (Rm 2, 10).Cette rétribution que nous espérons n’est autre que le divin et amoureux écho des œuvres qui sont les fruits de la grâce de la justification.
Clément Maâtz-Essincourt, Clément Maâtz-Essincourt, né en 1970. Poursuit des études de philosophie et de théologie.