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La paix - variations sémantiques

Benedictus

Le mot de paix, nous le lisons, l’écoutons et le prononçons dans des contextes bien différents. Depuis des années, nous entendons parler des espoirs de paix au Proche-Orient, et il nous semble presque irréel qu’ils reçoivent ces temps-ci un début de concrétisation. Pendant longtemps aussi, nous avons envié notre puissant frère et voisin, l’Allemagne, pour les vertus de son dialogue entre syndicats et patronat, qui parvenait à maintenir une paix sociale, incroyable pour nous autres, incorrigibles Gaulois. Plus profondément, si nous sommes habitués, pour la plupart, au brouhaha des villes, nous n’en reconnaissons pas moins le bienfait d’une promenade prolongée dans une forêt paisible, ou nous avons parfois goûté la paix d’un monastère.

Quoi de commun entre tous ces contextes, diplomatique, politique, personnel ? Ouvrons la Bible. Au livre des Juges (ch. 6), Gédéon a une vision : l’Ange du Seigneur lui apparaît, et lui transmet l’appel de Dieu ; le jeune homme n’est pas rassuré devant cette apparition ; alors « le Seigneur lui dit : ‘la paix est avec toi ! Ne crains rien, tu ne mourras pas.’ A cet endroit, Gédéon bâtit un autel au Seigneur et l’appela ‘le Seigneur est paix’ ». Le Dieu d’Israël se révèle ainsi, non seulement comme un Dieu tout-puissant, mais encore un Dieu de paix, qui ne veut pas la mort de l’homme, mais souhaite au contraire sa vie, sa prospérité, son bonheur, la plénitude de son existence. Telles sont les connotations du terme hébreu shalom, que traduit ici le mot de paix. C’est parce qu’il a perçu intuitivement toute la richesse de ces connotations que Gédéon a l’audace d’appeler ainsi le Dieu qui lui a révélé son dessein : le Seigneur est paix. La paix de la Bible n’est donc pas d’abord l’absence de guerre, comme les dictionnaires ont coutume de commencer l’énumération des sens du mot paix, elle est bien plus la présence de Dieu.

Au fil des siècles, le peuple d’Israël n’a pas été rassasié de l’image de paix que lui offraient ses rois, image bien pâle, comme toutes nos tentatives humaines, il s’est pris à désirer un Prince de la paix, qui incarnerait pleinement la présence divine à ses côtés : « Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné… On proclame son nom : merveilleux conseiller, Dieu fort, Père à jamais, Prince de la paix ». Cette prédiction du prophète Isaïe (ch. 9), Jésus de Nazareth la reprendra à son compte, déclarant arrivé le jour de son accomplissement. Puis, quittant la synagogue pour la montagne, il dira aux disciples qui l’ont suivi : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu ».

Une étape nouvelle est ici atteinte : la paix n’est plus seulement l’habitation du Dieu tout-puissant dans le cœur de son fidèle, elle est aussi, en sa faveur comme pour son entourage, un bien à façonner, à créer ; et ce n’est que par sa transmission que ce bien sera sauvegardé. Le disciple de Jésus-Christ est un pacificateur, un homme de paix, parce que son Dieu est le Dieu de la paix. Le très beau mot qu’emploie l’évangéliste Matthieu, éïrênopoïos, est un mot rare en grec classique, même si sa formation est limpide, à partir du substantif éïrênê, la paix (d’où vient le beau prénom Irène) et de la racine du verbe poïéïn, faire, créer (d’où vient la poésie).

On comprend dès lors pourquoi le Bienheureux pape Jean XXIII a transfiguré l’adage de la traditionnelle sagesse des nations : Si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre), en ce nouveau dicton, qui a saveur évangélique : Si vis pacem, para pacem (si tu veux la paix, prépare la paix). Ce qui ne signifie pas qu’il faut abandonner la vertu de prudence, mais qu’il faut se battre pour la paix, que la paix est l’enjeu d’un combat incessant. Loin des fausses tranquillités du repli sur soi, la paix est le fruit d’une lutte à mener sur tous les plans, personnel, familial, civil, national, international.

Dans la même perspective, au lendemain des dramatiques événements de septembre 2001, le pape Jean-Paul II déclarait, dans son Message pour la paix du 1er janvier 2002 : « Il n’y a pas de paix sans justice, il n’y a pas de justice sans pardon ». Le plus magistral des accords de paix, le plus réussi des compromis issus d’une longue négociation, comme aussi bien le rayonnement du starets saint Séraphim de Sarov, disant à un disciple, après vingt années de mortification solitaire dans la forêt, puis dans une cellule d’ermite : « Acquiers la paix et des milliers d’âmes viendront à toi », toutes ces victoires de la paix ont leur unique source dans le cœur de l’homme, l’intimité d’amour qu’il est appelé à vivre avec le Père, dans le Fils, par l’Esprit Saint.

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