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La presqu’île du divin – Objectivité de la raison théologique chez Bernard Lonergan (Grégory Woimbée)

Paris, Cerf, 2010, 494 p.
Jean Lédion

Cette copieuse étude repose sur le désir de l’auteur de mieux faire connaître, en milieu francophone, la pensée de Bernard Lonergan (1904-1984). Ce jésuite canadien est considéré par divers auteurs comme un des grands penseurs du XXe siècle. Il est notamment connu pour avoir voulu renouveler l’apologétique, en réconciliant la foi et la raison. Mais ce serait être très réducteur de ne voir dans le livre de Grégory Woimbée qu’une tentative de valorisation de ce théologien. En effet, trente ans après Lonergan, les modes intellectuelles ont changé et le combat à mener s’en est trouvé déplacé. C’est pourquoi on trouvera dans ce livre beaucoup d’éléments liés à la propre démarche intellectuelle de l’auteur qui cherche à se placer au maximum dans le cadre de la problématique contemporaine. Bien sûr, tout cela rend cette étude quelque peu difficile d’accès, surtout pour ceux qui ne sont pas philosophes de formation ; mais ce n’est pas une raison pour ne pas en entreprendre la lecture.

L’ouvrage, après une copieuse introduction, de plus de soixante pages, et un rappel de l’itinéraire de Lonergan, est divisé en trois parties qu’il est intéressant de citer : 1. Dieu dans la question, 2. Dieu dans le désir, 3. Dieu dans la culture. C’est dans ces trois sections que l’auteur va essayer, à la suite de Lonergan, de situer sa propre démarche intellectuelle quant à l’articulation entre philosophie et théologie, et quant à la manière de l’exprimer : « Puisque les théologiens doivent se faire philosophes, il n’est pas inutile de rappeler qu’ils s’interrogent constamment sur la valeur de ce qu’ils disent, non pas seulement de telle ou telle de leurs affirmations, mais de ce qu’ils disent en tant qu’ils le disent. Le débat avec la théologie n’est engagé que lorsque sont spécifiés l’acte théologique et la validité de sa démarche. La question épistémologique de la relation entre théologie et philosophie porte sur les conditions de validité et de valeur d’un discours qui ne se présente pas seulement comme un discours sur Dieu élaboré à partir de sources anonymes, mais comme un discours sur Dieu construit à partir d’un discours de Dieu. » (p. 15)

Mais la démarche intellectuelle correcte, même si elle est définie avec précision et beaucoup de pertinence, exige encore davantage : la conversion. « L’idée de conversion, non plus pensée comme un simple évènement existentiel, mais bien comme un véritable présupposé scientifique, devient principe d’objectivité. […] La conversion pensée comme présupposé scientifique, c’est l’une des grandes contributions de Lonergan. […] Qu’est-ce qu’est la conversion ? La conversion est un processus de transformation bien précis. […] La conversion est retour à l’origine. Il faut bien distinguer commencement et origine. [...] La création est le commencement de l’histoire. L’origine n’est pas la création mais Dieu. La conversion n’est pas le retour à l’état antérieur au péché originel (Adam), mais le retour à Dieu (Jésus-Christ). La conversion n’est pas la réouverture des portes du jardin d’Éden, c’est la communion à Dieu en Jésus-Christ, ce qu’on appelle la vie éternelle ou la vision béatifique. » (pp. 114-116) Ainsi, pour faire œuvre théologique, la conversion doit être antérieure (sur le plan méthodologique) à la réflexion.

La conversion est en outre la seule attitude possible qui soit une réponse au relativisme contemporain, qui, contrairement à l’ancien scepticisme, s’oppose à l’action. « Mais aujourd’hui, tout ce que l’on sait étant séparé de ce que l’on fait (pas au sens technique de fabriquer ou produire, mais au sens moral d’agir), l’action est bloquée : on est passé d’un scepticisme théorique (on doute de ce que l’on sait : "je ne sais rien de vrai") à un scepticisme pratique ou moral (on doute de ce que l’on fait : "je ne fait rien de bon"), mais non pour se remettre en cause ou pour se corriger, mais parce qu’il n’y a aucun espoir de se corriger, parce que l’acte est devenu impossible. » (p. 448) Le travail du philosophe comme celui du théologien doit donc s’appuyer sur une méthode de travail adéquate. C’est cette méthode que l’auteur pense trouver chez Lonergan et qu’il essaie de transmettre à ses lecteurs.

Jean Lédion, marié, trois enfants. Diplôme d’ingénieur, docteur d’État ès Sciences Physiques. Enseignant dans une école d’ingénieurs à Paris.

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